Une enquête internationale s’impose pour situer les responsabilités

Naufrage du vraquier Wakashio

Il ne suffit pas de se proclamer Etat-océan. Encore faut-il avoir les moyens de prévenir ou de mitiger une catastrophe écologique en mer

By Aditya Narayan

En l’espace de quelques mois, le pays a connu trois crises: une crise sanitaire avec la pandémie Covid-19, une crise économique avec la cessation temporaire d’activités économiques pour cause de confinement obligatoire, et maintenant une crise écologique avec le naufrage du MV Wakashio, vraquier japonais, sur un récif près de la côte sud-est du pays le 25 juillet. Certes aucune crise majeure n’est prévisible ni facile à gérer, mais s’il y a un fil conducteur entre ces trois crises, c’est l’impréparation systémique du pays aux chocs exogènes et la faiblesse de la stratégie de gestion en vue de mitiger les dégâts.

En effet, le pays fait face à une double catastrophe écologique et politique. Une catastrophe écologique dans la mesure où les hydrocarbures (300 tonnes de diesel et 3 800 tonnes de fioul) qui s’échappent des soutes du vraquier représentent un danger mortel pour la faune et la flore marines dans la région côtière du sud-est. Une catastrophe politique parce que les autorités concernées (ministère de l’Environnement, ministère des Affaires intérieures et ministère de la Pêche) ont pris 13 jours pour réagir face au désastre écologique qui enflait depuis le 25 juillet, lorsque le capitaine du navire avait envoyé ses premiers signaux de détresse.

Lenteur officielle

On n’arrive pas à comprendre cette lenteur officielle alors que les habitants de la région côtière voyaient la marée noire s’étendre un peu plus chaque jour. Est-ce un cas de négligence criminelle de la part des autorités concernées ? Il faudra sans doute une enquête indépendante pour situer les responsabilités et établir si l’amateurisme et l’incompétence de certains services gouvernementaux ont exacerbé une situation déjà difficile.

Les mauriciens ont prouvé qu’ils peuvent se dépasser et se rassembler autour d’une cause commune malgré les tentatives de division politique ou ethnique et les actes d’intimidation des autorités. Ils ont montré une prise de conscience aigüe de l’importance de l’écologie dans un pays qui a seulement la mer et ses plages comme ressources naturelles. Ils savent que les écosystèmes naturels sont au centre du développement durable dans ce pays où l’on abat les arbres et bétonne partout au nom d’une fausse modernité… Un pays bouge en avant lorsque les citoyens passent à l’action et non pas quand le gouvernement leur ordonne de faire quoi que ce soit…”


Durant les premiers jours suivant le naufrage, le gouvernement s’est contenté de dire sans gêne que la situation était sous contrôle et que les photos de la marée noire étaient truquées. Les principaux ministres ont attendu 13 jours avant de se rendre sur les lieux pour constater les dégâts. Le président français Emmanuel Macron, lui, s’est rendu au Liban deux jours après l’explosion d’un entrepôt dans le port de Beyrouth pour exprimer sa solidarité avec le peuple libanais. Aussitôt sollicité, il a réagi promptement pour nous envoyer de l’aide à partir de la Réunion. Nos ministres concernés, eux, étaient plus occupés à fouetter d’autres chats tels que la campagne visant à faire élire leur poulain à la tête d’une fédération culturelle et la tentative de saborder une motion de censure contre le maire d’une ville. C’est dire que certains responsables n’ont pas le sens des priorités, sinon qu’ils ont de mauvaises priorités. Ils s’occupent des affaires politiciennes plutôt que des affaires de l’Etat.

Quand un navire s’échoue sur un récif avec une grosse cargaison d’huiles lourdes dans ses cales, c’est déjà un gros problème pour l’environnement marin. On n’attend pas que la coque du navire se fissure avant de prendre conscience du risque de fuites d’huiles lourdes. On avait déjà eu un incident pareil avec le naufrage du navire MV Benita en 2016. Quelles leçons les autorités en ont-elles tirées ? Le gouvernement a-t-il remis à jour son plan de contingence, s’il y en avait un, afin de parer à tout naufrage éventuel d’un autre navire dans nos parages ? Gouverner, c’est prévoir, dit-on.

Plan de contingence

En 2004, la Banque Mondiale avait parrainé un ‘National Oil Spill Contingency Plan’ sous les auspices de la Commission de l’océan indien pour les pays riverains. Ce plan a-t-il été remis à jour pour l’adapter aux risques d’un déversement massif d’huiles lourdes dans les lagons? Il paraît que les services du gouvernement (Garde-côtes, Environnement, Pêches) n’ont pas été formés ni équipés pour faire face à une catastrophe écologique. Ils ont attendu une réaction de l’armateur japonais alors qu’il fallait alerter les pays riverains, la France en particulier, dès le début et solliciter l’aide internationale. Le pays, comme l’a avoué le Premier ministre, n’a pas l’expertise nécessaire pour récupérer toute la quantité d’hydrocarbures à bord du navire ou empêcher les fuites d’huiles lourdes. C’est précisément pour cette raison qu’il fallait agir vite et s’assurer de toute l’aide possible des pays voisins.

Les citoyens de Maurice, eux, n’ont pas tergiversé. Ils ont fait preuve d’ingéniosité avec l’aide des ONG pour fabriquer et relâcher des cordons flottants et des boudins géants dans les lagons afin d’empêcher la marée noire d’atteindre les plages. Il faut saluer cette démarche du groupe Rezistans ek Alternativ, des militants écologistes, des pêcheurs et d’autres volontaires anonymes. Ils ont déployé des efforts pour collecter des matières servant à la fabrication de ces barrages absorbants (matériel d’emballage, pailles de canne, cheveux, bagasse), lesquels ont été relâchés sur des centaines de mètres de longueur dans les eaux noirâtres.

Initiative citoyenne

C’est une initiative salutaire et admirable de la société civile qui a réuni les citoyens, toutes communautés confondues, dans une démarche de patriotisme. Les mauriciens ont prouvé qu’ils peuvent se dépasser et se rassembler autour d’une cause commune malgré les tentatives de division politique ou ethnique et les actes d’intimidation des autorités. Ils ont montré une prise de conscience aigüe de l’importance de l’écologie dans un pays qui a seulement la mer et ses plages comme ressources naturelles. Ils savent que les écosystèmes naturels sont au centre du développement durable dans ce pays où l’on abat les arbres et bétonne partout au nom d’une fausse modernité.

Au lieu d’encourager l’initiative citoyenne, le gouvernement a choisi de promulguer des règlements pour rendre certains endroits dans le sud inaccessibles aux citoyens. De quoi a-t-il peur ? Que les citoyens prennent leur destinée en main face à l’immobilisme des autorités et sans dépendre des politiciens qui ont créé une culture de l’assistanat dans ce pays. Un pays bouge en avant lorsque les citoyens passent à l’action et non pas quand le gouvernement leur ordonne de faire quoi que ce soit. L’Etat omniprésent et prévaricateur qui décide de tout, qui décide ce qui est vrai ou faux et qui fait de ses dirigeants des chefs de culte est mauvais pour la démocratie et la bonne gouvernance. Une société de soumission paralyse les bonnes initiatives citoyennes.

Quand un navire s’échoue sur un récif avec une grosse cargaison d’huiles lourdes dans ses cales, c’est déjà un gros problème pour l’environnement marin. On n’attend pas que la coque du navire se fissure avant de prendre conscience du risque de fuites d’huiles lourdes. On avait déjà eu un incident pareil avec le naufrage du navire MV Benita en 2016. Quelles leçons les autorités en ont-elles tirées ? Le gouvernement a-t-il remis à jour son plan de contingence, s’il y en avait un, afin de parer à tout naufrage éventuel d’un autre navire dans nos parages ?


Les images de l’immense nappe d’huile lourde s’échappant du vraquier au beau milieu des eaux turquoise du lagon, transmises par les chaînes de télévision internationales (en Europe et Amérique du Nord) ont causé émoi, inquiétude et frustration dans tous les pays riverains de l’océan indien. A telle enseigne que la France a dépêché une équipe de secours avec hommes et équipements à partir de la Réunion, territoire français, afin de soutenir l’effort visant à endiguer la marée noire qui menace les côtes.

Enquête internationale

Le naufrage du vraquier n’est plus un problème mauricien uniquement. La Réunion craint que la marée noire ne touche sa zone maritime. Faute de compétences, Maurice n’a pas les moyens de faire une enquête indépendante sur ce désastre. Ni n’a-t-elle la volonté politique de le faire pour ne pas exposer l’incompétence de ses services responsables. Il faudrait une enquête internationale sous l’égide la Commission de l’océan indien ou d’une agence de l’ONU avec des experts qui puissent interroger l’armateur japonais, le personnel navigant du vraquier et les autorités locales en vue d’éclaircir les zones d’ombres (erreur de navigation, manque de communication du côté du capitaine, réaction tardive des garde-côtes, etc.) et d’évaluer le plan de contingence du gouvernement.

Ce désastre est une opportunité pour les pays riverains de l’océan indien, dont les voies maritimes sont hautement fréquentées par des navires-cargo, de se mettre autour d’une table en vue d’évaluer les risques de naufrages des navires, la probabilité d’une catastrophe écologique et la capacité des plans de contingence nationaux à en atténuer les effets néfastes à la vie marine. C’est là un projet autrement important de coopération régionale avec pour parties prenantes Maurice, les Seychelles, Madagascar et la Réunion. La France, en tant que puissance riveraine, a les moyens logistiques d’être un partenaire efficace. Les enjeux du changement climatique et de l’environnement marin dépassent le cadre national.

Le pays voulait être un « Petroleum Hub » dans l’océan indien avec la capacité de stocker et de transborder des produits pétroliers pour l’usage des pays riverains et d’Afrique de l’Est. Evidemment elle n’a pas les compétences techniques pour envisager une telle ambition. Le pays ne peut même pas surveiller sa zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles marins pour y déceler les mouvements de navires faute de bateaux de patrouille et de radars modernes. Un bateau de remorquage de la Marine Authority est en panne dans le port depuis quelque temps. Le gouvernement dépense des milliards de roupies sur des projets d’éléphant blanc (Rs 5 milliards pour le stade de Côte d’Or) et des caméras de surveillance (Rs 19 milliards) à travers l’île qui ne rapportent aucun rendement économique.

Dans le cadre d’un développement économique alternatif, Il fallait investir dans l’économie bleue avec des bateaux de patrouille et une industrie de la pêche moderne, laquelle aurait créé des emplois productifs et assurer une production de poissons exportable. Si le pays ne peut déceler la présence d’un navire à moins d’un kilomètre de la côte sud-est, comment va-t-il surveiller des navires qui entrent dans sa ZEE sans aucun signal, surtout dans les parages des îles lointaines telles que Saint Brandon, Rodrigues, Agaléga et les Chagos, dont il veut recouvrer la souveraineté. Il ne suffit pas de se proclamer Etat-océan. Encore faut-il avoir les moyens de prévenir ou de mitiger une catastrophe écologique en mer.


* Published in print edition on 11 August 2020

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