Quand les urnes s’ouvrent : L’émancipation des femmes à travers le monde

Eclairages

Par A. Bartleby

Le 18 août 1920, les États-Unis inscrivaient dans leur Constitution le 19e amendement, accordant aux femmes le droit de vote. Cet événement, bien que décisif, s’inscrivait dans un mouvement mondial qui avait débuté bien avant. L’histoire du suffrage féminin est un récit de luttes et de progrès, jalonné par des avancées significatives à travers le monde.

Le premier pays à reconnaître pleinement ce droit fut la Nouvelle-Zélande en 1893, qui adopta l’Electoral Act. Si d’autres territoires avaient déjà accordé un suffrage limité aux femmes, la Nouvelle-Zélande fut la première à l’étendre à toutes les femmes adultes pour les élections parlementaires.

Une vieille dame votant dans un bureau de vote du village de Jakarana, à Alwar au Rajasthan, pendant la 4e phase des élections législatives de 2009. P – Wikimedia Commons

Dans les décennies suivantes, plusieurs pays ont emboîté le pas. En Australie (1902), le droit de vote a été accordé aux femmes blanches, mais les femmes autochtones en ont été exclues jusqu’en 1962. En Finlande (1906), les femmes ont obtenu le droit de vote et d’éligibilité. En Norvège (1913), le suffrage féminin a été pleinement instauré après une période de suffrage limité.

La Première Guerre mondiale a joué un rôle d’accélérateur majeur. Les femmes, mobilisées dans l’effort de guerre et occupant des postes traditionnellement masculins, ont démontré leur rôle indispensable dans la société. Par conséquent, la Russie soviétique, le Canada, l’Allemagne, la Pologne, les États-Unis et le Royaume-Uni ont progressivement adopté le suffrage féminin entre 1917 et 1928. Au Royaume-Uni, l’égalité complète n’a été atteinte qu’en 1928, en alignant les conditions de vote sur celles des hommes.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’élan s’est poursuivi et la reconnaissance de ce droit est devenue une norme dans de nombreux pays nouvellement indépendants. La France et l’Italie l’ont adopté en 1944 et 1945, suivies du Japon et de la Chine (1945, 1949) et l’Inde (1950). Notons des cas plus tardifs comme la Suisse, qui ne l’a accordé qu’en 1971, et l’Arabie saoudite, qui n’a autorisé les femmes à voter aux élections municipales qu’en 2015.

En Maurice, le droit de vote a été accordé aux femmes pour la première fois en 1948, mais il n’était pas universel. Ce droit était initialement limité aux femmes qui savaient lire et écrire et qui remplissaient des conditions d’éligibilité spécifiques, faisant partie d’une nouvelle constitution introduite par l’administration coloniale britannique. Le suffrage universel (sans distinction de niveau d’alphabétisation ou de propriété) pour toutes les femmes a été pleinement mis en œuvre en 1956, moins de dix ans avant l’indépendance du pays.

Des répercussions profondes sur la société

L’importance du droit de vote dépasse la simple égalité formelle. Il est le fondement d’une démocratie représentative authentique. Sans la participation des femmes, la moitié de la population est exclue de la définition des priorités collectives, ce qui conduit inévitablement à des politiques incomplètes. L’octroi du droit de vote aux femmes a profondément modifié les agendas politiques, en y intégrant des questions comme la santé publique, l’éducation, la protection de l’enfance et l’égalité salariale.

Impact économique – L’émancipation politique des femmes a renforcé leur accès au marché du travail et aux postes de décision. Des études montrent qu’une plus grande participation des femmes dans les instances politiques favorise la mise en place de politiques économiques plus inclusives, améliorant notamment la formation, les infrastructures sociales et l’entrepreneuriat féminin. À long terme, l’égalité d’accès aux urnes a contribué à une croissance économique plus équilibrée et à une meilleure répartition des ressources.

Impact social et culturel – La reconnaissance du suffrage féminin a renforcé l’idée que la citoyenneté implique une égalité de responsabilités et de droits. Cela a eu des effets positifs sur les normes culturelles et familiales. Les jeunes générations, exposées à des modèles féminins engagés dans la vie publique, perçoivent l’égalité des sexes comme une évidence.

Impact sur la gouvernance – La présence accrue de femmes au sein des parlements et des gouvernements apporte des perspectives différentes, souvent plus pragmatiques. Des dirigeantes comme Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande ou Sanna Marin en Finlande ont été saluées pour leur gestion efficace et humaine de crises. D’autres, comme Angela Merkel en Allemagne, Ellen Johnson Sirleaf au Liberia ou TsaiIng-wen à Taïwan, ont laissé une empreinte durable sur la scène politique, prouvant que la voix des femmes est non seulement légitime, mais essentielle.

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Emmanuel Anquetil, un leader du peuple

Le 18 août 1885 marque la naissance d’Emmanuel Anquetil, une date qui demeure significative pour la nation mauricienne. En tant que syndicaliste et deuxième dirigeant du Parti Travailliste, son héritage est celui d’un homme dont les contributions ont été déterminantes pour le paysage politique de l’île. Son activisme infatigable a posé les fondations des droits des travailleurs et du suffrage universel, menant à de nombreuses réformes sociales et politiques cruciales.

Anquetil ne fut pas seulement un leader ; il a été un catalyseur, transformant un mouvement naissant, le Parti Travailliste, en une force politique incontournable. P – Facebook

L’héritage d’Emmanuel Anquetil est indissociable de la genèse du mouvement ouvrier et de l’histoire politique de Maurice. Anquetil ne fut pas seulement un leader ; il fut un catalyseur, transformant un mouvement naissant en une force politique incontournable. Il a ainsi permis au Parti Travailliste de défier les puissants conservateurs et l’oligarchie sucrière de l’époque.

Dans un hommage à Anquetil, Dojendranath Napal écrivait en 1957 que son arrivée à Maurice en 1936 marqua un tournant. Après le retrait du Dr Curé, le fondateur du Parti Travailliste, Anquetil en prit les rênes. Fort de son expérience de voyageur, de mécanicien, de marin et de militant syndicaliste en Grande-Bretagne (où il fut orateur à Hyde Park), il insuffla une nouvelle vitalité au parti.

Anquetil comprit que la lutte pour les droits des travailleurs devait être menée tant localement qu’internationalement. Il obtint ainsi la reconnaissance du Secrétaire d’État aux Colonies, du Parti Travailliste britannique et de la Fabian Society. C’est cette vision stratégique qui permit au mouvement mauricien de gagner en légitimité.

Le caractère d’Anquetil était une force en soi : il était dépeint comme un homme intrépide, direct et incorruptible, entièrement dévoué à la cause des “classes opprimées”. Comme Rémy Ollier, avant lui, rien ne pouvait freiner sa volonté.

Un combat pour le suffrage universel et la démocratie

La contribution d’Anquetil au Comité consultatif est considérée par Napal comme son “testament politique”. Anquetil mena un combat acharné pour le suffrage universel masculin. Il s’opposait à l’idée d’accorder le droit de vote aux femmes sur la base de critères de richesse ou d’éducation (tels que la possession de biens ou la capacité à remplir un formulaire en anglais), arguant que cela favoriserait uniquement les “dames” au détriment de la classe ouvrière. Pour lui, la valeur d’une femme “qui touche 50 roupies” n’était pas supérieure à celle d’un travailleur “qui se courbe pour planter la canne à sucre”.

Anquetil croyait en un gouvernement “par le peuple, pour le peuple”. Il réfuta habilement l’argument des conservateurs selon lequel la majorité submergerait les autres communautés. Il rétorqua avec force : “Si nous devions croire en cet écrasement, alors je dirais que la classe possédante nous a écrasés pendant 60 ans, et il est juste que nous les écrasions maintenant.” Cette déclaration illustre sa conviction profonde en la justice sociale et en la nécessité de rééquilibrer le pouvoir.

L’héritage d’Anquetil : Un lien durable avec le peuple

Par ailleurs, Mrinal Roy, dans un hommage publié dans le Mauritius Times en 2016, réaffirma le rôle d’Anquetil dans la construction du Parti Travailliste. Il souligna l’impact de ce leader dans la mise en place du mouvement syndical, unissant les travailleurs “en tant que camarades d’armes”, transcendant les divisions raciales, communautaires ou religieuses. C’est sous sa présidence, à partir de 1941, que le parti devint une force politique organisée, capable de s’opposer à l’oligarchie sucrière et à l’establishment colonial.

Anquetil eut également la sagesse stratégique de s’associer à l’intelligentsia de gauche, consolidant ainsi les forces progressistes. Son engagement total, à la fois pour le parti et les syndicats, eut un impact sur sa santé, témoignant de son dévouement absolu.

J.N. Roy, qui l’avait connu personnellement, fit écho à ces sentiments dans son éloge funèbre en 1947, en affirmant qu’Anquetil avait donné “vie et vigueur” au Parti Travailliste, en avait fait la première organisation politique structurée et l’avait fait reconnaître à l’étranger. Il le décrivit comme un homme “sans peur et franc”, dont aucune tentation ne pouvait ébranler la volonté de défendre les droits de la multitude.

Le rôle d’Anquetil fut central dans la transformation du paysage politique mauricien. Son engagement a forgé un lien de confiance durable entre le Parti Travailliste et les classes opprimées, un lien qui est devenu, selon Mrinal Roy, une partie “intrinsèque et indélébile de notre psyché nationale”. Anquetil n’a pas seulement lutté pour des droits ; il a jeté les bases d’une démocratie participative à Maurice, dont l’impact se fait encore sentir aujourd’hui.

À l’occasion de l’anniversaire de la naissance d’Emmanuel Anquetil, il est essentiel que le Parti Travailliste de Maurice rende un hommage mérité non seulement à Anquetil, mais aussi à tous les pères fondateurs du parti et à l’ensemble des militants qui, au fil des années, ont lutté sans relâche pour améliorer les conditions de vie et de travail des Mauriciens. Leur combat commun a forgé la démocratie et la justice sociale dont bénéficie le pays aujourd’hui.

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Tarifs, alliances et méfiances : La nouvelle donne indo-américaine

Actuellement, toute reconsidération de la politique des affaires étrangères américaines par l’administration Trump semble dépendre des humeurs du président américain. Toutefois, les nouvelles donnes qui émergent du côté des États-Unis pourraient renforcer la volonté de l’Inde dans sa défense du « multi-alignment », sans ébrécher ses propres intérêts.

Les gestes de Trump pourraient même pousser New Delhi à resserrer ses liens avec Moscou et Pékin — un renversement complet de la tendance observée ces dernières années. P – New Eastern Outlook

Selon Happymon Jacob de Foreign Affairs, depuis un quart de siècle, l’Inde et les États-Unis ont construit une relation stratégique et économique d’une ampleur inédite. Cette convergence reposait sur des valeurs partagées — démocratie, diversité culturelle — et sur un intérêt commun : contenir la montée en puissance de la Chine. Mais depuis quatre mois, cette alliance semble dérailler brutalement, sous l’effet du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Une alliance mise à l’épreuve

Trump a brisé plusieurs lignes rouges historiques de la diplomatie indo-américaine. L’Inde, autrefois considérée comme un partenaire indispensable dans la stratégie américaine en Asie, est désormais soumise au tarif douanier le plus élevé appliqué par Washington : 50 %, soi-disant pour punir ses achats de pétrole russe après l’invasion de l’Ukraine en 2022. Ce taux dépasse même celui imposé à la Chine, pourtant perçue jusqu’alors comme l’adversaire stratégique majeur des États-Unis.

À cela s’ajoute une annonce en juillet : un accord énergétique avec le Pakistan, rival historique de l’Inde. Plus tôt, en mai, Trump avait revendiqué avoir négocié un cessez-le-feu entre l’Inde et le Pakistan, contre la volonté de New Delhi, qui rejette toute médiation externe dans ses différends régionaux.

La fragilité du “multi-alignement”

Depuis son indépendance en 1947, l’Inde a privilégié le non-alignement ; puis, après la guerre froide, un multi-alignement pragmatique : diversifier ses partenariats, éviter les alliances militaires rigides et coopérer avec des puissances opposées sur la scène internationale.

Jusqu’ici, cette stratégie semblait payante : l’Inde entretenait simultanément des relations avec l’Iran, la Russie, les États-Unis et Israël, tout en renforçant sa position dans le “Sud global”. L’idée clé était que Washington tolérerait ces équilibres, car l’Inde restait essentielle dans la rivalité avec Pékin.

Or, la politique de Trump, axée sur des gains à court terme et un rapprochement opportuniste avec la Chine, bouleverse cet équilibre. L’Inde se retrouve marginalisée, affaiblie par les tarifs et confrontée à un Pakistan soutenu à la fois par Washington et Pékin.

L’Inde comptait traditionnellement sur la Russie comme allié stratégique, notamment dans les tensions avec le Pakistan. Mais la guerre en Ukraine et l’alignement croissant de Moscou avec Pékin réduisent cette fiabilité. Lors des affrontements de mai avec Islamabad, la Russie est restée neutre, évitant toute condamnation explicite du Pakistan — probablement pour ne pas froisser la Chine.

Le désengagement relatif des États-Unis en Asie du Sud ouvre aussi un boulevard stratégique à la Chine. Pékin renforce son influence au Pakistan via des ventes d’armes et des investissements, tout en tissant des liens plus serrés avec d’autres pays d’Asie du Sud. Si cette tendance se poursuit, l’Inde pourrait se retrouver encerclée diplomatiquement.

La réponse indienne

Face à ces bouleversements, l’Inde ne semble pas prête à abandonner le multi-alignement. Au contraire, elle pourrait l’accentuer, cherchant à diversifier encore plus ses partenaires, notamment en Europe, au Japon et en Corée du Sud. Paradoxalement, les gestes de Trump pourraient même pousser New Delhi à resserrer ses liens avec Moscou et Pékin — un renversement complet de la tendance observée ces dernières années.

La relation indo-américaine traverse une crise qui dépasse les querelles commerciales ou diplomatiques ponctuelles. Elle met en lumière la fragilité des alliances bâties sur des intérêts plus que sur des engagements durables. Pour l’Inde, l’enjeu est de préserver son autonomie stratégique sans se retrouver isolée dans un environnement régional de plus en plus polarisé.

Les événements récents montrent que la stratégie indienne de multi-alignement, qui a longtemps été un atout, dépend de la coopération implicite de tous ses partenaires. Lorsque l’un d’eux — en l’occurrence les États-Unis — change brutalement d’approche, cette architecture délicate est menacée.

Le comportement de Trump illustre aussi les dangers d’une diplomatie transactionnelle qui sacrifie la constance à des gains immédiats. Pour l’Inde, cela souligne la nécessité de renforcer sa marge de manœuvre en diversifiant davantage ses partenariats et en consolidant ses atouts internes : puissance économique, capacité militaire et influence diplomatique.

Enfin, la situation met en lumière un paradoxe : alors que Washington voulait jadis contenir la Chine avec l’aide de New Delhi, sa politique actuelle risque de rapprocher l’Inde de Moscou et, indirectement, de Pékin — un retournement stratégique qui pourrait redessiner durablement l’équilibre des forces en Asie.


Mauritius Times ePaper Friday 15 August 2025

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