Une Nation Bradée

By Sheherazade

Nous sommes à table pour le dîner tout en écoutant la MBC. Eh oui ! La Corporation est depuis toujours un plat obligatoire de nos menus familiaux riches ou pauvres, végétariens on non. Nous mangeons sans vraiment porter attention à ce que nous ingurgitons tout en écoutant la TV, sans prêter guère plus d’attention à ce que le journaliste de faction nous fourre dans les oreilles. Manger et regarder la MBC sont deux activités routinières concomitantes qui n’ont de relief que lorsque le plat succulent préparé par la Nani de Poudre d’Or ou la Mémé de Forest Side, nous affole les papilles ou quand une nouvelle inouïe nous tombe dessus en pleine activité mandibulaire.

Justement en voilà une particulièrement violente qui tombe des lèvres de la journaliste de ce soir :

« Nous apprenons à l’instant que le gouvernement mauricien lors d’une séance dramatique du Cabinet, tenue cette après-midi, a demandé à Londres et à Paris simultanément d’être placée sous la tutelle du gouvernement britannique ou français pour gérer à sa place les mille et un problèmes dont la nation mauricienne doit faire face et dont les difficultés dépassent sa compétence.

« Naturellement Londres, connaissant trop bien les Mauriciens, a refusé. Mais Paris, avide de revanche, s’est jeté sur Port Louis en acceptant illico presto de prendre notre pays sous sa gouverne administrative et politique. Le Cabinet et l’Assemblée nationale se sont mis en congé laissant au Premier ministre et à l’Ambassadeur de France le soin de mettre au point la passation des pouvoirs dans les plus brefs délais, les premiers gérants gouvernementaux français étant attendus dans deux semaines au plus tard. »

Une situation qui fleure bon la revanche sur 1809 ! Fiction délirante, direz- vous ! A voir de plus près, fiction, oui, mais pas tellement délirante car un jour ou l’autre, la pseudo-information balancée ci-dessus risque vraiment de nous tomber sans crier gare dans le briani ou dans la purée d’arouille. Et nous croyons qu’alors, au lieu de lâcher cuillères et serviettes, pour se précipiter, couteaux et fourchettes en poche, sur leurs vieux fusils de chasse ou de collection, puis courir en masse, drapés dans la quadricolore arc-en-ciel, défendre la Souveraineté Nationale — (avec deux majuscules !) – devant la statue de Victoria à la Place d’Armes, une majorité de Mauriciens de toutes les communautés, citoyens du premier comme du dernier rang, iront, la larme à l’œil et la gratitude aux lèvres, se prosterner sur la même place devant la statue de La Bourdonnais.

Et les rares Mauriciens à combattre cette horreur se poseront impuissants la question : Cela a servi à quoi l’indépendance ? Uniquement à s’emparer de l’argent du peuple et à le gaspiller sans vergogne sans le contrôle tutélaire de Londres ?

Les experts de France et d’ailleurs

Nous délirons ? Observez ce qui se passe en ce moment. Les Mauriciens, touchant entre Rs 2,500 à Rs 25,000 mensuellement, se battent pour faire survivre leur famille. Ils cherchent vainement le diable pour s’accrocher à sa queue dans l’espoir de ne pas être emportés par le flot tumultueux de la vie chère qui saccage leur quotidien. Entretemps les princes qui nous gouvernent et leurs cipayes divers ne font que se décarcasser pour savoir si les réformes préconisées par Monsieur Carcassonne, contre gros cash sonnant et trébuchant, nous offriront le système électoral parfait que nous n’avons pas réussi à mettre en place en 44 ans d’indépendance !

Comme si le nombre et la façon dont seront demain élus nos chers – (parce qu’ils coûtent vraiment cher) – députés vont empêcher Rodrigues d’arracher son indépendance avec le soutien de nos amis étrangers rapaces.

Comme si un nouveau système électoral éradiquera l’abominable trafic de drogue que dénoncent les gazettes étrangères de temps à autre comme étant notre première industrie.

Comme si demain un nouveau mode de scrutin allait augmenter le nombre de logements décents, d’emplois honnêtement rémunérés, de salaires dignes de citoyens d’une démocratie westminstérienne – (Oh le gros mot !), la quantité du poulet dans le briani, du poisson dans le vindaye et de la Tara Margarine dan nou di pain !

Sans compter tout le reste, si multiple et varié, comme l’eau, l’électricité, l’autobus, le gaz, l’essence, le rotti, le ti peg and so on.

Si le Mauriciens ont la mémoire courte, ils l’ont cependant tenace. S’ils ne se souviennent pas exactement du nombre d’experts – (il y en a eu tant et tant) – que l’Etat mauricien a payé très cher pour lui apprendre à bien gérer ses divers services depuis 1968, ils savent que cela n’a pas servi à grand-chose. Ils en ont vu sévir, des deux sexes et de toutes les nationalités, à la Douane, à la Justice, dans la Police, dans l’Education nationale, à la MBC, la CWA, le CEB, dans les hôpitaux, sur les quais, dans les égouts, sur les routes royales et campagnardes, et même à Clarisse House, bref partout où nos princes ont jugé nécessaire de les rétribuer grassement pour nous apprendre de bonnes manières et nous aider à nous comporter en citoyens efficaces et honnêtes.

Résultat : après Carcassonne il y aura encore et toujours d’autres savants qui seront rémunérés du budget national qui apportera les lendemains qui chantent et non le Mauricien qui grogne et qui rogne, nous dit-on, chaque année, lors d’une Grand Messe des Chiffres.

La braderie de Mauritius Telecom

Le comble ! Quand l’Etat ne paie pas très cher ces experts inutiles qui viennent plus en vacances qu’en mission laborieuse chez nous, il leur vend les bijoux de la Nation ! Souvenons-nous du mari deal de Paul Raymond Bérenger avec Mauritius Telecom. A peine élu et fait ministre des finances par SAJ, il vend un quart de Mauritius Telecom à France Telecom. Pourquoi cette vente faite avec précipitation sans l’aval du Parlement ? PRB n’a jamais donné de raisons claires de cette vente. Il n’a jamais dit combien il a vendu ces 40% de MT ni ce qu’on a fait de l’argent récolté.

Aujourd’hui, on ne parle que de la mainmise totale de France Telecom sur Mauritius Telecom qu’il presse comme une orange juteuse pour renflouer ses pertes européennes tout en transformant son personnel mauricien de tous les niveaux en indentured labourers des temps de sueur de l’Aapravasi du siècle avant-dernier. On a tout bonnement changé d’oligarchie. Depuis lors, chaque mot qu’un Mauricien prononce dans un appareil téléphonique, rapporte des matelas d’euros à France Telecom.

Ce qui pourtant n’a pas empêché la même France Telecom de perdre son triple A chez les agences de notations anglo-saxonnes ! Ah ! Ah ! Ah ! Non, il n’y a pas de quoi rire.

La braderie du mari-deal d’Illovo

Qui a oublié ces images repassées en boucle à la MBC où l’on voyait Paul Raymond clamer ad nauseam que brader les usines et les terres d’Illovo à l’oligarchie était un mari-deal ! Laquelle oligarchie s’était empressée, grâce aux heureuses dispositions légales de l’IRS de « vendre Maurice en pièces détachées de 4,500m2 bâtis » à 1 million de dollars à des étrangers. Enn lot mari deal !

On nous dira que l’argent ainsi récolté par containers entiers est resté dans la main de Mauriciens. C’est vrai. Mais pas au profit des Mauriciens qui, pour deux millions de roupies, ne peuvent pas s’offrir une parcelle de 250 m2 avec une modeste maison dessus parce qu’il n’y a plus de terre à bâtir et que Maurice n’est pas extensible. Au contraire ! Par la faute de l’IRS, le pays rétrécit ! Déjà qu’un héritage du système colonial – (que tous les gouvernements successifs se sont bien gardés d’abroger ou de modifier pour que leurs membres puissent aussi disposer d’un campement à côté des grands dimounes) –, le Mauricien lambda ne dispose plus que de quelques pieds carrés de sable sur les plages dites publiques qui rétrécissent chaque fois qu’une compagnie veut implanter un hôtel.

Il est vrai, comme dit le citoyen assis sous la varangue de son campement bâti sur un terrain de l’Etat loué cinq sous par an depuis l’arrivée de ses premiers ancêtres sur ce sol : « On ne les a pas fait venir à Maurice pour aller à la plage mais pour trimer dans les champs et les usines. »

A qui fait-il référence ? Allons, pas la peine de donner des précisions sous peine d’être taxé de communaliste !

La future braderie de Plaisance

Le nouvel aéroport n’est pas encore terminé que déjà on parle de brader sa belle coquille avec la bonne chair et le succulent corail qu’elle renferme à Aéroports de Paris. L’a-t-on déjà oublié ? On avait déjà placé notre aéroport national sous une tutelle britannique naguère. Cela n’a pas marché sauf pour le trafic des produits destinés à la vente en Duty Free et autres substances… En tout cas, cette mise sous gestion étrangère n’a pas fait augmenter le trafic des passagers ou des avions. Ce n’était pas la faute aux British si compétents. Ni aux Mauriciens devenus des incapables. Mais à qui donc ?

Mentionnons au passage que le Groupe « Aéroports de Paris » vient de perdre ses trois A des agences de notations. Ah, bé ! Ah, bé ! Signalons que l’oligarchie, à qui PRB a offert la mine d’or des Centrales Electriques Privées, se garde bien de se mettre sous tutelle étrangère, elle. Pas folle la vieille guêpe ! Mais à quoi donc a servi l’indépendance arrachée en 1968 et qu’on va célébrer en grande pompe en mars ? Uniquement à permettre aux puissances étrangères et à l’oligarchie de mettre le pays en coupe réglée ?

Arrêtons-nous ici ! La liste des turpitudes dans lesquelles patauge notre pauvre pays pendant que nos princes travaillent uniquement pour se maintenir au pouvoir est interminable. Pendant ce temps, chaque jako, grand ou petit, lutte pour défendre sa montagne, pas plus haute qu’un pouce.


* Published in print edition on 10 February 2012

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