Les aléas de la bonne gouvernance
|Carnet Hebdo
Par Nita Chicooree-Mercier
À travers le monde, le public exige que les dirigeants élus pour gouverner leur pays le fassent avec efficacité, en appliquant les principes d’éthique et de morale exigés par les démocraties modernes. Bien que de nombreux pays revendiquent leur appartenance à une démocratie, qu’il s’agisse de vieilles démocraties occidentales ou de pays émergents de l’ère post-coloniale, la qualité de l’administration, la gestion des finances publiques et de l’économie varient considérablement d’un pays à l’autre.
Les pays occidentaux, forts d’une longue expérience en matière de méritocratie et de transparence, ainsi que d’une avance technologique et scientifique, maintiennent leur statut de modèle pour ceux qui cherchent un avenir meilleur, malgré les Cassandre du déclinisme occidental. Bien que tout ne soit pas parfait, l’Occident continue à attirer ceux qui, ailleurs, luttent pour faire respecter les institutions et, par conséquent, la dignité de leur peuple.
Où se positionne Maurice sur la carte des pays qui ambitionnent de promouvoir une gouvernance moderne et saine ? L’objectif est de se comparer à des modèles éprouvés plutôt que de se contenter d’être un bon élève parmi les pays voisins, souvent entravés par des querelles identitaires et tribales, ainsi que par un sens du pouvoir hérité des premières années suivant l’indépendance, sans oublier les idéologies politiques destructrices importées pendant la guerre froide.
Le sens du bien commun a longtemps fait défaut dans l’exercice du pouvoir politique en Afrique, tandis qu’en Afrique du Nord, les citoyens sont souvent perçus comme des unités plutôt que comme des individus dignes, sous le règne d’une équipe dirigeante au-delà des apparences démocratiques des élections.
Toute personne de bonne foi doit reconnaître que le sens du bien commun, la volonté d’exercer le pouvoir pour améliorer le niveau de vie du peuple, élargir le “welfare state” et partager les fruits de la prospérité, est bien ancré dans l’ambition des dirigeants depuis l’indépendance.
En même temps, il convient de reconnaître que l’instauration du salaire minimum ces dernières années constitue une avancée cruciale. Cette mesure vise à encadrer les rémunérations et à prévenir l’exploitation des employés par des employeurs peu scrupuleux, qui ont longtemps négligé le bien-être des salariés et leur contribution à la prospérité des entreprises. Cette loi confère aux travailleurs la dignité qu’ils méritent en tant que citoyens. Ceux qui commentent et médiatisent leur opinion depuis leur bureau climatisé, déconnectés des réalités sociales, ne mesurent pas l’impact psychologique et financier de cette mesure gouvernementale tant attendue.
Aujourd’hui, il est largement reconnu que l’exercice du pouvoir est souvent entaché par des tentations de corruption, affectant les classes dirigeantes dans de plus en plus de pays depuis leur émancipation politique. Comme c’est le cas ailleurs dans le monde, les conflits d’intérêts et la corruption se sont intensifiés avec le développement du capitalisme. Les grands acteurs économiques ont investi pour satisfaire diverses demandes en échange de contrats pour divers projets. À Maurice, par exemple, la coalition multicolore des années 80 et 90 a été marquée par la médiatisation de plusieurs cas où certaines figures influentes ont abusé de leur statut de représentants du peuple pour obtenir des faveurs.
Autre fait médiatisé dans le passé : le recrutement dans la fonction publique, malgré la Public Service Commission (PSC) chargée de veiller au respect des critères d’embauche, avait été marqué par des allégations avérées ou non de manipulations politiques répondant à des considérations de couleur politique, d’identité ethnique ou de caste, ou simplement par la proximité avec le cercle des dirigeants. Comme il y avait peu d’offres dans le secteur public, cela avait suscité une demande pressante et avait laissé un goût amer aux candidats non retenus.
Le secteur privé, pendant les années de miracle économique, n’a pas échappé aux changements nécessaires. La demande en compétences a obligé les mentalités à évoluer, rendant le recrutement plus diversifié. Idem dans la fonction publique et les organismes paraétatiques, où l’explosion des postes a déterminé la politique de recrutement plutôt que l’inverse, entraînant une plus grande équité et moins de discrimination. Toutefois, serait-il vrai d’affirmer que la volonté de recruter les compétences nécessaires a souvent primé sur d’autres considérations ?
Cela étant dit, des anomalies telles que l’interférence politique dans la nomination des directeurs de certains organismes paraétatiques, comme la compagnie nationale aérienne, ont contribué considérablement au déclin global de leur fonctionnement. On se souvient de la médiatisation du trou noir de Rs80 millions tout comme le marchandage pré-électoral par des lobbys pour des nominations ethniques qui demeurerait toujours d’actualité dans certains organismes, devenus des bastions personnels.
Un autre fait de société a souvent fait la une des journaux : les leçons particulières. Il est également préoccupant de constater selon les dires des uns et des autres que la corruption est croissante dans le milieu éducatif, où certains enseignants ont transformé les cours privés en un business lucratif, négligeant la qualité des cours pour lesquels ils sont rémunérés par les fonds publics. Les sociologues pourraient peut-être expliquer pourquoi ce phénomène s’est amplifié dans les années 90 avec la recrudescence des diplômés de l’Université de Maurice ?
Pourrait-on avancer l’hypothèse que la corruption, la malhonnêteté, l’avidité, la trahison, le manquement à la parole donnée et le mensonge dans le secteur public sont le reflet d’un manque d’éthique et d’un sens moral fluctuant chez beaucoup de ceux qui ont gouverné ? Une exposition religieuse à la télévision peut contribuer à combler cette absence de droiture et de valeurs. Et plus, il y a quelques exceptions à la règle, eux aussi médiatisés mais pour la bonne cause. Aujourd’hui, il est rare de devoir soudoyer un employé pour obtenir un passeport ou un permis de conduire. Mis à part quelques éléments corrompus, les agents de l’ordre ne voient plus le public comme des cibles à plumer… Cependant, des questions graves demeurent concernant l’augmentation continue du trafic de drogue dans le pays, touchant chaque coin et recoin de l’île.
L’esprit de revanche, qui se manifeste par l’ingérence dans le recrutement dans le service public afin d’écarter ceux qui ne soutiennent pas le pouvoir en raison de leur nom, de leur affiliation politique perçue ou de leur appartenance ethnique, compromet l’équité, la justice et la méritocratie, comme le soulignent souvent les conversations entre Mauriciens. C’est inacceptable. De même, l’aide financière de l’État aux médias par le biais de publicités est marquée par une grande inégalité et une discrimination évidente. Cette situation ne peut perdurer. Après tout, il s’agit de fonds publics, et non du coffre personnel des dirigeants. C’est inacceptable ! Enfin, les sommes énormes versées aux experts étrangers, architectes et autres, pour des projets abandonnés pour des raisons discutables mériteraient aussi une attention particulière.
Somme toute, la qualité de la gouvernance à l’île Maurice n’est pas isolée de celle observée dans plusieurs autres pays du monde. Les gouvernants n’ont pas réussi à contenir les dérives qui érodent progressivement les principes d’éthique et de morale exigés par les démocraties modernes. Des progrès importants restent nécessaires pour parvenir à une gouvernance efficace, moderne et saine.
Mauritius Times ePaper Friday 30 August 2024
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