Interview Eric Ng Ping Cheun
|Interview: Eric Ng Ping Cheun, économiste et directeur de PluriConseil
“On ne peut sacrifier l’intérêt national pour sauver des canards boiteux”
* “Nos exportateurs doivent puiser dans leurs réserves au lieu d’attendre de recevoir de l’argent public du gouvernement…”
* “La crise de la zone euro doit réveiller les Mauriciens”Crise dans la zone euro et impact sur l’économie mondiale et locale, équilibre entre production et consommation, contrôle de l’endettement et du gaspillage dans le secteur public, pratiques obsolètes et techniques démodées des lobbies économiques localement, soutien aux entreprises faibles et stimulus package, propositions de l’opposition et faisabilité, rôle de la BoM dans cette période incertaine. Eric Ng Ping Cheun,économiste et directeur de PluriConseil, s’attèle à la tâche…
Mauritius Times: M. Ng, peut-on déjà anticiper ce que la crise dans la zone euro va avoir comme conséquences sur l’Union européenne elle-même et, par extension, sur une petite économie telle que la nôtre ?
Eric Ng Ping Cheun: L’euro vit actuellement sa première grande crise de son histoire. Lorsque l’idée de créer une monnaie unique européenne fut émise, les économistes ont beaucoup discuté des avantages et inconvénients d’une telle monnaie pour l’Union européenne. Aujourd’hui, les inconvénients d’une monnaie unique pour un bloc de pays sont remis à jour, et l’euro-pessimisme gagne du terrain. Les mêmes questions reviennent sur le tapis : peut-on appliquer efficacement une one-size-fits-all monetary policy à des économies aux performances asymétriques ? Un bloc économique peut-il avoir une politique monétaire unique sans une politique fiscale et budgétaire commune ? Pour moi, la réponse à ces deux questions fondamentales est trois fois non.
Il est clair que l’euro est une monnaie “politique”. Il n’a pas émergé des marchés. Il n’est pas le produit naturel des transactions de l’économie réelle. Or, la monnaie est – pour citer le grand économiste autrichien Carl Menger -, une institution sociale qui se forme dans le temps, comme les langues, les traditions et les cultures. On ne “crée” pas une monnaie comme on crée un nouveau produit industriel.
C’est ce qu’ont fait les bureaucrates de Bruxelles qui ont accouché l’euro aux forceps à un taux dollar/euro tout à fait arbitraire. Faute de pouvoir construire une Europe fédérale, on cherche à construire l’Europe politique à travers une union monétaire. Mais on oublie que la monnaie est supposée représenter en elle-même la souveraineté politique d’un pays. Or, comment voulez-vous que des peuples s’identifient à une monnaie commune alors que chacun veut préserver jalousement sa souveraineté politique ?
Je prévois un éclatement de la zone euro avant 2015, à savoir que certains membres vont délaisser la monnaie unique pour reprendre leur souveraineté monétaire et donner cours légal à leur monnaie nationale. D’abord, pour des raisons institutionnelles. Lorsque l’euro a été lancé en 1999, une quinzaine de pays l’avaient adopté. Aujourd’hui, la zone euro comprend 27 membres. Elle a grandi trop vite, sans même attendre que la one-size-fits-all monetary policy fasse ses preuves.
Ensuite, pour des raisons économiques. Les finances publiques de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie (les fameux pays PIGS) sont en piteux état. Pour ne prendre que la Grèce, sa dette publique représente 125% du produit intérieur brut (PIB) contre 79% pour la zone euro, et son déficit public est de 13,6% du PIB contre 6,3% pour la zone euro. Et, ce qui est inquiétant, c’est que 85% de sa dette publique est financée par des étrangers. La meilleure façon pour ces pays de redevenir compétitifs, c’est d’avoir une grande flexibilité dans leur politique monétaire en sortant hors de la zone euro.
Finalement, l’Histoire démontre que les accords de coopération monétaire ont toujours échoué. On a eu l’échec total du bimétallisme au 19e siècle, l’effondrement du système d’étalon change-or entre les deux guerres, ainsi que celui du système de Bretton Woods en août 1971.
Evidemment, une crise dans la zone euro aura des répercussions sur l’économie mauricienne dans la mesure où les pays européens constituent nos principaux marchés d’exportation. On peut avoir à la fois un problème économique (une chute de la demande extérieure) et un problème monétaire (une chute de l’euro). Si nos revenus d’exportation baissent en termes de devises, il nous faudra puiser dans nos réserves pour payer nos importations. Eventuellement, il deviendra plus difficile de soutenir la roupie et sa dépréciation sera inévitable avec des conséquences inflationnistes.
* Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, affirme que la chute de la valeur de la monnaie unique européenne est « la meilleure chose qui puisse arriver à l’Europe ». Il prône l’investissement et non l’austérité, et il ajoute que la baisse de l’euro serait une bonne chose pour le tourisme dans certains pays européens. Ce qui est bon pour l’Europe ne l’est pas nécessairement pour l’île Maurice, n’est-ce pas ?
La baisse de l’euro peut effectivement être une bonne chose pour les pays les plus compétitifs de l’Europe, notamment l’Allemagne, en ce sens qu’elle stimule les exportations européennes. Ceux qui bénéficieront le plus de cet avantage de change sont les pays qui exportent principalement en dehors de la zone euro. Mais ceux qui seront le plus affectés par une chute de l’euro seront les pays ayant un fort taux d’endettement extérieur, comme la Grèce, puisqu’ils ont emprunté en une devise qui s’apprécie. Donc, les plus vertueux en termes de gestion de l’économie seront les gagnants alors que ceux qui s’endettent s’appauvriront.
C’est pourquoi les pays endettés doivent faire une cure d’austérité, contrairement à ce que préconise Joseph Stiglitz. Un assainissement de leurs finances publiques fera baisser les taux d’intérêt de long terme et stimulera ainsi l’investissement. C’est de l’investissement privé, et non public, que ces pays ont besoin pour relancer leur économie.
Ce qui se passe actuellement en Europe a ceci de bon que les citoyens européens se sont réveillés à la dure réalité économique. Pendant trop longtemps, ils se sont endormis dans la facilité avec des régimes de sécurité sociale très protecteurs. Ils prennent maintenant conscience de la montée en puissance des économies asiatiques et latino-américaines, et du fait que la compétition devient mondiale. Ils sentent aujourd’hui qu’ils vivent dans un village global et ils ne peuvent donc plus s’enfermer dans leur cocon national.
Les Mauriciens devraient eux aussi cesser de dormir sur leurs lauriers. Dans la mesure où la crise de la zone euro affecte l’économie mauricienne, elle doit réveiller les Mauriciens. Ils doivent commencer à comprendre que rien n’est gratuit et qu’il existe une limite aux financements publics. Comme ne cesse de le dire le Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam, chacun doit faire des efforts pour progresser dans la vie. Il faut continuellement former les démunis à la responsabilité, car l’assistanat n’est plus de mise. De manière générale, nous devons tous revenir à une discipline au travail avec pour idée que c’est la production, et non la consommation, qui fait tourner l’économie.
Quant à nos industriels, ils doivent se rendre compte du danger de rester centrés sur les marchés européens et sur la devise euro. Depuis 30 ans, on n’arrête pas de répéter qu’il faut diversifier nos marchés d’exportation. Je comprends qu’il est difficile de s’éloigner d’une tradition qui s’est établie pendant des décennies. On a aussi tissé des relations commerciales et des réseaux de marketing en Europe. Néanmoins, il faut commencer dès aujourd’hui à explorer des marchés qui utilisent le dollar comme monnaie de paiement. Je pense aux marchés de l’Asie, du Moyen Orient et de l’Afrique du Sud.
* La chute de l’euro se fait déjà ressentir dans le tourisme, le textile, l’industrie sucrière, selon les porte-parole du secteur privé mauricien qui réclament une dévaluation de la roupie. Par contre, la situation n’est pas encore jugée alarmante par le gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
La situation n’est pas alarmante, mais il faut reconnaître qu’elle est inquiétante. Si la chute des bénéfices des grands groupes hôteliers au premier trimestre de 2010 est inquiétante, le fait est que plusieurs compagnies sont encore profitables ! A titre d’exemple, Sun Resorts a réalisé des profits opérationnels de Rs248 millions, et les profits de Constance Hotels s’élèvent à Rs8,3 millions.
Les hôtels et les usines textiles ont engrangé des windfall gains lorsque l’euro était à plus de Rs 46. Si on regarde leur bilan, on constate que les réserves de certaines companies s’élèvent à des milliards de roupies. On a amassé ces milliards en partie grâce à la dépréciation continue de la roupie pendant des années. Il faut savoir que l’euro s’échangeait à une moyenne de Rs 29 en janvier 1999.
D’autre part, l’euro était tombé au plus bas à 0,825 dollar avant de remonter au plus haut à 1,60 dollars, soit une hausse de presque 100%. C’est dire que nos exportateurs ont beaucoup gagné au change dans le passé. Maintenant que l’euro bat de l’aile, ils doivent puiser dans leurs réserves au lieu d’attendre de recevoir de l’argent public du gouvernement.
* Si le gouvernement ne juge pas la situation alarmante à ce stade, il a néanmoins décidé de nommer un comité mixte réunissant les cadres des Finances, de la BoM et du JEC. On aurait cru qu’une banque centrale forte et indépendante pouvait à elle seule prendre les décisions qui s’imposent…
Il vaut mieux avoir un dialogue public-privé plutôt qu’une absence de dialogue, à condition bien sûr qu’on discute dans l’intérêt du pays, et non dans celui d’un secteur quelconque. Ce dialogue public-privé est très sain, et il est un exemple pour beaucoup d’autres pays. On peut dire que le succès économique de Maurice a été bâti en bonne partie sur un fructueux échange entre le gouvernement et le secteur privé. C’est un mécanisme de feedback tout à fait essentiel à la bonne marche de l’économie.
On peut néanmoins se demander pourquoi une banque centrale indépendante est partie prenante d’un comité public-privé. Sans doute a-t-on besoin de l’expertise des techniciens de la BoM, ce que ne posséderaient pas les techniciens du ministère des Finances (MoF). Mais la BoM et le MoF doivent se concerter en comité restreint pour présenter une position commune. Car il importe que les actions monétaires et fiscales se coordonnent.
Il est bon dans une petite économie comme Maurice que la BoM et le MoF soient sur la même longueur d’onde, d’autant que la politique monétaire n’est jamais déterminée dans un vacuum. L’indépendance absolue de la Banque centrale est une vue de l’esprit : elle n’existe pas dans la pratique. La seule vraie indépendance, c’est la privatisation.
* Par ailleurs le Premier ministre soutient que la dépréciation de la roupie n’est pas à l’ordre du jour, ce à quoi le porte-parole économique du MMM, K.C. Li Kwong Wing, affirme que « le PM est peut-être en train d’enfoncer une porte ouverte » du fait qu’en l’espace de quatre jours, la roupie s’est dépréciée par rapport à l’euro (passant de Rs41 à Rs43) à cause des forces du marché ? Which is which ?
Je pense qu’au contraire la déclaration du Premier ministre est venue stopper la brusque dépréciation de la roupie notée durant la semaine dernière. Au début de celle-ci, les marchés ont cru que le gouvernement allait céder aux exigences du secteur privé et que sa politique allait être de déprécier la roupie. On a donc spéculé contre la roupie en ce sens que les exportateurs ont gardé leurs devises au lieu de les vendre. Par conséquent, la demande de devises a été supérieure à l’offre, d’où l’affaiblissement de la roupie. Les forces du marché ont ainsi joué.
Dans un passé pas trop lointain, les autorités monétaires faisaient parfois le contraire de ce qu’elles déclaraient en public. Par exemple, elles disaient être contre la dépréciation de la roupie, mais elles laissaient celle-ci s’affaiblir dans les faits. C’est du cynisme pur, mais qui décrédibilise ceux ou celles qui ont recours à de telles pratiques.
Je ne sais pas si cette pratique a toujours cours, mais je note toujours des pressions du secteur privé en faveur de la dépréciation de la roupie juste après des élections générales. Est-ce parce que le secteur privé finance les élections et attend d’être récompensé en retour ?
Après les élections de 2005 aussi, le Premier ministre avait fait une déclaration formelle pour dire non à la dépréciation de la roupie. Quelques jours après, la Banque de Maurice relevait le taux d’intérêt par 100 points de base… La coïncidence veut que la déclaration du Premier ministre à l’époque ait été faite au même endroit que celle de la semaine dernière.
* Alors que le secteur privé semble privilégier une baisse de Repo Rate ou une intervention sur le marché des changes ou même un renforcement du « Stimulus Package », K.C. Li Kwong Wing soutient qu’il serait « dans l’intérêt national » de sacrifier les industries faibles, mal gérées et gaspilleuses qui n’ont pas su préparer l’avenir ». Etes-vous du même avis ?
Je suis du même avis. On ne peut sacrifier l’intérêt national pour sauver des canards boiteux. Le « Stimulus Package » a été conçu pour aider les entreprises viables qui ont été affectées par la crise mondiale mais qui peuvent redevenir profitables si elles ont un soutien de l’Etat. Sinon, les entreprises qui sont structurellement faibles ne méritent pas d’être aidées. Elles doivent trouver d’autres créneaux commerciaux ou changer de secteur.
J’ai l’impression que parmi ceux qui crient au loup, certains cherchent à avoir de l’argent facile afin de ne pas prendre trop de risques dans leur “business”. Ils croient qu’en criant très fort sur les toits, ils seront écoutés par le gouvernement alors qu’il existe beaucoup d’entrepreneurs qui font des efforts pour survivre sans quémander des facilités du gouvernement. Ce sont ces vrais entrepreneurs qu’il faut encourager. Un gouvernement ne saurait administrer l’économie en fonction des lobbies. C’est ainsi qu’il réussira la démocratisation de l’économie mauricienne.
* Il semblerait que le soutien gouvernemental aux entreprises en difficulté par le biais du Stimulus Package soit perçu comme une mesure cosmétique — « c’est ène sou ène casse », soutient Georges Chung, qui réclame « un remède à la mesure de la nature du problème » pour prévenir contre la perte de quelques 20,000 emplois dans l’industrie sucrière et 60,000 dans le textile. Il faut donc davantage que « ène sous ène casse » ?
L’argent des contribuables n’est pas non plus « ène sous ène casse ». S’il fallait subventionner largement les entreprises en difficulté, il aurait fait sens de les nationaliser. On n’aurait pas besoin d’un secteur privé, le gouvernement s’occuperait de faire du business à sa place.
Soyons sérieux. Alors que les entreprises devraient plutôt demander le moins d’Etat pour payer le moins d’impôts possible, le secteur privé exige le contraire, soit plus d’Etat pour l’aider à faire des profits. Plus de subventions signifie plus d’impôts, et c’est en taxant davantage les entreprises profitables que l’Etat arriverait alors à équilibrer ses comptes. Sinon, veut-on augmenter le taux de la taxe à la valeur ajoutée ? La population en souffrirait, de même que les entreprises qui dépendent de la consommation des ménages.
Je trouve que le Stimulus Package dans sa forme actuelle est raisonnable. Il accorde un certain soutien financier aux entreprises méritantes tout en maintenant le déficit budgétaire dans des limites acceptables. Si la dette publique dérape, cela fera monter les taux d’intérêt sur le marché monétaire au détriment de l’investissement privé.
La question qu’il convient de poser est celle-ci : faut-il étendre le Stimulus Package au-delà de décembre 2010 ? Il est encore trop tôt pour se prononcer. Le budget de 2011, qui sera présenté avant la fin de cette année, devrait en décider.
* Les Perspectives économiques en Afrique pour 2010 estiment que l’Afrique s’est avérée plus résistante à la crise mondiale grâce à des politiques macro-économiques prudentes avant la récession, ce qui a abouti à l’amélioration des fondamentaux économiques. Celles-ci en sus de flux d’aide soutenus, de l’allègement de la dette antérieure et des prêts accordés par les institutions internationales ont fourni un cadre pour l’adoption de politiques contra-cycliques, ce qui a atténué l’impact de la crise. Leçon à retenir pour la République de Maurice également, n’est-ce pas ?
Maurice a aussi adopté des politiques anti-cycliques en baissant drastiquement le taux d’intérêt par un total de 250 points de base et en augmentant les dépenses publiques dans des travaux d’infrastructures. L’expansion fiscale et monétaire adoptée par les autorités mauriciennes dans le sillage de la crise financière de 2008 a permis à notre économie de résister aux effets néfastes de celle-ci. Alors qu’on s’était attendu au pire, notre croissance économique a dépassé les 3% en 2009 tandis que le taux de chômage est resté stable à 7,3%. Pour avoir su gérer la crise par un bon dosage fiscal et monétaire, notre pays a reçu les éloges de nombreux gouvernements et institutions étrangères.
* Le 12 mai dernier, l’or a battu son record historique en cours de séance à New York, franchissant les 1,245 dollars l’once. Les incertitudes sur l’avenir de la zone euro poussent les investisseurs et les simples particuliers à des achats « panique » d’or. Rien ne vaut le métal jaune quand les cours des actions chancellent ou lorsqu’on ne peut plus compter sur les bonnes vieilles obligations d’Etat. Vishnu Lutchmeenaraidoo avait-il raison de prôner l’investissement dans l’or, ce qui aurait été d’une grand aide par les temps qui courent ?
Un gouvernement n’est pas un gestionnaire de fonds. Il n’a pas pour rôle de spéculer sur les cours de l’or ou des matières premières sur une base quotidienne. Il conçoit des politiques dans une perspective générale et pour une période précise.
Il faut déterminer la part de l’or qu’on veut avoir dans nos réserves officielles. Elle est actuellement de 5%, ce qui peut paraître insignifiant, mais en temps de crise une petite économie, comme Maurice, ne peut se permettre de privilégier l’or sur les dollars. De plus, acheter et vendre de l’or implique des coûts de transaction et une baisse de la marge de manoeuvre dans la gestion des réserves.
En 2009, lorsque la crise financière mondiale était encore aiguë, beaucoup d’économistes craignaient une chute des exportations et des investissements directs étrangers, ce qui aurait entraîné une détérioration rapide de notre balance des paiements. Dans un tel cas de figure, il fallait se focaliser sur le niveau de nos réserves en devises Une baisse drastique de nos réserves aurait envoyé un mauvais signal aux opérateurs, les incitant à spéculer contre la roupie.
* Nous avons à présent, avec l’avènement au pouvoir de l’Alliance de l’Avenir, un Premier ministre, un ministre des Finances et un Gouverneur de la Banque centrale qui donnent l’impression de regarder dans la même direction et aussi de croire qu’il y a effectivement une alternative à ce qui a été pratiquée de 2005 à 2010 – TINA n’est plus de mise, semble-t-il. Partagez-vous cette opinion ?
Il faut attendre le discours-programme pour avoir une idée de la direction qu’entend prendre le nouveau gouvernement pour les cinq prochaines années. Pour l’instant, il est réconfortant de voir que le Premier ministre, le ministre des Finances et le Gouverneur de la Banque centrale regardent dans la même direction. Ils l’ont démontré sur la question de la roupie.
Je ne comprends pas tout ce faux débat autour de TINA (There Is No Alternative). Pour moi, ce n’est qu’une mise en scène idéologique qui n’intéresse que ceux ayant un compte à régler avec l’Histoire du monde.
Quel est cet intellectuel honnête qui peut affirmer que TINA a été le seul fil conducteur qui a traversé les cinq derniers budgets de Rama Sithanen ? En tant qu’observateur, j’ai vu plusieurs alternatives qui ont été essayées. De l’impôt plat à 15% à l’imposition pour la Corporate Social Responsibility, en passant par un budget de Rs 5 milliards pour le Empowerment Programme, les mesures budgétaires n’ont pas toutes obéi à une logique de marché, loin de là.
Certaines mesures impopulaires peuvent être corrigées, d’autres peuvent être appropriées à un moment donné. Un budget national est conçu dans un contexte particulier. Et un budget, c’est un tout qui est plus que la somme des parties.
* Qu’attendez-vous de cette nouvelle équipe à la tête du pays au-delà de l’investissement massif dans les grandes infrastructures publiques, le combat contre le chômage, un meilleur contrôle du déficit budgétaire et de la dette publique ?
J’attends de la nouvelle équipe gouvernementale qu’elle travaille en harmonie et en symbiose pour le bien de la population. Je pense que c’est une équipe soudée qui est animée par le désir de donner des résultats. Il faut continuellement grossir le gâteau national mais en le partageant plus équitablement. Ce qui compte finalement, c’est la stabilité sociale dans la prospérité.
* La nouvelle équipe a parlé d’une deuxième phase dans l’application de sa politique de démocratisation de l’économie et compte s’attaquer à l’hôtellerie et au tourisme. C’est vrai que le gouvernement de l’Alliance sociale a pu obtenir 2,000 arpents des sucriers en contrepartie de la libéralisation du prix du sucre et la révision du CESS. Mais n’est-ce pas vrai que la concentration de l’économie entre les mains d’une petite clique s’est accentuée durant ces cinq dernières années ?
Vous parlez de concentration accentuée alors que dans son bilan le gouvernement parle de démocratisation accrue. Les riches sont devenus plus riches, dites-vous ? Et alors ? Serait-il plus juste qu’ils deviennent moins riches ?
Ne regardons pas la richesse et la pauvreté en absolu. Les deux sont des notions relatives. Ne confondons pas richesse et envie. Je préfère qu’un riche accroisse sa richesse en améliorant la condition matérielle d’un pauvre. L’essentiel, c’est que le gouvernement crée des opportunités pour ceux capables de sortir de la pauvreté.
Il peut paraître que ceux engagés dans l’activité immobilière soient devenus plus riches grâce au fait que les deux derniers gouvernements ont favorisé le développement immobilier. Mais ceci constitue sans doute une étape naturelle de notre expansion économique, à l’instar de Hong Kong. On a quand même le mérite d’avoir permis l’émergence d’un nouveau secteur d’activité. Une économie ne peut pas se limiter à quatre ou cinq piliers. Il faut constituer une dizaine de petits piliers économiques, tels que les services médicaux, les loisirs, l’éducation et les produits écologiques.
* Ne faudrait-il pas aller encore plus loin vers une véritable démocratisation à travers les coopératives, des sociétés autogérées et des ‘workers entreprises’, avec l’institution d’une « land bank », et le renforcement des PME – comme le préconise K.C. Li Kwong Wing ?
L’institution d’une « land bank » est une excellente chose à condition que l’allocation des terres de l’Etat soit faite par adjudication selon des critères pré-établis, dans la transparence totale et en toute équité. Il faut arrêter le copinage, qui est l’antinomie de la démocratisation. On peut réserver une partie des terres de l’Etat à des petites entreprises proprement dit, pas à des petits subsidiaires de groupes privés.
* Les grosses pointures dans notre secteur bancaire sont en train d’engranger des profits énormes ces dernières années – des profits qualifiés de « superprofits » par certains. Manou Bheenick est de retour à la Banque centrale. Qu’attendez-vous de lui en ce qui concerne la protection des clients du secteur bancaire ?
La Banque de Maurice est un régulateur des marchés, pas une institution protégeant les consommateurs de services bancaires. Il est prévu de créer un Ombudsperson pour veiller à la protection des clients du secteur bancaire.
Là où M. Bheenick peut user de son autorité, c’est au niveau de la marge de taux d’intérêt entre l’épargne et l’emprunt : encore élevée, la marge n’a point diminué depuis trois ans ! Aussi, il faut faire baisser les frais bancaires : ils sont énormes, comme l’atteste leur progression dans les revenus des banques. Enfin, la différence entre le taux d’achat et le taux de vente des devises est trop grande : celle pour l’euro représente 5%. Voilà une possibilité pour nos banques de soutenir nos exportateurs…
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