« La vie d’un être humain ne se mesure pas uniquement à ses résultats au CPE”
|Interview : Vina Ballgobin, spécialiste en Sciences de l’Education
Leçons particulières: “La grande majorité du monde enseignant, aux cycles primaire et secondaire, reste accrochée à cette forme de corruption du système éducatif sans faire son mea culpa, sans aucune honte…”
La République de Maurice vise la réussite pour tous et la scolarisation jusqu’à l’âge de 15 ans. Où en est le système éducatif mauricien en 2013 tant sur le plan quantitatif que qualitatif ? Quelles difficultés rencontrent les différents stakeholders et comment apporter des solutions durables sans froisser le monde enseignant ou déclencher des polémiques ? Vina Ballgobin, spécialiste en Sciences de l’Education, répond à nos questions.
Mauritius Times : Dans le cadre des Assises de l’Education tenues cette semaine, c’est le ministre Bunwaree qui a proposé une révision du système d’évaluation pour les examens du CPE. Ce qui frappe notre attention, c’est l’absence d’intervention ou de propositions de la part des participants par rapport à la réforme du CPE. C’est comme si on a voulu esquiver le débat alors que les examens du CPE ont été érigés durant des décennies comme un mal qui ronge notre système éducatif. Quelle interprétation donneriez-vous à cette position tout à fait ambiguë?
Vina Ballgobin : En vérité, c’est la première fois qu’il n’y a pas de démagogie à propos du CPE. Ou alors, ceux qui ont exprimé les critiques les plus acerbes n’ont pas pu apporter des propositions concrètes, fiables et réalisables, d’où leur prise de conscience et leur silence.
L’expérience dans plusieurs pays démontre que la réforme d’un système éducatif ne dépend pas de la voix des plus tonitruants, en général fortement politisés, et ayant leur propre agenda. Il est donc possible de considérer la question de manière dépassionnée maintenant et d’interpeller les acteurs ou participants concernés.
Premièrement, leur attitude n’est pas étonnante du tout. Depuis très longtemps, les examens de fin de cycle primaire représentent un moyen d’améliorer son statut social. Au fil du temps, avec l’amélioration de l’économie et du niveau de vie des Mauriciens, le CPE est devenu le « rat race » pour obtenir une inscription dans un collège de grande réputation. Depuis l’époque coloniale à ce jour, les examens de fin de cycle primaire ont une valeur symbolique, et cela a marqué l’esprit des parents de manière durable.
Deuxièmement, les enseignants étaient très respectés de la communauté mauricienne auparavant. Ils prenaient sous leur tutelle les écoliers les plus brillants et ils leur donnaient des leçons particulières gratuitement. Ils aidaient les jeunes, en tenant compte de leurs capacités en classe, afin de les mener vers une bourse d’études. Les parents remerciaient les enseignants en cas de réussite scolaire en leur offrant des légumes ou de la volaille et des œufs, en fonction de leurs moyens financiers. Progressivement, le monde enseignant a basculé dans le côté obscur, le shadow education : on a accordé beaucoup moins d’importance à l’écolier et beaucoup plus aux avantages financiers que procure le système parallèle.
Aujourd’hui, ce n’est pas surprenant que la proposition de révision du CPE vienne de nouveau d’un ministre de l’Education. L’étude de différents documents émanant du ministère de l’Education, sous divers gouvernements, démontre que les autorités éducatives veulent le meilleur pour les écoliers de la République de Maurice. Les documents parlent de développement global de l’apprenant et du respect de leur rythme d’apprentissage, par exemple. Tous les problèmes évoqués par les syndicalistes y sont listés : time constraint, concentration of activities, overloaded curriculum, et plusieurs autres encore. De plus, les différents documents proposent aussi des solutions pour les résoudre : empowerment of staff at different levels for decision-making, framework for better coordination and team-building, good practices, school-community partnership, active parent involvement in the educational process, and fund-raising models for school improvement projects, etc… Evidemment, chaque gouvernement arrive et met de l’avant ses achievements. En vérité, c’est un processus continu, chaque ministre corrigeant les erreurs techniques ou stratégiques, et aussi parfois les manquements des autres.
Malheureusement, toute politique éducative définie par le ministère de l’Education et avalisée par le Parlement, restera lettre morte si les acteurs du système éducatif ne se mobilisent pas pour la rendre effective sur le terrain. C’est le cas à Maurice depuis maintenant des décennies car les leçons particulières, une forme extrême de corruption, dominent la mentalité non seulement des enseignants mais aussi de beaucoup d’inspecteurs et de parents. La grande majorité du monde enseignant, aux cycles primaire et secondaire, reste accrochée à cette forme de corruption du système éducatif sans faire son mea culpa, sans aucune honte.
* Les chiffres par rapport à 2011 nous indiquent que 25,682 étudiants ont participé aux examens du CPE et seulement 10,081 se sont présentés, au final, aux examens du HSC. Ces chiffres démontrent clairement que le système est en train de « underperform », n’est-ce pas ?
Dans aucun pays au monde, la totalité des jeunes ayant complété leur scolarisation au niveau primaire n’est tenue de terminer avec brio des études académiques au niveau supérieur. En Finlande, par exemple, en 2010, 38.1% de la population entre 25 et 64 ans avaient un niveau d’éducation tertiaire. Il y avait 15.8% de jeunes entre 20 et 24 ans non scolarisés et sans emploi. 12.5% travaillait à temps partiel. Pourtant, le taux de littératie et de numératie est très élevé.
Le système finlandais accorde une grande place à divers types d’intelligence, contrairement à Maurice. Les autorités tiennent compte des capacités des apprenants et n’oblige pas tous les apprenants à se tourner vers les mêmes filières d’études. Elles ouvrent une panoplie de diplômes aux jeunes.
C’est une erreur bien mauricienne de mesurer le succès d’un système éducatif uniquement en termes d’accès à la HSC, un diplôme qui mesure seulement l’intelligence académique. Il faudrait une prise de conscience au niveau de la population elle-même, des parents et des enseignants en particulier : nos enfants ne sont pas des machines à sous pour faire fructifier les fins de mois de certains mais ce sont des êtres humains, en chair et en os, avec des aspirations et un potentiel propre, unique à chacun.
* Les propositions ministérielles en faveur de (1) la révision du système d’évaluation pour les examens du CPE en introduisant des contrôles continus qui compteront pour 25% des points (les épreuves traditionnelles comptabiliseront elles 75% des points), et (2) l’introduction du ‘9-year schooling’ jusqu’à la Form III, font déjà l’objet de contestations dans certains milieux. Comme dans d’autres secteurs, il y a divers intérêts qui sont en jeu, et on risque ainsi de revenir à la case de départ à chaque fois sans qu’on parvient à trouver une solution acceptable pour tous les ‘stakeholders’…
Dans un système éducatif où la moralité fait défaut, à cause de l’existence même des leçons dites particulières mais qui sont en réalité des salles très bondées de jeunes, comment envisager le contrôle continu ? Certains enseignants ne travaillent même pas en classe… Demandez à n’importe quel jeune, il vous dira que beaucoup d’enseignants n’ont pas beaucoup de considération pour celui qui ne prend pas de leçons avec lui. Comment cet enseignant va-t-il donner des points de manière équitable pour le contrôle continu ? Dans les pays où existe le contrôle continu, les enseignants sont dévoués et ils pratiquent la centration sur l’apprenant, et non pas la centration sur les leçons particulières.
Quant au 9-year schooling, c’est un vieux débat. Cela fait partie des réflexions menées sur l’éducation conçue par cycle d’études. Chacun des cycles : Lower Primary, Upper Primary, Lower Secondary ont des objectifs bien définis. Le Lower Secondary n’est pas un prolongement du cycle primaire – on ne réfléchit absolument pas en termes du système mais en termes du respect du rythme d’apprentissage de l’apprenant et de l’acquisition progressive des compétences. Normalement, il existe un “socle commun de connaissances et de compétences” que les jeunes acquièrent progressivement au cours de leur scolarisation. Bien entendu, on tient compte de leurs difficultés qu’on tente de résoudre avant de passer au cycle suivant. Dans l’idéal, cela sous-entend qu’il y a autant de collèges que d’écoles primaires pour accueillir la totalité des jeunes, sans discrimination et sans compétition, et réussir donc la visée internationale de l’UNESCO – l’Education Pour Tous jusqu’à l’âge de 15-16 ans.
Venons-en maintenant à la réalité mauricienne. Pour rentrer dans ce système de fonctionnement, il faudrait écarter l’idée de la réussite d’un petit nombre au profit de la réussite pour la majorité. Il faudrait augmenter le nombre de collèges. La Finlande a réussi ce pari après 20 ans de réflexion. La réussite du système éducatif finlandais repose sur la responsabilisation précoce des écoliers, l’absence de stress et redoublement scolaire et passe aussi par la qualité de la formation des enseignants.
Or, à Maurice, divers rapports d’évaluation du MES et de Cambridge, d’une part et de TEC, d’autre part, démontrent nos limitations. Un mal qui ronge le système éducatif est l’absence de qualité de l’enseignement et de l’apprentissage à plusieurs niveaux. Quant aux syndicats, ils défendent bien des points administratifs et financiers, mais ils n’osent même pas aborder les questions pédagogiques et didactiques. Ont-ils conscience que la majorité des jeunes issus du système n’ont pas les compétences attendues en fin de cycle?
Il suffit d’évaluer le niveau de jeunes à leur entrée en milieu universitaire, surtout sur le plan des thinking skills, pour comprendre que le monde enseignant fait fausse route, sans aucun doute trop aveuglé par les leçons particulières et les avantages qui en découlent pour les enseignants eux-mêmes. Voudront-ils tuer la poule aux œufs d’or en leur âme et conscience ?
* Donc, le point faible de notre système éducatif demeure les leçons particulières. Malgré les réglementations officielles sur les leçons particulières, il semblerait que ce soit difficile de changer les mentalités. Comment faire pour résoudre ce problème tant au niveau primaire que secondaire ?
Ce n’est pas à un gouvernement ou à un ministère de résoudre ce problème. Les acteurs premiers du système – les enseignants – et les syndicats doivent trouver le juste milieu entre avantages financiers et centration sur l’apprenant. Et puis, les parents qui accordent plus de crédit au shadow education qu’au mainstream education doivent vérifier la performance de leurs enfants et prendre conscience que la majorité d’entre eux sont en train de jeter de l’argent à la poubelle. Est-ce que les parents vérifient au moins ce qui se fait en milieu scolaire ?
Il faudrait s’inspirer des cours de soutien scolaire comme cela existe en France ou au Singapour et remplacer les leçons particulières. Le système éducatif singapourien réussit bien mais dès qu’on parle de Singapour, ici, beaucoup de Mauriciens se braquent – trop de discipline, trop d’ordre, trop de règlements à respecter, trop d’honnêteté, trop de sérieux, trop d’assiduité dans l’exercice de ses fonctions… C’est sûr que l’on est loin du laisser-faire mauricien où chacun y va pour défendre son projet, ses envies et ses désirs personnels… Cela en dit long sur la perte des valeurs à Maurice…
Donc, il faudrait trouver notre propre chemin. Nous n’avons pas la même culture que les pays asiatiques. Nous devons trouver nos propres solutions. Cela passe par les compromissions et le respect de chaque stakeholder. Il s’agit d’un problème à résoudre entre parents et enseignants pour améliorer le système éducatif à la fois pendant et après les heures de classe.
Il faudrait créer des programmes personnalisés pour prévenir l’échec scolaire et permettre au jeune d’atteindre les objectifs fixés. Le programme personnalisé permet de développer tous les talents ainsi que les capacités intellectuelles du jeune. L’enseignant utilise diverses méthodes d’enseignement et s’appuie sur le potentiel de chaque apprenant pour l’aider à réduire ou éliminer autant que possible ses faiblesses et ses difficultés scolaires, et atteindre les objectifs fixés.
Ce genre de projet est étroitement associé aux questions d’éthique et de formation des enseignants. Or, à Maurice, nous partons avec un déficit : dans bon nombre d’institutions supérieures, les enseignants donnent eux-mêmes des leçons particulières… Comment alors vont-ils apprendre aux futurs enseignants de l’école primaire ou du collège à distinguer entre deux fonctions distinctes : celle de l’enseignant dans une classe et l’enseignant à domicile pour un cours de soutien ?
Pour réussir le pari de la centration sur l’apprenant, tout enseignant, ayant des compétences dans son domaine d’études, doit être guidé par deux principes :
(1) les valeurs fondamentales – celles que l’on retrouve dans tous les textes sacrés religieux – Bible, Coran, Ramayana et Mahabharata, et/ou les textes philosophiques chinois ;
(2) les compétences scientifiques et pédagogiques acquises en Sciences de l’Education.
Un jour ou l’autre, il faudrait quand même se poser la question de la performance réelle de l’enseignant dans une classe. Pourquoi en sommes-nous arrivés à une telle dépendance sur les leçons particulières ? Un ministre, Dharam Gokhool, a déjà essayé de mettre en place un road map. Il a été bouté hors circuit comme Kadress Pillay dans le passé. Si le système éducatif ne peut pas se redresser à ce point, alors vivons-nous vraiment dans un pays si religieux comme on a tendance à affirmer ?
Nous ne sommes qu’une petite population d’environ un million. Il s’agit de suivre un apprenant et de l’aider à développer des compétences au fur et à mesure. Dire que c’est trop difficile à mettre en place, ce serait démontrer que le monde enseignant a une mentalité soit égoïste, ou je-m’en-foutiste ou roder-bout. Ce serait des hommes et des femmes qui ne savent pas prendre le taureau par les cornes et relever un défi ou alors ce serait l’affirmation d’une volonté de rester dans l’ignorance au lieu de développer les compétences nécessaires pour pallier les lacunes de l’apprenant, et se placer en haut de l’échelle de la littératie et de la numératie.
Par ailleurs, si les parents ont envie de payer pour les études de leurs enfants, alors qu’ils le fassent mais qu’ils contrôlent les résultats scolaires. On dit toujours que les PTA sont forts. Alors pourquoi ne montent-ils pas leur propre « Quality Control » des leçons particulières ? Pourquoi n’y a-t-il pas plus de communication entre parents et enseignants de la classe à propos de leur enfant ? Pourquoi ne pas avoir une fiche de compétences que les parents discuteraient avec les enseignants de la classe pendant les heures de soutien scolaire ?
Je pense aussi à l’aspect financier. Il faudrait établir des barèmes à ne pas dépasser, surtout pour l’enseignement des matières scientifiques qui atteint aujourd’hui des chiffres phénoménales pour des résultats académiques pas si extraordinaires…
Une autre option, plus radicale, serait de stopper net la scolarisation gratuite. Si qualité pour les parents rime avec frais mensuels, alors qu’ils paient des frais mensuels à l’Etat et exigent en retour, la qualité dans les établissements scolaires. Pourquoi ne pas dépenser son argent directement pour améliorer les cours pendant les heures de classe ?
* Il y a également la réforme du concept de Zone d’Education Prioritaire ou ZEP qui fait débat. Malgré les moyens financiers et la pédagogie employés, il ne semble pas que ce programme ait donné les résultats escomptés. Vous vous attendiez à cela?
A Maurice, pendant longtemps, on a trop politisé les débats sur les ZEP. Dans le monde entier, dans chaque pays, il existe un certain nombre d’individus qui ne maîtrisent pas les compétences les plus élémentaires ou les compétences de base. Une étude de l’OCDE de 2013 indique qu’en Italie et en Espagne, seul un adulte sur vingt atteint le niveau de compétences le plus élevé. La réserve de talents se réduit dans certains pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis et la France, et à un degré moindre en Norvège. Les personnes plus âgées au Royaume-Uni obtiennent de très bons résultats en littératie, alors que les jeunes adultes se situent en bas du classement. Aux États-Unis, les adultes plus âgés ont des résultats moyens en numéracie, alors que ceux des 16-25 ans ont des résultats médiocres.
A Maurice, on ramène l’évaluation des actions ZEP uniquement aux résultats académiques. Mais si l’on considère que les enfants fréquentant ces établissements sont d’abord et avant tout des êtres humains, alors beaucoup d’autres résultats sont positifs. Voilà des jeunes qui souffrent de plusieurs problèmes pour diverses raisons. Il est certain que la fréquentation d’un établissement scolaire ZEP les aide sur le plan physique, psychologique et émotionnel.
D’abord, les enfants ont droit à un repas à midi et aussi pendant les vacances scolaires. Il faut savoir que pour la grande majorité d’entre eux, ce sera le seul repas consistant de la journée. Ensuite, bon nombre d’écoliers des ZEP se sentent plus à l’aise à l’école qu’à la maison. Cela signifie que l’atmosphère à l’école est agréable et paisible, ils s’y sentent bien. Les infrastructures de ces écoles primaires ont été améliorées tout comme les outils pédagogiques mis à la disposition des enseignants. Chaque salle de classe a été embellie. La cour de l’école a été retouchée.
Dans tous les pays du monde, il y a des enfants en difficultés scolaires et c’est extrêmement difficile d’obtenir des résultats académiques positifs qui durent dans le temps. Les solutions sont aussi complexes que les difficultés auxquelles les écoliers font face quotidiennement. Ceci dit, l’absence de spécialistes en remédiation et la détection tardive des difficultés sur le plan cognitif sont partiellement responsables du taux d’échec scolaire annuellement. Il y a aussi les difficultés des enseignants à se libérer des méthodes traditionnelles d’enseignement en classe.
On revient à la délicate question de l’introduction de la qualité dans l’enseignement dans les classes. Sous Dharam Gokhool, le ministère avait introduit le diagnostic test en Standard II. Où en est ce projet ? Si le projet n’existe plus, alors pourquoi l’a-t-on arrêté ? Y a-t-il un manque de personnel formé pour mener ces tests ? Y a-t-il un manque de planification ? Sous Kadress Pillay, on avait démarré le projet « Learning through games ». Plusieurs jeunes enseignants étaient enthousiastes. Pourquoi le projet a-t-il disparu dans les oubliettes ? Et, plus récemment, l’enseignement de l’anglais par les jeux reflète les multiples dysfonctionnements du système…
* On soutient que l’échec scolaire cache dans beaucoup de cas des difficultés sociales, culturelles, économiques mais aussi psychoaffectifs, et qu’il faut vraiment un contact direct avec ces milieux pour prendre conscience de ces problèmes-là. Qu’est-ce que vos contacts avec ce milieu vous ont enseigné?
Côtoyer des enfants en grandes difficultés, cela force l’humilité sur tout volontaire social et pédagogue. Il y a ce dicton: On ne choisit pas où on naît. Qui choisirait de naître dans un milieu où règnent en maître l’alcoolisme, la drogue, la violence domestique, et des corollaires comme le chômage, l’abus sexuel… ? Personne.
Dans les ZEP, les enfants souffrent quotidiennement à cause de ces problèmes. Pour améliorer le taux d’échec scolaire, il faudrait idéalement donner un milieu de vie paisible à tout écolier. Il ne suffit pas de fournir une maison NHDC et des fournitures scolaires dans un sac-à-dos dans le cadre CSR pour résoudre l’ensemble des problèmes dont ces enfants ont à faire face.
Pour certains problèmes, il faut du temps. Pour moi, la vie d’un être humain ne se mesure pas uniquement à ses résultats au CPE. Parfois, il faut du temps pour panser les blessures psychologiques profondes. Il faudrait plus de psychologues formés pour travailler dans ces milieux et amener les parents eux-mêmes vers la culture scolaire. Les Rodriguais réussissent mieux que les Mauriciens à éduquer les parents en milieu ZEP, à développer une certaine compréhension mutuelle entre parents et enseignants. Ils arrivent mieux que nous à « bridge the gap ». Tant mieux pour les enfants rodriguais.
* Le secteur tertiaire a aussi été largement commenté sur les plateformes politiques et dans la presse: la reconnaissance des diplômes de certaines universités étrangères, la révocation d’un vice chancelier à l’Université de Maurice… On se demande si on est maintenant bien parti pour construire le ‘Knowledge Hub’ véhiculé par les discours politiques? Qu’en pensez-vous?
Pour devenir un Knowledge Hub, Singapour travaille avec les meilleures institutions supérieures sur le plan mondial pour ne pas rester à la traîne dans le domaine de l’enseignement et de la recherche. A Maurice, la situation courante démontre qu’il y a un manque flagrant de spécialistes en éducation. On décide au jour le jour en copiant un plan qui marche bien ailleurs, sans tenir compte des obstacles locaux, sans imposer les contrôles nécessaires pour éviter les dérives.
Autre problème : Quelles compétences des étudiants vise-t-on ? Tient-on compte des besoins et attentes des étudiants potentiels de Maurice et d’ailleurs ? Nous savons tous que la crème des étudiants de la région obtient des bourses d’études pour se rendre en Europe ou aux Etats-Unis. Qui sont ceux qui viendront dans notre « Knowledge Hub » alors? Quels sont leurs besoins en termes de développement de compétences langagières et cognitives ? Quel est leur rythme de travail ? Quel est leur degré de motivation pour des études académiques ?
Savez-vous qu’il existe actuellement certaines institutions tertiaires où les étudiants sont incapables de comprendre un Lecturer qui leur adresse la parole en anglais ? Quelle sera la valeur du diplôme de telles institutions dans quelques années ?
* Quelle opinion faites-vous alors de l’ambition ministérielle de produire un diplômé dans chaque famille mauricienne ?
A Maurice, plusieurs jeunes, parents et enseignants n’ont pas encore compris les changements qui se sont opérés sur le plan mondial, et les objectifs mondiaux à rehausser le niveau de l’éducation des populations.
Puisque nous sommes dans l’Education Pour Tous (EPT) ou Education For All (EFA) ou encore Education pour le Développement durable, l’ambition gouvernementale est légitime. Cela signifie que tous les jeunes de la République de Maurice doivent être scolarisés jusqu’à l’âge de 15-16 ans. Ensuite, ils peuvent et doivent se tourner vers un diplôme académique ou professionnalisant.
Quand un étudiant quitte l’université ou une formation professionnalisante avec un diplôme, a-t-il toutes les compétences requises pour intégrer le monde du travail ? Non, il faut continuer à apprendre et à développer des spécialisations pour s’adapter au monde du travail en évolution perpétuelle. Cela se nomme éducation permanente.
J’ai constaté un autre problème chez les jeunes. Beaucoup ne font pas d’efforts pour apprendre en vue d’acquérir des compétences et se perfectionner mais ils travaillent uniquement pour réussir aux examens d’une manière mécanique. Demandez-leur de travailler en groupe, ils feront le « division of labour » juste pour se débarrasser du travail le plus rapidement possible. Ils soumettent des travaux sans même se concerter et lire les réponses des uns des autres mutuellement. C’est extrêmement difficile de les amener à se départir de la mentalité héritée tout le long du cycle primaire et secondaire.
* Et que pensez-vous de la construction de plusieurs antennes universitaires à travers l’île?
Je ne suis pas favorable à l’ouverture des antennes ou des branch campuses car le pays est d’une petite superficie. Les jeunes doivent apprendre à être autonomes. Ils n’ont pas suffisamment de life skills et ils n’ont pas envie d’en acquérir. Quand un jeune reste dans son monde et il est si chouchouté par ses parents, cela ne fera pas de lui un être épanoui.
Et puis, à Maurice, nous vivons dans une société multiculturelle. Les rencontres en milieu universitaire doivent aider à se connaître mutuellement et à développer des compétences sur le plan interculturel.
* Les rapports de TEC indiquent qu’environ 50% des étudiants seulement sont satisfaits de la qualité de l’enseignement dispensé dans nos universités. Les employeurs critiquent souvent le niveau des ‘social/work skills’ et le manque de professionnalisme des étudiants à la fin de leurs études. Vos commentaires ?
Maurice a le même problème que d’autres pays, en voie de développement ou développés. Il existe un manque d’enseignants hautement qualifiés dans les institutions. Puis, les meilleures universités recrutent les étudiants high flyers. Par conséquent, il y a des problèmes à la fois au niveau de la qualité de l’enseignement et de la motivation des jeunes pour apprendre.
Il faudrait partir de ces réalités pour trouver des solutions adaptées au lieu d’imiter les pays développés et appliquer les mêmes règlements et programmes. Souvent, on met en place des high-level objectives qui ne seront pas atteints dans tous les cas de figure. Les règlements pour améliorer soit l’enseignement ou l’apprentissage deviennent plutôt une farce car personne n’y prête attention. C’est pour cette raison qu’on tourne en rond perpétuellement.
Il existe quelques mesures que les employeurs devraient utiliser à bon escient. Par exemple, ils devraient participer plus souvent aux Advisory Boards quand ils sont invités par les institutions tertiaires. Ils pourraient indiquer les compétences requises ou manquantes sur les programmes existants ou à venir.
* Vous êtes personnellement en contact avec de nombreux étudiants qui entrent à l’Université de Maurice. Quelles impressions vous laissent cette génération de jeunes par rapport à leurs attitudes, leurs ambitions ou leurs valeurs?
L’adolescence, d’après les recherches internationales, se termine à 30 ans. Le comportement des jeunes, en milieu universitaire mauricien, démontre qu’ils n’ont pas assez de maturité et ils manquent cruellement d’autonomie, eux-aussi. Les jeunes sont conscients de plusieurs problèmes comme l’étendue de la corruption mais ils ne sont pas « empowered » pour devenir des leaders. Au contraire, ils sont plutôt craintifs et cela représente un danger pour le bon fonctionnement de notre démocratie dans le futur.
La majorité des jeunes sont hyper-protégés par leurs parents qui leur font une confiance aveugle. Je pense qu’un bon nombre profite de la naïveté de leurs parents pour faire croire en ce qui n’est pas…Je suis surprise de leur rapport avec l’argent. La majorité préfère garder de l’argent pour dépenser sur leurs loisirs ou autres besoins personnels plutôt que d’investir dans les ouvrages nécessaires pour leurs études.
Aujourd’hui, les problèmes de discipline sont en augmentation dans les collèges. Mais ni les recteurs ni les enseignants ne sont suffisamment formés pour faire respecter la discipline. Beaucoup ont peur des parents et de leurs réactions. Notre tradition, à Maurice, c’est d’attendre que les choses empirent, on choisit le laisser-faire et le laisser-aller. Ensuite, on met en place le « fire-fighting strategy ». C’est bien dommage mais c’est notre réalité. Nous ne savons pas prendre un petit problème à la racine et planifier sa disparition. Et pourtant, nous gagnerons tous si la violence scolaire est endiguée maintenant. En milieu universitaire, un certain nombre de jeunes perpétuent les traditions de collège en s’adonnant à outrance à la consommation de cigarettes et d’alcool. Je pense que les parents n’exercent pas assez de contrôle à ce niveau car ce sont bien eux qui donnent de l’argent de poche à leurs enfants. Je ne pense pas que les parents leur posent des questions sur leurs fréquentations et sorties, voire même sur leurs études ou les textes au programme.
J’ai déjà essayé de parler à quelques jeunes. Les jeunes hommes écoutent poliment tandis que les jeunes filles se montrent plutôt arrogantes. Elles souffrent probablement déjà de la dépendance à l’alcool. Cela ne présage rien de bon pour leur avenir, encore moins celui de leurs enfants… Beaucoup de jeunes n’ont aucun respect de la discipline tout court. Ils n’aiment pas faire la queue pour acheter un produit ou pour prendre l’autobus mais ils se faufilent avec une certaine violence pour être les premiers servis. Un bon nombre n’a aucun respect des règles et règlements. Dans certaines institutions tertiaires, la cigarette et l’alcool ne sont pas autorisés mais les jeunes font fi de ces règlements. N’importe quel membre du public peut les apercevoir en train de fumer ou boire dans un coin de leur campus… Sont-ils fautifs ? Ou ont-ils été élevés de cette manière au sein de leur propre famille : « Profite de tout impunément car les lois sont faites pour être respectées par les autres mais pas par toi-même » ?
Quant aux valeurs religieuses, les jeunes sont beaucoup plus pratiquants qu’auparavant mais je doute fort qu’ils connaissent les messages véhiculés par leur texte sacré, peu importe lequel. Si on fait un « carême » ou un jeûne, est-ce que c’est pour sa foi en Dieu ou pour demander quelque chose en retour à Dieu ?
Peu de jeunes s’intéressent aux problèmes de la société mauricienne. Ils s’attendent à ce que d’autres fassent le travail. Dans ce sens, j’ai perçu beaucoup plus d’engagement chez certains Rodriguais que chez les Mauriciens.
Les jeunes sont nés dans un monde matérialiste et mercantile. Le monde enseignant, avec les leçons particulières, ne projette pas une image favorable au développement des valeurs. Les jeunes apprennent que toutes les valeurs sont flexibles et négociables à partir du moment où ils arrivent à leurs fins.
En vérité, les valeurs sont immuables mais ils ne le savent pas encore, et il est fort probable que certains parents et enseignants ne le savent pas non plus…
* Cette génération de ‘Facebookers’ nourrit-elle les mêmes craintes ou les mêmes préjugés et réflexes identitaires/communaux vis-à-vis des « autres » que leurs parents? Ou y a-t-il évolution (positive) sur ce plan-là?
Puisque les jeunes réfléchissent encore comme des adolescents, il est certain que la majorité conteste les préjugés. Mais il est aussi vrai que certains groupements ou individus – ayant un agenda politique bien défini – font beaucoup de mal au pays en influençant les jeunes par des discours remplis de haine à l’égard de telle ou telle communauté. Puisque les jeunes ne connaissent pas l’Histoire de leur pays, ils n’arrivent pas à discriminer le vrai du faux.
Et puis, il y a l’accès à l’emploi. Pour schematiser, tous les jeunes ont les mêmes compétences et limitations à l’exception de quelques uns qui sont « outstanding ». La compétition est donc féroce pour intégrer un poste. Les jeunes connaissent bien les circuits parallèles… Bon gré mal gré, ils utilisent les techniques des adultes « to secure a job ».
* Cambridge a introduit le « critical thinking » dans certains papiers d’examens. Est-ce que c’est suffisant pour former les jeunes en fonction de la vision et mission définies par le ministère de l’Education ?
Nous ne devons pas nous reposer uniquement sur les rapports de Cambridge. Il faut combler le déficit en spécialistes en Sciences de l’Education à Maurice. Sans l’apport de spécialistes, il sera difficile de reformer le système éducatif, et les curricula entre autres.
On parle beaucoup de « World Class Quality Education ». Le Strategy for Reform document de 2006 du ministère de l’Education et des Ressources humaines définit le profil de l’apprenant comme suit :
“ (4) develop desirable social skills for living in a multicultural society
(5) have sound communication skills
(6) use Information and Communications Technology tools
(7) have a rational and scientific mindset
(8) develop artistic sensitivity and participate in creative activities
(9) display a willingness to engage in change
(10) show critical thinking and independence of thought”
Or, quand les jeunes intègrent le milieu universitaire, la majorité n’a aucune de ces compétences au niveau attendu. Cambridge fait des rapports annuels qui restent sans suite… Le milieu tertiaire reste sourd et aveugle et ne fait rien pour combler ces manquements… Les innovateurs n’ont pas beaucoup de scope of action.
* Published in print edition on 18 October 2013
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