‘Il y des rumeurs qui circulent… A l’île Maurice, tout est possible en politique’

Nouvelle alliance politique?

Interview: Jocelyn Chan Low, Historien

* ‘Un partage de 32 tickets pour le PTr et de 28 pour le MMM-PMSD aux prochaines élections serait-il de nature à rassurer la Hindubelt?’

* “Nous sommes définitivement à la fin d’un cycle et certains acteurs politiques ont fait leur temps”
Croyez-vous que les leaders de l’opposition pourront survivre et rebondir face à une énième défaite? Et que le MSM n’aura pas de soucis à se faire s’il est jeté hors du pouvoir?”


Une analyse de la situation politique par Jocelyn Chan Low, historien et observateur de la société mauricienne, fait ressortir une vérité crue. Le système politique est si défaillant que les électeurs ne sont pas intéressés par les partis politiques existants sur l’échiquier. Toutefois, ils font leur devoir civique de voter pour élire un gouvernement et une opposition. Notre invité insiste sur un phénomène bordant la schizophrénie chez certains : au moment des élections, il y a une autre attitude qui se met en place contrastant avec le vivre-ensemble en harmonie habituel. Le jeu de forces entre groupes devient alors palpable. Pourtant l’heure est grave car le dérèglement climatique est une réalité…


Mauritius Times: Actuellement, de nombreuses spéculations entourent la question de la tenue des prochaines élections. Pensez-vous que le Premier ministre souhaite repousser l’échéance jusqu’au bout de son mandat, c’est-à-dire vers la fin de l’année, ou cherchera-t-il à éviter la saison cyclonique à partir de décembre, notamment après les dégâts causés par le cyclone Belal et la mauvaise presse résultant de la gestion de ce cyclone et des inondations qu’a connues le pays?

Jocelyn Chan Low: Pravind Jugnauth a souvent répété qu’il ira au bout de son mandat, ce qui amène certains à conclure que les élections générales seront organisées au début de 2025.

Personnellement, je crois que c’est un leurre pour endormir l’opposition qui a plusieurs obstacles à surmonter avant la concrétisation finale de leur alliance dans les détails – composition du “front bench”, répartition des candidats, programme, etc.

C’est un fait connu que les autorités n’attendent pas la dernière minute pour organiser les élections, et ce, pour être à l’abri d’un contretemps majeur et inespéré, surtout dans des pays tropicaux où les risques de tempêtes tropicales et d’inondations sont très élevés, notamment en été. Belal et les pluies qui l’ont accompagné l’ont démontré d’une manière dramatique.

Les mois de janvier à mars peuvent devenir des cauchemars pour tout pouvoir en place, surtout pour un régime qui compte sur la création, souvent artificiel, d’un “feel-good factor” pour rallier l’électorat.

* Les dégâts survenus lors du passage du cyclone Belal et les inondations dans certaines régions du pays auraient probablement neutralisé le “feel-good factor” engendré par l’augmentation du salaire minimum et de la compensation salariale de Rs 1,500 à Rs 2,000, celle de la pension de vieillesse de Rs 12,000 à Rs 13,500 pour les pensionnés de 75-89 ans, ainsi que le cadeau de fin d’année de Rs 2,000 aux fonctionnaires. Voyez-vous donc les questions environnementales, et surtout celle de la gestion des calamités, devenir un enjeu majeur lors des prochaines élections?

 Dans un contexte de réchauffement planétaire et de bouleversements climatiques, les questions environnementales devraient être un enjeu majeur des élections dans toutes les démocraties du monde.

Il est vrai qu’à Maurice, en raison de l’exiguïté du territoire et d’une population restreinte, tous les efforts consentis ne changeraient pas grand-chose à la situation mondiale. Il faut cependant des mesures urgentes pour contrer les effets du dérèglement climatique sur le pays et sur la population en général.

Les constructions et le bétonnage effectués d’une manière désordonnée sans considération à l’évacuation des eaux de pluies ont rendu des endroits tels que des quartiers de la capitale ou les environs du cimetière de Saint-Jean et d’autres endroits encore à travers le pays en des zones à très haut risque pendant toute la saison cyclonique et les périodes de fortes pluies.

De plus, il faut se rappeler que l’île Maurice est située dans une zone géographique cyclone prone’ et que l’idée que le pays puisse être victime de telles catastrophes est profondément enracinée dans la psyché du Mauricien.

Deuxièmement, pour que ce soit un enjeu majeur, il faudrait bien que les partis et les alliances en présence se focalisent dessus. Mais ni le gouvernement ni l’opposition n’ont intérêt à faire revivre les terribles mémoires des tragédies non seulement de janvier 2024 mais aussi de mars 2013 et de 2008…

* Quelles options s’offrent à l’alliance au pouvoir en ce qui concerne le timing des prochaines élections? Y a-t-il des facteurs particuliers qui pourraient influencer cette décision?

Il est évident que l’alliance au pouvoir organisera les élections après le budget 2024, l’effet des augmentations du salaire minimum, de la pension de vieillesse pour les plus âgés des “seniors”, et d’une compensation salariale relativement élevée s’étant dissipé avec les inondations accompagnant Belal.

D’ailleurs le PM a fait comprendre à ses partisans que le gouvernement a un autre budget dans la poche avant les prochaines élections. Il dispose ainsi d’une fenêtre de temps entre juillet et mi-décembre 2023, ou le début de la saison des grosses pluies.

Cependant, l’organisation des élections en novembre/décembre risque de poser d’énormes problèmes à l’Electoral Supervisory commissionen termes de recrutement du personnel nécessaire pour superviser le scrutin et le dépouillement des bulletins de vote- les fonctionnaires-enseignants étant pris dans la supervision ou/et la correction des copies.

En outre, il y a le risque que d’ici la fin de l’année, l’inflation inévitable grignote l’effet des annonces ‘la bouche doux’ du budget. Ainsi à mon humble avis, il aura sûrement recours à des “snap elections” (élections anticipées) vers le mois d’août 2024.

*Au-delà de sa propension à “faire la bouche doux”, quelles stratégies voyez-vous que le gouvernement pourrait envisager de mettre en œuvre pour assurer sa réélection lors des prochaines élections?

 C’estun fait que, traditionnellement, le Mauricien attend beaucoup de l’État. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Au début du 20e siècle, l’île Maurice fut la proie d’une très grande crise économique et un très grand nombre d’artisans se retrouvèrent au chômage. Ils s’organisèrent en syndicat privé et envoyèrent des pétitions au gouverneur réclamant de l’aide.

Dans une note au bureau colonial, le gouverneur ne put s’empêcher de constater que les mauriciens sont de braves gens et que l’idée ‘socialiste’ est très ancré dans le pays : le Mauricien s’attend que l’état lui fournisse tout-du travail, l’éducation de ses enfants, des services de santé et d’autres encore gratuitement ! Et on sait que l’État-providence est une des grandes réalisations de l’île Maurice contemporaine.

Dans plusieurs publications académiques, j’ai décrit Maurice comme un des rares “developmentalsocial-democratic states” de l’hémisphère sud. L’idée du “Welfare State” est si ancrée, qu’au moment des réformes de réajustement structurelles de la FMI et de la Banque mondiale à la fin des années 70 et au début des années 80, ces deux institutions abandonnèrent l’idée de réduire l’état-providence, sachant que tout gouvernement qui y toucherait se verrait balayé par un 60-0 et qu’elles auraient à recommencer les négociations à zéro. C’est l’unique cas au monde où le “Structural Adjustment Programme” fut appliqué sans une réduction de l’état-providence.

Depuis, l’élargissement de l’Etat-providence, à travers le transport gratuit pour les étudiants et les personnes âgées, l’augmentation des allocations et des facilités pour les retraités, l’aide de l’Etat pour garantir le paiement du salaire minimum, etc., a été une constante dans la République de Maurice. Et tous les partis politiques se retrouvent désormais dans une situation où il leur est impératif d’inclure de telles mesures dans leur programme au risque d’être rejetés dans le ‘karokann’. Et il est évident que PravindJugnauth ne s’en privera pas pour rallier l’électorat.

* Y a-t-il des facteurs particuliers susceptibles d’influencer la politique en marge des prochaines élections?

A ce stade, il est essentiel de souligner ce que je considère comme les trois fondamentaux de la situation politique del’île Maurice d’aujourd’hui.

D’abord, nous avons un gouvernement au pouvoir qui dispose d’une faible légitimité populaire. En effet, le MSM et ses alliés n’ont récolté que 37% des votants aux dernières élections générales –moins de 30% de l’ensemble de l’électorat. Et la situation n’a guère évolué depuis. Selon le dernier sondage de Synthèses, réalisé en septembre 2023, parmi ceux qui s’étaient exprimés sur leur intention de vote, les partis au pouvoir ne recueillaient que 24% contre 36% en faveur de l’alliance de l’opposition.

Mais attention ! L’opposition parlementaire a beaucoup de points faibles alors que l’opposition extra-parlementaire est quasi- inexistante, son poids étant très marginal dans l’électorat. Ainsi, par exemple, les sondages révèlent que la popularité de Pravind Jugnauth devance de loin celle de Navin Ramgoolam. En fait, il existe un énorme “credibility gap” entre l’électorat et l’opposition traditionnelle et extra-parlementaire.

 Et, finalement, les sondages révèlent que près de 70% de l’électorat ne croient plus dans les dirigeants politiques actuels et seraient prêts à voter pour une nouvelle personnalité politique en tant que Premier ministre. Ce fort courant dégagiste et cette immense désaffection par rapport aux partis politiques existants constituent un phénomène totalement inédit dans l’histoire politique du pays.

Mais comme il est pratiquement impossible pour qu’un nouveau leader politique-homme ou femme- émerge d’ici les élections générales, il est évident que les prochaines élections se joueront entre deux alliances de partis traditionnels, menées par des dirigeants actuels, tentant tant bien que mal de gagner les faveurs d’un électorat. Et ce dernier, pour la grandemajorité, leur estpotentiellement hostile ! Cependant, le Mauricien étant en général un animal politique, il ira voter bien qu’on puisse prévoir une petite hausse du taux d’absentéisme.

Un tel contexte est évidemment propice à la démagogie populiste et aux promesses d’élargissement démesuré de l’état-providence.

* Qu’en est-il de certaines questions spécifiques liées aux droits de l’homme, à la gouvernance ou à d’autres aspects tels que la situation économique actuelle du pays ? Pensez-vous que ces questions influenceront le vote des citoyens ?

Elles auront certainement une place de choix dans la campagne électorale surtout qu’on assiste actuellement à un glissement progressif de Maurice vers une démocratie illibérale, ce qui commence à inquiéter des observateurs étrangers. Il faut toutefois souligner que cet état de choses ne date pas du présent régime.

Sur la question de bonne gouvernance, le “track record” de ceux qui se présentent comme alternative au PM et au gouvernement n’est pas très reluisant. Les allégations de scandales, de corruption, de népotisme, etc., ont aussi foisonné sous d’autres gouvernements. Et, quelques fois, même les bonnes intentions ont eu de mauvaises conséquences sur l’évolution des institutions du pays.

On sait que la constitution de 1968, malgré certaines provisions restrictives, notamment par rapport à l’état d’urgence, avait érigé des garde-fous et un système de “checks and balances” pour prévenir tout glissement vers un “illiberaldemocracy” où tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’un seul homme, en l’occurrence le Premier ministre. Malheureusement certains de ces garde-fous ont été enlevés.

Prenons l’amendement 2 de 1982. D’un côté, cet amendement constitutionnel consolide grandement la démocratie en rendant pratiquement impossible tout renvoi des élections générales. Par contre,l’article 113 restreint grandement les privilèges et les immunités des hauts fonctionnaires et même des détenteurs de postes constitutionnels.La Constitution de 1968 prévoyait que les détenteurs de postes constitutionnels évoluent dans un cadre où il pourrait agir indépendamment du PM. Ainsi le Commissaire de Police était nommé pour un minimum de 4 ans. Désormais, il pouvait être nommé pour un maximum de 4 ans et même pour une période de 3 mois ! Comment garantir l’indépendance de l’institution dans un tel cas?

Il faut ajouter que certains hauts fonctionnaires peuvent être mis à la porte “on grounds of public interest”. Ainsi l’administration civile conçue pour être indépendante du pouvoir politique devient un instrument au service du parti au pouvoir. Il est vrai que les dirigeants d’alors redoutaient les crocs en jambe d’une administration nommée par Sir Seewoosagur Ramgoolam et Sir Gaëtan Duval. Mais, sans le savoir, ils avaient ouvert une boite de pandore, comme le souligne Joseph Tsang Man Kin.

* En ce moment, comment évaluez-vous la perception publique à l’égard du gouvernement?

Difficile à déchiffrer car le public n’est pas homogène et les opinions vont inévitablement varier en fonction de la tranche d’âge, de l’ethnicité, de la classe sociale, etc.

Cependant d’une manière générale, l’opinion publique est défavorable envers l’ensemble de la classe politique actuelle. Et les allégations de scandales, de corruption, de népotisme, et aussi l’arrogance de certains et la dérive des institutions — alors que le combat contre le trafic de drogue est loin d’avoir été gagné et que le coût de la vie ne fait qu’augmenter continuellement — ont grandement entamé l’image du gouvernement déjà minoritaire au sein de l’électorat au lendemain des élections de 2019.

Cependant, ce mécontentement n’entraîne pas, comme auparavant, un ralliement à l’opposition dont l’image est aussi très écornée. Il semblerait que le “credibility gap” qui s’est installé entre les dirigeants de l’opposition et le grand public et qui a amené à leurs défaites successives aux dernières élections générales est toujours opératoire.

Tout cela explique le flou en ce qu’il s’agit des prochaines élections générales – la grosse majorité de l’électorat est encore indécise et ne se décidera probablement qu’à la dernière minute.

Il est à noter cependant qu’un grand nombre d’électeurs reconnaissent les développements infrastructurels de grande envergure entrepris sous le présent régime. Je prends comme exemple le Metro Express qui, malgré les critiques, fait partie aujourd’hui de la vie de milliers de mauriciens quotidiennement. De même, le bilan social du gouvernement n’est pas totalement négatif. La hausse du salaire minimum et des allocations sociales telles la pension de vieillesse de même que la “NegativeIncomeTax” sont autant de points positifs malgré la hausse constante du coût de la vie. Et, chez les seniors en général, on ne voit pas se dessiner une tendance forte en faveur d’un soutien à l’opposition.

* Mais, comment interprétez-vous cette déclaration du Premier ministre lors d’un comité régional du MSM dans la circonscription no 4, où il affirme avoir soutenu ce qui suit : “Je ne resterais pas Premier ministre éternellement. On mourra tous un jour” – ce qui a été interprété par l’opposition que PravindJugnauth aurait intériorisé la défaite?

Les services de renseignement ont dû l’informer que la grosse majorité des mauriciens n’ont pas encore fait leur choix.

De même, chez un parti qui est arrivé au pouvoir avec bien moins de 40% de l’électorat, le spectre de la défaite électorale n’est jamais vraiment bien loin.Dans ce sens, il fait preuve de réalisme

* Par la suite, PravindJugnauth a déclaré que l’Opposition ne valait pas grand-chose, et il a ainsi dirigé ses tirs sur la presse. L’adversaire principal de l’opposition, c’est la MBC-TV, et celui de l’alliance gouvernementale, c’est la presse… est-ce vraiment ainsi?

Si l’on se fie aux divers sondages, à la fois le gouvernement et l’opposition sont minoritaires dans le pays. La grosse majorité de l’électorat – près de 70% voudrait voir du neuf dans le leadership politique du pays.

Mais puisque cette option n’est pas à l’ordre du jour pour les prochaines élections, les électeurs finiront par voter pour une des deux alliances traditionnelles. D’où le rôle de la presse qui, selon les sondages, demeure l’une des institutions les plus crédibles du pays.

C’est un fait que les Mauriciens font plus confiance aux journalistes qu’à la classe politique. Dans d’autres démocraties, ceux qui s’en prennent à la classe politique traditionnelle s’en prennent aussi à la presse qu’ils associent au même système vil et trompeur. Tel n’est pas le cas à Maurice- tout au moins jusqu’à maintenant.

Ainsi la presse jouera un rôle déterminant quant à l’issue des prochaines élections. Cela expliquerait les sorties de PravindJugnauth et les pressions malsaines exercées pour que certains changent leur ligne éditoriale ou même leurs journalistes vedettes.

Quant à la MBC, elle a toujours été au service du pouvoir en place, et il incombe à l’opposition de démasquer sa propagande infecte.

* Toutefois, cette même presse tombe sur la tête de temps à autre, comme lorsqu’elle essaie de pousser cette idée de proposer Xavier Duval… “au lieu de Navin Ramgoolam, comme potentiel PM de l’alliance de l’opposition”… ce serait “le vrai changement”, soutient-elle. Duval a sans doute ses mérites, mais voit-on Paul Bérenger soutenir une telle démarche ?

C’est la résurgence d’un vieux fantasme, et je ne crois pas qu’elle mérite qu’on s’y attarde. La proposition en fait indique le chemin le plus sûr pour une défaite de l’opposition sur un score de 60-0!

Il est vrai que la société mauricienne semble évoluer vers une société post ethnique dans le très long terme. Il y a certes plus d’interactions et d’échanges entre des personnes des différents groupes ethniques que dans les années 60.

Cependant il faut faire une distinction entre comportement social et comportement politique. Ce sont deux domaines différents à ne pas confondre. Et l’ethnicpolitics, qui met en jeu de puissants intérêts, est là pour durer encore quelques décennies.

D’ailleurs, celarisque de poser de sérieux problèmes à l’alliance de l’opposition en termes de répartition et de distribution des tickets. L’opposition gagnerait beaucoup à se pencher sur les élections de 2014. Le raz de marée de l’Alliance Lepep dans les régions rurales était dû non seulement à la perte de crédibilité de Navin Ramgoolam mais il y avait surtout cette peur qu’il n’exercerait plus le pouvoir réel et ne serait qu’un fantoche aux mains de Bérenger.

Or, un partage de 32 tickets pour le PTr et de 28 pour le MMM-PMSD aux prochaines élections serait-il de nature à rassurer la “Hindubelt”? Cela alorsqu’on sait pertinemment bien que logiquement une bonne partie des candidats du Ptr affronteront un MSM bien ancré dans les régions rurales alors que le MMM et PMSD peuvent théoriquement enlever des circonscription dans les régions urbaines où l’opposition a fait un meilleur score aux dernières élections générales…

Je suis certain que le MSM exploitera à fond la peur que Navin Ramgoolam pourrait se retrouver en minorité au sein de l’alliance de l’opposition en cas de victoire aux élections.

De telles inepties (comme celle visant à proposer Duval comme PM de l’alliance de l’opposition) qui ne mènent à rien risquent bien de faire le jeu de l’alliance au pouvoir.

* De votre point de vue, quelles sont les principales préoccupations de l’opposition actuelle et quelles stratégies pourraient-elles utiliser pour remporter les élections?

Un partage de tickets et un “front bench” qui pourrait satisfaire à la fois l’électorat urbain et le “Hindubelt”,et neutraliser la campagne de peur qui sera sans nulle doute alimentée par le MSM sont parmi les grandes priorités de l’opposition, selon moi.

Mais il reste le fond du problème: Comment présenter une alternative crédible quand le leader de l’alliance a été victime, à tort ou à raison, d’une campagne de “characterassassination” féroce le présentant comme le “devil incarnate” en ce qu’il s’agit de mauvaise gouvernance, de corruption et de passe-droits ?

Dans les démocraties plus établies, la défaite aux élections entraîne le retrait automatique du leader du parti et la nomination d’un nouveau leadership chargé de la mission essentielle de “rebranding” du parti pour les prochaines échéances électorales.

Dans la République de Maurice, tel n’est pas le cas car les partis politiques sont des partis personnels, non collectifs ni démocratiques,mais sous le contrôle d’une seule personne qui, en outre, dans certains cas,finit par installer une dynastie.

Ceci rend l’exercice de “rebranding” extrêmement difficile, voire impossible et cela explique aussi la succession de défaites. Je vous rappelle qu’aujourd’hui les “hardcore” — les fameux ‘dépôts fixes’ –ont fondu comme neige et l’électorat semble dégouté de la classe politique actuelle et veut du nouveau – des vrais, pas des “fakes” comme on retrouve à foison dans les partis extra-parlementaires.

La tâche est ardue. Une solution possible serait d’introduire une majorité de nouveaux candidats compétents au passé politique irréprochable et désigner un “shadow cabinet” où les nouveaux seront majoritaires et où les anciens dirigeants deviendraient des “mentors”. Idéalement, on proposerait un arrangement pour le poste de Premier ministre à l’israélienne, mais avec une personnalité crédible issue de PTr lui-même. Ce serait une manière forte d’acter la transition.

Il y a évidemment le programme. L’élargissement de l’État providence doit être l’un des piliers de ce programme non seulement pour contrer la campagne du gouvernement mais surtout parce qu’en démocratie, c’est l’un des moyens les plus efficaces pour atténuer le problème des inégalités historiques.

En outre, un programme de réformes des institutions est essentiel pour assainir la situation. Cependant, il faut aussi se rappeler qu’une bonne partie de l’électorat ne prend même pas la peine de lire les manifestes électoraux.

En ce qu’il s’agit de l’économie, il faut certainement des mesures fortes pour consolider nos acquis et éviter le désastre. Cependant, à trop mettre l’accent sur les difficultés économiques, l’opposition risque de voir son discours être perçu comme annonciateur d’une politique d’austérité à venir. Or, c’est exactement ce que l’électorat ne veut pas entendre.

Je me souviens qu’en 1983, le MMM avait fait campagne autour d’une politique de vérité au moment où des milliers de personnes étaient au chômage dont des maçons qui constituaient le gros de l’électorat des cités ouvrières. Sir Gaetan Duval, par contre, était venu avec la fameuse promesse de “Solange, amenn mo diary”, et en tant que ‘militant-coaltar’ nous avions pu constater comment cela avait fini par faire basculer une bonne partie de cet électorat vers l’alliance bleu-blanc-rouge…

* La prochaine campagne électorale risque d’engendrer une surenchère politique marquée par des attaques personnelles et d’autres abus. Toutefois, à la fin de la journée, nous nous retrouverons probablement avec les mêmes acteurs politiques et la persistance de la même culture politique. Comment pouvons-nous sortir de cette impasse?

Je ne serai pas aussi catégorique. Au contraire, je crois que nous sommes définitivement à la fin d’un cycle et que certains acteurs politiques ont fait leur temps. Ainsi va la vie. Même le meilleur joueur de football aura à quitter le terrain un jour.Croyez-vous que les leaders, plus particulièrement ceux de l’opposition, pourront survivre et rebondir face à une énième défaite? Et que le MSM n’aura pas de soucis à se faire s’il est jeté hors du pouvoir?

En fait, l’après-élections générales pourrait bien voir le début d’un nouveau cycle, avec de nouveaux acteurs et de nouvelles idées. Pour ceux qui militent pour un vrai changement dans la vie politique à Maurice, itcouldbe a veryexciting time ahead!

* En attendant, vous savez qu’il n’y a pas de conditions permanentes ou fixes en politique; les alliances et les situations peuvent évoluer avec le temps. Pensez-vous donc que de nouveaux partenariats pourraient émerger avant les prochaines élections?

Évidemment, la situation politique a toujours été très fluide à l’île Maurice et les alliances se font et se défont même à la veille du Nomination day.

Déjà, il y des rumeurs qui circulent- peut être alimentées par les partisans du gouvernement. En outre, si le principe d’une grande alliance de l’opposition a été annoncé, nous sommes toujours, comme je le disais tout à l’heure, dans le flou concernant les détails – “front bench”, répartition des tickets, programme – c’est-à-dire des sujets qui fâchent et qui peuvent disloquer une alliance. Et, il est dans l’intérêt du gouvernement qu’un de partis de l’opposition fasse défection et rejoigne ses rangs.

A l’île Maurice, tout est possible en politique. Les mauriciens le savent depuis très longtemps. D’ailleurs, c’est tout ce cirque qui a alimenté la distanciation du gros de l’électorat vis à vis des partis traditionnels.


Mauritius Times ePaper Friday 9 February 2024

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