Est-ce la fin de l’impunité pour les crimes financiers ?

Gouvernance économique

Si Pulse Analytics semble être est le fruit le plus bas à cueillir sur l’arbre, il y a des fruits en hauteur (grosses sociétés) qui demandent une attention particulière vu les gros montants dont ils ont bénéficié de la MIC

Par Prakash Neerohoo

L’inculpation de l’ex-gouverneur de la Banque centrale, M. Harvesh Seegoolam, sous une charge provisoire de blanchiment d’argent pour un transfert de fonds de Rs 45 millions de la Mauritius Investment Corporation (MIC) à une agence de sondage, a relancé le débat sur le combat contre les crimes financiers à Maurice. Il paraît que l’enquête de la police touchera d’autres protagonistes dans cette affaire, dont l’ex-CEO de la MIC, responsable du décaissement de fonds, et des directeurs de l’agence.

Y avait-il un complot pour détourner Rs 45 millions au préjudice de la MIC ?

Le judiciaire prendra son temps pour statuer sur cette affaire, mais déjà, elle soulève plusieurs questions. Est-ce que l’impunité pour les crimes à col blanc, qui fut érigée en politique de l’Etat au cours des dix dernières années sous l’ancien gouvernement, continuera de plus belle ? Est-ce que le dispositif légal et les institutions régulatoires sont suffisamment fortes pour combattre les crimes financiers ? Est-ce qu’il y a une volonté politique réelle de combattre les crimes financiers (la corruption, la fraude et le blanchiment d’argent) dans la foulée du changement de gouvernement survenu le 10 décembre 2024 ?

Régime AML-CFT

Les crimes financiers constituent une problématique grave qui a valu au pays d’être classé sur la liste noire du Groupe d’Action Financière (GAFI) de l’OCDE dans le passé. Il avait fallu renforcer le dispositif légal (Anti-Money Laundering/Combatting the Financing of Terrorism – AML-CFT) pour remédier aux déficiences stratégiques dans la lutte contre les crimes financiers. Toutefois, si en théorie le régime AML-CFT est assez impressionnant, dans la pratique les institutions d’enquête et de poursuite n’ont pas été à la hauteur de leurs devoirs et responsabilités. Pendant trop longtemps, les crimes financiers ont été tolérés par les autorités publiques avec une impunité qui est sans précédent dans une démocratie parlementaire digne de ce nom. A telle enseigne qu’un Etat mafieux s’était installé avec des tentacules larges et profondes.

Les institutions d’investigation telles que l’ex-ICAC, la Financial Crimes Commission (FCC) et la Financial Services Commission (FSC) ont été, à ce jour, inefficaces dans le combat contre les crimes financiers. Leur lenteur proverbiale, comme en témoignent des enquêtes qui s’éternisent depuis des années, indique un manque de volonté d’aller au fond des choses. La police non plus n’agissait pas avec diligence pour conclure les enquêtes qu’elle avait commencées.

Dans le sillage du changement politique du 10 décembre dernier, le public était devenu impatient face à la lenteur ou l’inaction des autorités publiques à sévir contre les fraudeurs de tous poils qui sont responsables de nombreux scandales financiers qui ont souillé la réputation du pays en 2014-2024. Le public avait l’impression que la notion d’imputabilité, qui implique le devoir de rendre compte de ses décisions et de ses actes, avait perdu tout son sens dans le secteur public.

Il fallait que le nouveau gouvernement donne un signal qu’il entendait prendre les taureaux par les cornes dans la répression des crimes financiers. On aura beau parler d’Etat de droit, lequel implique le respect des procédures légales et le souci d’éviter un empressement qui indiquerait un désir de vengeance plutôt que la recherche de la justice, mais le public désabusé veut des résultats. Il veut trouver des criminels à col blanc derrière les barreaux…

Voix conservatrices

Certes, il y aura des voix conservatrices ou bien-pensantes dans les médias et les milieux d’affaires qui évoqueront la présomption d’innocence, ce principe sacro-saint de l’Etat de droit, pour mettre les autorités en garde contre tout abus de procédure. Avant le retour au pays de l’ex-gouverneur Seegoolam après des vacances à l’étranger, elles parlaient de la nécessité d’éviter une arrestation de la personne afin de sauvegarder la réputation du secteur bancaire à Maurice. Ils brandissaient l’épouvantail d’une baisse de notation du pays par l’agence internationale Moody’s s’il y avait une arrestation arbitraire susceptible de miner la confiance dans l’autorité bancaire. Pourtant, ces mêmes voix n’avaient rien trouvé à redire lorsqu’un autre ancien gouverneur (Manou Bheenick) de la Banque centrale fut arrêté en 2015 sous une charge provisoire. Ou lorsqu’un ancien Premier ministre (Navin Ramgoolam) fut arrêté dans des circonstances indignes de son statut sous le gouvernement MSM.

Il est sans doute au crédit de la Banque centrale, société-mère de la MIC, de référer à la police (Anti-Money Laundering Unit du CCID) un cas allégué de détournement de fonds de Rs 45 millions aux fins d’enquête et de poursuite au pénal. Pourquoi une firme (Pulse Analytics), qui faisait des sondages peu fiables, et donc controversés, avant les élections, méritait une aide de la MIC dépasse l’entendement. Mais la question la plus fondamentale est : est-ce que cette affaire n’est pas l’arbre qui cache la forêt en ce qui concerne les investissements de la MIC dans des sociétés privées (par voie d’achats d’actions, d’obligations d’entreprise ou d’achats d’actifs) dans des circonstances opaques ?

Transparence nécessaire

La transparence financière, une norme de bonne gouvernance, exige que tous les marchés publics attribués par l’Etat et tous les contrats conclus avec des parties privées qui impliquent l’usage de fonds publics soient révélés et soumis à l’examen du Parlement et de la société civile. Comme nous l’avons expliqué dans un précèdent article (« La MIC, une société privée opérant avec des fonds publics », paru dans notre édition du 13 décembre 2024), la confidentialité des transactions bancaires ou contractuelles est un argument fallacieux qui ne saurait être utilisé pour refuser de divulguer des transactions d’intérêt public entre la MIC et des sociétés privées parce qu’il s’agit de fonds publics. Il ne faut pas confondre confidentialité bancaire (entre une banque et son client) et transaction contractuelle entre la MIC (une société d’intérêt public) et une entreprise privée.

En effet, toute l’attention publique est braquée sur une affaire de Rs 45 millions alors que la MIC a investi Rs 53,8 milliards dans 60 sociétés, dont certaines ont reçu Rs 2 milliards (exemples : Medine Ltd et Long Beach Resort Ltd) ou Rs 2,5 milliards (New Mauritius Hotels) sans que l’on connait les conditions attachées à ces déboursements de fonds faramineux. Si Pulse Analytics semble être est le fruit le plus bas à cueillir sur l’arbre, il y a des fruits en hauteur (grosses sociétés) qui demandent une attention particulière vu les gros montants dont ils ont bénéficié. Sous ce rapport, des questions pertinentes se posent :

  1. Dans les cas où la MIC a souscrit à des obligations d’entreprise, il faut connaître le taux d’intérêt payable (3% ou plus) par rapport au taux bancaire par l’entreprise émettrice.
  2. Quelle partie de ces obligations a été remboursée et la partie non-remboursée est-elle récupérable ?
  3. Dans les cas où la MIC a acheté des actions d’entreprise, quelle est la valeur de ces actions (prix coté en Bourse ou prix déterminé en fonction du dernier bilan financier de l’entreprise) ? Selon le bilan financier de la MIC au 30 juin 2024, l’investissement de Rs 25 milliards dans la compagnie Airport Holdings Limited a subi une baisse de valeur de Rs 1, 78 milliards.
  4. Quel est le montant des dividendes reçus pour chaque entreprise où la MIC est actionnaire ? Le bilan financier de la MIC pour l’exercice se terminant au 30 juin 2024 fait état d’un montant global de dividendes de Rs 490 millions.
  5. Dans les cas où la MIC a acheté des actifs (terres et immeubles) appartenant à des entreprises, comment ces actifs furent évalués (au prix de marché ou à un prix fixé par le vendeur) ? Quelle est la valeur actuelle de ces actifs par rapport aux prix d’achat ? Le cas des terres acquises de la compagnie Médine pour Rs 2,5 milliards est particulièrement pertinent.

Autres scandales

L’affaire de Rs 45 millions suivra le cours normal devant une Cour de justice. Il faut s’attendre à un jugement de la Cour intermédiaire suivi d’un appel devant une instance supérieure. Cela prendra des années, comme on a l’a vu dans l’affaire Medpoint. En attendant, les institutions d’investigation (la police, la FCC) devraient revoir leurs modes opératoires afin de garantir que les enquêtes sur les crimes financiers soient menées avec diligence avec un œil sur la recherche de résultats concrets, et ce, dans le respect des lois.Read More… Become a Subscriber


Mauritius Times ePaper Friday 10 January 2025

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