‘Une grande alliance de l’opposition s’impose pour équilibrer l’échiquier’

Interview : Sydney Selvon, Journaliste

Se défaire du Mouvement Liberater ne nécessitera qu’un trait de plume, et ce sera sans doute fait quand nous serons plus près de l’échéance électorale’


“Affirmative action”, synonyme de “action positive” ou « action affirmative » : c’est une action menée dans le domaine politique, économique, culturel ou social, et destinée à supprimer des barrières et des pratiques discriminatoires. Ce terme apparait aux Etats-Unis et certains Etats suivent la tendance afin de respecter les droits de l’Homme. Etant donné que le paysage démographique est complexe dans les anciennes colonies, Mauritius Times a invité Sydney Selvon, journaliste qui a aussi vécu sous d’autres cieux, à nous donner son opinion sur la place accordée à l’« action affirmative » dans la société mauricienne. Il nous parle aussi des démissions qui se succèdent au sein du MMM ces derniers temps et de la situation politique dans le pays… 


Mauritius Times : Vous allez sans doute nous dire que le MMM, c’est fini avec la dernière démission qui est intervenue au sein du parti, après celles de nombreux autres membres du parti et de ses comités régionaux. Nous parlons là de celle qui refuse d’être « une mendiante », Mme Danielle Selvon, à qui la direction du MMM aurait refusé le droit à la parole lors d’un congrès du parti. Dites-nous objectivement : vous y croyez vraiment, vous, que le MMM va vers sa perte ?

Sydney Selvon : Je ne dis pas cela. Mais la démission de Danielle Selvon ne joue pas en faveur du MMM, mais ce n’est ni mon objectif ni, je pense, celui de Danielle Selvon.

C’est au MMM de tirer des leçons des démissions qui se succèdent et de mener une enquête sur ce qui s’est passé dans le cas de Mme Selvon et des autres.

Un comité de sages du parti pourrait aider dans un tel contexte. D’ailleurs, ce serait le cas dans n’importe quel parti politique en proie à des secousses pareilles.

* Je vous signale cependant que les Jeeha, Obeegadoo, Labelle et autres sont partis en raison de divergences profondes sur l’orientation du MMM, et non pas pour une question de place dans la hiérarchie du parti ou au niveau d’une circonscription. Dans le cas de Danielle Selvon, ce qui fait déborder le vase, surtout pour le MMM, ce sont ses attaques contre ce qu’elle a qualifié de « colons » du 18e siècle. C’est un mot de trop qui a sans doute fait mal à la direction du MMM, en particulier à Paul Bérenger lui-même d’où sa réplique aussi violente. Pouvez-vous comprendre cela ?

Ici, il faut être précis : Danielle Selvon n’a, de toute sa vie, jamais traité qui que ce soit de « colon » du 18e siècle. C’est l’interdiction à la parole dans la circonscription qu’elle représente sous la Constitution et la loi à l’Assemblée nationale, qui a motivé sa colère et sa réaction.

Par ailleurs, je dois ajouter qu’elle rend hommage dans son livre autobiographique à l’état-major des Francos-mauriciens, en particulier un M. Perrier, parent de Bérenger, qui ont accepté de céder à sa révolte contre la ségrégation raciale qui frappait les écoliers des camps sucriers. Jusqu’en 1981, dans le cas de cet établissement, les écoliers n’avaient pas le droit de voyager dans l’autobus de la propriété. Danielle, qui avait 14 ans à l’époque, décida de dénoncer cette pratique avec force.

Grande fille noire avec les cheveux crépus joliment tressés, elle gagna, ce jour-là son premier combat politique sans avoir traité quiconque de

« colons » ou de « racistes ».

Ses amies de collège étaient les filles de l’état-major de la propriété où elle a vécu une misère noire, allant dans les bois avec sa nombreuse famille de dix bouches à nourrir pour cueillir des fruits et autres végétaux comestibles, pour apaiser la faim qui les tenaillait souvent. Sa tante vivait dans le camp des laboureurs et Danielle, dans celui des artisans avec son père qui exerçait le métier de charpentier.

* Au nom et à l’heure du politiquement correct, certains qualificatifs sont devenus tabous dans le jargon politique à Maurice, tels que « colon », ou « Black Coal, White coal » – utilisé par l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam, qui s’était attiré des critiques d’une section de la presse et du gouvernement MSM-MMM d’alors pour son analyse quant aux risques d’un monopole dans le secteur énergétique…

Je suis d’accord avec vous. Cela force à l’autocensure.

En fait, Danielle Selvon n’avait aucune intention de diminuer ou d’insulter Bérenger ou sa famille, fort sympathique d’ailleurs, pour leur appartenance ethnique, mais pour son « bezer caractère ». Je crois, qu’il l’a avoué lui-même un jour.

Il n’écoute pas les bons conseils que ses lieutenants lui donnent et il est inévitable qu’ils se sentent humiliés. Sa manière de diriger reste archaïque par rapport au management moderne des partis à travers le monde – voyez les Emmanuel Macron et autres Justin Trudeau, par exemple et d’autres dirigeants politiques émergeants.

En ce qui concerne le politiquement correct, Ramgoolam aurait mieux fait d’éviter de parler de « black coal and white coal » avec les connotations raciales que suscita ce commentaire.

Il aurait été mieux pour lui de focaliser sur le risque réel d’un monopole au profit d’une section de la population qui a monopolisé pouvoirs législatif et économique depuis les années 1720 et, dans le cas du pouvoir législatif, depuis ces temps reculés jusqu’en 1948.

* Pour revenir aux démissions ou défections dans certains cas que connaît le MMM depuis un bon bout de temps, l’expérience journalistique vous a sans doute appris qu’à quelques exceptions près les défections ou mêmes les démissions des anciens des grands partis ne les mènent nulle part, sauf si ces derniers sont repêchés par un autre grand parti dans le cadre d’une alliance qui remporte les élections. Votre opinion ?

Nous étions en faveur, en 2016 et 2017, d’une grande alliance des partis de l’opposition face au MSM-ML. C’est une impression que je trouve dans le public : les Travaillistes gagneront une majorité des sièges ruraux et certains dans les zones urbaines même là où ils n’ont pas l’habitude de gagner.

On n’a jamais compris pourquoi le MMM n’en veut pas. Une grande alliance de l’opposition s’impose pour équilibrer l’échiquier, en sus d’une réforme électorale qui corrigerait certaines disparités comme le veulent le MMM et le PMSD.

En ce qui concerne l’opinion selon laquelle les défections ou mêmes les démissions des anciens des grands partis ne leur mènent nulle part, je pense qu’il n’y a pas de règle en la matière car l’échiquier politique se recompose parfois d’une manière qui surprend journalistes et politiciens d’expérience comme en 2014.

Aux dernières élections, les médias, sauf mes analyses dans le Mauritius Times, et les deux plus gros partis d’alors, n’ont, à aucun moment, anticipé une victoire des oppositions réunies.

* Le MMM, M. Selvon, demeure jusqu’à preuve du contraire un grand parti, c’est-à-dire avec Paul Bérenger à sa tête. Et, les grands partis ne meurent pas – là également à quelques exceptions près – malgré les démissions et autres défections. 2019 nous le confirmera… 

Vous avez raison. Attendons plutôt 2019.

* Si on vous disait que c’est l’électorat du MMM qui dictera la ligne du parti en 2019, cela en raison principalement de l’expérience désastreuse de décembre 2014 aux côtés du PTr, et qu’on s’achemine donc vers une lutte à deux opposant le MMM au PTr et avec certains des petits partis servant comme forces d’appui à ces deux grands partis ou réunis en tant que, selon Alan Ganoo, « troisième force », que diriez-vous ?

Effectivement, c’est fort possible qu’on aille vers une lutte à deux. A condition, par exemple, que le MSM reste un produit trop toxique pour obtenir l’alliance qu’il recherche, dit-on, avec le MMM.

* L’enchaînement des évènements semaine après semaine dont le rapport de la commission d’enquête sur la drogue, suivi des auditions de la commission d’enquête sur l’ex-Présidente de la République, et celles des auditions à La Haye sur le contentieux Chagos, etc., a épargné le Gouvernement des critiques soutenues de la part des Mauriciens pour les écarts de quelques-uns de ses membres et députés. Les gros projets sont en cours d’être réalisés… L’équipe parait être toujours ‘vendable’ pour un potentiel allié en vue des prochaines législatives, non ?

Beaucoup dépend du procès de Pravind Jugnauth devant le Privy Council. L’équipe pourrait être vendable à un allié potentiel, mais il y aura deux conditions : une réforme électorale qui satisfait tous les partis et un nouveau départ économique.

* Avez-vous le sentiment que la dernière visite d’Alvaro Sobrinho se situe dans une stratégie politique bien particulière – celle de faciliter la tâche du Premier ministre de procéder à l’épuration de son alliance en temps et lieu ?

Sobrinho était l’homme providentiel, l’homme riche au service – d’abord et avant tout – du ML, et l’enquête joue évidemment.

Selon ce qu’on entend à l’Hôtel du gouvernement et dans les cercles du pouvoir, cela embarrasse déjà ce parti et ce qui reste de l’alliance au pouvoir.

Le MSM est, de toute évidence, tiré vers l’abîme par le boulet lourd qu’est devenu son partenaire et ce qu’était devenue l’ancienne Présidente de la République au point que Pravind Jugnauth l’a poussée à la démission.

Se défaire du ML ne nécessitera qu’un trait de plume, et ce sera sans doute fait quand nous serons plus près de l’échéance électorale.

* Autre sujet qui fait débat ces jours-ci, c’est l’enquête concernant la discrimination raciale qui prévaudrait dans le pays. Il y a pourtant une institution mise en place – la ‘Equal Opportunities Commission’ pour corriger tout manquement, des critères établis au niveau de la ‘Public Service Commission’ et ‘Disciplined Services Commission’ pour le recrutement dans la fonction publique, recrutement qui est fait sur la base du mérite, ce qui contraste avec l’opacité dans laquelle le recrutement a lieu dans le secteur privé… Qu’est-ce qui expliquerait cette levée de boucliers, selon vous ?

Ni le gouvernement, ni le secteur privé n’est légalement tenu de pratiquer une politique d’affirmative action (comme c’est le cas au Canada ou en Inde) pour en finir avec les discriminations pratiquées contre certaines sections de leurs populations dans les deux secteurs, le Gouvernement depuis 50 ans, le secteur privé depuis 250 ans.

Rares sont les Créoles qui entrent dans le service public, disent les organisations au sein de cette grande minorité. Dans le secteur privé, je n’ai pas tous les éléments de l’affaire, mais il m’a été rapporté qu’un Créole bardé de diplômes a dit reprendre le chemin de l’Australie : il n’avait pas reçu une seule réponse après avoir postulé pour du travail dans 50 entreprises du gros secteur privé successivement. Il dit qu’il est victime de discrimination raciale. Le secteur public n’est pas plus équitable.

*On parle depuis relativement longtemps de la mise en place d’un ‘National Employment Agency’ dont le but serait de veiller à ce que « every citizen has access to a decent work as enunciated in Government Programme 2015-2019 ». Rien n’a été accompli jusqu’ici. Pensez-vous qu’il soit grand temps que le Gouvernement vienne de l’avant avec une législation, en attendant, pour s’assurer que les soumissionnaires à des contrats gouvernementaux soient au préalable des ‘Equal Opportunities Employers’ ?

Sous le présent régime, la population en générale n’a aucune confiance dans de telles promesses.


* Published in print edition on 7 September 2018

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