Sortir du cycle de la violence ou imploser : Avons-nous une autre option ?

La violence est considérée par certains spécialistes comme un appel au secours ou une quête de sens. Souvent, les humains ne peuvent pas s’exprimer correctement ou ils n’arrivent pas à s’exprimer du tout. Cette situation donne naissance à un conflit intérieur et ouvre les portes à la violence. La violence représente alors le seul moyen de ne pas souffrir, que ce soit pour l’enfant, l’adolescent ou l’adulte.

A Maurice, certains phénomènes associés à la violence ressemblent à ceux qui ont cours dans d’autres parties du monde. Commençons par l’enfant-roi. A Maurice, beaucoup de parents n’ont pas suffisamment de caractère pour diriger leur enfant. Ils n’osent même pas leur dire « non » car ils ont peur des réactions de leur progéniture. Pourtant, nous savons tous qu’un enfant a besoin de guide ou de tuteur pour se former. Les frustrations et les interdits aident un enfant à faire la différence entre le bien et le mal. Il se trouve que – normalement – les parents véhiculent des valeurs. C’est à travers des règles bien établies à la maison que l’enfant développe le sens moral et comprend la différence entre le bien et le mal.

Auparavant, à Maurice, la maman était responsable du foyer familial et le père s’occupait de tout ce qui était administratif. Et il se rendait aussi à l’école de son enfant pour parler à l’enseignant si nécessaire. Aujourd’hui, la société a changé et la maman travaille. Elle a cédé certaines responsabilités familiales au papa, ou alors, les deux parents se déchargent de leurs responsabilités familiales en affirmant haut et fort que l’école, seule, est responsable de l’éducation de leur enfant…

Dans ce contexte, l’enfant est en perte de repères. Il n’a pas en face de lui, l’image attendu du papa en tant que Responsable des règles de vie et Figure d’autorité. Et puis, il y a le cas des familles avec un seul parent – papa ou maman. Parfois même, et surtout en milieu ZEP et pré-voc, l’enfant ne vit plus avec ses parents biologiques. Les frontières n’existent plus sur le plan de la sexualité puisque, somme toute, l’enfant vit avec des étrangers. Dès lors, cela donne naissance à l’inceste en cas de violence, soit du côté du père/du beau-père qui veut à tout prix avoir le contrôle d’un enfant qui n’est pas le sien OU du côté de l’enfant-adolescent qui va vouloir utiliser l’acte sexuel comme une arme contre d’autres personnes de la famille, sœur/demi-sœur, frère/demi-frère, ou autres membres de la fratrie composée avec lesquels il n’a aucun lien biologique… Il n’est pas étonnant qu’à Maurice, il y ait tant de filles-mères.

Dans leur environnement, certains de ces enfants ont recours à ce qu’ils considèrent comme des jeux – taquiner un autre enfant timide jusqu’au point de l’immoler, par exemple. En milieu scolaire, en pré-voc, ou ailleurs, certains jeunes ont recours à des jeux sexuels – attouchements ou autres formes de jeux qu’ils voient sur les sites internet avec la violence qui accompagne allégrement ces vidéos sans aucune forme de censure…

Le passage à l’adolescence

Le passage à l’adolescence est une période difficile et cela ne facilite pas la vie des jeunes dans le monde contemporain. C’est la période de crise au sein de la cellule familiale et les parents doivent effectuer la transition pour accepter un jeune adulte qui a ses propres idées et ambitions. Dans le cas de parents qui n’ont jamais pu diriger leur enfant, ils se laissent envahir par la violence se dégageant de l’adolescent – violence dans le comportement inhabituel, la tenue vestimentaire, la coiffure ou violence verbale, voire physique (certains adolescents frappent leurs parents)…

La fin des examens du cycle secondaire représente un calvaire pour beaucoup d’adolescents. Ils ne savent plus comment s’y prendre pour vivre ou pour changer de vie car ils n’ont pas de repères. Les jeunes se plaignent du manque de communication avec leurs parents… Il se pourrait aussi que les parents soient si perdus qu’ils ne savent pas comment s’y prendre avec leur adolescent. Et ils préfèrent garder un silence de mort tandis que le jeune se perd de plus en plus dans les dédales du passage de l’adolescence vers la phase de jeune adulte en perdition…

Au moment des examens de CPE, certains parents sont plus stressés que leur enfant lui-même. Parfois, ils apprennent à leur enfant que les règles et règlements sont faits pour être brisés. Ils doivent apprendre à naviguer en rentrant en compétition avec les cousins et les cousines, voire les frères et sœurs… Tous les coups sont permis à partir du moment où ils réussissent leur CPE… D’ailleurs, certains parents leur promettent des biens matériels comme un voyage en Europe, un voyage à Rodrigues, des games, des ordinateurs…

L’adolescence est le moment de la contestation des règles. Quand il n’y a aucune règle, alors les enfants et les adolescents se plaisent à goûter aux plaisirs faciles : la drogue, les joints, l’alcool, le sexe… Visitez les boutiques des villages, juste après la fin d’une journée au collège, et admirez la décadence ! Tous ces jeunes en uniforme qui boivent de l’alcool sans aucun interdit, un verre de rhum blanc avec une tranche de limon/citron à la main… Avec les leçons particulières, les jeunes sont mobiles. Ils ne consomment pas forcément à la boutique de leur village…

Qu’importe ! Il est frappant de constater la manière dont ils imitent le comportement des adultes… Allez-vous me dire que les « Village Councillors » et les « District Councillors » ne sont pas au courant de cela ? Et les parents et les autres villageois ? Et les associations dites religieuses ou socio-culturelles, alors ? Que dire de ce silence du monde des adultes dans les villages ? Et que dire de toutes ces annonces dans les journaux tous les jours où l’on demande l’ouverture de « retail shops with sale of liquor » ? Combien de ces « liquor shops » va-t-on ouvrir dans ce pays et pour vendre de l’alcool à qui ?

Comment pourrait-on en vouloir à un jeune qui se sent mal dans sa peau et qui s’oppose à ses parents avec violence ? Dans le monde scolaire, comment les enseignants feront-ils pour enseigner les valeurs à ce jeune ? Que pourrait entreprendre le monde scolaire quand beaucoup de jeunes ont appris depuis l’enfance à vivre dans le paraître et à obtenir autant de biens matériels qu’ils peuvent par n’importe quel chemin, sans aucun souci de la moralité ? Que pourrait faire le monde scolaire face à ce double discours – le discours de la maison qui dit que tout est permis et l’école qui dit que certains interdits sont nécessaires ?

Certains jeunes rapportent des cas graves pour ce qui relève de l’irresponsabilité parentale et ils donnent la mesure de la dégradation morale de notre société, dans les villes aussi bien que dans les villages. Ils rentrent à la maison, ivres, car ils ont bu de l’alcool ou ils ont fumé de l’herbe ou encore ils se sont shootés. La rentrée dans l’alcoolisme ou dans la toxicomanie est d’abord un moyen d’attirer l’attention sur soi et sur sa crise d’adolescence ou identitaire. C’est une forme de violence perpétrée directement sur soi-même.

Malheureusement, ces mêmes jeunes deviennent accros à l’alcool et à la drogue parce que leurs parents ne les remarquent même pas. Le jeune rentre chez lui, il a les yeux rougis ou il marche en titubant. Au fond de lui, il compte sur une réaction violente de ses parents pour se ressaisir. Toutefois, il est souvent seul en rentrant et donc, il y aura aucun regard critique sur lui et personne ne le soutiendra pour panser les plaies psychologiques naturelles de son âge. Parfois, les parents préfèrent penser qu’il ne s’est rien passé. Le jeune ira se coucher dans sa chambre et les parents utiliseront le prétexte suivant : « Mon fils sort des leçons particulières. Il est fatigué. Il est parti se reposer dans sa chambre. »

Face à l’indifférence des adultes, plusieurs jeunes se jettent littéralement sur les réseaux sociaux. Certains se vantent de leurs capacités à transgresser les règles – c’est de la violence verbale. D’autres filment des scènes de violence pour bien montrer une agression physique sur une personne fragile et vulnérable. D’autres filment les ébats sexuels avec leur petite amie du jour et transmettent la vidéo par téléphone à tous les potes du village et du monde entier… Cela s’appelle le happy slapping.

Le sentiment de vide affectif

Le sentiment de vide affectif est très présent en contexte mauricien. Les parents font souffrir les enfants en se concentrant uniquement sur leurs études et les examens de CPE, SC et HSC, comme si l’enfant n’est pas un être humain mais un robot. Les jeunes ne le montrent pas mais ils sont brisés affectivement quand ils n’arrivent pas à répondre aux désirs des parents et à accéder à un star college. Ils se considèrent comme des collégiens de dernière zone et leur motivation pour apprendre disparaît peu à peu. Ceci explique partiellement le dilettantisme de nombreux jeunes intégrant les universités mauriciennes alors qu’une bonne partie de la crème intellectuelle a quitté le pays pour ne jamais revenir…

A la fin des examens de CPE, SC et HSC, plusieurs adolescents souffrent de dépression mais les adultes, autour d’eux, ne le voient pas. Malgré de nombreux appels des professionnels – psychologues et pédagogues – la société mauricienne n’a pas su prendre les mesures correctives à temps. Ainsi, dans le milieu tertiaire, le nombre d’étudiants dépressifs et autres malades psychologiques est en train d’augmenter exponentiellement… Passer de l’Enfant-Roi à l’Adulte-Ethiquement Responsable quand on n’a aucun repère, cela relève d’un travail de Titan.

A Maurice, nous réglons rarement les problèmes à travers une bonne planification. Nous utilisons les fire-fighting strategies. Et nous en sommes très fiers… Malheureusement, les problèmes de société ne pourront pas être résolus de cette façon… Le mal-être ronge de plus en plus les jeunes. Le monde virtuel des ordinateurs est un monde sans vie – tel est le monde de beaucoup de jeunes Mauriciens et de jeunes Rodriguais…Ce qui explique un autre phénomène de notre société : le suicide. C’est l’ultime moyen de dire : « Ecoutez-moi, j’ai un problème, je suis en souffrance… » Les parents, eux, diront : « Mon enfant était normal, il/elle aimait rire ; il/elle aimait la vie. Je ne comprends pas. »

Dans le passé, une certaine ONG « religieuse » est passée à la MBC TV pour dire que tout va bien dans les familles mauriciennes. A chacun d’assumer la responsabilité de ses paroles… Pour beaucoup de pédagogues, ça ne va pas bien. Le socle des valeurs est brisé depuis longtemps au sein des familles. Nous avons basculé dans un matérialisme omniprésent qui nous affecte beaucoup. Cela a une emprise négative sur la vie quotidienne et les pratiques religieuses. Prenons un seul exemple, parmi tant d’autres. Pourquoi les pèlerins augmentent-ils la taille des « kanwars » lors de la fête de Maha Shivaratree chaque année ? A quoi cela sert-il de faire une telle démonstration ? Et c’est une démonstration de quoi exactement ? Et que font les associations religieuses et socio-culturelles pendant toute une année pour éduquer leurs ouailles et leur expliquer que Dieu ne demande jamais une telle démonstration matérielle pour exprimer la foi ?

Les Mauriciens, laïcs et religieux, ont failli. Soit les Mauriciens sont paresseux et ils préfèrent éviter les problèmes en faisant comme si tout allait bien, OU alors, nous sommes passifs parce que nous n’avons ni la capacité d’analyser notre société en profondeur, ni la capacité de prendre correctement en charge nos enfants. Et dire que nul ne peut sortir du cycle de la violence sur l’autre ou sur soi-même, sans l’aide d’autres humains et un encadrement irréprochable. La République de Maurice serait-elle en panne à cause du brain-drain ? Si tel est le cas, que faudrait-il entreprendre pour inverser le cours des choses et introduire de nouveau l’éthique et le sens de la responsabilité dans chaque foyer mauricien ? Comment faire pour apprendre à nos enfants que les valeurs ne sont pas flexibles, sauf si l’on veut cultiver l’immoralité, l’égoïsme et la réussite matérielle sans aucune forme d’humanité en soi ?

 


* Published in print edition on 14 June 2013

An Appeal

Dear Reader

65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.

With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.

The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.

One Comment

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *