Le bon temps de la parole

Par Nita Chicooree-Mercier

“Lundi au soleil”…, chantait jadis le pétulant Claude François accompagné de ses Claudettes dans une ambiance électrique sur scène.

La belle saison s’est invitée depuis quelques semaines. Cela permet de ranger au fond du tiroir les plaintes adressées au soleil et ses rayons brûlants ; le bon peuple rouspète à ce propos pendant tout l’été ; la capitale de cette île est comparée sans ambages à l’enfer pendant les mois d’été qui s’éternisent chaque année.

La sécheresse était vécue comme une malédiction depuis le début de l’été dernier avec en prime des réservoirs asséchés. Bah ! Les mauvais souvenirs sont vite chassés. La terre gorgée d’eau attire toute la gratitude du peuple débordant de bienveillance envers la Terre Mère nourricière. Il ne manque plus qu’une fête païenne pour célébrer, comme les Celtes le font pour le solstice d’hiver et le passage à l’été, ce répit tant attendu. Le Holi, marquant, entre autres, la saison des récoltes, est déjà loin derrière nous. Il a fallu s’accommoder d’un accoutrement hivernal : parapluies, pulls, bonnets et chaussettes donnent un air de grand froid venu des contrées lointaines.

Loin d’être des présences polluantes, les escargots et les tangues (porc épics) ont décidé de prendre l’air comme le veut la loi de la Nature ; libres sans avoir à solliciter l’autorisation d’un(e) quelconque chef(fe) de tribu dont le rôle est limité à débiter une bavardage constant à défaut de pouvoir dicter le mouvement des autres bêtes par des diktats hargneux.

Sous leur plume, les chasseurs de tangues d’aujourd’hui ont endossé le costume de chasseurs de marrons d’une autre époque. Un rôle décomplexé. Ces jours-ci en Inde, les lions affamés et décharnés délaissent leur trône royal dans la forêt pour rôder dans les villes, ce qui leur convient par nécessité car la gloire est éphémère.

Profitant de la terre encore humide, les escargots se laissent glisser entre les plantes tandis que les tangues ont regagné les pénates avec leurs petits et sortiront quand bon leur semble comme des bêtes libres.

— Ah ! le soleil est revenu, il fait beau aujourd’hui, se réjouit Lise, une dame qui reprend sa marche matinale.

Le soleil, le soleil ! Les Égyptiens de l’Antiquité avaient peur que le Soleil ne se lève plus. L’obscurité permanente. Imaginez la catastrophe !

— Ah ben, oui ! lui répondis-je, chacun vaque à ses occupations en ce début de semaine.
— Et comment ! fit-elle, un week-end avec tout le monde à la maison, les ados avachis avec leur téléphone, le mari devant la télé, et le plus jeune accroché à votre jupe…Ouf ! J’aime bien retrouver la maison vide le lundi.

Mère au foyer avec femme de ménage pour assumer les corvées, et disposant de pas mal de temps libre dans la journée, elle est ravie de bien occuper son temps en dehors du foyer. Nous sommes tous bien d’accord que c’est un privilège. La peinture est une passion qui occupe ses heures libres entre création et visite des expositions.

Lundi cordonnier, c’est aussi le jour des maçons et autres gros bras du secteur de la construction. Qu’ils en profitent ! La plage de Mont Choisy respire depuis quelques jours. Désertée par les habitués, la plage retrouve une sérénité ; tourterelles et pigeons picotent çà et là librement, sereins et moineaux emportent dans leur bec des brindilles vers les branches haut perchées des filaos.

Les nuages épars se meuvent discrètement dans le ciel. Un homme d’un certain âge au nom de Vassen nous salue et aussitôt vide son sac.

— Vous savez, j’entends dire toutes sortes de choses. Je touche déjà la pension et je travaille de temps à autre. On dit que nous allons être contrôlés. Et là, j’ai accepté un travail de gardien pour six ou sept mois sur un chantier où quelqu’un du village de Triolet construit une maison.

Son regard interrogateur attend une réponse de notre part. Lise hausse les épaules.

— Je ne sais pas, cela ne concernera pas tout le monde peut-être.
— Moi, je m’inquiète parce qu’on ne peut pas vivre avec Rs 15,000, ronchonne Vassen avant de reprendre son chemin vers la boutique.

Ayant vécu quelques années en France, Lise remarque que là-bas tout est légiféré, et même trop, créant un système rigide. Le 1er Mai, jour chômé presque sacré, doit être respecté à la lettre par la plupart des métiers sous peines sévères. Cette année, un boulanger qui a quand même défié l’injonction suprême a ouvert son commerce et s’est vu infliger une amende colossale de 85,000 euros. Puni pour avoir travaillé ! C’est le monde à l’envers.

— À Singapour, je renchéris, les gens de 70 ans et plus prennent de petits boulots à temps partiel pour arrondir leur fin de mois. On les voit débarrasser les tables dans les restaurants.
— Et certainement aussi pour échapper à la solitude dont souffrent les personnes âgées, ajoute Lise.

Sans doute.

Les PDG des multinationales, riches d’une expérience inégalée et passionnante, ne reçoivent d’ordre de personne pour continuer d’agir au sein de leur société ou se retirer des affaires.

La rigidité des lois régissant l’emploi freine la productivité et le dynamisme d’un commerce. Lise tenait un commerce en France, elle en connaît les tours et les détours. Il est interdit à quiconque, un proche ou un ami, de vous donner un coup de main de temps à autre. Et pourtant, certaines personnes d’origine étrangère, Vietnamiens, Chinois, Maghrébins et autres, arrivent à passer entre les mailles du filet et s’enrichissent bien en travaillant en famille sans déclarer leur emploi.

À La Réunion, il se trouve des gens pour dénoncer à la police les commerçants qui se font aider par quelqu’un de leur famille. On marche sur la tête ! Par certains aspects, la France est l’exemple d’un système communiste réussi qui ferait pâlir les deux puissants héritiers d’une idéologie suffocante. Réussi car, sous prétexte d’égalité, chacun est pris sous les ailes maternelles de la mère patrie avec aides sociales en abondance. Mais aussi un système abusé par ceux qui trouvent normal que le travail des autres devrait prendre en charge leurs divers besoins. Pénalisant pour ceux qui ont le bonheur de bien mener leur barque et d’avoir récolté une certaine réussite mais se trouvent taxés au maximum.

Et en période de crise, n’en parlons pas ! Il suffit de brandir les deux marottes qui font recette depuis des lustres : taxer davantage ou réduire les dépenses publiques. Perçu comme des décisions faisant preuve de grand courage, c’est, en réalité, souvent dicté par la panique face au FMI et autres parrains de la bonne conduite.

— On n’arrête pas de refaire le monde, constate Lise.
— Ce n’est pas inutile. On y va chacun avec nos “il n’y a qu’à, il faut qu’on…” exigé par les classiques qui servent de marotte. Mais la parole compte, les mots font peur aux potentats de divers acabits, je rajoute. Parfois il n’y a pas de “faut qu’on”, il y a que des vrais…
— Pardi ! Prenons du bon temps en ce début de semaine sous la grisaille ensoleillée qu’annonce ce lundi au soleil. Lèche-vitrine des galeries d’art et expositions de peinture à Port-Louis et ailleurs, suggère Lise.

Excellente idée!


Mauritius Times ePaper Friday 4 July 2025

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