Relations Inde et Canada : une amitié qui devient tendue

Par A. Bartleby

L’un des faits marquants du sommet du G20 à New Delhi était la situation ubuesque dans laquelle Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, s’est retrouvé.

Il a tout d’abord créé la surprise en descendant de l’avion accompagné de son fils à New Delhi. Cette situation pourrait paraître normale ici à Maurice, mais elle ne l’est pas dans les pays développés. D’ailleurs, la presse canadienne a immédiatement réagi en rappelant que le Canada n’était pas un pays où les “fils de” arrivaient naturellement aux affaires publiques, même si cela avait été le cas pour Justin Trudeau.

L’indépendantisme sikh empoisonne les relations entre Ottawa et New Delhi

Justin Trudeau n’a jamais vraiment brillé sur la scène internationale, n’arrivant jamais à s’imposer comme une figure forte avec laquelle les autres leaders mondiaux doivent discuter et entretenir des relations privilégiées. La presse canadienne se délecte même d’images et de vidéos où le Premier ministre canadien se met clairement dans des situations où les autres leaders l’ignorent tout simplement lorsqu’ils le croisent lors des sommets internationaux.

La situation la plus ridicule était cette fameuse conversation, entièrement filmée, avec Xi Jinping où Trudeau s’était fait remonter les bretelles comme un petit écolier incapable de donner la réplique. Mais le dernier sommet du G20 n’a pas été avare en situations humiliantes pour Trudeau, à commencer par le refus de Modi de lui accorder une audience privée et une conversation extrêmement tendue avec Joe Biden.

Il faut avouer que la situation du Canada est particulière. Même si ce pays est un membre du G20 et qu’il possède un territoire immense, avec des ressources capables d’en faire un jour une puissance mondiale, le pays n’est pas perçu comme une puissance par les autres pays-membres du G20. Sa petite démographie et son incapacité à pouvoir réellement peser sur les grands enjeux sécuritaires, énergétiques, économiques et aussi au niveau des institutions mondiales font que la Canada apparaît comme ce que nous pouvons appeler un “petit grand pays” – à l’opposé de Singapour, du Qatar ou des Emirats arabes unis qui sont, eux, de “grands petits pays”.

Un feu follet entre l’Inde et le Canada

Mais par delà cette perception, le dernier sommet du G20 semble avoir surtout allumé une mèche qui pourrait devenir un feu follet entre l’Inde et le Canada.

Les relations sont tendues entre les deux pays depuis quelque temps déjà à cause de la situation des indépendantistes sikhs qui réclament un référendum pour la création d’un État indépendant du Kalisthan au Punjab. Le reproche de l’Inde est que le gouvernement canadien tolère des groupuscules radicalisés classés comme des organisations terroristes sur son sol. En effet, certains radicaux kalisthannistes sont même allés jusqu’à appeler ouvertement à des attaques sur des diplomates indiens basés sur le sol canadien sans que le gouvernement canadien ne trouve quoi que ce soit à redire.

Ainsi cette tolérance envers ce que l’Inde considère comme étant des terroristes dangereux passe extrêmement mal à New Delhi. Cette situation est compréhensible au regard des précédents entre ces deux pays, et en particulier au regard de l’attentat contre le vol 182 d’Air India en juin 1985 qui avait fait 329 victimes. C’était un groupe terroriste nommait Babar Khalsa qui était à l’origine de cet attentat et l’enquête avait conclu à un laxisme de l’administration et de la police canadienne : le groupe terroriste avait pu introduire une bombe dans la soute du vol 182.

Aujourd’hui, il apparait que le gouvernement de Justin Trudeau démontre ce même laxisme car il n’y a eu aucune réaction officielle envers les menaces contre les diplomates indiens au Canada.

La politique et les cinq sous de Jagmeet Singh

Mais pourquoi donc cette posture de Trudeau ? Qu’a-t-il réellement à gagner à faire l’autruche dans cette situation, antagonisant un partenaire commercial clé pour le Canada afin de protéger des extrémistes et des radicaux au nom d’une supposée liberté d’expression? Comme souvent dans de telles situations, la réponse est à chercher du côté de la politique.

Les dernières élections générales au Canada avaient eu lieu en 2019 et avaient été extrêmement contestées. À l’arrivée, les Libéraux de Justin Trudeau ont obtenu le plus de sièges, soit 158 sièges sur un total de 338, sans avoir une majorité confortable pour former un gouvernement. Ils ont ainsi été obligés de faire une alliance avec le New Democratic Party dont le leader est un certain Jugmeet Singh, un Canadien originaire du Punjab et de religion sikh.

Jagmeet Singh n’a jamais caché ses affinités avec les revendications kalisthannistes, même s’il n’a jamais ouvertement pris position sur la création d’un État kalisthanniste au Punjab. Mais l’assise de Jugmeet Singh auprès des minorités notamment fait que les 25 sièges que le New Democratic Party a ramené aux Libéraux lui donne une sacrée influence sur la scène politique. En d’autres termes, le New Democratic Party apporte les cinq sous qui permettent aux Libéraux de constituer la Roupie, (tout comme un parti connu du paysage politique mauricien, toutes proportions gardées).

Ainsi, ce parti qui ne représente que la quatrième force politique au Canada réussit généralement à bien positionner ses objectifs et ses intérêts. Et depuis que Jagmeet Singh en est devenu le leader, il est certain que les intérêts de la communauté sikh, résidant majoritairement en Ontario, sont devenus sensibles.

Est-ce que Trudeau est-il ainsi pris à la gorge par son allié dont il ne peut pas se passer ? Sans doute. Mais est-ce que cela cautionne la dégradation rapide et dangereuse des relations avec l’Inde ? Les Canadiens décideront de cela aux prochaines élections en 2024, en espérant que la situation n’atteint pas un point de non-retour d’ici là.

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Contrats publics et la culture du soupçon

Serait-il enfin temps de revoir le mode d’attribution des contrats publics ?

La député Joanna Bérenger a fait parler d’elle cette semaine suite à une conférence de presse où elle a dénoncé ce qui serait, selon elle, des irrégularités dans l’attribution d’un contrat du CEB à une firme étrangère pour un projet de ferme solaire.

Cette affaire risque de faire un certain bruit puisque le CEB a tout de suite répliqué en déposant une plainte contre la député mauve auprès des autorités. Joe Lesjongard, le ministre des énergies, en a également fait de même. Maintenant, Joanna Bérenger va devoir soutenir et prouver ses dires, ce qui risque de prendre un certain temps.

Cette affaire vient, avec des dizaines d’autres, augmenter le soupçon du public sur l’attribution des contrats de l’Etat et des entreprises paraétatiques. Les procédures de “tendering” sont bien établies, avec des appels à soumission qui sont lancés et qui sont publiés dans les journaux. Mais le processus d’attribution reste invisible au grand public, et certains choix ne sont ni expliqués, ni justifiés par les décideurs.

Cela peut produire des situations comme celle où se trouve actuellement le CEB en face des allégations d’une député.

Ne serait-il donc pas grand temps que le gouvernement songe à moderniser le système d’attribution des contrats publics en rendant visibles non seulement les “tenders” qui sont lancés et les résultats de ces “tenders”, mais également les processus d’attribution et les différentes étapes de la chaîne décisionnelle.

  • Il n’est pas difficile d’imaginer, par exemple, un système digitalisé, comme un portail en ligne, où tous les “tenders” seraient visibles au grand public et où chaque personne pourrait consulter l’évolution de la chaîne de décision concernant chacun de ces “tenders”.
  • Un système à coefficient peut également être introduit où chaque appel d’offres aurait des critères clairement définis avec différents coefficients attribués à chaque critère.

Ainsi toutes les propositions seront évaluées selon des critères définis dans la transparence et une note sera attribuée pour chaque critère, et à la fin, c’est la proposition qui aura obtenu le coefficient ou la note la plus élevée qui remportera logiquement le contrat.

Encore une fois, cela peut se faire de manière entièrement transparente et objective, dans un système où l’on peut imaginer que les entreprises qui n’auront pas obtenu le contrat pourraient également faire appel auprès d’un comité dont la fonction serait de “review” ou d’examiner de nouveau les dossiers afin de s’assurer de la validité et de la neutralité de la procédure.

Il s’agit là uniquement de propositions simples. Tout un ensemble de dispositions peut être pris pour s’assurer que les appels d’offres et l’attribution des contrats publics soient plus neutres et plus objectifs, en donnant de la sorte plus de visibilité au grand public.

Cette réforme devient urgente afin de combattre la culture du soupçon permanent qui s’installe autour des pratiques des institutions publiques.

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64% des chômeurs à Maurice sont des femmes

Nous avons pour habitude de parler du chômage des jeunes, à juste titre car 51% des chômeurs sont âgés entre 16 et 29 ans. Mais nous avons moins tendance à parler du fait que les femmes souffrent plus de ce phénomène que les hommes.

En effet, sur les 19175 chômeurs recensés cette année, 12 242 sont des femmes, soit 64%. Pire même, dans la tranche critique des 30 à 39 ans, les femmes représentent 72% des chômeurs, soit presque trois chômeurs sur quatre.

Comment expliquer cette différence ? En réalité, plusieurs facteurs sont en jeu: la nature du travail, le secteur d’activité, la géographie, etc. Il ne faut pas également sous-estimer l’augmentation de l’effectif féminin sur le marché du travail, notamment dû au fait que les femmes constituent la majorité de la population mauricienne aujourd’hui.

Il est intéressant d’observer les tendances ailleurs si nous souhaitons mieux saisir le problème à Maurice. Une étude sérieuse conduite en Grande Bretagne et en France a démontré que la tendance à l’égalisation était bel et bien réelle, surtout avec le développement des secteurs des services et l’augmentation du niveau d’éducation des filles.

Ainsi, le processus d’égalisation des taux de chômage remonte à plus de 30 ans. Dès la fin des années 80, l’écart s’est réduit. Il est de deux points au détriment des femmes au début des années 2000 mais les courbes se rencontrent pour la première fois fin 2009. Ce rapprochement sur une longue période reflète de manière structurelle l’élévation du niveau d’éducation des filles, un phénomène qui s’amorce en réalité dès les années 50.

À partir du début des années 2000, la part des titulaires d’un diplôme supérieur parmi les femmes en emploi devient supérieure à celui des hommes. Ce rapprochement est aussi le résultat du déclin de l’industrie, secteur très majoritairement masculin, et du développement des services, beaucoup plus féminisé.

Or, ces phénomènes sont également présents à Maurice. Aujourd’hui, le niveau d’éducation et de qualification des filles est en nette augmentation et dépasse même celui des garçons selon les récentes statistiques de Mauritius Statistics. Les secteurs des services sont également en plein essor dans une économie mauricienne qui devient de plus en plus dépendante des secteurs touristiques et financiers.

L’on pourrait ainsi penser que la disparité entre le chômage des femmes et celui des hommes aurait une certaine tendance à l’égalisation. Mais cela ne semble pas être le cas.

Comment donc expliquer de telles différences entre le chômage des femmes et le chômage des hommes ? Il est indéniable que le sexisme et une certaine culture du monde du travail ne jouent pas en faveur de l’emploi des femmes.

Mais est-ce que cette donnée n’est pas aujourd’hui en train d’évoluer à Maurice ? Il est difficile de répondre à cette question, et il serait important que le gouvernement se penche sérieusement sur le sujet afin de mieux comprendre les solutions qui doivent être mises en place afin de tendre vers l’égalité dans ce contexte.

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Tensions autour du barrage de la Renaissance
Les BRICS sont désormais les médiateurs privilégiés dans ce conflit entre l’Égypte et l’Éthiopie

Lorsque l’élargissement des BRICS à six pays a été annoncé le mois dernier en Afrique du Sud, certains observateurs se sont posé la question à propos de la manière dont l’inclusion de l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Iran pourrait fonctionner au vu des profonds antagonismes historiques entre les deux premiers pays et l’Iran.

Très peu de ces commentateurs se sont attardés sur le cas particulier de l’Égypte et de l’Éthiopie. Ces pays font également partie des nouveaux membres des BRICS+ ; et il se trouve qu’un des plus grand conflits du continent africain – qui risque de structurer les rapports de pouvoir dans la région pendant les décennies à venir – est en train de couver entre ces deux pays.

En effet, cela fait maintenant plusieurs années que l’Égypte et l’Éthiopie entretiennent des relations tendues à cause du barrage de la Renaissance. Ce dernier est un immense projet d’infrastructure qui a pour objectif de permettre à l’Éthiopie de faire croître son secteur agricole tout en adressant le problème de l’insuffisance énergétique dont souffre le pays.

en réalité, cela fait des décennies qu’un tel barrage est envisagé. Lors d’une étude conduite entre 1956 et 1964, les États-Unis avaient même déterminé avec précision l’emplacement du barrage, avant que le projet actuel ne prenne forme en 2010, et que la première pierre ne soit posée le 2 avril 2011 par le Premier ministre éthiopien d’alors, Meles Zenawi.

Ce barrage serait le plus grand du continent africain avec une capacité de 79km3 pour une production électrique de près de 5,150 MW. Autant dire que nous sommes en face d’un projet pharaonique. Et ce terme n’est absolument pas anodin dans ce cas de figure.

Le barrage de la Renaissance a pour objectif de détourner les eaux du Nil bleu – qui se trouvent en amont de la partie du Nil en Égypte. C’est la première fois dans l’Histoire humaine qu’un projet aura ainsi un impact sur les flux du Nil, fleuve dont le cours et les rythmes se trouvaient au cœur de la civilisation égyptienne depuis plus de 4,000 ans…

Il est ainsi facile d’imaginer qu’un tel projet fasse sourciller le gouvernement égyptien. Il est essentiel pour l’Éthiopie de capter une partie des capacités du Nil pour son développement, mais il est également essentiel pour l’Égypte que les flux du Nil ne soient pas bousculés.

Ainsi, des tensions existent entre les deux pays depuis les années 1970, l’Égypte ayant même menacé l’Éthiopie de représailles militaires si le projet allait de l’avant. Il n’est ainsi pas surprenant que le gouvernement éthiopien ait attendu 2011 pour démarrer le projet. À l’époque, les mouvements révolutionnaires du Printemps Arabe venaient de toucher le Caire ; et le pays était plongé dans une crise politique sans précédent, n’ayant ainsi pas forcément les capacités politiques et sécuritaires pour empêcher le voisin éthiopien d’aller de l’avant avec son projet.

Douze ans plus tard, en 2023, le barrage de la Renaissance est enfin complété et le gouvernement éthiopien vient d’annoncer que le barrage est finalement rempli. Parallèlement, sachant qu’un tel barrage pourrait poser de sérieux problèmes à son approvisionnement en eau et donc à son économie, le gouvernement égyptien a investi, par exemple, dans des projets lui permettant de combler son déficit en eau si l’Éthiopie venait à réduire l’alimentation du Nil au sortir du barrage.

C’est bien là la source du problème. Avec ce barrage, l’Ethiopie s’est doté un outil de contrôle du flux des eaux du Nil qui se déversent vers l’Égypte, exposant ce dernier à souffrir des pénuries d’eau si l’Ethiopie venait à devoir en limiter les flux. Ce scénario relève d’une réelle possibilité, non pas à cause de la volonté politique de le faire, mais plutôt à cause des pénuries d’eau.

Ainsi, la peur des Egyptiens est que l’Ethiopie fasse diminuer les flux d’eau se déversant dans la partie égyptienne du Nil dans des situations de sécheresse et de pénuries d’eau. Cette situation serait désastreuse pour le peuple et l’économie égyptienne, et nous devinons qu’un tel scénario pourrait immédiatement entraîner une réaction militaire d’envergure de la part du gouvernement égyptien.

Ainsi intégrant l’Egypte et l’Ethiopie, les BRICS+ se positionnent comme des architectes de la géopolitique de cette région du monde. Les puissances occidentales s’étaient bien gardées de ne pas intervenir activement dans ce dossier, y voyant un potentiel belliqueux important. Est-ce que les BRICS+ se positionneront comme médiateurs dans un conflit potentiel entre l’Égypte et l’Éthiopie ? Nous ne pouvons pas encore le savoir, mais il est certain qu’en intégrant ces deux pays, les BRICS+ sont également devenus les dépositaires de ce conflit latent dont les ramifications pourraient être dramatiques pour le nord-est africain.


Mauritius Times ePaper Friday 22 September 2023

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