Quelles leçons de gouvernance à tirer de la situation à la BOM ?

Secteur public

Analyse

Par Prakash Neerohoo

La crise de gouvernance à la Bank of Mauritius (BOM) a connu un dénouement positif avec la démission de Rama Sithanen de son poste de gouverneur telle qu’exigée par le Premier ministre Navin Ramgoolam. La situation avait atteint un tel point de pourrissement que la crédibilité et la réputation de la Banque centrale dans le monde étaient en jeu. Il fallait désamorcer cette crise au plus vite et le Premier ministre a agi correctement. Toutefois, remettre la BOM sur les rails demande une nouvelle équipe de direction compétente avec un sens poussé de l’éthique des affaires.

En effet, la situation scandaleuse à la Banque de Maurice posait un test de leadership pour le Premier ministre. Il avait deux options : soit crever l’abcès en demandant au gouverneur de rendre son tablier, ce que tout le monde souhaitait ; soit temporiser pour laisser la tempête passer en espérant des lendemains meilleurs, ce que souhaitait une petite coterie acquise au statu quo.

Première option

En choisissant la première option, le Premier ministre a pris le taureau par les cornes pour permettre un changement salutaire à la tête de la Banque centrale, laquelle s’enlisait dans un marasme sans précèdent où se mêlaient des conflits d’intérêts, des tergiversations sur les décisions à prendre pour faire la lumière sur les largesses financières de la Mauritius Investment Corporation (MIC) et des ingérences alléguées d’une tierce partie dans les affaires internes de la banque. La Banque centrale n’avait jamais été autant discréditée dans ses annales. Pourtant, il lui fallait être prudent car le FMI, le Groupe d’Action Financière de l’OCDE et les agences de notation internationales surveillaient son évolution erratique.

S’il avait choisi la seconde option, le Premier ministre aurait permis une dégradation de la situation jusqu’à un point de non-retour qui aurait été catastrophique pour l’image du pays. L’actuelle équipe de direction de la BOM était incapable de faire son autocritique ou de changer de cap. Elle faisait montre d’un déni non-plausible des allégations de gouvernance douteuse et d’arrogance face à la critique. Elle péchait par suffisance intellectuelle en essayant de défendre l’indéfendable à travers une communication d’amateur (interview radio, communiqués officiels).

Condition nécessaire, mais pas suffisante

Si le départ de Rama Sithanen est une condition nécessaire au changement désiré, il n’est pas une condition suffisante pour assainir la situation à la BOM. Pour permettre à la BOM de prendre un nouveau départ, il faudrait remanier son conseil d’administration de fond en comble afin de lui permettre d’agir en toute indépendance par rapport aux recommandations ou décisions du gouverneur, quel qu’il soit.

Le conseil d’administration est composé de huit membres : le gouverneur, ses deux adjoints et cinq directeurs dits indépendants. Le 29 août 2025, les cinq directeurs dits indépendants du conseil d’administration ont émis un communiqué dans lequel ils ont pris parti pour le gouverneur dans le conflit qui l’opposait à son deuxième gouverneur adjoint, Gerard Sanspeur. Il est impensable qu’aucune voix au sein du conseil d’administration n’ait tenté de trouver un compromis entre les deux protagonistes.

A posteriori, on se rend compte que le communiqué émis par les cinq directeurs pour clouer le deuxième gouverneur adjoint au pilori, en solidarité avec le gouverneur, était un acte hasardeux, dépourvu de l’objectivité requise des directeurs dits indépendants. Ce communiqué avait mis le Premier ministre au pied du mur en l’obligeant de demander au deuxième gouverneur adjoint de quitter son poste.

Directeurs indépendants

Il est essentiel qu’un nouveau conseil d’administration soit constitué avec un gouverneur compétent et intègre et deux adjoints non moins compétents. Le nouveau gouverneur devrait avoir de l’expérience professionnelle, une vision de la réforme institutionnelle nécessaire, une connaissance profonde de la politique monétaire et une indépendance prouvée en matière d’analyse économique. Il est aussi crucial que les directeurs dits indépendants du conseil d’administration aient la capacité d’exercer un esprit critique, sans devoir s’aligner systématiquement sur les avis du gouverneur.

En sus de la gestion de la politique monétaire qui relève des fonctions intrinsèques de la BOM, avec pour objectifs la stabilisation de la roupie et le contrôle de l’inflation, le nouveau conseil d’administration aura du pain sur la planche avec trois dossiers prioritaires.

Le premier dossier est la MIC, une filiale de la banque, dont les investissements dans des sociétés privées (Rs 49 milliards) et des actifs fonciers (Rs 8 milliards) ont subi une baisse de valeur significative pour cause de surévaluation au moment de leur acquisition. Plus que jamais, un audit judiciaire de ces investissements est nécessaire pour faire une évaluation correcte des actifs de la MIC avant de les transférer à une entité publique indépendante de la BOM, comme recommandé par le FMI.

Le deuxième dossier est la banque en faillite, Silver Bank, dont les prêts toxiques de Rs 7 milliards sont un scandale sans précèdent avec des soupçons de corruption et de détournement de fonds. Une enquête rapide sur ce dossier est nécessaire pour épingler les coupables et récupérer autant que possible les fonds déboursés. Dans ce dossier, la BOM a fait preuve d’amateurisme à ce jour.

Le troisième dossier est l’état déplorable des relations industrielles marqué par la suspension d’un syndicaliste pour une cause banale. La BOM devrait privilégier le dialogue avec le syndicat des employés au lieu d’adopter une approche unilatérale et cavalière. Lorsque le ministère du Travail lui-même n’est pas d’accord avec la mesure de suspension, cela indique que quelque chose ne tourne pas rond au niveau du management supérieur.

Leçons de gouvernance

La crise à la BOM comporte des leçons importantes pour le pays en matière de gouvernance d’entreprise. La première leçon est que la nomination de personnes proches du pouvoir, aussi compétentes soient-elles, à la tête d’institutions stratégiques ne permet pas nécessairement une gestion efficiente, au-dessus de tout soupçon. Les conflits d’intérêt potentiels existent du fait de leur passé politique et de leur engagement récent dans les affaires. Il faut des garde-fous pour empêcher les conflits d’intérêts d’entraver une gestion saine et efficace. L’éthique personnelle des nominés, évaluée à partir de leurs antécédents professionnels ou de leur passage dans les affaires, devrait être un critère déterminant.

La deuxième leçon est que certains nominés bardés de diplômes universitaires peuvent avoir une forte intelligence académique (IQ), mais ils manquent d’intelligence émotionnelle (EQ) pour gérer une grande organisation dans laquelle la gestion prudente des ressources humaines, fondée sur l’équité, est primordiale. Le succès du management moderne dans une grande organisation dépend d’une combinaison d’aptitudes techniques et de compétences générales (soft skills) telles que la communication, l’esprit d’équipe, l’adaptabilité, le leadership, la capacité de résoudre les divergences d’opinion, l’éthique du travail et l’interaction personnelle.

Au lendemain des élections, le gouvernement du changement avait sans doute l’obligation de se doter de conseillers et de gestionnaires a priori fiables pour assurer une transition douce dans les institutions vers un style de gestion plus adapté à l’agenda de nouveaux gouvernants. Or, cette époque transitionnelle a connu des inepties dans le processus de nomination avec pour résultat que certaines institutions ont vu un changement de tête sans aucun changement de méthode de gestion.

On a l’impression que la vieille école de management fondée sur l’amateurisme et le copinage continue de plus belle dans certaines organisations publiques. Ce qui s’est passé à la BOM est une opportunité de revoir le mode de nomination des cadres du secteur public afin de rendre la gestion des organismes d’État plus saine et efficace avec un accent sur la compétence, la moralité personnelle et l’éthique des affaires.


Mauritius Times ePaper Friday 26 September 2025

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