Un changement de vocation pour la Banque centrale

Mauritius Investment Corporation Ltd

By Aditya Narayan

Après la modification de la Bank of Mauritius Act par le projet de loi Covid-19 (Miscellaneous Provisions) Bill 2019 pour permettre à la Banque centrale de faire des dons au gouvernement ou d’investir dans des entreprises, des fonds de Rs 60 milliards ont été versées dans les caisses de l’Etat en vue de financer le programme de stabilisation économique.

Les commentaires et les passions se déchaînent au sujet de cette initiative de la Banque centrale. L’opposition et des observateurs économiques crient au viol de l’indépendance de la Banque centrale, qui serait désormais sous la tutelle de l’Etat. Le Gouvernement prétend qu’il n’y avait pas d’alternative au recours à la Banque centrale pour sortir le pays de la crise économique. Qu’en est-il vraiment?

Tout le monde est d’accord que des circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles. Pour mobiliser les ressources financières nécessaires à la relance économique, le Gouvernement avait trois options:

(a) emprunter davantage du Fonds Monétaire International (FMI) en se prêtant aux exigences de la conditionalité en termes de rigueur économique et de discipline financière ,

(b) emprunter de certains pays amis (l’Inde et la Chine) en leur faisant des concessions géo-politiques qui influent sur la souveraineté nationale, et

(c) solliciter l’aide de la Banque centrale en vue de financer le déficit public tout en ouvrant les vannes du crédit aux entreprises en butte à des difficultés de trésorerie.

Trois options

Il est évident que le Gouvernement a privilégié la troisième option. La première option aurait contraint le pays à accepter un ratio dette/PIB strict de 60% ou moins, ce que le Gouvernement ne voulait pas. D’ailleurs, il a aboli le plafond de dette publique sous le Public Debt Management Act 2008 afin d’accroître sa marge de manoevre en matière d’endettement. Vu le montant colossal de l’aide requise (Rs 60 milliards), la deuxième option aurait livré le pays pieds et poings liés à l’une ou l’autre des deux puissances qui ont des intérêts stratégiques certains dans l’océan Indien.

Le Gouvernement croit sans doute que la troisième option est politiquement acceptable et économiquement faisable. Politiquement acceptable parce que le gouvernement, jouissant d’une majorité confortable pour faire passer les lois, pense qu’il serait mieux d’intervenir fermement et massivement en début de mandat pour relancer l’économie au lieu de laisser la crise perdurer avec le risque d’une crise sociale à terme.

Economiquement faisable parce qu’il considère que les ressources de la Banque centrale sont suffisantes pour subvenir aux besoins de financement du programme de stabilisation économique. Le Gouvernment table sur l’espoir ou la prévision que, une fois les différents secteurs de l’économie remis sur les rails, les recettes d’exportation et du tourisme ainsi que l’investissement direct extérieur repartiront de plus belle pour remplir les caisses vides.

Il va de soi que le Gouvernement fait peu de cas des critiques au sujet de l’érosion de l’indépendance de la Banque centrale, lesquelles relèvent d’un débat ésotérique pour le commun des mortels… Son calcul est cynique mais simple : les gens qui ont besoin d’aide immédiate ne se soucient pas de la provenance de l’argent. Les employés d’Air Mauritius menacés de licenciement ne s’inquiètent pas que les fonds nécessaires au renflouement de la compagnie proviennent des réserves de la Banque centrale ou d’une autre source. Quand la subsistance même est menacée, on s’agrippe à n’importe quelle bouée de sauvetage.

Nouvelle vocation

Au niveau institutionnel, la Banque centrale s’est départie de son rôle traditionnel de régulateur de la politique monétaire, de dépositaire des réserves en devises étrangères et de prêteur en dernier recours pour les banques commerciales. Elle s’est découvert une nouvelle vocation à deux volets :

  • celle d’agir en bailleur de fonds de l’Etat pour financer le déficit public à coups de dons (aux Rs 18 milliards déjà prises du Special Reserve Fund s’ajouteront d’autres ponctions) en mettant à contribution la planche à billets ou de gains de change du fonds de réserve spécial, et
  • celle d’agir en banque d’investissement pour prendre part au capital des entreprises voulant se recapitaliser ou en banque de développement pour prêter de l’argent directement aux entreprises en mal de fonds de roulement. Ainsi, la Mauritius Investment Corporation Ltd (MIC) – nouvellement créée par la Banque centrale – investira dans Air Mauritius en y achetant des actions qu’elle paiera en devises étrangères afin de permettre à la compagnie d’honorer ses créances sous les contrats de location d’avions.

La nouvelle vocation de la banque suscite, à juste titre, des craintes quant à l’indépendance de la Banque centrale. En soutenant la politique fiscale du Gouvernement par l’injection de fonds dans le Consolidated Revenue Fund de l’Etat qui couvre les dépenses publiques, elle risque de compromettre son rôle de gardien de la stabilité des prix, lequel dépend de la politique monétaire dont elle est seule responsable.

La Banque centrale pense pouvoir s’inspirer de la Banque centrale américaine qui a fait de l’assouplissement quantitatif (le rachat des titres de dettes aux acteurs financiers, notamment des bons du Trésor et des obligations d’entreprise) son dada afin d’inonder l’économie des Etats-Unis de liquidités en temps de crise. Or, la Réserve fédérale américaine a le loisir d’imprimer des billets (le dollar étant une devise de réserve) et elle est redevable de ses actions au Congrès, auquel elle explique ses mesures et ses prévisions économiques.

En revanche, la Banque centrale de Maurice ne rend compte qu’à son conseil d’aministration, qui est nommé par le Gouvernement. Elle ne rend pas compte au Parlement. La nouvelle entité juridique (MIC) est en dehors du contrôle parlementaire, à l’instar des entreprises publiques contrôlées par l’Etat (Air Mauritius, SBM). La MIC rendra compte à un conseil d’aministration nommé par la Banque centrale, sur lequel l’Etat exercera un contrôle de facto.

  • Qui décidera à propos de quel secteur ou quelle entreprise aurait besoin de financement?
  • Qui fera l’analyse des risques liés à l’investissement ?
  • Quels critères guideront les prêts ?
  • Comment s’assurer que les prêts seront remboursés ?
  • Quelle prise de participation au capital d’entreprise sera faite ?
  • Quelle sera la politique en matière de dividendes et de bonis de performance dans les entreprises aidées ?

Autant de questions pertinentes qui relèvent de la gouvernance de la MIC. Il est essentiel que cette dernière soit transparente en donnant les informations utiles sur les montants d’investissements/prêts par enterprise/secteur tout en expliquant la rationalité des décisions prises. Un rapport régulier sur la performance des investissements/prêts serait une bonne mesure de transparence.

Planification économique

La question la plus fondamentale est de savoir si l’action de la MIC sera une intervention ponctuelle visant à éteindre les feux (fire-fighting) avant qu’ils n’embrasent tout le pays ou le prélude d’une certaine planification économique (celle que le ministère du Plan faisait autrefois).

Dans le premier cas, on misera sur le court terme pour faire redémarrer les secteurs ou les entreprises avec leurs mêmes modèles d’affaires afin de permettra un retour à la normale. La normalité retrouvée serait le statu quo ante avec ses lignes de faille et ses vulnérabilités aux chocs exogènes. On ne changera rien au fond.

Dans le deuxième cas, on misera sur le moyen terme et le long terme pour atteindre des objectifs de réforme économique. Certains pays s’y sont déjà engagés en subordonnant l’intervention financière du gouvernement dans l’économie à des objectifs clairs et mesurables. Selon différentes permutations, ces pays, y compris le Canada, ont exigé que les entreprises bénéficiant de l’aide ou du crédit acceptent :

  • un plafond sur les émoluments des cadres dirigeants avec des coupures là où c’est nécessaire ;
  • le gel du paiement des dividendes pour deux ans ;
  • l’interdiction de racheter des actions d’entreprise sur le marché boursier en vue d’augmenter la valeur des titres de la société ;
  • une prise de participation de l’Etat au capital de la société en contrepartie de l’aide consentie, couplée d’un droit de vote au conseil d’administration ;
  • des mesures tangibles visant à réduire l’empreinte carbonique de l’entreprise dans l’effort de combattre le changement climatique et d’assurer le développement durable ;
  • la conformité totale aux règles fiscales pour la société et ses filiales d’outre-mer en vue de diminuer l’optimisation fiscale et combattre l’évasion fiscale ;
  • la minimisation des licenciements dans le cadre de la restructuration de l’entreprise ; et
  • le paiement du salaire minimum à ceux qui n’y ont pas droit.

Faire des réformes dans une conjoncture difficile est l’approche utilisée dans ces pays afin de ne pas gaspiller une opportunité où le public est prêt à se serrer la ceinture pour réussir des changements positifs et durables.


* Published in print edition on 26 May 2020

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