Réforme électorale: “We are stuck… unless we find something better”

Interview : Me Yusuf Mohamed

‘Une victoire de Resistans ek Alternativ va assurer la déroute pour les minorités’


Deux évènements ont marqué les Mauriciens cette semaine : le Commissaire de Police et l’affaire de Resistans ek Alternativ en Cour suprême. Dans les deux cas, les Mauriciens s’attendent à obtenir des éclaircissements. Etant donné la complexité des deux cas, nous avons invité Me Yusuf Mohamed pour apporter des explications supplémentaires à nos lecteurs, notamment du point de vue juridique.


Mauritius Times : Partira-t-il ou ne partira-t-il pas ? C’est la question qui est posée dans le milieu politique et de la police depuis que l’affaire de passeport délivré à Mike Brasse a éclaté – affaire qui a suscité des commentaires de différents dirigeants politiques dont Paul Bérenger et qui qualifient les accusations portées contre le Commissaire de Police comme étant « extrêmement graves ». Doit-il partir, selon vous ?

Me Yusuf Mohamed : Je pense que le Commissaire de Police a commis plusieurs erreurs. Il n’y a qu’à voir les actions ou autres décisions de certains de ses subordonnés ces dernières années, ce qui ont été – à mes yeux – des actes de persécution politique contre les adversaires du régime en place. La police ne s’est pas montrée indépendante, comme c’est prescrit dans la Constitution, elle s’est laissée instrumentalisée par le pouvoir politique, et j’ai moi-même eu à me plaindre de cette façon de faire de la police.

En ce qui concerne l’affaire de passeport délivré à M. Brasse sur les instructions du Commissaire de Police selon les dires de l’ancien responsable du ‘Passport and Immigration Office’, vous devriez savoir que l’octroi d’un passeport est précédé d’une enquête policière, et l’application elle-même doit être soutenue par deux personnes. Les circonstances, si elles sont avérées, dans le cas concernant Mike Brasse sont très graves.

Rappelez-vous des circonstances qui avaient provoqué la démission d’Ivan Collendavelloo des années de cela pour avoir apposé sa signature sur la demande de passeport de Sol Kerzner, le patron de la chaîne hôtelière sud-africaine Sun International. L’Afrique du Sud avait alors encore le régime d’apartheid, contre lequel le MMM militait.

Le Commissaire reste en poste… pour, comme il l’a lui-même déclaré, préparer la visite papale. C’est à se demander si M. Nobin détient le monopole de tels préparatifs !

Il n’y a pas que cette affaire de passeport : M. Nobin a été Commissaire de Police au moment où les adversaires politiques de ce Gouvernement et leurs proches ont été persécutés par la police, arrêtés et détenus avant qu’ils ne soient relâchés sur ordre de la justice ou les affaires rayées sur avis du Parquet.

Mes deux fils Shakeel et Zakir Mohamed ont subi les persécutions de la police de M. Nobin. Navin Ramgoolam et l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice et tant d’autres politiciens et fonctionnaires l’ont également été durant ces quatre dernières années. Et voilà que l’affaire Brasse éclate à la figure de M. Nobin.

Ce monsieur doit partir, il ne peut pas rester en poste. Les gens bien pensant sont d’avis que nous n’avons plus une police indépendante… Qu’il parte de son propre gré afin qu’on soit épargné d’une autre procédure d’‘impeachment’, comme cela avait été fait dans le cas de l’ancien Commissaire de Police, Raj Dayal. Mais là aussi, on se demande si l’actuel Gouvernement serait disposé à prendre cette voie…

* Il y a toute une procédure prescrite dans notre Constitution pour le « removal » de tous ceux qui bénéficient d’une protection constitutionnelle. Faut-il, selon vous, aller plus loin en vue d’assurer que tous ces titulaires soient ‘accountable’ au Parlement de leurs décisions durant leurs ‘terms in office’, par exemple ?

Oui, ce serait souhaitable que tous ceux qui occupent des postes constitutionnels soient rendus responsables de leurs actes et décisions. Il faut réfléchir sur les moyens d’assurer cela. On pourrait, par exemple, mettre en place un système pour qu’ils fassent l’objet de l’‘oversight’ du Parlement. Mais faut-il qu’il y ait la volonté politique favorable à une telle démarche. Je ne vois pas l’actuel Gouvernement ni le prochain gouvernement non plus agir/aller dans cette direction.

* Y a-t-il des enseignements à tirer, à votre avis, de l’affaire Ameenah Gurib-Fakim, cette dernière qui disposait aussi en tant que Présidente de la République de la protection de notre Constitution ?

Cette affaire fait présentement l’objet d’une commission d’enquête, et c’est difficile pour moi de dire quoi que ce soit ou d’ajouter à ce que j’ai déjà déclaré à la Commission. Par contre, je constate que Mme Fakim n’a pas hésité à faire une déclaration récemment et hors de la commission d’enquête, cela sur les ondes de Radio Plus pour m’accuser encore. Je ne suis pas là pour répondre à Mme Fakim, je laisse le soin à la Commission de prendre la décision qu’elle juge nécessaire. Moi, par respect pour la Commission, je préfère ne rien dire davantage.

* Mais pour qu’on puisse introduire de nouvelles dispositions constitutionnelles, faut-il que le pouvoir politique en place quelle que soit sa couleur politique puisse réunir la majorité requise pour y parvenir. Or tel n’est pas vraiment envisageable eu égard aux difficultés de réunir un tel consensus au sein du monde politique à Maurice, comme cela a été le cas par rapport au projet de loi sur la réforme électorale. Qu’en pensez-vous ?

Vous savez, même s’il existe cette volonté politique et qu’on arrive ainsi à réunir la majorité nécessaire pour introduire des nouvelles dispositions constitutionnelles, personnellement je ne vois pas cela comme étant réalisable eu égard au contexte mauricien. Par exemple, je ne conçois pas les Mauriciens en train d’accepter une autre option que celle d’un tribunal constitué de juges indépendants pour entendre une affaire de destitution d’un titulaire d’un poste constitutionnel.

Voyez ce qui se passe avec cette commission d’enquête sur l’affaire Britam. Peut-on imaginer qu’une personne qui est partie négocier avec Dawood Rawat à Paris puisse aujourd’hui siéger en tant qu’assesseur sur cette même commission ? « It’s not fair. »

* Il y a présentement devant la Cour suprême l’affaire logée par Resistans ek Alternativ portant sur « l’élimination du communalisme » dans le système électoral, affaire qui selon le Chef Juge serait une « landmark case » dans l’Histoire de Maurice. L’Acting Assistant Solicitor General, représentant de l’État, a présenté une motion, le 10 mai dernier, pour contester la présence du chef juge Eddy Balancy sur le Full Bench de la Cour suprême pour avoir déjà entendu une affaire ayant un rapport avec la présente plainte de ReA. Comment réagissez-vous à ce « challenge » de l’Etat ?

Avec tout le respect que je dois au Chef Juge, je crois qu’il se rend compte maintenant qu’il ne faut pas qu’il fasse partie de ce ‘panel’ de juges devant entendre cette affaire. Il a également fait des déclarations dans le passé sur la question de ‘Best Loser’. Je ne pense pas donc que ce soit dans son intérêt et dans celui du judiciaire qu’il fasse partie de ce panel.

* Mais êtes-vous du même avis que le Chef juge concernant l’importance de cette affaire logée par Resistans ek Alternativ ?

 Je vais vous dire très franchement que je suis toujours pour le maintien du ‘Best Loser System’ (BLS) dont l’objectif est d’assurer une représentation adéquate des minorités au Parlement, ce qui requiert la déclaration ethnique du candidat aux élections. Or, ce système basé sur le recensement ethnique de 1972 est aujourd’hui faussé eu égard à l’évolution sur le plan démographique. Donc, le jeu est faussé dès le départ. Mais il faut faire avec et maintenir le BLS en attendant qu’on trouve une alternative acceptable à cela.

Je ne comprends pas la démarche de Resistans ek Alternativ… 

* C’est pour « décommunaliser la politique », disent-ils…

Décommunaliser pour que vous soyez toujours en minorité avec la présente délimitation des circonscriptions ? Non ! Les Hindous seront toujours en majorité au Parlement du fait qu’ils sont en majorité dans 12 circonscriptions. Le système sera toujours basé sur le communalisme, et il n’y a pas que ça : allez voir sur quelle base les candidats sont choisis pour les élections ; il y a aussi les considérations religieuses et castéistes.

Par ailleurs, avec l’évolution sur le plan démographique, ce qui fait qu’il y a dans le pays présentement plus de Musulmans, de Créoles ou d’autres minorités non recensées en 1972, il faut bien que cela soit adéquatement compensé par une meilleure représentation au Parlement. J’apprends que certains ont aussi avancé l’argument que le nombre de membres de la Population générale a dépassé celui des Hindous à Maurice.

Je ne sais pas si c’est vrai ou non, mais faut-il « in all fairness » corriger la représentation de la Population générale au Parlement si tel est effectivement le cas. C’est aussi la raison pour laquelle je soutiens la démarche en faveur d’une nouvelle délimitation des circonscriptions.

* Quelles vont être les conséquences politiques et constitutionnelles d’un jugement de la Cour suprême favorable à Resistans ek Alternativ ?

Dans ce cas, et avec l’actuelle délimitation des circonscriptions, les Musulmans et les Créoles auront à mendier les leaders politiques pour avoir des candidats musulmans et créoles dans les diverses circonscriptions du pays.

Le Best Loser System, qui fonctionne à partir de la déclaration ethnique d’un candidat, tombera automatiquement si Resistans ek Alternativ gagne son procès, car ce que ReA recherche maintenant c’est l’abolition de toute déclaration ethnique par les candidats aux élections. On avait maintenu, grâce au mini-amendement constitutionnel pour les besoins des dernières élections, la possibilité pour tous ceux qui voulaient déclarer leur ethnicité, cela en prévision de se faire élire sous le BLS. Or, ReA recherche aujourd’hui son abolition claire et nette.

* Ce qui provoquera un chambardement total de notre système électoral… c’est ça ?

Absolument. Les minorités seront gravement affectées, alors que cela a été obtenu lors des consultations constitutionnelles avant les élections de 1967. « I cannot go into the minds of the judges and say in what direction they will proceed…”

Vous savez, rien n’est assuré. Il se pourrait bien qu’ils arrivent à partager le point de vue de Resistans ek Alternativ, ce qui à mon avis va assurer la déroute pour les minorités. Il faut bien que quelqu’un puisse argumenter cette thèse que je viens de vous livrer devant les juges…

Décommunaliser, c’est facile dit, mais…. Allez voir le résultat dans le monde footballistique suivant la décommunalisation du sport. C’est fichu, l’engouement pour le football n’existe plus, les stades sont vides.

* Faut-il donc communaliser la politique ?

La politique est déjà communalisée. Il faut voir tous ces groupes « across the board » à pied d’œuvre lors des campagnes électorales. Mon père m’avait dit dans le temps : « Aussi longtemps que Maurice existera, Béta, il y aura toujours le communalisme, le racisme et le castéisme… »

Et cela continue de plus belle… Allez voir ce qui s’est passé lors des élections de la Students Union à l’université de Maurice ou de la Medical Council… Voyez-vous les établissements sucriers retenir les services d’un avocat noir, hindou ou musulman à Maurice, qu’il soit brillant ou non ?

* Qu’est-ce qui va se passer dans la pratique lors des prochaines élections générales si Resistans ek Alternativ gagne son procès ?

Les élections seront conduites sur une base non-communale… tout le monde est Mauricien, il n’y aura plus de Musulman et Créole ou Hindou… C’est très bien pour la galerie… mais parviendra-t-on ainsi à supprimer le communalisme dans la tête et l’esprit des gens ?

Il faut bien se rendre compte de ce qui se passe au niveau des nominations surtout lorsque la PSC délègue ses pouvoirs. Le communalisme est partout – dans le secteur public et privé.

Mais il n’y a pas que ça : il y a aussi le favoritisme, le népotisme, les ‘isms’… Pour changer, il faut que cela débute dès le jeune âge, à l’école avec l’enseignement des valeurs civiques… Or, aujourd’hui, les élèves veulent déshabiller une enseignante dans un collège !!!

C’est toute une éducation à refaire à Maurice. Je veux, moi, être Mauricien et qu’on prenne en considération mes compétences, ma réputation lorsque je fais une demande pour un poste et non pas être considéré comme un Musulman.

Si la méritocratie demande qu’il y ait plus d’Hindous ou plus de Musulmans ou plus de Créoles dans les postes, ainsi soit-il. Va-t-on pouvoir introduire cela à Maurice ? Les gens de Resistans ek Alternativ sont des idéalistes…

* Ne faut-il pas voir la démarche de ReA comme un « first step in the right direction » en vue de décommunaliser la politique ?

« A first step? »… non. « It’s going to drown Mauritius! » Vous allez voir ce qui va se passer.

* Vous ne faites pas confiance non plus aux dirigeants politiques pour assurer une représentation équitable des différentes composantes de la population mauricienne ?

Non, aucun dirigeant. Les élections à Maurice sont toujours décidées à la veille du scrutin, et il y aura toujours le racisme, le communalisme et le castéisme qui vont intervenir dans le choix des électeurs…

Disons que Resistans ek Alternativ gagne ce procès. Posez-vous la question de savoir sur quelle base les candidats seront choisis. Ce sera toujours sur une base communale.

* Personnellement, quel est votre sentiment concernant la possibilité qu’un gouvernement, généralement constitué de deux ou plusieurs partis en alliance, puisse au vu de la complexité de notre contexte politique faire voter une réforme électorale à l’avenir ?

Je ne vois pas. La question dont on parle actuellement, c’est au Parlement de décider et d’amender la loi. Un jugement ne peut pas changer la Constitution, c’est au Parlement d’amender la Constitution.

Voyez-vous le Parlement, tel qu’il est constitué actuellement, amender la Constitution pour donner raison à Resistans ek Alternativ ?

* Presque tous les partis politiques sont contre un nouveau recensement de la population sur une base ethnique…

Absolument. « We are stuck… unless we find something better to ensure adequate and fair representation of the minorities.”

“Fair representation of minorities » dépendant de leur représentation dans le pays… que ce soit les Hindous ou la Population générale qui soient/soit en majorité dans le pays. Assumons que c’est dorénavant la Population générale qui constitue la majorité, les Hindous ont donc intérêt à dire : Attention ! Vu que nous constituons une minorité, nous devons avoir une représentation adéquate.

Ce n’est pas dans mon intérêt que le communalisme règne dans le pays. C’est dans l’intérêt des minorités que la méritocratie soit considérée dans les nominations, les promotions, dans les recrutements. Maurice serait alors mieux servi avec la méritocratie.

* On apprend que l’ébauche d’un projet de loi sur le financement des partis politiques serait en voie de finalisation au bureau de l’Attorney General ? Paul Bérenger a déclaré que ce serait ‘un pas en avant’ mais il attend de voir l’ébauche du projet de loi. Le PTr et le Mouvement Patriotique sont contre le financement des partis par l’Etat. Comment réagissez-vous à cela ?

Alors… on va utiliser l’argent des contribuables pour le remettre soit à Navin Ramgoolam, soit à Pravind Jugnauth ou Paul Bérenger ou Cehl Meeah ou Alan Ganoo ! Cela pour financer les activistes, les bases, les affiches, le ‘manger-boire’ des agents… avec l’argent des contribuables !

Pourquoi les candidats ne financent-ils pas leur campagne électorale par leurs propres moyens ? Je ne suis pas en train de parler des sommes exorbitantes que les différents partis politiques obtiennent des capitalistes… Que les partis dépensent leur propre argent !

Sur quelle(s) base(s) et sur quel(s) critère(s) ce financement par l’Etat aura-t-il lieu ? Le MSM obtiendra-t-il plus que le PTr ? Qu’en est-il pour le PMSD ? On est en train de jouer avec l’argent des contribuables. Va-t-on taxer davantage les Mauriciens pour qu’on puisse financer les partis politiques ? Est-ce juste ?


* Published in print edition on 17 May 2019

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