Maintenir l’anglais au Parlement mauricien : Un impératif pour la préservation des langues-cultures
|Opinion
Singapour se distingue par son multilinguisme et multiculturalisme dans la vie privée, tout en privilégiant l’anglais dans la sphère publique, préservant ainsi son fragile équilibre social
Par Vina Ballgobin
Modifier la Constitution d’un pays requiert beaucoup de discernement de la part des adultes, la vieille génération. Nous savons tous que la nouvelle génération est différente au point qu’une députée de l’Assemblée nationale est capable de négliger complètement les lois applicables au Parlement pour satisfaire son désir. Cette situation ne surprend pas vraiment tous ceux qui côtoient la jeune génération. Aujourd’hui, l’élite – toutes communautés confondues — quitte très vite le pays après les études secondaires, et ce, avec la bénédiction des parents. Par conséquent, un autre segment de la population, avec des expériences et des formations variées, accède à des postes dans divers domaines, y compris la sphère politique. Les attitudes et les comportements sont parfois déconcertants.
Mais les anciens sont tenus de persévérer et d’utiliser le dialogue pour faire entendre raison aux jeunes… Dans ce contexte, revenons à cet évènement malencontreux qui a eu lieu au Parlement pour essayer d’y voir plus clair. Commençons par la terminologie pour éviter les malentendus.
1. Quelques définitions
Langue sans culture. En théorie, un système linguistique sans culture peut exister mais ce serait alors un système très basique qui a besoin de transformations dans la durée pour devenir une langue. Il y a des étapes importantes à franchir pour que cette langue quitte le statut de « charabia » pour acquérir celui de « langue-culture ».
Langue-culture. Quand un système linguistique est bien développé, il est normalement associé à une « communauté linguistique » et à sa « culture ». Cette « langue-culture » possède un système complexe et plusieurs caractéristiques.
- Une « langue-culture » est porteuse de la culture de la « communauté linguistique » qui la parle. Une « langue » ne peut pas exister sans la « culture » qui l’accompagne. Comme les deux faces d’une pièce de monnaie, l’une ne peut pas exister sans l’autre. Les deux s’enrichissent sans cesse mutuellement grâce aux interactions dans la « communauté linguistique ». Par conséquent, la « langue-culture » reflète et traduit les valeurs, les croyances, les us et coutumes, les traditions orales, la religion, la philosophie de vie, voire l’ensemble des connaissances pratiques de ces locuteurs. Le vocabulaire qui se développe est propre à ce qui se passe et à ce qui est communiqué au sein de la « communauté linguistique ». La grammaire et la structure des phrases reflètent aussi certaines normes culturelles et des modes de pensée.
- Une « langue-culture » est un moyen de transmission culturelle d’une génération à l’autre. Sans cette capacité de développement culturel, la langue seule finit par s’appauvrir et mourir.
- Sans l’apport de la culture de la « communauté linguistique », la langue devient stérile. Quand la « communauté linguistique » utilise activement une langue, la « langue-culture » évolue de manière dynamique et s’enrichit de la communication entre locuteurs de cette langue.Le système linguistique se complexifie tout autant que la culture est empreinte d’un certain dynamisme. La disparition des locuteurs entraîne la disparition de leur « langue-culture ». Plusieurs « langues-cultures » disparaissent de la planète à cause de l’imposition volontaire ou non d’une autre langue dominante au sein de ladite « communauté linguistique ».
- Une langue appartenant à une « communauté linguistique » sert à la communication effective au sein du groupe et régit la vie sociale du groupe. Cette « communauté linguistique » a une connaissance partagée et une compréhension des règles et des normes prévalant au sein du groupe. Ces dernières sont propres à cette « communauté linguistique » spécifique, et transmet des valeurs, incluant des valeurs religieuses, de génération en génération.
Langue artificiellement créée. Dans l’histoire des langues, il y a eu la création de langues par certains individus pour des raisons souvent liées à la satisfaction de leur propre convenance ou par idéalisme. Toutefois, pour la majorité des êtres humains, ces langues sont artificielles et ressenties comme telles. Sans locuteurs suffisants (sauf pour les militants en nombre limité qui s’évertuent à l’employer et à l’imposer), une langue nourrie artificiellement demeure une langue marginale.
Il n‘y a aucune comparaison possible entre une langue qui se développe naturellement dans un environnement donné et une langue gonflée par toutes sortes d’artifices pour réduire sa pauvreté linguistique. Par ailleurs, le développement culturel est maigre car la langue fabriquée se heurte systématiquement à une opposition farouche à son adoption. Il serait prétentieux de penser que cette « langue artificielle » arrivera à détrôner d’autres « langues-cultures naturelles ». Bref, le développement de ce type de « langue-culture artificielle » prend beaucoup de temps faute de locuteurs, d’interactions dynamisantes et du rejet de la majorité.
Langue véhiculaire. Une « langue véhiculaire » permet une communication entre « communautés linguistiques » différentes.
Certaines langues naissent naturellement dans un contexte de relocalisation volontaire ou forcée. Le cas des langues créoles est connu. Leur développement est associé à un environnement de contrainte et à l’obligation de communiquer dans cette langue. Par la suite, cette langue s’est développée et est devenue la « langue-culture » d’une « communauté linguistique ».
Dans certaines anciennes colonies, il y a une majorité appartenant à cette « communauté linguistique ». En Haïti, 95% de la population est d’origine africaine. Ayant perdu les « langues-cultures ancestrales » à cause de l’imposition de cette langue, les locuteurs les ont remplacées par le kreol haïtien, devenu leur « langue-culture ». Ce pays demeure l’un des plus pauvres et des plus corrompus de la planète. Le taux d’alphabétisation est peu élevé et le niveau en anglais est extrêmement bas.
Dans d’autre pays comme à l’île Maurice, après l’abolition de l’esclavage, les travailleurs engagés utilisaient plusieurs langues de leur pays d’origine (l’Inde) reflétant la « langue-culture » de chaque « communauté linguistique ». Les Indo-mauriciens entretiennent un lien privilégié avec ces « langues-cultures » (par communauté linguistique mais aussi collectivement) et utilisent le kreol comme « langue véhiculaire » pour communiquer avec les autres sur le sol mauricien.
« Langue-culture » imposée dans un contexte multilingue
Depuis l’indépendance de notre pays, une politique de « multilinguisme stratégique » a été employée. Ce type de politique linguistique accorde une place à chaque « langue-culture » sans compromettre la survie des autres « langues-cultures » en présence sur le sol mauricien. Passons maintenant aux problèmes qui surviennent dans ce type de contexte multilingue et multiculturel quand la classe politique décide de bousculer la population en affichant une volonté d’accorder une position de supériorité soit à une « langue » ou à une « langue-culture » en particulier.
Volonté assimilationniste. Dans l’histoire des langues, la France est un des pays qui a imposé la langue de la Cour (du Roi) sur son territoire à l’époque où il existait une monarchie. Il y avait alors la volonté d’imposer une langue au détriment des autres langues en présence sur le sol français. Ce genre de tentative était étroitement associé à un besoin de pouvoir et de domination d’un groupe sur un autre. Ainsi, tout avait été calculé pour accorder de plus en plus de place à la « langue imposée politiquement » ; cette langue a dominé dans toutes les sphères et a gagné en prestige – administration, éducation, politique, médias.
Assimilation linguistique. Lentement mais sûrement, les autres « communautés linguistiques » ont été contraintes de procéder à un « language shift » (un « transfert linguistique » aussi nommé « assimilation linguistique ») pour s’adapter au contexte de communication changeant. D’une génération à l’autre, la langue de communication familiale a été modifiée pour donner plus de chances à ses enfants de réussir leur mobilité sociale et, de ce fait, les langues communautaires ont disparu les unes après les autres. Plusieurs parlers locaux et régionaux ont disparu après quelques générations, faute de locuteurs.
Programmation de l’érosion culturelle et de l’homogénéisation. Lorsque la « langue-culture » d’une « communauté linguistique » est en danger et que la volonté politique (d’une élite) s’acharne sur la population pour imposer la « langue-culture » de son choix, c’est une planification calculée de « languageloss » (« langue perdue », « langue oubliée ») de plusieurs « langues-cultures ».
La tendance à imposer une « langue véhiculaire » dans tous les domaines renvoie à transformer le statut de cette « langue-culture propre à une communauté linguistique ». Progressivement, tous les locuteurs au sein de la population finissent par y être assimilés et ils adoptent aussi les valeurs, les us et coutumes, les traditions, et la manière de penser au détriment de leurs propres connaissances culturelles. L’assimilation à une religion – la religion de l’élite – met souvent un terme à la paix dans certaines régions du monde. Il y a parfois eu le génocide d’une « communauté linguistique » entière.
Progressivement, la « langue-culture » imposée par la classe politique pousse à la destruction des « langues-cultures » locales. Les nouvelles générations modifient leur manière d’être pour se sentir à l’aise dans la vague assimilationniste. Bien entendu, au fil du temps, il ne reste plus aucun savoir relatif aux « langues-cultures » des autres « communautés linguistiques » par manque de locuteurs.
Effacement de l’identité communautaire. La volonté d’assimilation à une langue par son imposition politique laisse à penser que le groupe politique en question veut – en son âme et conscience – apporter une transformation identitaire chez les plus jeunes. Étant donné que leur propre « langue-culture » est volontairement et consciemment stigmatisée, ces jeunes éprouvent un sentiment de honte et finissent par refuser de s’y identifier. Le rejet de la « langue-culture ancestrale », de la religion et des pratiques religieuses suit rapidement.
L’Histoire nous apprend qu’une « langue véhiculaire » qui conserve une fonction de communication inter groupes n’est pas un danger pour les autres « langues-cultures ». Mais une « langue véhiculaire » qui prend trop de place dans tous les domaines est une menace pour le maintien de l’écologie des « langues-cultures » en contexte multilingue et multiculturel. De ce fait, pour l’UNESCO, il est impératif de maintenir les « langues-cultures » sur le plan mondial car la perte d’une « langue-culture » signifie la disparition programmée des connaissances linguistiques et culturelles qui y sont associées. Au début du 21e siècle, dans le rapport intitulé Vitalité et Disparition des Langues, un groupe d’experts de l’UNESCO écrit ce qui suit :
« La diversité linguistique est indispensable au patrimoine de l’humanité. Toutes les langues, quelles qu’elles soient, offrent un témoignage unique du génie culturel des peuples. La mort d’une langue représente donc une perte pour l’humanité tout entière. »
Par conséquent, l’UNESCO recommande aux États membres et aux communautés linguistiques dans le monde entier de sauvegarder le patrimoine linguistique de l’humanité et d’apporter le soutien nécessaire à l’expression, la création et la diffusion du plus grand nombre possible de langues. Il s’agit d’encourager la diversité linguistique à tous les niveaux et favoriser l’apprentissage de plusieurs langues dès le plus jeune âge.
Or, pour réussir ce pari, il faut que tout le monde au sein de la population, incluant les hommes et les femmes politiques, et l’élite intellectuelle comprennent ce besoin urgent de préserver toutes les langues et toutes les cultures. Malheureusement certaines considérations égoïstes perdurent à l’île Maurice et ailleurs dans le monde.
Le MMM : Une approche cohérente de marginalisation de l’écologie, qu’elle soit naturelle ou linguistique ?
L’histoire politique mauricienne révèle une constante dans l’approche du parti MMM face à des enjeux fondamentaux liés à l’équilibre de notre nation. Souvenons-nous de quelques faits.
Vallée de Ferney. Le gouvernement de l’époque, auquel le MMM participait aussi, voulait faire passer une autoroute dans la vallée à l’endroit où se trouve la dernière parcelle de forêt et des oiseaux en danger de disparition. Malgré une mobilisation citoyenne de grande envergure, le gouvernement de l’époque n’a pas accepté de trouver une alternative. C’est un changement du gouvernement qui a mené à la protection de la flore et de la faune, et donc à la protection du patrimoine naturel mauricien en 2005.
Alors que les environnementalistes étaient satisfaits de ce résultat, les écologistes, eux, se sont aussi battus pour les chauffeurs de taxi afin de trouver une autre voie praticable à la place de l’autoroute tueuse de flore et de faune endémiques.
Le Morne Brabant, site patrimoine mondial. Sous un gouvernement en alliance avec le MMM, le dossier pour l’obtention de la mention « patrimoine mondial » a été envoyé aux instances de l’UNESCO. Et là, la population a appris avec surprise (à travers les médias) que le dossier était trop faible pour que le pays puisse prétendre obtenir cette reconnaissance mondiale.
Encore une fois, c’est un changement de régime politique qui a permis au Morne Brabant d’obtenir son label tant attendu non seulement par la communauté des créoles descendants d’esclaves, mais aussi par la majorité des Mauriciens qui s’est ralliée autour des citoyens engagés sous la houlette de Georges Ayan, Karl Lamarque et Jack Bizlall (Voir Front commun pour sauver le Morne Brabant, « Mauritius Times » du 30 mai au 5 juin 2008) pour défendre envers et contre tous, en 2008, ce patrimoine chargé culturellement et historiquement.
L’élite politique du MMM avait brillé par un silence éloquent tandis que les promoteurs du téléphérique se demandaient probablement ce qui pouvait bien pousser les citoyens mauriciens à se transformer enécologistes déterminés à ce point…
Le kreol comme medium d’enseignement. Un ministre de l’Éducation du MMM avait décidé d’imposer le kreol comme médium d’enseignement en milieu scolaire. Alors que toutes les recherches indiquaient que les citoyens mauriciens attribuent une fonction spécifique au kreol dans le paysage linguistique – c’est une « langue véhiculaire » -, ce débat a mobilisé les militants créolistes contre les citoyens-écologistes.
Face à ces derniers, le ministre de l’Éducation a instauré une commission pour vérifier s’il y avait « une demande sociale urgente » d’introduire le kreol comme médium d’enseignement (comme l’avançait un sociolinguiste mauricien à ce moment-là). Il se trouve qu’il n’y avait aucune demande de cette nature car, environ dix ans plus tard, le même sociolinguiste remarque que le kreol a encore du chemin à faire pour trouver sa place au niveau de l’école (voir « ION News » du 28 octobre 2015).
Subséquemment, le gouvernement a introduit le kreol comme « langue-culture ancestrale », étant étroitement associée à la « communauté linguistique » des descendants d’esclaves, marginalisés pendant longtemps. Ces derniers souhaitaient étudier leur « langue-culture » au même titre que d’autres groupes ethniques étudiaient la leur. Le sentiment d’appartenance à la « langue-culture ancestrale » est toujours très forte dans un milieu multilingue et multiculturel. Des efforts sont faits pour promouvoir et faire connaître cette « langue-culture » localement et internationalement.
Le kreol au Parlement. Une MP, issue du parti MMM souhaite imposer le kreol, perçu comme « langue véhiculaire » par la majorité des Mauriciens, dans le Temple de la Démocratie. Ce faisant, se rend-elle compte qu’elle pousse avec une vigueur politique inouïe la volonté d’étouffer d’abord, dans le court terme, la « langue-culture » de la communauté des descendants d’esclaves et, dans le moyen terme, les « langues-cultures » des autres communautés en présence sur le sol mauricien ?
Sachant ce qui s’était passé précédemment avec la Vallée de Ferney et le dossier du Morne Brabant, il est aussi très important de se poser la question qui suit : Quel pourrait bien être l’objectif ou les objectifs derrière cette détermination politique affichée ?
Première hypothèse. La « langue-culture ancestrale » de la « communauté kreol » serait visiblement moribonde ou perdue ou inexistante dans le paysage linguistique mauricien. Il est fort probable que certains promoteurs n’attendent que cela – la disparition de cette « langue-culture », ce qui entraînera certainement la disparition des souvenirs, de la mémoire, et de tout ce qui donne une telle valeur et un tel poids culturel à la montagne du Morne Brabant. Y aurait-il des projets de développement – téléphérique ou autre — en attente ?
Deuxième hypothèse. Imaginons la transformation de la « langue véhiculaire kreol », langue de communication entre groupes ethniques présents sur le sol mauricien, dépossédée de culture, en langue-culture d’imposition dans une perspective assimilationniste. Viserait-elle la surimposition par une volonté politico-économique de cette « langue véhiculaire » au détriment de toutes les autres « langues-cultures » ? Si oui, pourquoi ? Pourquoi vouloir déposséder le pays de son multiculturalisme ? Les citoyens mauriciens doivent-ils redoubler de vigilance ?
Troisième hypothèse. Est-ce que c’est une manœuvre concoctée par un groupe socio-économique à forte influence sur le classe politique pour être une vendetta contre ceux qui ont voulu l’indépendance après maintes années aux côtés des Britanniques (qui, eux, avaient garanti le respect des langues-cultures de chaque « communauté linguistique » suite à la prise de possession en 1810) ? Y aurait-il là une volonté d’une « rétrocession » déguisée pour porter une hégémonie à la française, avec une exclusion totale de l’anglais dans le moyen terme pour adopter le français et le « kreol langue véhiculaire artificiellement créée par une élite » (donc, très proche du français) ? L’Histoire se répète, dit-on souvent…
Quatrième hypothèse. Au Parlement, il ne s’agit pas uniquement de donner des informations. Il faut utiliser ses capacités d’analyse critique pour argumenter. Or, quand on écoute la chaîne parlementaire, les MP mauriciens et rodriguais communiquent bien en anglais. En admettant qu’une minorité de MP a un problème de communication en anglais, faut-il chercher une solution facile pour eux en propulsant le kreol au Parlement sans considérer les implications associées à cette volonté de défier l’écologie linguistique mauricienne ?
Puisque tout MP doit nécessairement maîtriser l’anglais, langue internationale par excellence, -et donc, si une telle minorité existe au Parlement mauricien -, n’a-t-elle pas tout à gagner pour sa propre carrière si elle prend des « crash courses » pour affiner ses compétences orales (et écrites) en anglais ?
Cinquième hypothèse. Dans les années 1968, les militants brandissaient un slogan « une langue, une nation ». Pourtant, la théorie assimilationniste a été employée pour contrer la langue des colons avec les résultats que l’on connaît sur le continent africain. Il est aussi connu que les partis de gauche/d’extrême gauche font du « scientific planning ». Toutefois, s’ils continuent de penser naïvement qu’une langue commune à tous apportera une cohésion sociale immuable, ils gagneraient à se pencher sur des exemples du contraire qui abondent dans le monde. Ils devraient aussi réfléchir au fait que les autres « communautés linguistiques », multiculturelles par essence, ont tout à fait le droit de ne pas partager leurs perceptions, aujourd’hui largement dépassées, et qui – somme toute — appauvrissent le monde sur le plan des « langues-cultures ».
Sixième hypothèse. L’utilisation du kreol au Parlement va-t-il pousser les gens à suivre la chaîne parlementaire ? À ce jour, nous savons que le nombre de téléspectateurs suivant les nouvelles en langues orientales (bhojpuri, hindi, urdu) et en langues européennes (français et anglais) n’ont pas changé. En fait, très peu de citoyens dans le monde suivent la chaîne parlementaire et, en général, c’est une élite bilingue ou multilingue ! Il n’y aura pas de miracle et cette mesure ne changera rien ou si peu au nombre de téléspectateurs…
Si l’on avance l’hypothèse que la langue employée au Parlement sera le « kreol en tant que langue véhiculaire dénuée de culture » et qu’elle sera sophistiquée artificiellement par un groupe de linguistes, il est évident que ce sera nécessairement calqué sur le français. Et donc, l’argument que plus de gens suivront les débats dans la « langue véhiculaire » kreol (employée pour la conversation de base sans aucune sophistication philosophique ou juridique) devient caduc !
Conclusion
La proposition d’y introduire le kreol au Parlement, avec les risques potentiels pour l’équilibre linguistique et culturel de Maurice, pourrait être perçue comme une continuation de cette tendance à privilégier une perspective particulière au détriment d’une approche plus inclusive et respectueuse de la diversité culturelle mauricienne.
Pourtant l’UNESCO n’arrête pas de mettre de garde contre ce genre de dérives inquiétantes et continue d’œuvrer pour la préservation de toutes les « langues-cultures » dans le monde.
« Une langue qui meurt entraîne la perte irrémédiable de connaissances uniques sur le plan culturel, historique et environnemental. Chaque langue témoigne à sa façon de l’expérience humaine. C’est pourquoi la maîtrise des langues, quelles qu’elles soient, peut apporter une réponse aux questions fondamentales de demain. À chaque fois qu’une langue meurt, nous perdons une partie des éléments qui nous aident à comprendre la structure et la fonction des langues, la préhistoire de l’humanité et à maintenir la grande variété d’écosystèmes dans le monde. Les populations concernées risquent surtout de considérer cette disparition comme une perte d’identité culturelle et ethnique. » (UNESCO, https://ich.unesco.org/doc/src/00120-FR.pdf)
Les Mauriciens, eux aussi, souhaitent protéger toutes les « langues-cultures » ancestrales de la République, y compris la « langue-culture kreol » des descendants d’esclaves et d’esclaves marron car « [beaucoup] de peuples autochtones, qui associent leur condition sociale défavorisée à leur culture, ont tendance à croire que cela ne vaut pas la peine de sauvegarder leur langue. Ils renoncent à leur langue et à leur culture dans l’espoir de vaincre la discrimination, d’accroître leurs revenus, d’acquérir une plus grande mobilité ou de se faire une place sur les marchés mondiaux. » (Rapport UNESCO, Vitalité et Disparition des Langues.)
Face aux enjeux de la diversité linguistique soulignés par l’UNESCO, qui rappelle la valeur irremplaçable de chaque langue-culture, l’exemple de Singapour offre une voie inspirante. Singapour est reconnu pour le respect de l’écologie des langues-cultures. Malgré la supériorité numérique d’une « communauté linguistique » (70% de personnes d’origine chinoise), il n’y a pas eu de « mandarisation » du Parlement singapourien. Singapour s’est distingué des autres pays en adoptant le multilinguisme et le multiculturalisme dans la sphère de la vie privée, et en accordant une plus grande fonctionnalité à la langue anglaise dans la sphère publique. L’équilibre fragile du tissu social est préservé aussi bien que toutes les « langues-cultures » sur le sol singapourien. C’est aussi un des pays les moins corrompus du monde, d’une très grande ouverture sur le plan culturel et son économie est résiliente.
Pour la République de Maurice, forte de son riche héritage multiculturel, une approche similaire pourrait s’avérer judicieuse. Investir dans la compréhension de notre histoire commune et dans les compétences de traduction pour faciliter la communication entre les « communautés linguistiques », tout en maintenant l’anglais comme langue de travail au Parlement, serait la clé pour honorer toutes nos « langues-cultures » et garantir une paix sociale durable.La concentration de Singapour sur l’anglais au Parlement et le développement des compétences linguistiques (orales et écrites) en anglais dans son système éducatif pourraient d’ailleurs nous offrir des pistes de réflexion.
En fin de compte, le respect mutuel et la reconnaissance de la valeur de chaque « langue-culture » sont essentiels pour que la République de Maurice réussisse le pari elle aussi.
Mauritius Times ePaper Friday 25 April 2025
An Appeal
Dear Reader
65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.
With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.
The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.