“La FCC affiche un mélange de vitesse et de précipitation ; son action ne doit pas être guidée par la seule satisfaction d’une opinion publique volatile”
Interview: Me Rama Valayden

* ‘Kistnen Papers’ : Le gouvernement de Navin Ramgoolam doit agir. Sinon, cela signifiera que la décision a déjà été prise de ne rien faire’
* ‘Reward Money’: ‘ Une Commission d’enquête n’est pas seulement souhaitable, elle est indispensable’
Me Rama Valayden dresse, dans l’interview de cette semaine, un réquisitoire virulent contre la corruption endémique, l’impunité historique et l’inertie politique à Maurice. En confirmant la réactivation des “Avengers”–un réseau d’avocats pénalistes œuvrant pro bono contre les cover-ups — , il dénonce l’échec d’un certain nombre d’institutions à fournir des résultats concrets. La crédibilité de la nouvelle Financial Crimes Commission (FCC) est mise en doute face à la réalité d’un petit pays où l’indépendance des gardiens est constamment menacée par des pressions politiques, financières et communalistes.Face à la montée de la criminalité de rue et à la menace d’une explosion sociale, Rama Valayden appelle à une stratégie de choc inspirée de l’opération Mani Pulite et exige une réforme institutionnelle d’envergure.
Mauritius Times: Les «Avengers» – ce « rempart contre les cover-ups», comme vous les avez qualifiés à l’époque – seraient en voie de réactivation, à en croire la presse. Reste à savoir : quelle cible ont-ils dans le viseur cette fois-ci ?
Rama Valayden : Les «Avengers » : ce n’est pas une organisation structurée avec un organigramme où chaque membre a un rôle précis. C’est un réseau d’avocats pénalistes, imbus des droits humains, qui militent pour la vérité, pour que la justice triomphe, peu importe la situation politique, la popularité ou l’impopularité de l’affairetraité. En tout, ce qu’on a fait ou que l’on fait est «pro bono». Nos membres sont «colour blind», c’est-à-dire que nousne pratiquonspas la politique partisane. Mais force est de constater qu’aucun de nos avocats ne vient de l’écurie orange.
Je suis convaincu que les «Avengers» ontjoué un rôle prédominant dans le combat contre les «cover-ups». Sans l’apport des « Avengers», beaucoup d’affaires auraient sombré dans l’oubli. Nousavons eu le respect que nousméritons. Mais nousn’avons jamais été attirés par les nombreuses propositions de faire de la politique.
La réactivation est certes en cours. Il y a plusieurs affaires qui n’ont pas abouti. On ne sait pas qui sont les tueurs, les commanditaires dans les affaires suivantes : (a) Kistnen, (b) Mouniarack, (c) Martingale, (d) Permes et tant d’autres.
Dans toutes les affaires mentionnées, c’est grâce à nos efforts conjugués que nous avons abouti à des enquêtes judiciaires. La seule «judicialenquiry» complétée, c’est l’affaire Kistnen. Cela étant dit, l’opacité demeure.
Parmi les membres les plus actifs, certains ont souhaité que nous travaillions bien plus de concert avec les syndicats et les ONGs. Nous nous attellerons à la tâche, car nous savons que le peuple nous a fait confiance.
* Les «Avengers» avaient trouvé leur raison d’être suite à l’inaction – ou l’inefficacité – de l’ICAC au cours des dix dernières années. Mais le contexte a changé : aujourd’huila «Financial Crimes Commission» (FCC) afficheune volonté affirmée de lutter contre la corruption. Comment réagissez-vous à cette évolution ?
C’est encore tôt pour juger la FCC. Ils sont mieux armés que l’ICAC. Sous le même toit, ils ont des enquêteurs, des commissaires et des avocats. Mais la corruption n’est pas seulement «orange». Les pourris sont ailleurs aussi.Des informations crédibles sur la corruption et d’autres crimes financiers qui circulent m’inquiètent. J’ai logé une plainte où un actuel ministre est impliqué depuis trois mois mais, comme dans le conte de Charles Perrault, ‘La Barbe Bleue, je suis toujours en train d’attendre : «Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?».
Scrutons l’horizon : 2025, l’année des arrestations. Bravo ! Mais l’année 2026, à partir de mars, sera l’heure de l’annulation des accusations provisoires («Striking Out Provisional Charges»). Nous allons assister à la série des documents perdus,des pertes de mémoire, des morts naturelles pas trop naturelles… Nous allons peut-être observerdes scandales qui effacent d’autres scandales ou justifient d’autres scandales. Comment réagira le pouvoir si l’un des siensest impliqué dans une affaire? Comment réagira le bureau du DPP ?
Je le répète : la lutte contre la corruption ne peut être gagnée sans une transparence totale et sans l’éducation d’un peuple–un peuple malheureusement trop souvent avide de gains.Bien que la FCC ne soit pas chargée de ce type d’éducation, d’autres institutionsle sont. Les outils sont variés. C’est la raison pour laquellej’ai déjà préparé in totola «Freedom of Information Act» que LinionMoris afait circuler lors d’une convention à Bagatelle.
La bataille de la perception est une chose, mais la réalité, elle, reste à prouver. Dans cette optique de pédagogie et de transparence, je suis favorable à la retransmission en direct des procès.D’ailleurs,nous avionsenvisagé cette idée pour le procès de Michaella Harte. Cependant, certains milieux ont estimé que je risquais de gagner en popularité, si mon collègue Sanjeev Teeluckdharry et moi-même obtenions gain de cause.
* La création de la FCC est perçuecomme un changement de paradigme et un outil législatif puissant pour lutter contre les scandales passés et la corruption, mais sa crédibilité à long terme dépendra uniquement de l’indépendance et de l’efficacité de son exécution, mesurée par des résultats concrets et des condamnations. Dans quelle mesure ses actions et ses résultats à ce jour témoignent-ils du sérieux et du professionnalisme attendus d’une institution anti-corruption crédible ?
Affirmer que la FCC est un changement de paradigme… permettez-moi d’exprimer mes doutes.L’argent n’est-il pas roi et n’achète-t-il pas tout, comme l’a si bien démontré mon acteur préféré, Raj Kapoor ? Nous avons fêté son centenaire en décembre dernier, mais avons-nous retenu la véritable portée de son message ?
Pour l’instant, les résultats concrets se font attendre. Si nous voulons réellement un changement, la FCC doit être radicalement fortifiée. Plusieursmesuresurgentess’imposent.
* Ressources Humaines: Augmenter significativement le nombre d’avocats et recruter des experts en «forensicauditing» (audit judiciaire)de l’Europe, afin de garantir une expertise de pointe.
* Heures de Travail: Instaurer des horaires de travail calqués sur Singapour : de 8h00 à 20h00, incluant les samedis et les dimanches.
* Justice Nocturne: La «Financial Crimes Division» doit siéger durant la nuit (comme nous le faisons déjà aux assises depuis belle lurette).
* Procédures Accélérées : Mettre en place un protocole d’accord pour les appels, et établir un protocole clair avec le Conseil Privé afin de fluidifier les procédures judiciaires.
* Amnistie : Proposer l’amnistie pour ceux qui se présentent volontairement pour se dénoncer.
* Immunité : Accorder l’immunité à certains témoins pour garantir la coopération.
C’est un vaste chantier qui ne peut être mené à bien sans un engagement total. Pour cela, il nous faut un ministre de l’Intérieur à temps plein («full time»), entièrement dédié à cette tâche. Je souhaite sincèrement que l’ensemble de ces réformes se réalise.
La FCC affiche un mélange de vitesse et de précipitation ; son action ne doit pas être guidée par la seule satisfaction d’une opinion publique volatile. Pour qu’une entité devienne une institution digne de ce nom, cela demande du temps.
Quand j’assiste aux fuites d’informations qui devraient rester strictement confidentielles, je me dis que c’est soit mal parti, soit au contraire très bien parti… pour les pourris. N’oublions pas que la pourriture a atteint des proportions gigantesques : le pays est pourri jusqu’à la moelle. À titre d’exemple, les dépenses occultes de la majorité lors des dernières élections générales ont déjà été jetées aux oubliettes.
Si nous voulons des résultats concrets, nous ne pouvons pas nous contenter d’arrêter des gens au hasard. Ce n’est pas un jeu d’enfant. Il faut œuvrer avec une stratégie bien déterminée.
Souvenons-nous de l’opération Mani Pulite (Opération Mains Propres) en Italie dans les années 90 : cette action coup de poing contre la corruption politique s’attaquait frontalement aux mafieux. À Maurice, la tâche de lutte contre la corruption n’est peut-être pas aussi complexe qu’ailleurs, mais elle exige impérativement une stratégie de choc similaire à celle de l’opération Mani Pulite. Il faut frapper fort, cibler le cœur du système et y mettre fin.
Cette approche doit se dérouler en deux temps pour garantir l’effet de surprise et l’efficacité. Primo, il faut cibler les têtes etarrêter les figures clés de la corruption en une seule nuit. Secundo, il faut assurer une surveillance efficace. Pour cela, il faut mettre les suspects sur écoute, car, même si cela se fait sans «fiat» légal, leur ignorance de l’Histoire et leur présomption pourraient leur coûter très cher.
Ceux qui sont en charge ne sont peut-être pas médiocres, mais ils ignorent l’Histoire. Regardez comment Zuma a pu se débarrasser des “Scorpions” pour échapper à la justice en Afrique du Sud. Ici même, à Maurice, on a noirci Madame Manrakhan et on a dissoutle Tribunal Anti-Corruption pour protéger un dirigeant en vue du MMM.
Quand les partis politiques vivent grâce à des revenus occultes, croyez-vous encore au Père Noël ?
* En ce qui concerne les affaires en suspens (les «cover-ups»), la FCC a clairement indiqué qu’elle donnerait la priorité aux enquêtes sur les scandales non résolus de l’ère précédente. Où en sont concrètement les enquêtes sur les anciens scandales, et ces progrès suffisent-ils à convaincre le public que l’ère de l’impunité est révolue ?
Il y a toujours des «cover-ups». C’est la machinerie de tout pouvoir, partout dans le monde. Richard Nixon n’a pas été destitué pour l’écoute électronique, mais pour avoir tenté de dissimuler le crime.
Aujourd’hui, l’opacité est la règle. Dans l’affaire des reward money, les documents manquants deviendront des “missing links”qui mèneront inéluctablement à un maillon faible de preuves. Où sont les progrès ? On nous parle de reward money, mais quid des papiers d’examen ? Quid des gros appels d’offres de ces cinq dernières années ? Quid des passeports vendus, de l’affaire Lee Shim ou de la GRA ? Moi, je ne vois que du Tollywood et des miroirs aux alouettes.
Avez-vous vu des enquêtes sur l’enrichissement sans cause des anciens ministres et de leur entourage ? Non, ce sont toujours les mêmes compagnies puissantes qui en bénéficient. Le système est basé sur le favoritisme : “Tu me grattes le dos, je te gratte le dos”.
La presse est censée être notre chien de garde, mais elle est souvent déviante, ressemblant à Rantanplan devant des malfaiteurs bien plus intelligents que les Daltons. L’impunité règne… mais pas pour tout le monde. Les récents troubles à la prison de Melrose, impliquant les enfants des pauvres, a fait du bruit pendant une semaine, puis silence radio. La durée de ces prétendues “arrestations” et des rumeurs qui les accompagnent est celle d’un moustique.
Cela étant dit,la bataille légale s’annonce moins difficile que la politique ne le croit ; le vent tourne déjà avec l’affaiblissement du pouvoir.
* Parmi les affaires en suspens, on retrouve notamment le dossier du meurtre de SoopramanienKistnen, dont le corps calciné a été découvert dans un champ de cannes à sucre le 18 octobre 2020. L’état d’avancement de l’enquête policière sur cette affaire demeure toujours inconnu. Des pressions ou des obstacles spécifiques entravent-ils, selon vous, les progrès de la police dans cette affaire ?
Les “Avengers”ontconsacré un temps considérable pour que cette affaire ne soit pas classée comme un suicide. Grâce à l’aide cruciale de journalistes indépendants, nous sommes parvenus à un consensus : il s’agit bel et bien d’un assassinat. Alors, pourquoi les personnes impliquées, directement ou indirectement, sont-elles toujours en liberté ? La raison serait-ellesimple et dévastatrice : le régime MSM ne voulait pas que la vérité éclate ?
PravindJugnauth, s’était même permis d’annoncer qu’il avait mené sa propre enquête et qu’il n’y avait eu aucun foulplay. Par cette déclaration, le ministre de l’Intérieur avait occulté toute tentative, si minime fût-elle, de faire avancer l’enquête.
Si une investigation était menée correctement, nous retrouverions non seulement les coupables, mais aussi les commanditaires. De plus, en offrant un reward money à la hauteur de l’enjeu, les langues se délieraient plus vite que l’éclair. L’affidavit de M. Shibchurn, par exemple, démontre que la MCIT a refusé d’explorer des pistes cruciales pourtant mentionnées avec détails. Une véritable enquête permettrait aussi de démasquer tous ceux qui ont participé à ces «cover-ups» sur des «cover-ups».
Il faut se tourner vers des hommes de terrain. Dès le premier jour, l’ASP Badal avait déclaré haut et fort à Telfair que c’était un meurtre. Vous savez ce qui lui est arrivé : il a été muté de station en station. Même sort pour l’inspecteur Cowlessur. C’est le sort réservé à ceux qui osent dire la vérité face à un pouvoir déterminé à l’étouffer.
L’arrivée d’agents de Scotland Yard n’a abouti à rien de concret. Pourquoi ? Parce que l’on a beau engager le plus grand chef au monde, il ne peut transformer un “briyanigate”en un jour. Seul Dieu peut faire un tel miracle.
N’oublions jamais que la MCIT était catégorique : c’était un suicide. Lorsque Sanjeev Teeluckdharry, AnoupGoodary et moi-même, nous avons eu une réunion avec la MCIT aux Casernes Centrales, en présence de la famille Kistnen,nous avons été quasiment bafoués. Heureusement que la bouffonnerie ne tue pas.
Je publierai très bientôt un rapport complet sur cette affaire. Je dispose d’autres documents qui authentifient le contenu des « Kistnen Papers ».
Savez-vous qu’il n’y a jamais eu de tests graphologiques dans ce dossier ? RezistansekAlternativ (REA) avait pourtant consigné des déclarations, mais sans succès.
Est-il possible de réagir face à une telle inertie ? Le gouvernement de Navin Ramgoolam doit agir. Sinon, cela signifiera que la décision a déjà été prise de ne rien faire. L’ombre des jeux d’alliances politiques plane déjà.
Le message est clair : l’enquête a été entravée, des preuves essentielles ont été ignorées, et la vérité est retenue en otage. La question n’est plus de savoir si l’affaire sera résolue, mais qui aura le courage politique de rouvrir ce dossier explosif.
* Par ailleurs, les «Kistnen Papers» ayant révélé des allégations de financement électoral illégal et de blanchiment d’argent, l’absence de saisies ou d’arrestations liées à ce volet financier soulève des interrogations : cette inaction est-elle due à des entraves à une enquête sérieuse, ou reflète-t-elle une volonté de bloquer son avancement ?
Le moment de l’apparition des Kistnen Papers était critique, coïncidant avec des pétitions électorales en cours. Imaginez l’impact : si une enquête avait été menée sur ces documents, nous aurions pu démontrer, sans l’ombre d’un doute, que les dépenses électorales – du moins dans la circonscription numéro 8 – dépassaient largement le cadre légal. L’argent coulait à flot.
La machine du MSM tournait à plein régime, 24/7, dans une opération de blanchiment d’argent via les casinos, les bureaux de change («money changers»), les restaurants, les bookmakers et autres. Ce n’est que la pointe de l’iceberg. Des valises d’argent quittaient le pays régulièrement. Comme je l’ai déjà souligné, ce système mafieux opérait de manière brutale, toutes les institutions étant au diapason pour plaire à notre “famille royale.”
La police recevait des ordres : elle manipulait les déclarations, refusait d’enquêter et ignorait les dépenses qui sautaient aux yeux.
L’opposition parlementaire, elle, laissait l’opposition extra-parlementaire faire «le sale boulot», sachant pertinemment qu’elle bénéficierait in fine de l’affaiblissement du pouvoir grâce à ses propres machineries électorales et à son soutien dans la presse.
Nos institutions électorales ne possèdent pas l’arsenal légal de pays comme l’Inde, qui a fait des bonds en avant pour rendre ses élections plus équitables. Il y a tout un travail de fond à accomplir, mais je ne crois pas que les partis traditionnels veuillent y remédier. Il est malheureusement évident qu’il n’y aura pas d’enquête, et ce, pour des raisons purement politiques.
* En ce qui concerne l’actualité récente, l’affaire de la ‘reward money’ domine les gros titres depuis plusieurs mois. Elle a conduit à l’arrestation de hauts officiers de la force policière, dont l’ancien Commissaire de Police et des responsables de la SpecialStriking Team (SST). L’enquête menée par la FCC est-elle suffisante, ou une Commission d’enquête serait-elle nécessaire pour faire toute la lumière sur ce système ?
Une Commission d’enquête n’est pas seulement souhaitable, elle est indispensable. Elle seule peut aider le peuple à comprendre la vérité et proposer des solutions justes et réalisables à court terme pour assainir notre système.
Pour être efficace, cette Commission doit être investie de “terms of reference” très larges, à l’image de ce que Sir Seewoosagur Ramgoolam avait consenti sous la pression des contestataires dans l’affaire Badry et Daby.
Puisque le temps presse, la Commission devrait siéger “live” à partir de 16h00. Ce sera un outil pédagogique essentiel. Le peuple verra qui doit être exposé à la honte (shame). Ce processus de dénonciation publique (“shaming process”) pourrait, à lui seul, être suffisant pour rétablir une certaine moralité publique.
Je dois ajouter que le «reward money» est un maillon essentiel pour toutes les affaires criminelles (corruption, blanchiment, trafic de drogue, d’armes ou d’êtres humains). Le montant doit rester discrétionnaire, mais il doit être encadré par un mécanisme de reddition de comptes («accountability») et de transparence rigoureux. Ungrand problème demeure: Qui contrôle les gardiens ?
Aujourd’hui, l’enquête de la FCC se déroule dans l’opacité. Il y aura toujours une perception de manipulation politique. Les arrestations sont cosmétiques, car on a trop tardé à réagir. De plus, sans une véritable enquête de la police ou de la FCC, il n’y aura pas de poursuites.
D’ailleurs, la FCC constatera inéluctablement que le «reward money» a été utilisé pour financer des politiciens de tous bords, y compris un parti politique ayant un intérêt direct si la victoire du MSM est assurée. Ils ont pillé des sommes incroyables pour financer cette alliance afin que leur “tamtam” financier continue.Pour éviter à nouveau ces dérives, il n’y a qu’une seule solution durable: une Commission d’enquête dotée des pleins pouvoirs.
* Le détournement de plusieurs millions de roupies est-il, selon vous, la conséquence de procédures de versement du «reward money» qui auraient été intentionnellement conçues de manière laxiste ? Quels points de défaillance spécifiques ont permis une fraude d’une telle ampleur ?
Ce serait une opération intentionnelle. Ils savaient parfaitement où le bât blessait.
Nous savons qui signait des chèques ou donnait des directives pour plusieurs millions de roupies. Qui décidait quel compte créditer de ces sommes colossales ? Quelle était la procédure exacte ? Ceci explique la violence des policiers impliqués dans l’affaire des «reward money» contre nous devant la cour de Mahébourg, alors que nous défendions notre ami Akhil Bissessur et son frère.
Je vais ajouter un secret de Polichinelle :les officiers honnêtes de l’ADSU, ceux avec un bon track record, ne touchaientpas un sou. Pourtant, l’opposition parlementaire restait aveugle à cette concentration de pouvoir.
Il existe d’autres sphères opaques au sein de la police. Qui contrôle l’argent obtenu des “sabots” (pénalités ou amendes illégales) ? Savez-vous que ce paiement se fait directement à la station ? Et que dire du “commissioner’sfund” ? Quels montants y transitent ? Nous pouvons critiquer ce que nous voulons, mais les commissaires Servansingh et Ramparsad étaient, eux, honnêtes.
La corruption prospère grâce à une série de défaillances institutionnelles, notamment
(a) au Bureau du Commissaire de police
(b) au Pay Office et son mécanisme de paiement
(c) l’absence de rigueur de l’Audit Interne
(d) les manquements du Bureau de l’Audit général
(e) la faiblesse du Public AccountsCommittee
(f) le non-sérieux des parlementaires.
C’est pourquoi, en ajoutant une «Freedom of Information Act» à l’arsenal, un journaliste qui maîtrise son utilisation pourrait faire des merveilles pour révéler la vérité. C’est l’unique rempart contre une opacité devenue la norme.
* Diriez-vous que la manière dont l’actuel gouvernement va gérer cette affaire en dira long sur sa volonté de combattre la fraude et la corruption?
La culture de l’impunité remonte aux fondations mêmes de notre histoire :
* Impunité des esclavagistes et absence de compensation pour les descendants d’esclaves ;
* Impunité pour les exactions commises contre les “coolies” ;
* Impunité des colons pour leurs actes malveillants.
Depuis l’Indépendance, cette culture s’est profondément enracinée. Les brutalités policières sont systématiquement restées impunies.Les cas récents en sont la preuve criante.
* Affaire Toofany : Il n’y a eu aucune condamnation et nous attendons toujours le jugement en délibéré suite à l’appel du bureau du DPP.
* Affaire Kaya : Les policiers qui étaient de garde àAlcatraz n’ont jamais été inquiétés.
* Affaire Martingale : Les gardes pénitentiaires sont tirés d’affaire, et ne sont pas dans le collimateur de la justice. Peut-être que la « JudicialEnquiry » qui démarre le 13 octobre 2025 fera la lumière, notamment grâce au rapport de contre-autopsie du Docteur Siphozi.
Cette culture d’impunité émane de notre culture politique. En tant que peuple, nous ne nous servons pas de notre conception de ce qui est juste pour exiger la vérité, mais de considérations annexes, souvent politiques, ou malheureusement, communalistes.
Si nous parvenions à éradiquer cette culture d’impunité, ou ne serait-ce qu’à la faire reculer significativement, je serais un homme heureux.
* Au-delà des sanctions pénales, quelles réformes institutionnelles spécifiques (par exemple, concernant le financement des partis, la protection des lanceurs d’alerte, etc.) le gouvernement devrait-il prioriser pour prouver une véritable rupture avec la «culture d’impunité» et s’assurer que sa réponse ne soit pas perçue comme un simple coup de communication ?
Pour assainir durablement notre système, une réforme globale et profonde s’impose, touchant les institutions clés, le processus politique et l’arsenal légal. Je vous donne une liste qui n’est pas exhaustive.
Réforme des Institutions de Contrôle et de la Police.Le point de départ doit être la police, en instaurant une Commission Présidentielle pour la réformer. Il faut se distancer de l’organigramme pyramidal actuel au profit d’un Conseil d’administration («Board»). Il est crucial de limiter le mandat («term of office») de tout titulaire d’un poste constitutionnel. Parallèlement, le mode de nomination doit être revu avec un système d’examen public devant les parlementaires, inspiré du modèle américain.
Assainissement de la Politique et des Élections.Il est impératif de revoir notre mode d’élection et l’ensemble du mécanisme électoral pour réduire et contrôler les dépenses. L’ElectoralSupervisory Commission et les sections 38, 40 et 41 de la Constitution doivent être révisées afin de leur donner plus de pouvoirs de contrôle et d’investigation. Enfin, la déclaration des actifs («assets») de notre nomenklatura doit être rendue publique pour garantir l’intégrité de la classe dirigeante. Cette exigence doit accompagner une réforme de notre système de gouvernement de cabinet.
Transparence et Responsabilité Législative. Au niveau législatif, il est essentiel de revoir les règlements intérieurs («standing orders») de l’Assemblée nationale pour garantir des débats réguliers et publics sur les rapports de l’Audit et du Public AccountsCommittee. Ces mesures doivent être complétées par l’adoption immédiate d’une Loi sur la liberté d’information («Freedom of Information Act»).
Renforcement de la Justice et de la Sécurité.L’appareil judiciaire nécessite une refonte, notamment de la magistrature, en créant des tribunaux de première instance («lower courts») et non plus seulement des «district courts», puis en modernisant la Cour d’appel. Pour garantir une justice indépendante et efficace, il est souhaitable que le Conseil Privé siège à Maurice tous les neuf mois. Un nouveau «Bail Act» est également nécessaire.
Pour protéger les citoyens et garantir l’équité, il faut immédiatement mettre en place un Programme de protection des témoins («Witness Protection Scheme») et une Loi sur la protection des dénonciateurs (« Whistleblower Protection Act”). De même, la police doit être retirée du PRBet être dotée de caméras corporelles («body cameras») pour ses agents, en complément du bracelet électronique pour les suspects.
Indépendance et Modernisation. Deux réformes finales sont cruciales : la création de postes de police dédiés aux femmes («Women Police Stations») et un Laboratoire scientifique et judiciaire (FSL) indépendant du pouvoir politique. Enfin, une réflexion doit être menée sur la dépénalisation du «Ganja».
Les réformes… il faut avoir le courage de les visiter systématiquement, car il y a une période de dentition. Parfois, on voit que ce que l’on souhaite n’est pas réalisable.
*Au vu des données récentes, l’augmentation de la criminalité dans le pays constitue-t-elle une crise sécuritaire majeure ou une simple fluctuation ? Cette situation justifie-t-elle une révision des politiques publiques de sécurité ? Plus précisément, quelles sont les causes profondes socio-économiques et structurelles qui doivent être ciblées en priorité pour inverser cette tendance ?
Les chiffres ne mentent pas : la criminalité est en hausse constante. J’ai fait le calcul, et il y a désormais un crime commis à Maurice toutes les dix minutes. La criminalité de rue («street crime») est de retour, et elle s’intensifie.
La mafia va se servir, et elle se servira de plus en plus. Pourquoi cette audace ? Parce qu’ils ont de l’argent et qu’ils constatent que la corruption gangrène partout. L’État est affaibli de l’intérieur.
Cela sent le soufre. J’ai peur que le pays n’explose. Nous ne pouvons absolument pas nous permettre ce luxe. C’est un risque existentiel qui menace la stabilité et la paix sociale de notre île.
Ô dirigeants actuels… Réveillez-vous !
Mauritius Times ePaper Friday 3 October 2025
An Appeal
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