Le civisme : Le grand absent de la société mauricienne
|Le civisme, c’est la connaissance de ses droits et de ses devoirs en société. Pour vivre au milieu d’une foule d’autres personnes, de manière organisée, il faut des règles, des règlements et des lois. Il existe aussi ce que l’on appelle des conventions – des habitudes prises car elles étaient bonnes et apportaient le respect des uns des autres. Certains poussent la réflexion un peu plus loin : le civisme, c’est le fait d’aimer son pays, sa patrie.
Un voyageur visitant n’importe quel coin de Maurice, ville (Port-Louis, Vacoas, Curepipe, Rose-Hill, Beau-Bassin) ou grand village (Mahebourg, Goodlands, Flacq), est frappé par l’absence de civisme des Mauriciens, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes. Il y a bien quelques exceptions mais ils deviennent de plus en plus rares. Les biens publics sont donc en danger tout comme la vie de beaucoup de Mauriciens à cause de l’incivisme.
Quelques exemples au hasard
Gares d’autobus: Evoquons quelques exemples quotidiens dans les grandes gares (Rose-Hill ou Port-Louis) ou sur les routes nationales. Les piétons traversent n’importe où et n’importe comment. Le passage clouté (cross-here) et les robots affichant trois couleurs (rouge-orange-vert), qui fonctionnent parfaitement, sont souvent ignorés par les chauffeurs de véhicules et aussi par les piétons. Les risques d’accidents sont nombreux. Et certains parents, accompagnant leur enfant en bas-âge, qui ne respectent pas eux-mêmes le feu rouge pour les piétons ?
Trottoirs : Certains bavardent sur le trottoir. Ils occupent l’espace de telle sorte que d’autres Mauriciens doivent attendre la fin de leur dialogue pour se frayer un chemin. Parfois, certains s’expriment avec des gesticulations extraordinaires. Et il leur arrive même de donner un coup de bras sur la poitrine ou le visage ou le nez du piéton qui, pour son malheur, se trouve dans les parages au mauvais moment.
Poubelles : S’il y a des poubelles à un endroit quelconque, celles-ci ne conservent pas longtemps leur forme originale. Soit quelqu’un ou un groupe brise la poubelle en mille morceaux ou alors celle-ci disparaît de son emplacement comme par magie.
Murs des écoles : Souvent, les murs bordant les établissements scolaires sont tagués, voire l’on peut y lire des gros mots. La plupart du temps, il y a aussi des détritus aux abords des lieux.
Abribus : De plus en plus, dans certaines villes, les abribus subissent le même sort par des taggeurs tandis que les sièges des autobus semblent bénéficier d’un certain répit (sauf pour ceux qui se trouvent complètement à l’arrière du véhicule, où certains collégiens s’y défoulent totalement, surtout lorsqu’ils ont subi une déception amoureuse.)
Toilettes publiques : Il est très difficile de concevoir le fait que le Mauricien moyen garde son environnement privé (sa maison, sa cour) toujours propre, mais il ne respecte pas des lieux comme les toilettes publiques… Il suffit de penser à l’odeur nauséabonde qui se dégage habituellement de ces lieux quand le service est gratuit…
Détritus : Dans la région de la Cybercity à Ebène, beaucoup de jeunes travaillant dans différents secteurs possèdent au moins le diplôme du HSC. Pourtant, l’arrêt d’autobus est souvent jonché de détritus qui s’envolent et envahissent les bas-côtés des routes, des chemins et des sentiers, donnant souvent l’air d’un grand dépotoir en plein air avec bouteilles et verres en carton ou en plastique, canettes, emballages divers et variés, sacs en plastique, carte de téléphone, restes de fast-food, … De plus, l’on y retrouve des gens en voiture qui jettent systématiquement des détritus par la vitre de leur véhicule. Si l’on observe attentivement le chauffeur au volant, l’on constate souvent que cette personne détient un diplôme universitaire : c’est un cadre.
Voilà un autre phénomène choquant qui existe chez certains jeunes, incluant ceux qui sont en milieu universitaire. Ils utilisent des mouchoirs en papier qu’ils jettent n’importe où, sauf dans une poubelle. D’autres n’ont même pas de mouchoir (en tissu ou en papier). Quand ils sont enrhumés, ils essuient l’écoulement de leurs fosses nasales au moyen de la manche de leur tee-shirt en surélevant légèrement leur épaule vers leur nez… Il va sans dire que l’éternuement n’est pas accompagné du geste civique de se couvrir la bouche avec un mouchoir, ou à défaut, des doigts ou de la paume de la main.
Quelques questions
Force est de constater que ceux qui manquent de civisme sont en train de devenir les modèles à suivre, surtout pour les petits. D’où provient ce laisser-aller dans le comportement qui se systématise pour devenir naturel et acceptable par la majorité ? Comment se fait-il que les jeunes acceptent que des détritus enlaidissent les lieux publics ou qu’ils soient malpolis envers des adultes sans se poser de questions ?
Les parents
Revenons aux Mauriciens qui sont les enfants de l’indépendance et qui ont la quarantaine aujourd’hui. Ils sont, pour beaucoup, dans le monde de l’enseignement. Leurs propres enfants ont presque quitté l’adolescence et, dans quelques années, ils deviendront eux-mêmes parents.
Quelque chose a dû se passer pour que parents et enfants aient si peu conscience de l’importance du civisme. Il s’agit d’identifier ces causes et d’y remédier rapidement. Tout porte à croire que les parents ont accordé tous les droits à leurs enfants. Issus majoritairement de la classe ouvrière et du Lower Middle Class, ils ont surprotégé leurs progénitures. Ils ne voulaient pas qu’ils travaillent autant qu’eux pendant leurs études, et qu’ils connaissent les mêmes formes de discipline stricte que leurs propres parents leur avaient infligées. Malheureusement, beaucoup de parents ont oublié que les droits sont obligatoirement accompagnés de devoirs, envers soi-même, sa famille, sa fratrie, son environnement immédiat et la société. Ils se sont tournés vers les leçons particulières pour que leurs enfants aient une meilleure éducation académique. Mais, ce faisant, au fil des années, nous avons perdu collectivement le sens des priorités en éducation. Nous avons négligé le développement global des enfants et nous avons éliminé des pans essentiels du curriculum scolaire, comme le civisme… Peut-être est-ce là un syndrome affectant tous les « anciens pauvres » ? Mais si les parents, aujourd’hui, ne se mettent pas à enseigner l’application du civisme dans la vie quotidienne, alors comment alors nous faire pour assurer le vivre-ensemble dans la société mauricienne ? Et, par ricochet, développer la capacité à résoudre des problèmes relationnels (que les jeunes ne savent malheureusement plus faire aujourd’hui) ?
L’école primaire des années 1968-1978
A cette époque-là, les enseignants de l’école primaire étaient formés par le Teacher’s Training College. Les enseignants recevaient une formation d’un excellent niveau, ce qui permet à la République de Maurice, encore aujourd’hui, de maintenir plus ou moins la tête hors de l’eau. Toutefois, le nombre d’émules de ces enseignants est en diminution constante…
A l’époque, le « Civics Education » était obligatoire et figurait sur chaque emploi du temps. A l’école primaire Rémy Ollier, chaque matin, en Standard II, l’institutrice vérifiait le mouchoir et les ongles de chaque élève. D’ailleurs, il était impossible d’oublier son mouchoir à la maison car celui-ci était accroché au moyen d’une épingle à la robe. En Standards III, IV et V, on apprenait les « Règles d’or du petit piéton » : se comporter correctement sur la voie publique, respecter le code de la route, comprendre les dangers associés aux comportements déviants de la norme. D’ailleurs, plusieurs rédactions traitaient des accidents de la route ou des accidents domestiques.
Et puis, il y avait l’apprentissage de la discipline au sein de l’institution. Mais il faut aussi relever le fait que les directeurs d’établissement étaient différents tant par leur attitude que leur comportement… D’abord, ils avaient le sens de la responsabilité et ils étaient toujours sur le terrain, à l’écoute des uns et des autres. Ils inspiraient le respect probablement par ce qui se dégageait en eux de leur conception de ce métier et de la responsabilité morale qu’ils y associaient de facto. Somme toute, un directeur d’établissement était à la fois un leader incontesté, un gestionnaire hors-pair, un HR juste, et un ex-enseignant compétent. S’ils ne partageaient pas les valeurs de quelqu’un, ils demeuraient tolérants et n’utilisaient aucun moyen subversif pour nuire à la personne par méchanceté.
Du côté des enseignants, il s’agissait de procurer une instruction scolaire aux enfants de la nation mauricienne libre et indépendante avec les faibles moyens du bord. Donc, il était hors de question de se plaindre. Ils étaient au service de la collectivité et l’enseignement du civisme, entre autres, faisait partie intégrante de leur « duties ». Par leur exemple, les jeunes découvraient le sens profond du civisme, l’importance des gestes simples (se mettre dans une file d’attente, ne pas faire de bruit quand quelqu’un parle) ou des faits complexes (avoir recours aux valeurs fondamentales pour maintenir la paix sociale et le respect de la justice et de la vérité, respecter les droits fondamentaux de chacun, promouvoir l’absence de discrimination).
Pour conclure
Le monde scolaire, à Maurice, a-t-il un problème identitaire ou un problème de compétences ? D’abord, il est grand temps de réfléchir sur les dérives des leçons particulières qui ont fait de l’éducation gratuite, une farce. Ensuite, les autorités mauriciennes, les PTA et les syndicats ne doivent plus dissimuler les difficultés de gestion de plusieurs établissements et/ou de compréhension des jeunes en milieu scolaire ? Paradoxalement, dans une République qui a perdu le sens du civisme, c’est uniquement le travail collaboratif qui aidera à sortir de l’impasse.
Au 21e siècle, l’enseignement n’est pas une vocation mais une profession. Il s’agit maintenant, pour nous, Mauriciens, de valoriser collectivement le métier de parent, de directeur d’établissement et d’enseignant, de formateur de formateurs en fournissant à chacun les nouvelles compétences requises pour mener à bien sa mission éducative. Nous parlons de trois métiers d’autorité et il est important que toute une génération de Mauriciens apprenne à exercer une autorité d’adulte sur les élèves et les adolescents – c’est une qualité fondamentale.
Certains chercheurs ont énuméré douze autres habiletés : (1) capacité d’analyse pour déterminer les éléments-clés d’un problème (2) capacité à identifier les besoins éducatifs et à établir les priorités (3) capacité à organiser (4) capacité de décider (5) capacité de diriger et d’interagir avec un groupe – leadership (6) capacité à résoudre des conflits en tenant compte des émotions d’autrui (7) tolérance au stress (8 & 9) capacité de communiquer efficacement à l’oral et à l’écrit (10) capacité à participer activement à la vie de la société et aux débats – être cultivé (11) capacité à s’auto-discipliner et à entreprendre l’auto-formation par l’auto-motivation (12) capacité de s’inspirer du passé et de rester ouvert à l’innovation – posséder des valeurs éducatives intégrées.
Combien de temps encore la majorité des étudiants mauriciens – futurs enseignants et directeurs d’établissement, et/ou futurs parents – quitteront-ils les institutions tertiaires sans ces capacités ? Telle est la question soumise à la collectivité. Faudrait-il un NICE 2 (National Institute for Civic Education) pour eux, activé automatiquement à la fin de leur première année et obligatoire pour tous ?
* Published in print edition on 4 July 2014
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