L’affaire AFRINIC : Un Conflit de Pouvoirs et de Principes
|Par A. Bartleby
L’affaire AFRINIC, qui secoue actuellement Maurice, est bien plus qu’une simple querelle administrative. C’est un véritable bras de fer institutionnel qui met en lumière les tensions entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, tout en soulevant des questions fondamentales sur la gouvernance, la souveraineté numérique et l’indépendance de la justice.
Au cœur du problème se trouve l’African Network Information Centre (AFRINIC), l’organisation responsable de la distribution des adresses IP sur tout le continent africain. Placé en redressement judiciaire depuis 2024, AFRINIC est paralysé. Un blocage qui a des conséquences majeures : depuis novembre 2024, aucune nouvelle adresse IP n’a pu être allouée en Afrique, entravant sérieusement le développement numérique de la région.
L’affaire AFRINIC est un cas d’étude fascinant sur les limites du pouvoir exécutif et la robustesse du système judiciaire. P – Afrinic
Le Gouvernement, sous l’impulsion du Premier ministre, Navin Ramgoolam, a réagi en ordonnant une enquête immédiate sur les affaires d’AFRINIC, en vertu de la “Companies Act”. Pour mener cette mission, le Gouvernement a nommé un juge de la Cour suprême, Nicolas Ohsan-Bellepeau, comme inspecteur spécial, le libérant de ses fonctions judiciaires jusqu’à la fin de sa mission. Cette décision a été justifiée par le caractère “juridiquement discutable” des procédures ayant conduit au redressement judiciaire et par la nécessité de débloquer une “urgence technologique et diplomatique”.
Cependant, cette nomination a immédiatement suscité des interrogations. Des critiques ont fusé, dénonçant un empiètement de l’exécutif sur les prérogatives du judiciaire. L’argument principal ? La cheffe juge n’aurait pas été consultée, et la désignation d’un juge en fonction pour une mission administrative contournerait les mécanismes de séparation des pouvoirs inscrits dans la Constitution. Cette ingérence perçue a suscité un malaise. Un autre juge de la Cour suprême, Azam Neerooa, a d’ailleurs émis une injonction provisoire pour bloquer la mission du juge Ohsan-Bellepeau, une décision qui illustre la gravité de la situation et le sérieux du conflit.
L’entreprise Cloud Innovation Ltd, partie prenante dans les litiges judiciaires d’AFRINIC depuis 2021, a été la première à contester cette nomination. Elle a soutenu que le juge Ohsan-Bellepeau se trouvait en situation de conflit d’intérêts, car il avait déjà statué dans des affaires l’opposant à AFRINIC. Pour Cloud Innovation, confier cette enquête au juge équivalait à lui demander de réexaminer des jugements rendus par ses pairs, et ainsi de remettre en cause la légalité de décisions de justice antérieures.
Face à la tempête médiatique et judiciaire, et pour préserver son intégrité et celle de l’institution judiciaire, le juge Ohsan-Bellepeau a finalement décidé de se retirer de son rôle d’inspecteur le 18 août 2025. Cette décision, annoncée par ses avocats, a rendu sa mission “caduque” et a permis de désamorcer, du moins temporairement, une crise qui menaçait d’ébranler les fondations de l’État de droit mauricien.
Au-delà de cette péripétie, l’affaire AFRINIC soulève des questions cruciales pour l’avenir de Maurice en tant que juridiction de confiance pour les organisations internationales, notamment dans le domaine technologique. Le fait que l’exécutif ait cru bon de recourir à une procédure aujourd’hui contesté pour résoudre un problème de gouvernance d’entreprise en dit long sur la perception de l’urgence et la confiance dans les mécanismes judiciaires existants. La réaction de la justice, par le biais de l’injonction, a rappelé avec force l’importance de la séparation des pouvoirs et a souligné que même en cas d’urgence, la loi doit être respectée.
L’affaire AFRINIC est un cas d’étude fascinant sur les limites du pouvoir exécutif et la robustesse du système judiciaire. Elle met en lumière les faiblesses potentielles de la gouvernance mauricienne et la fragilité de la réputation du pays face aux défis de la souveraineté numérique. La retraite du juge Ohsan-Bellepeau est un développement significatif qui a évité un affrontement direct, mais les questions de fond demeurent. La suite de cette saga judiciaire, avec les audiences à venir, sera déterminante pour l’avenir d’AFRINIC et pour l’image de Maurice sur la scène internationale.
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Emmanuel Macron : Le défi de la succession
En quelques années seulement, Emmanuel Macron est passé de l’anonymat à l’Élysée, bousculant les codes et les traditions de la politique française. Son ascension fulgurante, digne d’un roman, a marqué un tournant majeur dans l’histoire politique de la France. Son parcours, de l’ENA à la banque Rothschild & Cie, puis de conseiller à ministre de l’Économie sous François Hollande, a forgé sa réputation d’outsider brillant.
En 2016, il a fondé « En Marche ! », s’affranchissant des partis traditionnels pour dépasser le clivage droite-gauche. Sa victoire à l’élection présidentielle de 2017 fut un séisme politique, faisant de lui, à 39 ans, le plus jeune président de la Ve République. Son style de gouvernance, à la fois moderne et solennel, a profondément marqué le paysage politique français. Son héritage reste à écrire, mais il a déjà ouvert la voie à une nouvelle génération de politiciens.
Le dilemme de la succession : l’incertitude du parti Renaissance
L’histoire d’« En Marche ! », renommé plus tard La République en Marche (LREM) puis Renaissance, est inextricablement liée à celle de son fondateur. Sans l’aura d’Emmanuel Macron, le mouvement aurait-il connu un tel succès ? Peu probable.
Son programme, son charisme et sa capacité à mobiliser la société civile ont été les moteurs de sa victoire. Le revers de la médaille, c’est que le parti a toujours eu du mal à exister en dehors de son chef. Ses figures de proue sont souvent perçues comme de simples porte-parole de la parole présidentielle, et le parti lui-même peine à développer une identité propre, une ligne politique distincte de celle de l’Élysée.
Alors que le second et dernier mandat d’Emmanuel Macron touche à sa fin, la question de la succession devient pressante. Qui pourra incarner l’héritage d’un tel leader ? Qui aura la légitimité et la stature pour prendre le relais et maintenir l’unité d’une formation aussi hétéroclite ? Les prétendants potentiels sont nombreux, mais aucun ne semble pour l’instant posséder l’envergure nécessaire pour s’imposer naturellement.
Cette incertitude fragilise le parti et le rend vulnérable à l’approche des prochaines échéances électorales, laissant un grand vide que d’autres forces pourraient être tentées de combler. Le défi est de taille : comment transformer un mouvement d’individus en une institution politique pérenne ?
Un problème mondial : des partis façonnés par leurs leaders
Ce dilemme n’est pas l’apanage de la politique française. À l’échelle mondiale, de nombreux partis politiques ont été façonnés autour d’un leader emblématique, au risque de perdre leur âme et leur raison d’être une fois que celui-ci disparaît. En Inde, le parti du Congrès a longtemps été synonyme de la famille Gandhi. De Jawaharlal Nehru à Indira Gandhi, puis à Rajiv Gandhi et Sonia Gandhi et Rahul Gandhi présentement, la dynastie a incarné le parti au point que son avenir semblait incertain en l’absence d’un membre de la famille pour le diriger.
De même, à Maurice, des partis historiques comme le Parti Travailliste (PTr) et le Mouvement Militant Mauricien (MMM) ont connu des hauts et des bas en fonction de la popularité et de l’influence de leurs leaders respectifs. L’Independence Forward Bloc (IFB), par exemple, a connu son âge d’or sous la direction de Sookdeo Bissoondoyal, tout comme le Parti Mauricien Social Démocrate (PMSD) sous Gaëtan Duval. Une fois ces figures charismatiques parties, le défi de la continuité et de la pérennité s’est posé avec acuité.
La dépendance excessive à un leader unique pose un risque systémique. Sans un plan de succession solide, la mort politique ou physique d’un chef de parti peut entraîner la dislocation de la formation et une perte de confiance de l’électorat. Les partis politiques ne devraient pas être des véhicules pour la célébrité d’un individu, mais des institutions basées sur des principes, des idées et une structure organisationnelle forte.
L’avenir du parti dépendra de sa capacité à transcender l’aura de son fondateur pour devenir une véritable institution, ancrée dans des principes solides et dotée d’un processus de succession clair. C’est la seule façon pour que l’héritage d’un leader ne s’éteigne pas avec son départ et que le parti puisse continuer à jouer un rôle majeur sur la scène politique.
Le cas de la France, comme celui de l’Inde ou de l’île Maurice, nous rappelle que l’existence d’un parti ne se résume pas à un seul homme, aussi grand soit-il. La véritable réussite d’un mouvement politique réside dans sa capacité à se renouveler et à préparer l’avenir.
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Vingt ans après le scandale MCB/NPF : une condamnation confirmée, une amende allégée
Plus de deux décennies après l’un des plus grands scandales financiers de l’Histoire de Maurice, la justice a rendu son verdict définitif. Ce mercredi 20 août 2025, la Cour suprême a confirmé la condamnation de la Mauritius Commercial Bank (MCB) pour des manquements graves à la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA). Cependant, les juges Nicholas Ohsan Bellepeau et Jane Lau Yuk Poon ont décidé de réduire l’amende initialement infligée par la Cour intermédiaire, la faisant passer de Rs 1,8 million à Rs 1,2 million. Une décision qui, selon la Cour, prend en considération le temps écoulé depuis les faits.
L’affaire remonte à 2003, date à laquelle une fraude massive, estimée à environ Rs 880 millions, a été révélée. Les fonds détournés provenaient des comptes du National Pensions Fund (NPF) et du National Savings Fund (NSF), deux institutions vitales pour les retraités mauriciens. La découverte de cette escroquerie a provoqué une onde de choc dans le pays et a mis en lumière de graves défaillances au sein de l’institution bancaire.
L’enquête, menée par la Commission indépendante contre la corruption (ICAC), a révélé que la fraude aurait été orchestrée par un ancien employé de la MCB. Le principal bénéficiaire de ces transactions frauduleuses était un homme d’affaires mauricien basé à Londres.
La MCB a été poursuivie sous la FIAMLA pour ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires pour empêcher que ses services ne soient utilisés à des fins de blanchiment d’argent. Les juges de la Cour intermédiaire, dont la décision a été confirmée en appel, avaient souligné l’existence de faiblesses structurelles au sein de la banque. Ils ont mis en évidence l’absence de contrôles effectifs, des audits internes déficients et une supervision lacunaire, qui ont permis à certains cadres de bénéficier de pouvoirs excessifs. Ces manquements ont créé un environnement propice au détournement de fonds et au blanchiment d’argent, ce qui justifiait la condamnation de la banque en tant qu’entité morale.
Le verdict de la Cour suprême vient clore une longue saga judiciaire. L’appel de la MCB, basé sur des arguments d’incertitude juridique et des délais jugés déraisonnables, a été rejeté par les juges, qui ont maintenu la culpabilité de la banque. Toutefois, la réduction de l’amende, de Rs 1,8 million à Rs 1,2 million, a été expliquée par le temps considérable qui s’est écoulé depuis la découverte des faits. Un délai qui, selon la Cour, doit être pris en compte pour une peine plus juste.
Au-delà de cette décision de justice, le scandale MCB/NPF a eu des conséquences profondes sur le système financier mauricien. Il a suscité un examen minutieux de la supervision bancaire et de la gouvernance d’entreprise, et a conduit à un renforcement des réglementations pour prévenir de futures fraudes. Il a également mis en lumière les défis liés à la coopération juridique internationale, l’extradition de Teeren Appasamy depuis le Royaume-Uni ayant échoué en raison de sa citoyenneté britannique.
En fin de compte, la confirmation de la culpabilité de la MCB, même avec une amende réduite, envoie un signal fort. Elle rappelle aux institutions financières leurs obligations en matière de prévention du blanchiment d’argent et de protection des fonds de leurs clients. Pour le pays, cette affaire restera un douloureux rappel des failles du système, mais aussi un témoignage de la résilience de la justice face à des affaires complexes et de longue haleine.
Dans une affaire qui a soulevé de nombreuses questions sur la lenteur de la justice, la Cour suprême a rendu un verdict qui suscite un débat sur l’adéquation de la peine par rapport au temps écoulé. En effet, la décision de réduire l’amende en raison du délai depuis les faits, tout en reconnaissant le principe que la justice doit prendre en compte ce facteur, soulève une problématique épineuse. Certains pourraient y voir un signal d’alarme, car elle pourrait être interprétée comme un message que les crimes financiers d’envergure perdent de leur gravité avec le temps, affaiblissant ainsi l’effet dissuasif de la loi.
Le cas a également mis en lumière un autre aspect crucial : la responsabilité des entreprises en tant qu’entités morales. La reconnaissance de la culpabilité de la MCB en tant qu’organisation, et non pas seulement des individus impliqués dans la fraude, a mis en évidence l’importance des systèmes de gouvernance et des audits internes. Cette décision symbolise que l’échec de ces mécanismes peut entraîner des conséquences judiciaires pour l’institution elle-même, renforçant le besoin de vigilance et de transparence pour prévenir les crimes financiers.
Mauritius Times ePaper Friday 22 August 2025
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