Budget 2023-24 – les prochaines élections générales ne sont pas pour bientôt…

Eclairages
Par A. Bartleby

Le quatrième budget du Grand Argentier était attendu avec impatience par tout le pays. Maintenant que nous sommes sortis de la Covid et que l’économie mondiale est en phase de reprise importante, ce budget se devait de signaler la relance définitive de l’économie mauricienne également, et ce, à tous les étages de la pyramide sociale.

Le premier commentaire qui vient à l’esprit est que le ministre des Finances a livré un exercice prudent en tentant de faire plaisir à tout le monde. Mais faire plaisir à tout le monde implique le fait de n’avoir aucun parti pris, et ce budget pourrait apparaître fade et dénué d’orientation nationale forte de ce point de vue.

Mais pouvait-on s’attendre à un budget courageux quant aux orientations nationales à moins de deux années des prochaines échéances électorales ? Certains diront que oui, mais le pragmatisme politique fait qu’aucun gouvernement n’oserait tenter un exercice budgétaire aussi risqué.

À partir de là, il est clair que le ministre des Finances a opéré dans un contexte précis : ouvrir les valves de l’investissement afin de consolider la relance tout en finançant des mesures sociales pour permettre aux ménages les plus fragiles de résister à l’inflation.

Ainsi, l’abrogation de la ‘Solidarity Levy’ et la simplification fiscale sont des signaux forts envoyés aux investisseurs. Dans le cas de la ‘Solidarity Levy’, c’est même le signal clair que nous sommes sortis de l’ère de la Covid puisque cette dernière avait été mise en place afin de soutenir les mesures d’urgence mises en place à partir de mars 2020 ; le Grand Argentier n’avait pas arrêté de répéter qu’il s’agissait d’une mesure temporaire.

L’opposition a tout de suite crié au loup en affirmant que ce budget favorisait ainsi les classes moyennes supérieures et les riches. Cette affirmation peut sembler juste sur papier, mais elle met de côté la réalité économique du pays : le fait que sans investissement, sans croissance et sans consommation soutenus, nous ne pourrons plus financer notre modèle social. Ceci est dû à deux facteurs fondamentaux : le vieillissement de la population avec moins de jeunes qui vont devoir produire plus pour soutenir la même tendance à la croissance, et la tendance décroissante de la productivité.

Ces deux facteurs sont absolument déterminants dans les stratégies économiques, sociales et industrielles car ce sont elles qui dictent à nos gouvernants l’impératif d’ouvrir encore plus les valves du pays à l’investissement étranger (FDI) et au travail des étrangers (Occupation Work Permit et ouvriers étrangers). À partir de là, il est clair que nous sommes à Maurice dans une situation où le salariat (pour ne pas dire le prolétariat) n’est plus capable de négocier contre le capital, puisque sa survie elle-même dépend de la capacité du capital à produire de la croissance. Le gouvernement est ainsi parfaitement pragmatique : il choisit donc la voie du pragmatisme – pour reprendre une expression utilisée par les partis de gauche à travers le monde – lorsqu’il fait un cadeau fiscal aux riches.

Modèle social, inégalité et instabilité politique

Il est essentiel de maintenir un climat favorable à l’investissement et au développement du capital à Maurice, en sachant que la structure fiscale n’est pas aussi avantageuse que dans des pays directement concurrents de Maurice sur le marché des investisseurs étrangers. La survie même des classes populaires en dépend, puisque sans les revenus qui découlent de l’investissement et de la croissance, nous serions obligés de privatiser le modèle social à Maurice.

Cela produit bien évidemment une situation d’inégalité qui ne fera que s’approfondir. Et il est clair que ces questions devront être adressées de manière sérieuse à un moment donné, surtout que l’approfondissement de ce système ne produira qu’une seule conséquence sur le long terme : la perte des acquis socioéconomiques des classes populaires. Ce qui produira à son tour de l’instabilité politique.

A noter toutefois qu’aucun gouvernement, quel qu’il soit, ne s’aventurerait à adresser ces problèmes dans le quatrième budget d’un mandat de cinq ans. Nous restons ainsi, pour l’instant, emprisonné dans le cercle vicieux de libérer les avenues de la croissance afin de permettre une augmentation des revenus de l’Etat, qui permettra à son tour de financer le modèle social et des mesures de soutien aux Mauriciens les plus fragiles.

Et parallèlement à des mesures favorables à l’investissement, le ministre des Finances a également adressé un certain nombre de mesures afin de soutenir les ménages les plus vulnérables dans une situation d’inflation mondiale qui risque de durer. Augmentation de la pension de vieillesse, augmentation du revenu minimum, augmentation de certaines allocations et soutien aux personnes nécessitant des soins à l’étranger, etc. L’exercice de distribution couvre un certain nombre de domaines.

Ces allocations peuvent sembler farfelues sur papier, et au regard de l’inflation – qui se situe légèrement au-dessus des 11% cette année pour Maurice -, mais l’exercice est périlleux. D’un côté, le Grand Argentier se doit d’augmenter les revenus des ménages sans tomber dans le piège bien connu des économistes : le fait qu’en situation d’inflation mondiale, faire augmenter les revenus trop rapidement fait également augmenter l’inflation. L’Argentine est un cas d’école de cette situation, et il est impératif que nous nous préservions de cette hypothèse.

Est-ce que l’exercice est réussi ? Seuls les Mauriciens bénéficiant de ces aides et de ces soutiens auront une réponse à cette question, surtout que la baisse du prix de l’essence devrait également alléger les dépenses des ménages, voire même faire baisser le prix de certaines denrées alimentaires. En tout cas, le ministre des Finances semble miser sur le fait qu’une accumulation des allocations et des baisses puissent produire une dynamique favorable quant à la capacité des ménages à bas revenus à mieux résister à l’inflation mondiale, quitte à augmenter l’endettement du pays. Mais le ministre répondra qu’absolument tous les pays du monde financent la relance actuelle par de l’endettement, ce qui est vrai.

Ce qui semble certain en tout cas, c’est que les opposants ont eu beaucoup de mal à critiquer ce budget, ce qui expliquerait qu’ils se soient rabattus sur l’allocation de Rs 20 000 aux jeunes de 18 ans. Quant à l’allocation de Rs 20 000 aux jeunes de 18 ans, cette mesure est sans aucun doute la plus critiquable du budget, et apparaît pour ce qu’elle est : une tentative d’amadouer le vote des jeunes pour les prochaines élections.

Le MSM avait réussi un coup de maître en 2014 en adressant le problème de la pension de vieillesse. Ils se sont ainsi assurés du vote des personnes âgées – ce qui n’est pas négligeable dans une situation de vieillissement de la population. C’est cette mesure, parallèlement avec la consolidation de leur base électorale dans les régions rurales, qui leur a permis dans une grande mesure de gagner les élections de 2019. Et il semble clair que la même stratégie est maintenant déployée afin de capter le vote des jeunes. Est-ce que cela marchera ? Seul l’avenir nous le dira.

En conclusion, qu’on le veuille ou non, le gouvernement a encore une très grande marge de manœuvre concernant les allocations sociales, et ce budget confirme une chose : les prochaines élections générales ne sont pas pour bientôt, et le pari du Grand Argentier est clairement de miser sur une relance soutenue afin de préparer un budget vraiment électoraliste l’année prochaine.

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Tensions dans le détroit de Taïwan: le centre belliqueux mondial se précise

Les incidents continuent de se multiplier entre l’armée chinoise et celle des États-Unis dans les alentours du détroit de Taïwan. Quelques jours après qu’un chasseur chinois soit passé à quelques mètres d’un gros porteur militaire américain, deux bateaux militaires ont failli entrer en collision en ces lieux.

En effet, l’incident a eu lieu il y a quelques jours. Les deux bateaux se trouvaient sur des trajectoires indiquant qu’il allait clairement y avoir une collision, mais aucun des deux bâtiments n’a bougé. Le bateau chinois aurait contacté le bateau américain pour signifier au commandant de dévier sa route, mais ce dernier n’a pas bronché. Néanmoins, il a ralenti la course du bateau américain afin d’éviter une collision.

Le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, s’est exprimé sur l’incident en qualifiant l’attitude de la Chine d’inacceptable, précisant que la marine américaine ne cherchait pas le conflit mais qu’elle y répondrait si elle devait le faire. Les officiels chinois ne se sont pas exprimés sur l’incident, mais plusieurs analystes chinois affirment que le Chine ne se laissera pas dicter sa conduite dans des eaux territoriales qu’elle considère comme relevant de sa souveraineté, et que les États-Unis devraient reculer devant leur tentative d’encerclement de la Chine.

Ce point est particulièrement pertinent, surtout que Lloyd Austin rentre tout juste d’un voyage officiel de l’Inde où il s’est longuement entretenu avec le PM indien Narendra Modi sur les questions militaires et sécuritaires. Narendra Modi prépare d’ailleurs un voyage officiel aux États-Unis, et les discussions préliminaires qui ont eu lieu avec le secrétaire à la Défense américain laissent présager des accords sécuritaires à venir.

Parallèlement à cela, des négociations ont été entamées quelques mois de cela avec le Japon afin que l’OTAN ouvre un bureau dans ce pays. Rien ne dit que ce projet ira de l’avant, surtout qu’Emmanuel Macron vient d’émettre de sérieux doutes quant au bien-fondé d’une telle entreprise. Mais il indique clairement la volonté américaine d’un élargissement de l’OTAN vers le continent asiatique et dont la visée serait forcément l’encerclement et l’isolation sécuritaire de la Chine.

Ce projet sécuritaire trouvera certainement l’adhésion du Japon, de la Corée du Sud et de Taïwan qui voient d’un œil de plus en plus inquiet la militarisation chinoise des eaux de la Mer de Chine et du Nord-Ouest Pacifique. Mais les États-Unis auront du mal à mettre en place un tel projet sans l’aval de leurs partenaires européens, et notamment la France qui possède un contingent militaire extrêmement important dans le Pacifique et dans l’océan Indien.

Ainsi, la posture d’Emmanuel Macron reste prudente. Ce dernier a récemment clairement indiqué qu’il n’entrerait pas entièrement dans le jeu américain sans pour autant le rejeter. Cette voie du milieu que prône Macron s’aligne avec la stratégie indienne et pourrait s’avérer salutaire pour la sécurité de cette partie du globe, car la voie du milieu privilégie le consensus et les équilibres aptes à produire la paix.

En tout cas, ce qui est certain, c’est que le centre belliqueux mondial se précise de plus en plus et avec la guerre en Ukraine qui est partie pour durer et maintenir un statut quo où l’Union européenne et la Russie y trouvent leur compte, c’est maintenant vers la Mer de Chine que nous devons nous tourner. Il se pourrait bien que l’avenir de la sécurité mondiale s’y joue actuellement.

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Smart City à Roches Noires: Pourquoi donc une telle levée de boucliers?

La Smart City de Roches Noires continue de faire couler beaucoup d’encre. Il ne s’agit pas du premier projet Smart City qui va de l’avant à Maurice, mais c’est très certainement celui qui se heurte à plus de résistance.

En effet, certains habitants de Roches Noires – notamment les propriétaires des campements pieds dans l’eau – ne cessent de réclamer des explications concernant l’obtention de l’Environmental Impact Assessment (EIA). Le promoteur, une entreprise française du BTP, a organisé plusieurs rencontres avec les habitants afin de leur expliquer les tenants et aboutissants du projet mais sans forcément parvenir à les convaincre.

Ces réunions ont également vu la présence remarquée d’activistes proches des conglomérats mauriciens, certains prenant position ouvertement contre le projet avec des publications dans les médias et sur les réseaux sociaux, et ce, malgré un manque total de compétence dans le domaine de l’ingénierie environnementale.

La député Joanna Bérenger a même posé une question au ministre des finances afin d’avoir des informations sur l’investisseur, affirmant que ce dernier n’était pas en odeur de sainteté en France. Elle n’a toutefois pas donné aucune preuve pour soutenir ses dires.

Pourquoi donc une telle levée de boucliers? Il est certain que les wetlands (zones humides) de Roches Noires constituent une zone environnementale sensible, et soulèvent donc des questions. Mais il nous apparaît également que les personnes venant de l’avant ne représentent pas le point de vue de la majorité des habitants de Roches Noires, mais bien plutôt des gens qui semblent décidés à défendre leur style de vie exclusif et privilégié.
En effet, à Maurice, la région de Roches Noires fait partie de ces zones historiquement exclues du développement économique. Il n’y a que très peu d’activités car les infrastructures ne permettent pas le même type de développement touristique et immobilier que celui du Nord ou de l’Ouest. La conséquence en est que les populations rurales des régions comme Roches Noires souffrent encore plus de la cherté de la vie et des conséquences de la crise économique mondiale. Chômage, manque d’activités, exclusion… Nous sommes là, à quelques kilomètres seulement du Nord développé, dans une périphérie exclue.

Il ne faut pas confondre exclusion et ghettoïsation. Contrairement à d’autres zones exclues, Roches Noires et ses alentours ne sont pas des ghettos mais de belles régions où la nature est conservée et où il faut bon vivre lorsqu’on est privilégié. Un campement pieds dans l’eau, par exemple, dans cette région est un bien extrêmement prisé des classes possédantes mauriciennes. Et il est extrêmement difficile de devenir propriétaire dans cette région.
Mais ce modèle de développement, basé sur des campements de vacances, n’apporte pas la prospérité économique que les habitants ont le droit d’espérer. Et la construction d’une Smart City a le potentiel de désenclaver cette région, tout comme ce fut le cas pour les autres régions qui ont bénéficié de la construction des résidences destinées aux investisseurs étrangers sous le Property Development Scheme (PDS) et des Smart Cities.

C’est d’ailleurs ce qu’a rétorqué le ministre des finances, en affirmant que la croissance économique ne pouvait se faire sans investissement et sans développement.

Est-ce que les considérations environnementales sont donc vraiment entièrement justifiées dans ce cas ou bien y a-t-il une hypocrisie dont seuls certains bourgeois mauriciens ont le secret ? La vérité se situe sans doute entre ces deux hypothèses.

Nous sommes, en réalité, en face d’un cas d’école quant au modèle de développement immobilier à Maurice. Il est absolument clair que ce secteur est devenu l’un des piliers de l’économie mauricienne, et nous ne ferons pas marche arrière aussi facilement. Mais il est également clair que nous devons trouver un juste milieu entre développement et protection de l’environnement. C’est là le test qui dictera si le développement soutenu de Maurice pourra s’ancrer dans un avenir durable ou non…

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Une page historique se tourne pour les amateurs de football

Tout amateur de football vivra le début de la nouvelle saison avec une nostalgie certaine. En effet, une page importante se tourne dans ce sport tant aimé des Mauriciens. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, nous ne verrons pas Cristiano Ronaldo, Lionel Messi, Karim Benzema et Zlatan Ibrahimovic jouer dans un championnat européen ou en Ligue des Champions.

Cristiano Ronaldo avait déjà tiré sa révérence il y a quelques mois. Messi, Benzema et Ibrahimovic l’ont suivi à l’issue de cette saison.

Ces départs laissent un vide qui risque de durer. Même s’il y a de jeunes talents qui jouent actuellement dans les grands clubs européens, cela prendra des années avant de retrouver des joueurs et des rivalités du niveau des clasico de la grande époque de Messi à FC Barcelone et de Ronaldo au Real Madrid.

C’est toute une ère même qui symboliquement se termine. La génération Messi/Ronaldo aura été celle qui a vu une transformation radicale du modèle économique et sportif du football, avec une centralisation des investissements par des clubs historiques et l’émergence de clubs rachetés par des fonds d’investissements souverains – comme le Qatar pour le PSG.

Ainsi, le football ne sera plus jamais le même, et il semble aujourd’hui acté que les petits clubs ne pourront plus jamais vraiment concurrencer les grands d’Europe comme le Real Madrid, Barcelone, le Bayern et la myriade des clubs milliardaires qui accaparent tous les joueurs de talent.

Cette constitution d’un capitalisme du football ultra élitiste et à tendance monopolistique est profondément problématique. Le football a toujours été un sport populaire, pratiqué par les classes ouvrières. Il sert même de canvas pour permettre aux classes populaires de rêver d’un avenir meilleur, comme en témoigne le personnage mythique que fut Maradona pour les ouvriers argentins ou la multitude des immenses talents brésiliens issues des ghettos et dont la seule avenue pour le progrès socioéconomique était le foot.

Ainsi le football donnait à certaines catégories sociales des mythes qui servaient d’exemples. Mais la transformation du milieu en un club pour ultra riches va modifier cela, en éloignant les classes populaires du football, en rendant cette dernière financièrement de plus en plus inaccessible. Déjà, nous voyons la répercussion sur les droits télévisés, où il faut maintenant avoir un abonnement privé pour suivre la Ligue des Champions ou la Coupe du Monde.
Cette transformation du monde du football correspond à un modèle qui s’est cristallisé au début des années 2000 et a vu une accélération sous l’ère des Ronaldo, Messi, Benzema et Ibrahimovic. Avec leur départ, c’est aussi peut-être une autre conception du football et de son rapport avec le social qui est appelée à mourir.

 


Mauritius Times ePaper Friday 9 June 2023

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