Une demi-mesure de transparence

Déclaration des avoirs

Le droit mauricien n’interdit pas à quiconque de devenir riche par l’acquisition de biens et l’appréciation du patrimoine personnel à partir du moment que tous les revenus reçus sont déclarés au fisc. Seul l’enrichissement illicite est punissable

By Aditya Narayan

Quand l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) a rendu publique la déclaration des avoirs d’une liste d’anciens et de nouveaux députés et ministres, le public a été agréablement surpris par ce geste de transparence apparent. Franchement il ne s’attendait pas à ce que la commission révèle ce que nos élus du scrutin de 2014 et de celui de 2019 disent posséder. Mais lorsqu’il a pris connaissance des détails des déclarations individuelles déposées par ces derniers auprès de l’ICAC, il n’en croyait pas ses yeux. La surprise a cédé la place au questionnement en général, au scepticisme chez certains et à l’indignation chez d’autres.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, situons le contexte pour mieux comprendre la loi et ses lacunes. La loi sur la déclaration des avoirs (The Declaration of Assets Act 2018) fut votée par l’Assemblée nationale le 12 décembre 2018 afin d’introduire un nouveau cadre légal régissant la déclaration des avoirs dans le secteur public. Cette loi fut modifiée le 5 juillet 2019 [The Declaration of Assets (Amendment) Act 2019] avant d’entrer en vigueur le 22 août 2019.

Dispositions importantes de la loi

L’article 2 de la loi définit huit catégories d’actifs (assets) qui sont essentiellement les biens mobiliers et immobiliers (voir le tableau 1). L’article 3 de la loi énumère les personnes qui sont tenues à faire une déclaration des actifs et passifs (liabilities), notamment :

  • les membres de l’Assemblée nationale, incluant le Speaker, les membres de l’Assemblée régionale de Rodrigues, et les membres des conseils municipaux et des conseils de district ;
  • Les hauts officiels du secteur public (exceptés les officiers du judiciaire comme magistrats et juges), les chefs exécutifs des conseils municipaux et des conseils de district, les présidents et chefs exécutifs des corps statutaires et des entreprises sous le contrôle de l’Etat, et les officiers et conseillers de l’Etat employés sous contrat avec un salaire équivalant à celui d’un Deputy Permanent Secretary.

L’article 4 de la loi exige que toute personne visée par l’article 3 dépose une déclaration de ses actifs et passifs auprès de l’ICAC, y compris ceux de son époux et de ses enfants mineurs, selon des échéances réglementaires. Elle est aussi tenue à déclarer tout bien vendu, transféré ou donné aux enfants majeurs et aux petits-enfants, incluant tout revenu ou bénéfice à partir d’un compte, d’une société de personnes ou d’une fiducie.

Rôle de l’ICAC

La loi confère à l’ICAC le mandat de :

(a)          être le dépositaire des déclarations des avoirs (sous l’article 4 de la loi),

(b)          surveiller les actifs et passifs des déclarants en vue de détecter, et d’enquêter sur, les délits de corruption, de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite (sous l’article 9 de la loi), et

 (c)          divulguer au public les déclarations des avoirs qui sont prescrites dans l’article 7 de la loi.

Limitations de la loi

L’alinéa 7 (1) de la loi exige que l’ICAC divulgue les déclarations déposées par les membres de l’Assemblée nationale, incluant le Speaker, les membres de l’Assemblée régionale de Rodrigues, et les membres des conseils municipaux et des conseils de district. Toutefois, il y a une limitation à cette exigence. En effet, l’alinéa 7(2) de la loi n’autorise pas l’ICAC à divulguer toute information fournie par les personnes visées par l’alinéa 7(1) concernant :

  • l’argent versé dans des comptes, dans n’importe quelle devise, dans les banques locales ou étrangères ou dans des institutions non-bancaires;
  • tout article de bijouterie, tout objet précieux ou montre dont la valeur dépasse Rs 500 000 ;
  • l’argent en main (cash in hand) n’excédant pas Rs 1 million dans n’importe quelle devise.

L’’alinéa 7(3) de la loi n’autorise pas la divulgation des déclarations autres que celles couvertes par l’alinéa7(1). Cela signifie que les déclarations des individus non-élus tels que les hauts officiels des secteurs public et parapublic resteront confidentielles dans les dossiers de l’ICAC et ne peuvent être divulguées au public.

L’alinéa 5(2) de la loi stipule qu’aucun déclarant n’est tenu à :

(a)          spécifier la valeur de tout actif inclus dans la déclaration des avoirs, sauf si l’actif est en argent,

(b)          spécifier la nature de ses intérêts dans les avoirs, y compris ceux en propriété conjointe, et

 (c)          la nature de ses passifs (dettes) par rapport aux actifs.

Intention du législateur

A la lumière des dispositions restrictives susmentionnées de la loi, les questions seraient :

  • quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a introduit la loi sur la déclaration des avoirs ?
  • Y avait-il une intention éthique de permettre une mesure de transparence qui puisse assurer la confiance entière du public dans l’intégrité de ses représentants élus et des hauts officiels du secteur public ? 
  • Ou l’intention était-elle de permettre une déclaration minimaliste qui donne un semblant de transparence sans exposer les représentants élus à l’épreuve d’un examen critique de leur degré de richesse ou d’opulence ?

En théorie, l’intention du législateur, qui est toujours sujette à interprétation, est fondée sur le droit. Dans la pratique, on jugera l’intention du législateur par rapport à un cadre de références éthiques ou morales.

Lacunes de la loi

C’est sur ce plan qu’il convient d’analyser toute la question de la déclaration des avoirs. L’obligation imposée sur certains individus de déclarer leurs avoirs et la divulgation de ces déclarations par l’ICAC butent contre des lacunes et des limitations significatives dans la loi qui ne rendent pas justice à deux impératifs de la bonne gouvernance : (a) la transparence des affaires et des transactions, et (b) le devoir de rendre compte de ses décisions et de ses actes dans l’exercice du pouvoir.

Premièrement, en vertu de l’alinéa 7(2) de loi, l’ICAC n’est pas autorisée à divulguer les comptes bancaires des représentants élus (députés, ministres et conseillers de ville et de district), leur argent en main de moins de Rs 1 million et leurs objets de valeur de plus de Rs 500 000. La divulgation des avoirs des représentants élus est donc réduite au patrimoine de biens mobiliers (véhicules, bateaux, actions d’entreprise, obligations et autres instruments financiers) et de biens immobiliers (propriétés foncières). L’information fournie à l’ICAC sur les comptes bancaires restera confidentielle. On ne saura pas avec quel argent ils ont acquis leurs biens.

Deuxièmement, l’alinéa 7(3) de la loi n’autorise pas la divulgation des déclarations des avoirs des hauts officiels des secteurs public et parapublic. C’est une aberration parce que ces officiels, comme les présidents et chefs exécutifs des entités paraétatiques (CEB, CWA, STC, etc.) et des entreprises sous le contrôle de l’Etat (Air Mauritius, Mauritius Telecom, SICOM, etc.), négocient des marchés publics (contrats d’approvisionnement) valant des milliards de roupies. Ils devraient être au-dessus de tout soupçon.

Troisièmement, la déclaration des avoirs se fonde sur une approche quantitative dans la mesure où le déclarant doit seulement déclarer les biens qu’il a acquis. En vertu de l’alinéa 5(2), il n’est pas tenu à fournir une évaluation monétaire des biens acquis. Si l’on sait combien de biens mobiliers (actions d’entreprise ou véhicules) ou de biens immobiliers (maisons, terrains) une personne a achetés, on ne saura jamais la valeur de ces biens pour autant.

Evaluation monétaire

Si l’on peut juger le degré de richesse relative par le nombre de biens acquis, c’est davantage par l’évaluation monétaire des biens qu’on détermine si quelqu’un est millionnaire ou milliardaire. Dans la comptabilité, l’évaluation monétaire a lieu normalement selon l’un de deux critères : (a) le coût historique du bien, c’est-à-dire sa valeur d’acquisition au moment de l’achat ou du transfert, et (b) la juste valeur marchande (fair market value) au moment présent. Lorsque les déclarations des avoirs divulguées ne mentionnent aucune valeur, cela donne libre cours à l’imagination des curieux.

Du coût historique à la juste valeur marchande d’un bien quelconque, il y a toujours une appréciation ascendante au fil du temps, sauf pour les biens mobiliers (les véhicules, par exemple) qui perdent de leur valeur sous l’effet de l’usage et de l’amortissement. Par exemple, une propriété foncière (maison ou terrain) qui coûte Rs 1 million à l’achat peut valoir Rs 5 millions après quelques années avec l’inflation et le renchérissement des prix sur le marché. Au moment de la revente de cette propriété, le vendeur réalise des plus-values (capital gains) de Rs 4 millions. Si l’on devait appliquer la juste valeur marchande à tous les biens immobiliers déclarés en ce moment, on constaterait que la plupart de leurs propriétaires sont des multimillionnaires potentiels ou existants.

Sources de revenu

Il ne suffit pas de parler d’évaluation monétaire des biens acquis pour déterminer si les individus concernés sont des personnes riches. Encore faut-il savoir quelles sont les sources de revenu qui ont financé l’achat des biens. Pour les besoins de la fiscalité pour les particuliers, on distingue cinq sources de revenu:

(a)          le revenu d’emploi tiré d’un poste salarié ou d’un poste de direction,

(b)          le revenu d’entreprise tiré du travail indépendant ou d’une profession,

(c)           le revenu de propriété (dividendes sur les actions, intérêts sur les comptes bancaires ou obligations, revenu de location),

(d)          le revenu de placement (retour sur l’investissement dans des instruments financiers), et

(e)          le revenu tiré des plus-values (capital gains) réalisées sur la vente de biens mobiliers (par ex., actions d’entreprise) et de biens immobiliers

Quand on achète des biens mobiliers (véhicules, bateaux, actions d’entreprise, etc.) et des biens immobiliers (maisons, terrains, bâtiment commercial), on le fait à partir des sources de revenu certaines ou des emprunts remboursables. Sans vouloir remettre en question l’intégrité des principaux concernés, des questions se posent :

  • Ces emprunts ou revenus ont-ils été déclarés aux autorités fiscales ?
  • Puisque certaines propriétés immobilières acquises se trouvent en Europe ou dans des pays du Golfe Persique, combien d’argent en devises étrangères a été transféré à cette fin ?
  • Est-ce que l’argent transféré fut assujetti à l’impôt sur le revenu au préalable ?

Autant de questions auxquelles la Mauritius Revenue Authority (MRA) devrait probablement s’y intéresser.

La MRA, rappelons-le, a déjà fait savoir que des individus mauriciens disposent de Rs 104 milliards en placements divers à l’étranger. Sous l’alinéa 4(4) de la loi, elle peut demander à un juge en Chambre d’autoriser la divulgation de n’importe quelle déclaration des avoirs pour des besoins d’investigation.

High Net Worth Individuals

En examinant les déclarations des avoirs divulguées, on note quatre catégories de déclarants :

(a)          ceux qui disent n’avoir aucun avoir, soit mobilier ou immobilier,

(b)          ceux qui ont des avoirs modestes (une maison et une ou deux voitures),

(c)           ceux qui ont des avoirs conséquents en nombre et en variété (biens fonciers, actions d’entreprise, placements divers) et sont relativement riches, et

(d)          ceux qui ont beaucoup de biens en nombre et en variété, y compris des propriétés à l’étranger, et sont très riches. Ceux-là sont considérés comme des High Net Worth Individuals dont les actifs dépassent largement les passifs (emprunts et hypothèques).

Autre question qui se pose : les déclarations divulguées par l’ICAC ne sont-elles que la partie émergée de l’iceberg compte tenu des lacunes et des limitations de la loi ? Il y a sans doute à Maurice des personnes beaucoup plus riches dont les revenus annuels et les biens ne sont pas connus de tous en raison de la confidentialité des affaires bancaires et de la sécurité du droit de propriété dans l’économie de marché. Le droit mauricien n’interdit pas à quiconque de devenir riche par l’acquisition de biens et l’appréciation du patrimoine personnel à partir du moment que tous les revenus reçus sont déclarés au fisc. Seul l’enrichissement illicite est punissable, et la MRA a tous les moyens de le détecter pour peu qu’il s’y intéresse sans peur ni faveur.

Ce que l’histoire des déclarations divulguées à Maurice et ailleurs nous enseigne, c’est que ces pays s’accommodent très bien du capitalisme patrimonial dont certains au sein de la classe politique sont les bénéficiaires. C’est le système fondé sur l’accumulation du capital par les possédants qui parfois utilisent les pouvoirs politique et économique à leur avantage. Pour ce faire, ils adoptent des mesures qui favorisent la croissance des inégalités de richesse dans la société telles que l’impôt sur le revenu proportionnel à un taux fixe (15%), l’exemption fiscale des dividendes et l’absence de taxe sur les plus-values (capital gains tax).

Table 1
Section 2 : In this Act,

 

“Assets” means –

(a)    money, in any currency, in local banks and foreign banks;

(aa) money deposited in a non-bank deposit taking institution licensed by the Bank of Mauritius;

(b) cash in hand exceeding one million rupees in any currency accepted as legal tender in any country;

(c) securities, including stocks, bonds, treasury bills or other units held in Mauritius or abroad;

(d) shares or any interest in a company, société or partnership;

(da) trust property;

(e) any item of jewellery, precious stone or metal, or watch, exceeding 500,000 rupees in value;

(f) any freehold or leasehold immovable property –

(i) registered in Mauritius or abroad;

(ii) which, at the time of declaration, has been purchased but is still subject to registration in Mauritius or abroad;

(g) motor vehicles, boats, ships or aircrafts;

(h) assets held by a person for and on behalf of the declarant in the declarant’s capacity as ultimate beneficiary;

Source : The Declaration of Assets Act 2018 & The Declaration of Assets (Amendment) Act 2019

* Published in print edition on 22 January 2020

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