Dérapage de Sun TV News : radicalisation des postures sur les réseaux sociaux ?

Par A. Bartleby

La libération conditionnelle de Bruneau Laurette aura mis les réseaux sociaux, et notamment Facebook, en ébullition.

D’une part, nous avons vu ses activistes célébrer cette libération comme celle d’un messie, confortant par là-même leur croyance que Bruneau Laurette était victime d’un complot politique, et ce, même si sa libération est conditionnelle et que l’enquête est toujours ‘ongoing’. Bruneau Laurette bénéficie certes de la présomption d’innocence, mais les charges contre lui n’ont pas été rayées, il faut le rappeler. Mais les effusions de joie, le sabrage du champagne, les larmes de certains montrent à quel point la relation entre Bruneau Laurette et ses suiveurs est passionnelle et affective.

D’autre part, nous avons vu un déferlement de postures douteuses contre Bruneau Laurette et contre le bureau du DPP. En tête des posts hautement inappropriés et diffamatoires, celui d’une page Facebook appelée Sun TV News. La personne qui semble être derrière cette page Facebook n’hésite pas à afficher sa couleur politique dans des posts dont le contenu allie tout aussi bien théories du complot que des délires autour de ce que les extrêmes-droites nomment « le grand remplacement ».

Il faut également souligner autre chose que le linguiste Dev Virahsawmy fait bien ressortir dans un entretien cette semaine : « Bruneau Laurette se sert d’un langage religieux pour cacher son ignorance politique. Il n’a pas de politique claire, encore moins un programme. Tout le monde se réjouit de sa libération. Mais au final, nous créons des ayatollahs à Maurice ». En d’autres termes, le phénomène Bruneau Laurette serait une réponse directe au fascisme de type Sun TV News et, par conséquent, n’en constitue pas une alternative crédible mais bien plutôt le contrepoint idéologique.

Nous sommes ici dans une lutte identitaire clairement posée sur la question de l’hégémonie politique à Maurice, et la spirale ne cesse de croître. Jusqu’où ira-t-on dans cette logique ?

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Pot-de-vin avorté de Rs 27 millions

Roshi Badhain est revenu sur le devant de la scène politique cette semaine avec des révélations sur une affaire de pot-de-vin avorté entre une entreprise du privé et un ministre. Les spéculations sont allées bon train et certains médias n’ont pas hésité à citer des noms, alors que Roshi Badhain n’avait pas encore fourni les preuves se trouvant en sa possession à l’heure où nous écrivons.

Cette affaire est intéressante puisqu’elle pourrait relever d’un cas d’école dans les pratiques de l’attribution des marchés publics à Maurice, même s’il n’y aura pas matière à des poursuites du fait que l’argent n’a pas été transféré. Un cas d’école pour la simple raison que tout observateur peut y déceler les corrompus, mais aussi les corrupteurs. Ce sujet relève d’un grand tabou à Maurice tant et si bien que même les médias ont souvent du mal à en parler directement.

La tendance est de préférer se concentrer sur les corrompus – dans ce cas le ministre. Mais les corrupteurs sont tout aussi importants – dans ce cas, il s’agirait d’une firme du secteur privé. Et le fait de se concentrer sur un cas en oubliant l’autre ne fait qu’obstruer une vision juste des choses.

Qu’entendons-nous par « cette vision juste des choses ? » Que le lien entre le gros capital et les politiques à Maurice est un lien qui est dans le meilleur des mondes un lien d’alliance et, dans le pire des cas, un lien de connivence.

Roshi Badhain détiendrait des informations qui peuvent exposer le système de corruption autour des marchés publics pour ce qu’il est vraiment : une connivence entre gros capital et politiques. Saura-t-il démontrer ce lien en exposant tout aussi bien les corrompus que les corrupteurs ? C’est une affaire à suivre. Ce sera à Roshi Badhain de savoir mener à terme ce qu’il a commencé.

Quant au Premier ministre, il a là un exemple concret de ce qu’il se doit de combattre en tant que chef du gouvernement, lui qui se vante de gérer l’argent du contribuable comme s’il s’agissait de son propre argent. Une démission du ministre concerné et l’ouverture d’une enquête qui aboutirait dans les meilleurs délais pourraient contribuer à redorer un peu son image…

Mais nous savons que le Premier ministre est pris dans un étau : pourquoi une enquête et des sanctions uniquement contre ce ministre alors que d’autres seraient sous le coup de soupçons bien plus graves et que la police n’a toujours pas sévi ?

Comme dirait l’autre: ‘To lose one Cabinet minister may be considered misfortune, to lose several looks like carelessness.’

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CP v DPP: ‘Evil precedent’?

Le communiqué du Commissaire de Police commentant la décision du DPP de ne pas faire appel de la libération conditionnelle de Bruneau Laurette n’a pas manqué de choquer une part importante du monde juridique et du public en général. Certains juristes ont même fait remarquer que nous étions là dans une situation sans précédent, et que le Commissaire de Police avait outrepassé son mandat en s’attaquant directement au DPP. Rappelons que le Commissaire de Police et le DPP occupent tous les deux des fonctions constitutionnelles et qu’une guerre ouverte entre les deux offices n’augure rien de bon pour le fonctionnement approprié et efficace des institutions.

Assistons-nous à un glissement institutionnel ? Seule l’évolution de la situation pourra nous donner les informations requises pour en avoir le cœur net. Mais, sans aucun doute, la formulation du communiqué du Commissaire de Police pose problème. En utilisant le terme « evil precedent », ce communiqué dépasse une ligne qui n’a jamais été franchie précédemment, et qui peut avoir des implications symboliques navrantes, voire dangereuses.

Il aurait été de bon ton, pour calmer les choses et rétablir du « goodwill » ou de la bonne volonté, que le Commissaire de Police émette une rectification dans laquelle il peut très bien faire état des appréhensions de la police, tout en gardant un ton juste et approprié. Après tout, c’est à la police de boucler son enquête et de venir de l’avant avec les preuves suffisantes afin de permettre au DPP de poursuivre les procédures à l’encontre de Bruneau Laurette. Hausser ainsi le ton ne fait que conforter beaucoup de Mauriciens dans leur croyance que l’enquête policière serait creuse et n’aboutira jamais.

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Henry V. Jardine: nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Maurice

Henry V. Jardine est le nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Maurice et aux Seychelles depuis le 22 février dernier.

Henry Jardine, qui est issu du milieu militaire, a eu une carrière exceptionnelle dans les différentes institutions de l’armée américaine ainsi que dans celles de la diplomatie. Il a été posté dans diverses institutions américaines comme le Bureau of Western Hemisphere Affairs(WHA), le Bureau of East Asian and Pacific Affairs (EAP), le Regional and Security Policy Office (RSP), ainsi que dans plusieurs ambassades de son pays – notamment en Thailande, aux Barbades, au Bangladesh, en Inde et en Albanie.

Henry Jardine est également détenteur de plusieurs distinctions universitaires et militaires, étant un diplômé de la prestigieuse Georgetown University ainsi que l’Industrial College of the Armed Forces.

Sa nomination à Maurice et aux Seychelles est particulièrement intéressante au regard de ses qualifications et de son parcours. Nous savons que Maurice négocie actuellement le retour de l’archipel des Chagos – où la base militaire américaine de Diego Garcia se trouve être la clé de voûte de la négociation – et que le bassin de l’océan Indien devient le lieu d’une opposition de plus en plus claire entre les intérêts américains et les intérêts chinois – avec leurs alliés respectifs.

Nous verrons bien comment le nouvel ambassadeur naviguera à Maurice par rapport à ces enjeux, mais ce qui est sûr, c’est que Henry Jardine fait partie des fleurons du corps diplomatique américain et qu’il représentera les intérêts de son pays avec un professionnalisme certain.

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La Russie livre 24 avions de chasse Sukhoi-35 à l’Iran

L’information est passée presque inaperçue, mais est d’une importance capitale au regard des conflits actuels dans la région.

Avec cet achat, l’armée iranienne se donne une capacité d’attaque et de projection renouvelées. En effet, même s’il s’agit de Sukhoi-35 de la quatrième génération (contre la génération 4++ que possède la Russie), ces avions de chasse possèdent une capacité importante en armement et en autonomie, ce qui donnera à l’armée iranienne une capacité de frappe accrue dans la région.

En effet, même si la Russie a vendu des avions de la génération précédente, ces derniers ont la capacité d’embarquer des missiles lourdes et de longue portée. Cette information est particulièrement pertinente au regard des avions de chasse que possèdent les pays avoisinant l’Iran – Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Irak, Syrie, Turquie, Afghanistan, Pakistan, Turkménistan et Israël notamment. Les armées les mieux équipées de ces pays possèdent un mélange de F16, F18, Rafales, Typhoon et F35 pour l’armée de l’air israélienne, notamment.

Par conséquent, l’Iran a désormais une capacité de projection offensive sur ses voisins. Même si l’aviation iranienne n’a jamais eu la réputation d’être une force de projection, elle pourra désormais prétendre à cette capacité.

Cette nouvelle donne vient brouiller encore plus les cartes de la géopolitique mondiale et démontre que la Russie est à la manœuvre loin des frontières ukrainiennes, sécurisant des alliances hautement stratégiques pour elle au Moyen-Orient.

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La posture du “global South” face à la guerre en Ukraine

Kishore Mahbubani – un diplomate singapourien de renom et un ex-Président du Conseil de Sécurité des Nations Unies – a récemment commenté le manque de soutien des pays du “global South” aux Occidentaux par rapport à la guerre en Ukraine.

  1. Mahbubani a, de manière extrêmement pertinente, mis l’accent sur la rhétorique américaine de ces dernières décennies, divisant le monde entre un axe du bien et un axe du mal. Entre la démocratie et la liberté représentées par l’Occident et les autocraties et le totalitarisme représentés par la Russie, la Chine, l’Iran, etc. Cette division simpliste du monde en deux axes est justement ce qui ne fonctionne plus dans la géopolitique mondiale, qui devient un espace où la pensée dichotomique simpliste et réductrice n’a plus lieu d’être.

En effet, chaque pays avance aujourd’hui ses intérêts souverains, économiques, institutionnels, énergétiques, et sécuritaires avec un pragmatisme qui dépasse les vieux clivages idéologiques de la fin du 20e siècle. La montée en puissance de la Chine représente ainsi vraiment une alternative crédible pour la coopération internationale au regard de nombreux pays du “global South”.

Il faut rajouter à cela que les récentes présidences américaines n’ont pas forcément œuvré pour un repositionnement des États-Unis dans les affaires du monde, préférant même un retrait et un recul du rôle que le géant américain s’était octroyé à la fin de la Guerre Froide : celui de devenir le gendarme du monde. Les États-Unis n’ont eux-mêmes plus cette visée, ce qui est très bien ; toutefois cela a ouvert un vacuum que la Chine et ses alliés savent très bien occuper.

Ainsi, nous voyons de plus en plus se mettre en place un nouveau monde, où les plaques tectoniques de la géopolitique mondiale sont en mouvement et où les pays avancent selon leurs intérêts propres. La dichotomie historique qui divisa le monde en deux camps, et qui était le cadre opératif du monde de la Guerre Froide, est bel et bien terminé.

Nous verrons bien comment le multipolarisme fonctionnera sur le long terme, mais nous en voyons déjà les prémisses sur le terrain concret de la guerre en Ukraine.


Mauritius Times ePaper Friday 3 March 2023

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