Réforme fiscale: mythes et réalités

Budget 2020-21

Le Gouvernement aurait pu faire une réforme fiscale fondée sur une rationalité économique visant à accroître la capacité fiscale du pays tout en permettant une redistribution des richesses. Il ne l’a pas fait

Par Aditya Narayan

Certaines mesures fiscales annoncées dans le budget 2020-21 ont suscité des réactions diverses et opposées, allant d’une approbation tacite dans certains milieux à une désapprobation ouverte dans d’autres.

La fiscalité est toujours une question sensible dans la mesure où elle touche aux poches des contribuables : il est essentiel d’examiner ces mesures d’une façon désintéressée afin de séparer le bon grain de l’ivraie ; en d’autres mots, distinguer entre les mythes et les réalités.

Les principales mesures fiscales ont trait à l’impôt sur le revenu des particuliers (personal income tax) et l’impôt sur les bénéfices de la société (corporate tax).

Impôt sur le revenu

D’abord, examinons l’impôt sur le revenu personnel. Avant le budget 2020-21, les particuliers étaient assujettis au taux de 10% sur le revenu annuel net jusqu’à Rs 700,000. Le revenu annuel net au-dessus de Rs 700 000 fut imposé au taux de 15%.

En outre, il y avait une “charge de solidarité” (levy) de 5% sur le revenu annuel taxable (incluant les dividendes) dépassant Rs 3,5 millions. Les contribuables payaient l’impôt au taux réel de 20% sur l’excédent de revenu sur le seuil de Rs 3,5 millions.

Le budget 2020-21 vient d’augmenter la charge de solidarité de 5% à 25%, frappant le revenu annuel imposable (incluant les dividendes) d’un résident mauricien à compter de Rs 3 millions. L’ancien taux d’imposition de 20% passe donc à 40% à partir du seuil de Rs 3 millions par an.

Il convient de distinguer entre le taux de base (10%), qui s’applique au revenu net après les déductions admises, et les taux d’imposition marginale qui s’appliquent aux tranches de revenu supérieures. Effectivement, les nouveaux taux d’imposition marginale seront de 15% et de 40%. Certains milieux confondent les deux types de taux d’imposition pour faire croire que la fiscalité est devenue excessive et confiscatoire pour les personnes à haut revenu. Or, tel pas le cas.

En moyenne, une personne à haut revenu ne paiera pas plus de 20% d’impôt en moyenne sur l’ensemble de son revenu. Par exemple, un contribuable ayant un revenu annuel de Rs 4 millions paiera une moyenne de 20% (sans tenir compte des déductions), comme le démontre le tableau schématique plus bas. Selon les calculs du ministre, le même contribuable paiera 17,4% après déductions contre 13,9% auparavant. On est donc très loin de la confiscation du revenu.

 

Income bracket (Rs) Taxable income Rs Tax rate Tax Rs
Up to Rs 700,0000 700,000 0.10 70,000
From Rs 700,000 to Rs 3 M. 2,300,000 0.15 345,000
From Rs 3 M to Rs 4 M. 1,000,000 0.40 400,000
Total taxes 4,000,000 815,000
Average tax rate 20%

 

Problème structurel

Le ministre des Finances a justifié la nouvelle mesures en ces termes au paragraphe 220 de son discours du budget :

“We need to bring more progressivity and fairness in our taxation system and we call upon the high income earners to further contribute to rebuild our economy while preserving our social fabric.”

Le Gouvernement espère récolter Rs 3,5 milliards de revenu fiscal supplémentaire de l’augmentation de la charge de solidarité. En même temps, le budget a rehaussé les seuils de revenu imposable (le revenu moins le montant d’exemption personnelle) pour tous les contribuables avec pour résultat que les impôts seront réduits ou éliminés pour 55 000 contribuables.

Maurice a un problème fiscal structurel dans la mesure où la capacité fiscale du pays (18% du PIB contre 34% en moyenne dans les pays de l’OCDE) est insuffisante pour financer les dépenses de fonctionnement de l’Etat, ce qui donne lieu à un déficit annuel dans le budget devant être financé par l’endettement.

Le Gouvernement devait faire quelque chose pour renverser la vapeur. Il aurait pu faire une réforme fiscale fondée sur une rationalité économique visant à accroître la capacité fiscale du pays tout en permettant une redistribution des richesses qui puisse diminuer les inégalités de revenu et de richesse dans la société. Il ne l’a pas fait.

Les nouvelles mesures, aussi positives soient-elles, constituent un simulacre de réforme fiscale parce qu’elles sont limitées. Elles touchent au revenu uniquement et non pas à la richesse. Si le Gouvernement avait voulu taxer la richesse, il aurait réintroduit la taxe sur les plus-values sur les biens mobiliers (actions d’entreprise, bijoux, objets précieux, bateaux, etc.) et les biens immobiliers (terrains et bâtiments).

Ecoles de pensée opposées

Le Gouvernement s’est placé dans ce qu’il estime être le juste milieu entre les deux principales écoles de pensée en matière de fiscalité. Ces deux écoles de pensée opposées sont :

(a)       l’école néolibérale : elle prône l’impôt uniforme de 10% ou 15% pour tous les contribuables selon le raisonnement qu’un taux d’imposition proportionnel unique ne fait pas de discrimination. Très peu de pays ont l’impôt uniforme.

(b)       l’école progressiste : elle préconise l’impôt progressif avec un taux de base (10%) et des taux d’imposition marginale (15%, 25%, 30% et 35%) applicables aux tranches de revenu supérieures. La plupart des pays capitalistes de l’OCDE ont l’impôt progressif

Le Gouvernement justifie le nouveau taux d’imposition marginale de 40% au nom de la solidarité sociale en temps de crise. D’ailleurs, il parle de “prélèvement de solidarité” et non pas de taxe de solidarité. Il n’est pas certain qu’une fois la crise passée ce nouveau taux d’imposition marginale durera. Il est très probable qu’il disparaisse dans l’avenir lorsque les finances publiques auront été assainies. Les réactions aux nouvelles mesures appartiennent à l’une ou l’autre école de pensée.

Dans l’école néolibérale, l’ancien ministre des Finances Sithanen s’est prononcé contre le taux d’imposition marginale de 40% en déclarant qu’il pénalisera les mauriciens qui engrangent de hauts revenus grâce à leurs études et compétences professionnelles. Un argument sans doute élitiste !

D’autres disent que la nouvelle mesure encouragera les cadres à émigrer ou à travailler moins afin de ne pas atteindre le seuil de revenu imposable de Rs 3 millions. Un dirigeant du secteur privé a même dit : « On verra le retour de l’évasion fiscale comme le sport préféré des hauts salariés. »

Ceux de l’école progressiste accueillent la nouvelle mesure au nom de la justice fiscale et ils auraient préféré que le Gouvernement aille plus loin en faisant une véritable réforme fiscale qui soit juste, permanente et capable de répondre aux besoins de financement de l’Etat-Providence. S’il y a une chose qui est controversée, c’est la décision du Gouvernement d’exempter les résidents étrangers, qui travaillent et obtiennent des revenus à Maurice, du nouveau taux d’imposition marginale de 40%. Le principe de l’équité fiscale veut que tous les contribuables qui tirent des revenus dans une juridiction donnée soient assujettis aux mêmes taux d’imposition selon le concept de résidence fiscale.

Maurice s’est mise en violation d’une autre règle de l’OCDE, qui a mis en œuvre tout un programme pour combattre l’érosion de la base fiscale et le transfert du profit (Base Erosion and Profit Shifting) dans ses pays membres. L’OCDE insiste pour que d’autres juridictions qui traitent avec elle suivent les mêmes règles fiscales dans l’effort global de contrôler l’optimisation fiscale et l’évasion fiscale. Maurice court déjà le risque d’être placée, à l’instigation de l’Union européenne, sur la liste noire des juridictions qui ont des carences dans leur dispositif contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme. Fallait-il une autre entorse aux règles de bonne gouvernance ?

Impôt sur la société

Le taux d’imposition sur les sociétés en général est resté à 15% avec le taux exceptionnel de 3% accordé aux sociétés d’exportation. Toutefois, le budget a introduit un prélèvement (levy) de 0,1% à 0,3 % sur les sociétés dont le revenu brut annuel dépasse Rs 500 millions. Les compagnies d’assurance, les institutions financières, les fournisseurs de services et les compagnies dans l’immobilier paieront le prélèvement de 0,3%. Cette nouvelle mesure est novatrice dans la mesure où la taxe s’applique au revenu brut et non pas aux bénéfices (profit), ce qui va à l’encontre du principe de l’imposition des sociétés.

Quel est le raisonnement du Gouvernement ? Avec la taxe sur le profit, il y a toujours une tendance pour les sociétés de maximiser les dépenses déductibles pour minimiser le profit. Est-ce pour prévenir cette pratique qu’il veut imposer le prélèvement sur le revenu brut avant le calcul du profit ? Le Gouvernement aurait pu peut-être faire un prélèvement de 5% sur le profit (ce qui aurait porté le taux d’imposition à 20%) au lieu de prélever 0,3% sur le revenu brut des compagnies rentables. Cela aurait accompli le même objectif.


* Published in print edition on 9 June 2020

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