Une troisième alternative est-elle viable à Maurice ?

Elections générales

Sans une réforme électorale qui puisse mettre fin au système de FPTP en introduisant une dose de proportionnelle, une troisième alternative viable et crédible tardera à émerger sur la scène locale

Par Aditya Narayan

Un développement inattendu est survenu sur la scène politique la semaine dernière : la formation d’une nouvelle alliance politique nommée « Linion Reform », qui regroupe le Reform Party de Roshi Bhadain et Linion Moris du tandem Bodha-Valayden en vue de contester les élections générales du 10 novembre 2024. Cette nouvelle alliance se présente comme une troisième force entre les deux blocs traditionnels opposés, notamment l’Alliance du Changement (PTr-MMM-ND-ReA) et l’Alliance Lepep (MSM-PMSD-autres alliés), qui dominent l’échiquier politique.

Les deux partenaires de Linion Reform se partagent les tickets de façon égale (30-30) ainsi que le mandat de premier ministre, dont la première moitié serait occupée par le leader de Linion Moris (Nando Bodha), suivie de l’autre moitié par le leader du Reform Party (Roshi Bhadain). Cette reconfiguration de l’échiquier politique à quelques jours de la date du dépôt des candidatures (le 22 octobre) entraine deux questions :

Une troisième alternative dans un système politique historiquement bipolaire est-elle viable, compte tenu du système électoral majoritaire à un tour (First Past The Post – FPTP) qui favorise les grands partis ?

  1. Y a-t-il un appétit chez l’électorat pour une troisième voie entre deux blocs traditionnels puissants au moment où l’enjeu des élections est hautement stratégique (le changement versus le statu quo) ?

Clarté politique

La création d’une troisième force a sans doute pour mérite d’apporter plus de clarté sur la scène politique, qui était marquée jusque-là par une multitude de partis à gauche, à droite et au centre de l’échiquier. La variété des manifestes électoraux de tous ces partis avait donné lieu à un imbroglio politique dans lequel l’électeur lambda perdait son latin. En effet, depuis quelque temps, de petits partis avaient lancé le slogan “Ni Pravind ni Navin” (renvoyant dos à dos le Premier ministre et son challenger direct) sans pouvoir dégager une plateforme commune entre eux. Linion Moris avait graduellement élargi ses rangs en s’adjoignant d’autres groupuscules et elle était partie pour être le principal parti d’opposition extra parlementaire (bien que son chef désigné Nando Bodha était un député). De son côté, le Reform Party se posait comme un parti farouchement indépendant et sans aucune volonté de compromettre sa liberté d’action. Ces deux partis se sont finalement rendu compte que faire cavalier seul ne leur donnait aucune chance aux élections dans notre système électoral.

La nouvelle alliance n’aura pas la partie facile face aux deux blocs aguerris qui ont chacun un électorat fidèle. A moins d’un miracle politique, Linion Reform n’est pas en mesure de gagner le pouvoir seul. Dans la meilleure hypothèse, elle pourrait faire élire certains candidats dans les villes en surfant sur le désir de changement de l’électorat. Dans la pire hypothèse, elle diviserait les voix de l’opposition, ce qui ferait le jeu de l’alliance gouvernementale. Théoriquement, il n’est pas impossible qu’une troisième force rafle la mise, comme on l’a vu en France lorsque le parti centriste d’Emmanuel Macron avait gagné les élections législatives en se frayant une voie vers la victoire entre la droite et la gauche.

Mais cette expérience française est unique dans le monde dit libéral car aucun autre pays n’a pu faire élire un troisième parti au pouvoir entre la gauche et la droite. Dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Royaume Uni, Canada, etc.), la bataille électorale demeure bipolaire entre Conservateurs (ou Républicains) et Libéraux (ou Démocrates). Un troisième parti, par exemple les Verts, n’arrive pas à s’imposer sur la scène. Aux Etats-Unis, par exemple, la bataille est rude entre le candidat républicain (Trump) et la candidate démocrate (Harris) en vue de l’élection présidentielle du 5 novembre alors que le candidat du parti des Verts (Stein) a un soutien électoral marginal.

Brève expérience

A Maurice, notre expérience avec une troisième force a été très brève. La seule fois où les élections ont été disputées entre trois forces politiques, c’était le scrutin de 2019. Le PTr-PMSD, le MSM et le MMM étaient en compétition séparément. Le MMM voulait être la troisième force face aux deux autres camps, mais il n’avait pu s’imposer sur le plan national. Le MSM, à lui seul, avait obtenu la majorité des sièges avec 37% des suffrages contre 63% pour les autres partis. Depuis, le MMM a abandonné toute idée de faire cavalier seul et il s’est rallié au PTr dans une nouvelle alliance, et ce, après avoir tenté en vain d’autres formules telle que l’Entente (MMM, PMSD, Reform Party et le parti de Bodha) dans un scenario électoral triangulaire.

Dans la présente campagne, l’alliance gouvernementale défend son bilan et propose la continuité avec tout ce que cela comporte de souvenirs de mauvaise gouvernance dans bien des domaines. Elle peut sans doute s’enorgueillir de certains projets d’infrastructure réalisés et compter sur la portée électoraliste de ses promesses (la pension de vieillesse de Rs 20 000 en 2029, le prêt hypothécaire sans intérêt pour les jeunes de 18-25 ans, etc.).

A l’opposé, l’Alliance du Changement prône la rupture avec le statu quo grâce à un manifeste qui propose des lignes de réforme structurelle, en sus de ses promesses monétaires plus ou moins semblables à celles de son adversaire. Ses propositions de réforme concernant la révocabilité d’un député entre deux élections, l’introduction de la proportionnelle dans le système électoral, la reconnaissance des droits de la nature dans la Constitution, la création d’une Cour constitutionnelle, l’amélioration des droits des travailleurs et la garantie des élections municipales sont particulièrement positives pour une démocratie participative et inclusive.

Virginité politique

Pour attirer l’électorat et montrer une différence fondamentale vis-à-vis des blocs traditionnels, Linion Reform devrait proposer un programme audacieux de réformes qui soient raisonnables et faisables. Elle aura beau critiquer ses adversaires dits traditionnels, elle ne peut revendiquer une virginité politique absolue. Faut-il rappeler que ses deux leaders viennent du sérail politique du MSM, l’un avec 35 ans d’association en sa capacité de secrétaire général du parti et de ministre avec divers portefeuilles, et l’autre avec cinq ans d’association comme député et ministre. Les deux ont été associés à des dérives anti-démocratiques dans le passé telles que le projet de mettre le DPP sous tutelle avec une commission de poursuite parallèle et le démantèlement du conglomérat BAI. Cela n’empêche pas que la nouvelle alliance puisse jeter les bases d’une troisième force durable dans le long terme.

Si le désir de changement de l’électorat est fort au point de vouloir mettre fin au statu quo à tout prix, on peut s’attendre à un vote utile en faveur de l’Alliance du Changement qui, seule, peut déloger l’alliance gouvernementale du pouvoir. A cette fin, l’électorat voterait de façon stratégique afin de ne pas gaspiller des voix sur les candidats d’une troisième force qui auraient peu de chances de se faire élire. Sans une réforme électorale qui puisse mettre fin au système de FPTP en introduisant une dose de proportionnelle, une troisième alternative viable et crédible tardera à émerger sur la scène locale pour sonner le glas de la bipolarité du système politique.

Aditya Narayan


Mauritius Times ePaper Friday 18 October 2024

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