Le paroxysme de la mauvaise gouvernance

Année 2023

Par Aditya Narayan

Nous voilà arrivés à la fin de 2023, une année riche en développements sur les plans politique, économique et social. Le temps est donc aux bilans.

L’année qui s’achève a été une année charnière car elle marque une violation paroxystique des normes de bonne gouvernance dans tous les domaines avant le début d’une nouvelle année pleine d’espérances pour un renouveau sociétal en général, et une véritable alternance démocratique en particulier.

Sur le plan politique, l’année 2023 a vu toutes les dérives autoritaires possibles avec le rétrécissement de l’espace démocratique dans le pays. En juin 2023, les élections municipales ont été renvoyées pour la troisième fois, chaque renvoi ajoutant deux ans (donc six ans au total) au mandat de quatre ans obtenus par les conseillers municipaux en 2015. Ce troisième renvoi, sous le prétexte de permettre une réforme hypothétique de l’administration régionale, a privé les habitants des villes de leur droit de choisir leurs conseillers démocratiquement.

Au niveau des conseils de district, le gouvernement a eu recours à des moyens des plus inhabituels pour installer ses affidés comme présidents. Dans les villes et villages, le gouvernement central exerce donc un pouvoir illimité pour recruter des employés, d’octroyer des licences diverses et d’attribuer des marchés publics à sa guise. La question reste posée : serait-ce sans aucune considération d’équité ou de méritocratie ?

Démocratie bafouée

La démocratie représentative, fondée idéalement sur le fonctionnement indépendant et efficace des institutions pour assurer l’Etat de droit, s’est rétrécie comme une peau de chagrin.

Toutes les institutions ont été mises sous tutelle politique, à l’exception du judiciaire et du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP). Parmi les graves entorses aux règles du jeu démocratique, aux normes de transparence et d’imputabilité, nous citerons notamment :

  • Le contrôle de l’audiovisuel : la MBC financée par la redevance publique fait de la propagande en faveur du gouvernement à longueur d’année. Ce n’est pas nouveau mais cela prend des dimensions inacceptables.

Parallèlement, les radios privées sont assujetties à des conditions d’opération restrictives telles que la courte durée de la licence (un an contre 5 ans auparavant), le droit de licence de Rs 800,000 par an, les pénalités administratives pour erreurs diverses, et l’obligation d’assurer l’équilibre des émissions avec la participation de représentants du bord officiel qui ne rendent pas la discussion plus intelligente en vue d’éclairer le public…

  • L’instrumentalisation politique des institutions d’investigation ou de contrôle : l’ICAC, la FIU, et d’autres enquêtent sur des opposants politiques sans aucune impartialité, quitte à subir des revers dans les cours de justice avec leurs dossiers incomplets.
  • La mainmise de l’Exécutif sur le Législatif : la majorité au Parlement vote des lois liberticides tout en expulsant et suspendant des députés d’opposition pour les empêcher de jouer leur rôle, avec un record de 35 expulsions pour 36 séances en un an. L‘auguste Assemblée nationale est devenue la risée du monde avec une présidence débridée et dépourvue de tout protocole digne de ce nom.
  • L’administration du « law and order » : la police aux ordres abuse de charges provisoires contre les suspects arrêtés et refuse la libération sous caution au défi des conseils du DPP, ce qui a provoqué une crise constitutionnelle entre le DPP et le commissaire de police sur les pouvoirs de poursuite.
  • L’attribution des marchés publics : les organismes d’Etat distribuent les contrats aux fournisseurs sans une mise en concurrence transparente des soumissionnaires, et ce, à des prix surévalués comme on l’a vu dans un cas où un médicament fut acheté à Rs 79 l’unité contre le prix initial de Rs 9 l’unité, causant une perte de Rs 70 millions pour 1 million d’unités achetées.

Un autre exemple où l’Etat n’obtient pas de « value for money » pour ses investissements : cela concerne les contrats en milliards de roupies alloués à des entrepreneurs pour aménager des drains à travers le pays. Les récentes inondations causées par les pluies diluviennes ont démontré le fonctionnement inefficace de ces drains.

  • La gestion du patrimoine public : les terres de l’Etat sont distribuées à bail aux capitalistes de proximité dans une opacité absolue (un terrain de 750 arpents alloué à Grand Bassin au prête-nom d’un trafiquant, des plages publiques allouées aux fins de développement hôtelier sans aucun souci de préserver les écosystèmes naturels).

On savait que le pays subissait lentement mais certainement un processus d’autocratisation, comme le note l’institut suédois V-Dem dans son rapport sur les démocraties dans le monde. Depuis le 23 décembre 2023, la Financial Crimes Commission Act a enfoncé le dernier clou dans le cercueil de la démocratie fondée sur l’Etat de droit. Cette nouvelle loi scélérate a enlevé au DPP le pouvoir d’intenter des poursuites en matière de crimes financiers en le confiant exclusivement au directeur de la FCC, qui seul sera capable d’arrêter, d’emprisonner et de poursuivre un suspect.

Une telle concentration de pouvoirs entre les mains d’un nominé politique sape le pilier principal de l’Etat de droit, soit la séparation des pouvoirs entre l’agence d’enquête et l’autorité de poursuite. Désormais, une épée de Damoclès pèse sur la tête de tous ceux qui oseraient critiquer le régime car ils pourraient être traqués, surveillés et arrêtés en vertu des pouvoirs exceptionnels de la FCC, lesquels seront exercés sans aucun autre contrôle institutionnel. En réduisant le bureau du DPP à la portion congrue, le gouvernement a éliminé les derniers « checks and balances » dans notre système de justice.

 Opposition réunie

Face à ces dérives anti-démocratiques, les forces d’opposition ont pris conscience de la nécessité absolue de chercher une solution de rechange au statu quo. Les partis d’opposition parlementaire ont conclu une alliance (PTr-MMM-PMSD) afin de présenter une alternative “viable et crédible” au gouvernement en place dans la perspective des élections générales prévues fin 2024/début 2025. Un récent sondage révèle cette alliance comme la première force politique dans la foulée de sa mobilisation initiale.

Les partis d’opposition extraparlementaire voulaient dégager une troisième voie, mais ils n’arrivent pas à s’entendre sur une plateforme commune en raison des égos de leurs chefs. Ils naviguent en ordre dispersé ces jours-ci, ajoutant à la cacophonie sur l’échiquier politique. S’ils parvenaient à faire cause commune, ils pourraient jouer les trouble-fête à l’avantage des partis dirigeants dans des circonscriptions marginales. Par ailleurs, le dernier exercice de redécoupage électoral a rééquilibré certaines circonscriptions en termes de poids électoral relatif, ce qui brouille un peu les cartes pour l’opposition.

Sur le plan économique, il y a eu une certaine reprise économique en 2023 avec une croissance estimée à 7%. Cette croissance est due essentiellement au progrès dans deux secteurs, le tourisme (1,3 millions de touristes) et la construction. Toutefois, les grandes variables économiques sont toujours au rouge avec le déficit de la balance des paiements, le déficit de la balance commerciale (10% du PIB), l’endettement national (100% du PIB) et le déficit budgétaire (5% du PIB).

La caisse de la CSG, une taxe sur les salaires pour prélever des fonds consacrés au paiement des pensions de retraite, est déjà vide parce que l’argent récolté est dépensé tout de suite. Le gouvernement table sur une croissance tirée par la consommation, une source d’importations croissantes, au lieu de privilégier la production locale pour permettre un certain niveau de sécurité alimentaire et énergétique. L’investissement direct extérieur va en majeure partie dans l’immobilier plutôt que dans les secteurs productifs.

Cadeaux de fin d’année

Le pays est entré dans le cercle vicieux de l’inflation (10%) et de l’augmentation de salaires, l’une fouettant l’autre dans une spirale incontrôlée. Avec la dépréciation constante de la roupie (près de 30 % depuis 2019), qui renchérit les prix à l’importation, le pouvoir d’achat ne peut pas rattraper la hausse des prix. Afin de donner une certaine illusion de prospérité (feel-good factor) en cette fin d’année, le gouvernement a multiplié les cadeaux à des groupes sociaux ciblés.

Il y a eu

(a) le don de Rs 20 000 aux jeunes de 18 ans ;

(b) l’allocation de Rs 2 000 par mois pour un enfant en bas âge ;

(c) le boni de fin d’année aux employés (treizième mois) ;

(d) l’augmentation du revenu minimum qui passe de Rs 11 575 à Rs 16500 en janvier 2024 ;

(e) la compensation salariale de Rs 1 500 à Rs 2 000 à partir de janvier 2024 ; et

(f) le cadeau de Rs 2 000 pour la fête de fin d’année pour les fonctionnaires (soit Rs 120 millions pour 60,000 fonctionnaires).

L’injection d’autant de liquidités dans le circuit commercial donnera un coup de fouet à l’inflation, laquelle apportera plus de taxes indirectes (TVA de Rs 48 milliards au 30 juin 2023) dans les caisses de l’Etat.

Sur le plan social, la situation a empiré à plusieurs niveaux. Les saisies de drogues quotidiennes témoignent davantage de l’échec du combat contre la drogue que de l’efficacité des contrôles aux points d’entrée dans le pays. A ce jour, aucun gros baron de la drogue n’a été inquiété sous le code pénal. On poursuit des trafiquants pour blanchiment d’argent plutôt que pour le trafic de drogue.

La criminalité est en hausse avec les cas de violence domestique et les homicides divers. Les accidents de la route (131 morts en 2023) sont devenus une tragédie nationale, illustrant le manque de discipline sur la route et le laxisme des autorités en matière de sanctions pour les infractions.

Espérons que le pays connaitra des jours meilleurs en 2024.

Aditya Narayan


Mauritius Times ePaper Friday 29 December 2023

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