Que vaudra une pension de vieillesse de Rs 20 000 en 2029 ?
|Analyse
Promesses électorales
Par Prakash Neerohoo
Le pays a connu la semaine dernière une nouvelle phase de la surenchère électoraliste en prévision des prochaines élections législatives. Après que l’Alliance du Changement (/l’Opposition) afait certaines promesses mesurées et ciblées pour les personnes âgées samedi dernier, le gouvernement a fait monter les enchères le lendemain en faisant de nouvelles promesses qui défient toute rationalité économique.
En cette campagne électorale où l’enjeu des élections est hautement stratégique pour le pays (le changement ou le statu quo), tous les partis succombent à la tentation de l’électoralisme afin de maximiser leurs chances aux élections. Les partis du gouvernement veulent à tout prix préserver le pouvoir, quitte à promettre monts et merveilles à un électorat désabusé face à la cherté du coût de la vie. L’Opposition parlementaire s’engage elle aussi dans un certain clientélisme politique, sachant que les promesses ciblées à des groupes sociaux spécifiques ont un impact certain sur les intentions de vote dans un pays où l’électorat est plus préoccupé par son sort quotidien que par de grands enjeux de société (modèle de développement, Etat de droit, démocratie).Est-ce que l’électorat mauricien n’a pas assez de maturité politique pour voir grand et réclamer un projet de société alternatif ?
Dans cette foire d’empoigne, les implications financières et économiques des promesses électorales sont nécessairement reléguées au second plan. Legouvernement joue son va-tout et adopte la devise “Après moi, le déluge” dans une version de la politique de la terre brûlée qui consiste à enlever toutes les cartes à l’Opposition. Pour sa part, l’Opposition essaye d’être circonspecte dans son approche comme un gouvernement alternatif qui hériterait d’une poêle chaude en l’état actuel des finances publiques, marqué par un déficit budgétaire élevé de Rs 63 milliards pour 2024-25 et une dette publique de Rs 575 milliards (85% du PIB).
Compétition des promesses
Examinons ces nouvelles promesses. L’Opposition en a fait quatre :
1.Une deuxième pension pour les veuves et les personnes atteintes d’invalidité à partir de l’âge de 60 ans (en sus de la pension de vieillesse).
2. L’abolition de l’impôt sur le revenu sur la pension de vieillesse.
3.La gratuité des médicaments pour les personnes dutroisième âge en cas d’indisponibilité dans les hôpitaux.
4. Le paiement rétroactif à compter de juillet 2024 de la somme additionnelle de Rs 1,000 que les bénéficiaires de la pension de vieillessede la tranche d’âge de 60-64 ans doivent recevoir à partir de janvier 2025 (c’est-à-dire une pension de Rs 15 000 contre Rs 14 000 actuellement).
Pour ne pas se laisser devancer par l’Opposition, legouvernement a annoncé deux promesses plus généreuses :
- La pension de vieillesse à Rs 20 000 dans un prochain mandat (2025-2029).
- La gratuité des médicaments pour les personnes qui les achètent dans une pharmacie privée sur l’ordonnance d’un médecin.
D’ici les prochaines élections, les partis politiques dévoileront sans doute d’autres promesses pour rester en compétition électoraliste. Le gouvernement, notamment, annoncera probablement le paiement du 14e mois de salaires en décembre 2024 et une baisse des prix des carburants (essence et diesel) avant le scrutin. Il réserve ces deux dernières cartes comme un coup de massue à ses adversaires.
Entre autres promesses, la pension de vieillesse est la carotte la plus attirante électoralement vu le nombre de bénéficiaires (266 402 en juin 2024). La question est de savoir quand le gouvernement, s’il est réélu, paiera la pension de vieillesse de Rs 20,000 aux personnes âgées de 60-89 ans ? On sait que la pension de vieillesse de Rs 13,500, promise aux élections de 2019, a été payée en avril 2024, soit cinq ans plus tard. Si l’on prend le passé comme un précédent, l’actuel gouvernement, s’il est reconduit au pouvoir, paierait la pension de vieillesse de Rs 20 000 en décembre 2029, soit dans le même délai de cinq ans.
Au tableau 1 (Social Benefits 2025-2029), nous voyons que ce montant de Rs 20 000 en décembre 2029 représenterait une haussede 33% par rapport au montant de Rs 15 000 en janvier 2025. Au lieu d’attendre cinq ans, il suffirait de payer une augmentation annuelle de Rs 1 000 en cinq ans pour porter la pension à Rs 20 000 en 2029, comme indiqué au tableau 2 (Pension increase over 5 years). Ce scenario est tout à fait faisable.
Dans les pays où la pension de vieillesse est indexée sur le taux d’inflation annuel, le rattrapage du pouvoir d’achat pour les pensionnés ne pose pas de gros problème. C’est pourquoi cette question n’y est jamais un enjeu politique ou électoral.
Valeur réelle de la pension
Dans l’absolu, la somme de Rs 20 000 (Valeur Future) parait énorme en 2024, ce qui a une portée psychologique certaine auprès de l’électorat ciblé. Mais on devrait calculer la valeur réelle de cette somme en 2029 selon une formule mathématique (voir la note en bas de la page) qui tient compte d’un taux d’inflation annuel de 6% entre 2025 et 2029.Durant la période de 2019 à 2024, le taux d’inflation cumulatif a été de 30%. Si l’on prend un taux d’inflation cumulatif de 30% en cinq ans, il faudra actualiser la somme de Rs 20 000 par un facteur d’actualisation annuel de 5,93% pour avoir une Valeur Présente de Rs 15 000 en 2025.
Ainsi, avec l’inflation cumulative de 30% en cinq ans, soutenue par la dépréciation constante de la roupie, la somme de Rs 20 000 en 2029 ne vaudra que Rs 15 000 en valeur réelle. Il n’y aura pas donc de changement dans le pouvoir d’achat, à moins que l’inflation ne soit réduite drastiquement (disons à 2% annuellement). La maitrise de l’inflation est peu probable sous l’actuelle politique économique qui vise à déprécier la roupie afin de renchérir les prix de vente qui rapportent plus de TVA (15% de taxe) dans la caisse de l’Etat et d’engranger des gains monétaires sur la conversion des devises étrangères en roupies, lesquels gains renflouent les réserves en roupies de la Banque centrale.
Le tableau 3 (Cost of Social Benefits)indique les coûts financiers de la pension de vieillesse et des allocations sociales aux orphelins, veuves et invalides, qui représentent 80% du budget du ministère de la Sécurité sociale. A elles seules, ces prestations sociales coûteront Rs 81,4 milliards en 2029 contre Rs 64,5 milliards en 2025 (soit une hausse de 26%) selon une estimation conservatrice basée sur le nombre de bénéficiaires existant en juin 2024. Et cela sans compter un doublement probable de la prestation aux veuves et aux invalides, comme promis par l’Opposition.
Avec le vieillissement de la population et, partant, l’accroissement du ratio de dépendance (20% actuellement pour ceux âgés de 65 ans ou plus), le nombre de bénéficiaires de la pension de vieillesse sera plus élevé en 2029. La population senior est actuellement de 15% et elle atteindra 30% en 2030. Ainsi le budget des pensions de base non-contributives crèvera le plafond.
Bombe à retardement
Du point de vue économique, la pension de vieillesse et autres prestations sociales universelles constituent une bombe à retardement qui nous éclatera au visage si les mesures appropriées ne sont pas prises pour améliorer la capacité fiscale du pays (mesurée par le montant total des taxes en proportion du Produit Intérieur Brut).
Maurice a un ratio taxes/PIB de 20% alors que les pays riches de l’OCDE ont un ratio de 35% à 40%. Dans ces pays, l’assiette fiscale est large, variée et progressive avec des impôts et taxes sur les revenus (particuliers et sociétés), la propriété, la consommation et le capital (dividendes et taxe sur les plus-values). Le régime fiscal mauricien est étroit et concentré sur les taxes indirectes régressives (TVA et taxes d’accise), qui représentent 67% du montant total des revenus fiscaux contre 33% aux taxes directes. L’impôt sur les revenus n’est pas assez progressif avec un taux d’imposition marginal supérieur de 20% alors que le taux marginal maximal est de 40% à 50% dans les pays riches.
Sans une amélioration de la capacité fiscale de l’économie, le pays s’endetterait davantage pour financer toutes les promesses susmentionnées si elles devaient être réalisées par un prochain gouvernement, ce qui porterait la dette publique à 100% du PIB (contre 85% actuellement). Faute d’un ciblage des prestations sociales envers les groupes sociaux vulnérables économiquement, il est nécessaire d’assujettir toutes les sources de revenu à l’impôt sur le revenu net (le revenu brut moins l’exemption fiscale personnelle de Rs 390,000 et les déductions permises pour les personnes à charge, l’assurance médicale, les intérêts hypothécaires, etc.).
Or, la proposition d’exempter la pension de vieillesse de l’impôt sur le revenu bénéficierait aux contribuables riches (âgés de 60 ans ou plus) qui ont d’autres sources de revenu telles que le revenu d’emploi, le revenu professionnel, le revenu d’entreprise, le revenu de location, les dividendes et les intérêts sur les placements. Avec l’exemption fiscale personnelle de Rs 390 000 par an, les pensionnés ayant la pension de vieillesse comme unique source de revenu sont déjà exemptés de l’impôt sur le revenu.Seuls ceux qui ont une deuxième ou troisième source de revenu tombent dans le filet du fisc.
Maintenant si l’on augmente le seuil d’exemption personnelle de Rs 390 000 à Rs 1 million, comme le propose l’Opposition, la majorité des salariés et pensionnés du pays (probablement 90% des contribuables) seront exemptes de l’impôt sur le revenu.Pour les millionnaires se trouvant dans les 10% des contribuables nantis, l’impôt sur la pension de vieillesse est marginal. Ils ne sont pas susceptibles de voter pour ou contre un parti dépendant de l’impôt sur la pension de vieillesse,
Médicaments gratuits
Selon quelle logique économique veut-on défiscaliser les salariés et pensionnés jusqu’au plafond de Rs 1 million tout en leur promettant des avantages sociaux (pensions, médicaments gratuits, etc.) plus généreux ? La promesse de l’Opposition de rendre gratuits les médicaments aux personnes âgées (60 ans ou plus) n’est pas déraisonnable en soi car cette politique d’aide aux seniors existe dans d’autres pays.
Au Canada, les gouvernements provinciaux fournissent des médicaments génériques gratuits aux personnes du 3e âge à partir de 65 ans et les médicaments non-génériques sont couverts par un plan d’avantages sociaux (financé par des primes égales payées par le retraité et l’ex-employeur sponsorisant le plan de pension) ou un plan d’assurance médicale. A Maurice, la gratuité promise couvrirait les médicaments génériques et non-génériques.
La proposition du gouvernement de rendre les médicaments gratuits pour toutes les personnes qui les achètent dans une pharmacie privée parait illogique économiquement. Selon une estimation, les ventes de médicaments par les pharmacies privées sont de l’ordre de Rs 4 milliards par année. Lorsqu’un produit est gratuit pour tous, il y a un risque de surconsommation. Il y a 40 ans le scientifique Ivan Illich avait dénoncé la surmédicalisation de la santé dans son livre « Limits to Medecine ». Même si un médecin devrait prescrire le médicament acheté dans une pharmacie privée, il y aurait toujours le risque de prescrire trop de médicaments.
Les pharmacies privées auraient un intérêt commercial à vendre plus de médicaments. Les cliniques privées,qui pullulent comme des champignons dans le pays, s’arrangeraient avec leurs médecins pour satisfaire les besoins de leurs patients.
La proposition de la gratuité des médicaments pose tout un problème de logistique opérationnelle avec les questions suivantes :
- Est-ce que le patient paiera la note et réclamera ensuite un remboursement à l’Etat ?
- Est-ce que la pharmacie privée enverra une facture à l’Etat pour se faire rembourser pour tout médicament fourni gratuitement au patient ?
- Est-ce que le patient aura une carte de santé unique qui servira à enregistrer tous les achats faits en son nom sur un compte individuel pour surveiller s’il y a des abus ou non ?
- Est-ce qu’il y aura une bureaucratie efficiente avec des protocoles et des contrôles internes fiables pour traiter les demandes de paiement ou de remboursement sans aucun risque de fraude oude corruption ?
- Est-ce que l’Etat exercera un contrôle sur les prix d’importation des médicaments pour éviter tout risque de surfacturation par les pharmacies ? On connait le cas du médicament anti-Covid Molnupiravir vendu à l’Etat par un importateur pour Rs 79 l’unité contre le prix d’importation de Rs 9 l’unité.
Footnote:
We use the mathematical formula FV = PV (1+r) ^n where:
FV is future value (20,000), PV is present value (15,000), r is interest rate of 5.93% and n is number of years (5). We find PV by discounting FV by a discount factor of 5.93% over five years.
Mauritius Times ePaper Friday 4 October 2024
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