Election partielle : un piège pour qui ?

Marmite politique

Dans la politique, il y a des circonstances qui sont parfois en dehors du contrôle du gouvernement, aussi puissant soit-il. L’adage « A week is a long time in politics » a vu une belle illustration dans la deuxième semaine de février

By Aditya Narayan

Presque deux semaines après la démission de Vikram Hurdoyal comme député de l’Assemblée législative, à la suite de sa révocation du poste de ministre de l’Agro-industrie, tout le monde se demande s’il y aura une élection partielle et, le cas échéant, à quel moment celle-ci aura lieu. Les spéculations vont bon train quant à la date de cette élection partielle dans la circonscription no. 10 (Montagne Blanche/Grande Rivière Sud-Est). Certains, surtout dans le camp gouvernemental, disent qu’il y aura une élection partielle alors que d’autres excluent toute possibilité d’une partielle à quelques mois de la dissolution automatique du Parlement fin novembre, laquelle entrainera nécessairement des élections générales.

Cette incertitude au sujet de la partielle n’est pas saine dans une démocratie parlementaire car toute vacance d’un siège de député pour un temps anormalement long (six mois ou plus) va à l’encontre du principe de la représentation démocratique de l’électorat. Un député est élu pour siéger au Parlement afin d’être la voix de ses mandants dans le débat parlementaire et, lorsqu’il démissionne, il doit être remplacé dans un délai raisonnable (trois mois au minimum et six mois au maximum). C’est ainsi que se passent les choses dans les démocraties parlementaires dignes de ce nom où la tenue d’une élection générale ou partielle ne dépend pas de la volonté d’une seule personne, en l’occurrence le chef du gouvernement, mais des dispositions de la loi.

Dispositions légales

A Maurice, les élections législatives sont régies par la Constitution et la loi électorale, The Representation of the People Act (RPA) de1958, comme amendée subséquemment. Sous la section 57 (1) de la Constitution, le Premier ministre a le pouvoir de dissoudre le Parlement n’importe quand avant l’expiration d’une mandature de cinq ans, ce qui lui permet d’appeler le pays aux urnes au moment propice pour son parti.

Toutefois, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire (appelé prérogative) ne va pas au-delà de cinq ans. Grâce à un amendement de la Constitution apporté par le gouvernement MMM en 1982, la section 57(2) de la Constitution stipule que le Parlement, s’il n’est pas dissout plus tôt, est automatiquement dissout cinq ans après la première séance suivant les dernières élections. Le présent Parlement, issu des élections générales du 7 novembre 2019, va donc mourir d’une mort naturelle le 21 novembre 2024.

Alors que le gouvernement voulait aller jusqu’au bout de son mandat et tenir les prochaines élections générales en avril 2025 au plus tard, la démission de Vikram Hurdoyal est venue chambouler son calendrier électoral. La situation est devenue d’autant plus compliquée pour lui que le scénario d’une élection partielle s’imbrique avec celui des élections générales. L’un dépend de l’autre. Aucun scénario de partielle ne peut faire abstraction des prochaines élections générales qui arrivent à échéance à moyen terme (10 à 12 mois).

Les options disponibles au gouvernement sont décrites dans le tableau ci-dessous (Electoral Agenda after Resignation of Hurdoyal as Member of National Assembly). Si le Gouvernement veut faire une partielle dans un délai de six mois, il devra suivre la chronologie suivante :

(a)       émettre le « writ » pour cette élection au plus tard le 13 mai 2024 sous la section 35(3) de la Constitution (soit 90 jours à partir de la date de démission du député),

(b)       fixer la date du dépôt des candidatures (Nomination Day) au 12 juin 2024 au plus tard,et

(c)        tenir la partielle le 11 août 2024 au plus tard.

Cependant, la Representation of the People Regulation de 1987 permet au gouvernement de tenir la partielle dans un délai maximal de 240 jours suivant la chronologie suivante :

  • émettre le « writ » pour cette élection au plus tard le 13 mai 2024 (soit 90 jours à parti de la date de démission du député),
  • fixer la date du Nomination Day au 12 juillet 2024, soit 60 jours à partir de la date du « writ », et
  • tenir la partielle dans le délai de 90 jours après le Nomination Day, soit le 10 octobre 2024.

Tenir une partielle le 10 octobre 2024, soit à 40 jours de la dissolution du Parlement survenant le 21 novembre 2024, n’est pas logique car le député élu ne siègera que pour 40 jours avant de briguer une nouvelle élection. Ce sera un gaspillage des fonds publics. Dans la meilleure hypothèse, la partielle devra donc avoir lieu le 11 août 2024 pour pouvoir tenir les élections générales en avril 2025. Autrement, le gouvernement devra esquiver la partielle et dissoudre le Parlement le 10 août 2024 afin d’appeler le pays aux urnes le 9 septembre 2024 au plus tôt ou le 7 janvier 2025 au plus tard.

Défi à Navin

Le Premier ministre a dit qu’il tiendra une partielle dans la circonscription no. 10 et il a même lancé un défi au leader du Parti travailliste de poser sa candidature de nouveau. Est-ce qu’il y a une stratégie de piéger Navin Ramgoolam, leader de l’alliance PTr-MMM-PMSD, en lui demandant de briguer la partielle dans une circonscription où il est sorti quatrième en 2019 après les trois élus du MSM ? Si Navin devait mordre à cet hameçon dans un élan d’orgueil, il s’exposerait ā une campagne néfaste contre sa personne en raison de tous les moyens dont dispose le gouvernement pour l’attaquer (propagande de la MBC, mobilisation d’associations socio-culturelles sur le terrain, achat de consciences des électeurs par des moyens corrompus). Une défaite éventuelle de Navin à la partielle fragiliserait sa position comme leader de l’alliance de l’opposition parlementaire et pousserait celle-ci dans le désarroi à la veille des élections générales.

A moins que le défi du Premier ministre ne soit un bluff destiné à confondre l’opposition dans son ensemble, certains observateurs ont avancé la thèse d’une stratégie politique visant à provoquer une partielle pour coincer le leader du Ptr dans le contexte de l’opacité sur les épisodes de révocation et de démission.

Le manque de transparence entourant les motifs de la révocation de Vikram Hurdoyal comme ministre donne lieu à toutes sortes de conjectures. A-t-il fauté vraiment quelque part ou a-t-il été puni pour avoir apparemment refusé de livrer un nouveau permis pour le commerce des singes ? S’il n’en est rien, pourquoi ya-t-il un accord entre Hurdoyal et le Premier ministre pour ne rien dire sur les raisons de la révocation, suivie de la démission du député ?

Jusqu’ici, il y avait une certaine transparence sur les raisons menant à la révocation de certains ministre. Par exemple, la révocation du leader du MuvmanLiberater (ML) en 2020 avait été officiellement liée à son implication alléguée dans une affaire d’attribution de contrat par le CEB. Toute l’opacité dans le cas de Hurdoyal est donc intrigante.

Histoire des partielles

Navin Ramgoolam est sans doute trop intelligent pour tomber dans quelque piège que lui tendrait le gouvernement. Comme leader d’une alliance nationale, il devrait choisir un autre candidat du Ptr pour briguer une éventuelle partielle dans la circonscription no. 10 et concentrer son énergie sur la campagne nationale.

L’histoire des partielles à Maurice démontre qu’aucun parti n’a la garantie de remporter une partielle peu importe la popularité du gouvernement ou le calibre du candidat de l’opposition. Voici quelques exemples :

– En juin 1989, le novice Cyril Curé, candidat du MSM, avait battu le « géant » Ivan Collendavelloo, candidat de l’opposition MMM, lors d’une partielle dans la circonscription no. 15 (La Caverne/Phoenix) par une faible marge de 351 voix.

– En avril 1998, le novice Satish Faugoo, candidat du Ptr, avait battu le «géant» SAJ, candidat de l’opposition MSM, lors d’une partielle dans la circonscription no. 9 (Flacq/Bon Accueil) par une marge de 1 474 voix.

– En décembre 2003, le candidat travailliste Rajesh Jeetah avait battu le candidat du gouvernement MSM, Prakash Maunthrooa, lors d’une partielle dans la circonscription no. 7 (Piton/Rivière du Rempart) par une marge de 2 608 voix.

Si le gouvernement ne tient pas une partielle le 11 août 2024, cela indiquera qu’il s’est piégé lui-même avec l’épisode de la révocation de Hurdoyal au lieu de piéger le leader du Ptr. Il ne pourra pas tenir une partielle avec le risque probable de la perdre dans le contexte de l’impopularité du pouvoir. Il n’aura d’autre choix que de tenir des élections anticipées avant la fin de l’année après avoir présenté un budget populiste en juin 2024.

Dans la politique, il y a des circonstances qui sont parfois en dehors du contrôle d’un gouvernement, aussi puissant soit-il. L’adage « A weekis a long time in politics » a été très bien illustré dans la deuxième semaine de février.


Mauritius Times ePaper Friday 23 February 2024

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