Vers une Entité Mauricienne

Mauritius Times – 60 Years

Discours de M. Georges Robert

Nous vivons en ce moment line de périodes les plus critiques de notre histoire : pendant de longues années les Européens, Anglais et Français, ont administré notre île, assumant toutes les responsabilités et jouissant de tous les privilèges.

Mais aujourd’hui que chaque communauté a pris conscience de ses droits et les a réclamés, nous avons à faire face à deux dangers : d’une part, l’anarchie, où chacun essayera de gouverner et d’imposer son point de vue, et d’autre part une hégémonie qui menacerait certaines sections de la population.

Ces deux situations ne peuvent être évitées que si chacun de nous réalise qu’en s’appelant Mauricien et en décidant de vivre sur cette île, il a assumé des responsabilités envers les autres. J’ai déjà entendu certaines personnes soutenir que le terme “Mauricien” ne veut rien dire. Ces personnes malheureusement vivent le plus souvent dans l’irréalité; ils se disent Français, Indiens ou Chinois alors qu’ils n’ont pas vraiment autant en commun avec les habitants de leur terre-mère. Nous avons certes gardé un attachement à la terre de nos ancêtres et une affection pour elle : elle nous a légué ses belles vieilles coutumes, ce qui fait que notre façon de vivre est orientale ou occidentale. Mais nous avons également assimilé quelque chose des communautés autres que la nôtre, et aussi de la pensée et des coutumes anglaises, surtout à l’école où nous devons apprendre cette langue comme si elle était notre langue mère.

Mais aujourd’hui plus que jamais nous sentons que nous avons bâti avec nos traditions différentes une nouvelle tradition, essentiellement mauricienne. C’est là-dessus réellement que nous pourrons ériger une entité mauricienne.

Certes, il y aura beaucoup à oublier et beaucoup à pardonner. Ceux-là qui évoquent les querelles passées avec trop d’insistance n’agissent pas en vrais Mauriciens. Nous nous devons de réaliser que nous avons eu mille fois tort de vivre si près l’un de l’autre sans comprendre que nous ne sommes qu’une seule grande famille. Nous devons unir nos efforts afin de créer un pays unifié plutôt que de penser à imposer notre point de vue aux autres. La contribution de la communauté blanche à cette entité mauricienne pourrait être très considérable : nous détenons une grande partie des biens du pays et vous savez que si l’argent peut beaucoup pour le mal, il peut aussi beaucoup pour le bien.

Mais à part l’argent nous pouvons également nous connaitre et apprendre à nous estimer davantage. Nous devons mettre de côté tous nos préjugés raciaux : en le faisant je suis persuadé que l’exemple que nous donnerons sera vite suivi. Nos écoles ont déjà accompli énormément dans ce sens et peuvent parfaire la tâche qu’elles ont entreprise. Les années que j’ai passées au Collège Royal m’ont permis de connaitre la mentalité et la pensée des diverses communautés de l’ile. Je me suis familiarisé avec leurs coutumes, et en ayant pour camarades des écoliers qui n’étaient pas de ma communauté, j’ai compris que j’avais plus en commun avec eux qu’avec des petits Français.

J’ai aussi compris que j’avais une certaine responsabilité à assumer en choisissant de vivre dans ce pays. Tout en me souvenant que mes ancêtres étaient Français et tout en aimant la France, il m’importait avant tout de m’associer à mes vrais compatriotes et de leur montrer que je voudrais collaborer avec eux afin qu’ensemble nous puissions assurer au pays un avenir meilleur.

Nous ne pouvons pas vivre dans l’irréel et nous imaginer en terre étrangère, car nous ne pourrons accomplir rien de constructif pour l’ile Maurice comme pour la patrie de nos ancêtres. Nous devons faire face aux réalités présentes et agir, car “être homme,” dit St Exupery, “c’est sentir qu’en posant sa pierre on contribue à bâtir le monde.”

Sans doute est-il bon que ceux d’entre nous qui ont eu l’habitude de vivre en occidentaux ou en orientaux continuent de le faire : car une entité mauricienne est obligée de prendre compte de certaines différences qui existent entre les Mauriciens. Mais ce qu’il faut, c’est que nous apprenions à nous mieux connaitre.

Si des éléments si divers doivent coexister d’une manière pacifique, ils se doivent d’avoir un esprit large et ouvert, toujours au courant des idées et de la psychologie des autres; ils se doivent de maintenir entre eux des contacts susceptibles d’enrichir leur personnalité et de développer leur esprit de compréhension.

Nous n’arrivons pas à nous entendre souvent parce que nous ne sommes pas assez au courant de la tournure d’esprit des membres des autres communautés que la nôtre pour pouvoir saisir leur point de vue. Nous les ridiculisons ou bien nous nous mettons en colère contre eux. Mais nous ne songeons pas que si nous avions fait l’effort de les étudier de plus près, nous aurions pu facilement sympathiser avec eux.

C’est pourquoi il est de première importance que nous suivions tous à l’école plus ou moins les mêmes cours. Si certains se mettent à apprendre une langue orientale pendant que d’autres apprennent une langue occidentale, cela consacrera entre nous des divisions qu’il sera difficile d’abolir. Nous avons vu récemment combien il était difficile de choisir les langues que nous devions étudier à l’école; mais le fait certain est que nous aurons à fixer un choix très bientôt.

Le travail d’unification se trouvera sérieusement compromis si l’on nous divise à l’école, car les premières impressions de jeunesse sont difficilement effaçables. Tout cela demande beaucoup de compréhension mutuelle plus facile à prêcher qu’à réaliser. Nous avons aussi à compter avec ceux de nos différentes communautés qui sont extrémistes. Mais si nous pouvions réunir nos meilleurs éléments, l’entité mauricienne serait en voie de progrès.

La JIC nous a donné un exemple ce soir : continuons cette œuvre en tâchant de coordonner nos efforts, de nous réunir plus souvent dans le but de créer finalement une grande organisation qui pourrait combattre efficacement le nationalisme et faire triompher la cause du mauricianisme. Ceux d’entre nous qui ne sont pas prêts à se sacrifier pour cet idéal ne sont pas dignes du nom de Mauriciens et par conséquent n’accomplissent pas un des grands devoirs dont nous avons à nous acquitter ici-bas : celui d’être de bons citoyens.

5th Year – No 199
Friday 30th May, 1958


Mauritius Times ePaper Friday 5 August 2022

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