Que reflète la consommation d’alcool de certains étudiants en milieu universitaire aujourd’hui ?

Les nombreux appels des membres du public à certains membres des institutions scolaires/universitaires indiquent clairement que le seuil de tolérance face à la consommation de boissons alcoolisées a été atteint. Faut-il attendre que le pire se produise?

Par Vina Ballgobin

Il est connu que la consommation d’alcool est excessive à l’île Maurice. Aujourd’hui, le milieu universitaire paie le prix d’une politique de l’autruche datant de plus de dix ans. Cela fait longtemps que certains collégiens (14 – 16 ans) et lycéens (17 à 20 ans) consomment impunément des verres de boissons alcoolisées agrémentées d’une tranche de citron ou d’un peu de boisson gazeuse dans des boutiques, en milieu rural aussi bien qu’en milieu urbain, à la fin des classes avant ou après les leçons particulières. Le même phénomène se poursuit dans certains milieux universitaires où, depuis plusieurs années, certains étudiants consomment des boissons alcoolisées sans aucune forme de contrôle non plus à quelques mètres de leur campus puisque la consommation y est interdite dans l’enceinte des campus universitaires.

La consommation d’alcool est excessive à l’île Maurice. Aujourd’hui, le milieu universitaire paie le prix d’une politique de l’autruche datant de plus de dix ans. Photo – freakonomics.com

Aujourd’hui, à peine quelques jours après la rentrée universitaire, les membres du public se plaignent du comportement des « étudiants liniversité ». Certains jeunes gens et jeunes filles se retrouvent pendant les heures de cours dans un lieu public proche de leur campus pour consommer des boissons alcoolisées. Certains parlent même de mélange illicite avec certaines autres boissons… Cette pratique dure depuis plusieurs années. Mais, en 2020, le taux de fréquentation est nettement plus élevé que les années précédentes, et il y a un changement d’attitude chez les jeunes qui ont perdu tout sens de respect de soi et de l’autre dans un espace public.

Dans ce contexte, plusieurs problèmes sont soulevés par les membres du public.

  • Création d’une « base boire l’alcool » permanente

Les jeunes se retrouvent à n’importe quelle heure du jour à la même « baz boire ». Vont-ils en cours à l’université en étant ivres ? Dans quel état rentrent-ils chez eux à la fin de la journée ?

Certains jeunes gens et jeunes filles sont des abonnés de ces lieux. Que se passera-t-il dans quelques années au niveau de leur santé physique et mentale ?

Si ces jeunes ont des problèmes sur le plan familial ou psychologique, n’y a-t-il pas eu de suivi au cours de leur scolarisation ? Si oui, comment ce suivi est-il assuré quand ils passent en milieu universitaire ? Si non, est-il temps que le ministère de l’Education et ses partenaires fassent quelque chose pour aider ces jeunes car ces derniers sont les premiers à être en danger tout en dérangeant considérablement l’ordre public ?

  • Création d’un dépotoir illégal en un lieu public

Les membres du public condamnent l’absence de citoyenneté de ces étudiants : ils jettent à même le sol ou dans le caniveau à côté de leur « baz boire » toutes les bouteilles et cannettes consommées. D’un côté, ces jeunes observent probablement avec fierté l’augmentation des déchets au vu et au su de tous, jour après jour, prouvant ainsi leur capacité à défier par cette infraction les autorités – toutes les autorités, les parents, le milieu éducatif, la force policière,… Quelques cannettes sont aussi jetées à même le sol tout le long de la route menant vers les arrêts d’autobus, les gares routières ou l’entrée de leur campus…

D’un autre côté, les dépotoirs et les pistes « l’alcool » ainsi créés par ces étudiants deviennent un véritable eyesore – une pollution visuelle – d’une laideur incommensurable. Que pensent ces jeunes ? Sont-ils des citoyens d’une classe supérieure ? Supérieurement intelligents ? Supérieurement malpropres ? Supérieurement illettrés sociaux ?

Et qui doit payer pour ce nettoyage ? Les taxpayers incluant leurs propres parents? Et pourquoi donc ?

  • Création d’une perception négative de leur institution supérieure

A part la création d’une « baz boire » permanente, ce qui dérange les membres du public, c’est aussi le comportement de ces jeunes. Ils n’ont aucun respect pour les résidents, les passants et les employés des alentours, encore moins pour les autres étudiants qui traversent les lieux ou les passagers qui les observent parfois en train de vomir à l’arrêt d’autobus. Parfois, un autre jeune demande au chauffeur ou au contrôleur d’arrêter l’autobus pour laisser descendre celui qui a envie de vomir – c’est souvent le cas quand un jeune a pris de la drogue synthétique mélangée à une boisson quelconque mais il est trop fragile pour digérer cette substance chimique…

Jeunes gens et jeunes filles marchent en titubant quand ils sont totalement ivres. Il y a parfois des comportements obscènes de la part des jeunes couples dans un moment d’égarement, encore plus quand il y a de grandes fiestas organisées sur la même « baz boire ».

Ces jeunes-là parlent à haute voix. Pire encore, les conversations font ressortir clairement qu’ils appartiennent à un établissement supérieur pas très loin de là où ils se trouvent… Ils jettent le discrédit non seulement sur l’établissement universitaire auquel ils appartiennent mais sur l’ensemble des jeunes fréquentant l’établissement. A cause de quelques étudiants irresponsables, l’ensemble des jeunes doivent payer le prix fort…

  • Création d’un nouveau rituel contemporain

Tout porte à croire que la consommation de boissons alcoolisées est en train de devenir un rituel estudiantin quotidien. Pire encore, certains étudiants – dont certains pourraient éventuellement être des dealers – pourraient en influencer d’autres, car pour eux, il y aurait un enjeu financier à la clé à travers la vente de produits illégaux…

Les étudiants, simples consommateurs, eux, sont aussi de véritables dangers publics – ils peuvent se blesser eux-mêmes tout comme ils peuvent devenir violents et en blesser d’autres autour d’eux.

Prenons l’exemple d’un pays qui ne joue pas à la politique de l’autruche – les Etats-Unis. Les conséquences de ce rituel estudiantin sont graves et plusieurs recherches ont été menées en vue d’éliminer ce rituel en milieu universitaire.

(i)         Des étudiants entre 18 et 24 ans sont morts de plusieurs types d’accidents, incluant des accidents entre véhicules.
(ii)        Plusieurs étudiants non-consommateurs de boissons alcoolisées ont subi la violence verbale ou physique émanant de ceux qui ont bu.
(iii)       Les rapports sexuels non protégés ont entraîné d’autres problèmes de santé comme le SIDA. Certains ont eu recours à la violence physique, avec des cas de viols rapportés.
(iv)       Des cas de vandalisme ont été rapportés.
(v)        Un étudiant sur quatre ne va pas en cours, n’arrive pas à suivre les cours dispensés, réussit en ayant juste la moyenne ou échoue aux examens.
(vi)       Le suicide parmi de jeunes alcooliques a aussi été rapporté.

 Quelques solutions

Tout le monde est concerné. Il faut donc réfléchir maintenant sur la manière de contrer ce fléau. Les citoyens ordinaires et les travailleurs sociaux ont joué leur rôle de watchdog. Ils dénoncent les abus de la part des étudiants. Tant mieux ! C’est un moyen de savoir que la limite de tolérance a été atteinte. Mais où sont les autres Mauriciens concernés ?

  1. Les autorités universitaires

Les recherches menées dans plusieurs universités indiquent que les six premières semaines de la rentrée universitaire sont importantes pour la sensibilisation et l’information aux freshers. Ils ne doivent pas se laisser influencer par les autres habitués des « baz boire » afin de limiter le nombre de consommateurs.

Par conséquent, leur institution et leur Students’ Union ont un rôle de premier plan à jouer durant cette période en parallèle aux fêtes et autres Freshers’ parties.

A noter ce que dit le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA) aux Etats-Unis: “Strong leadership from a concerned college president, in combination with an involved campus community and a comprehensive program of evidence-based strategies, can help address harmful student drinking.”

  1. Le ministère de tutelle – le ministère de l’Education

Le ministère de l’Education devrait mener campagne ouvertement contre ce fléau. Les parents doivent être informés des risques par voie de presse. Ils doivent mieux contrôler le pocketmoney qu’ils donnent à leur enfant – collégien-lycéen ou étudiant. Ils doivent savoir qu’il y a de gros problèmes en ce moment et qu’il faut prendre le taureau par les cornes.

Les syllabus scolaires doivent obligatoirement comporter un thème portant sur les méfaits de la consommation des boissons alcoolisées et des drogues synthétiques ou autres types de drogues.

Dans le cadre des activités extracurriculaires, il faudrait un planning afin que des professionnels de santé et des ONGs soient régulièrement invités pour parler aux jeunes dans les collèges-lycées et les universités.

  1. Le ministère de la Justice

Pour la création de tout nouveau campus universitaire ou établissement secondaire, la loi doit stipuler qu’il ne doit pas y avoir de débit de boissons alcoolisées à un kilomètre à la ronde.

Dans le cas de campus existants, les débits de boissons doivent être mieux contrôlés, notamment les sites connus pour la vente de produits illicites à travers des étudiants-dealers ou des dealers outsiders. En cas de fermeture d’une telle boutique ou de changement de propriétaire, les nouveaux propriétaires ne devraient pas obtenir l’autorisation de vendre des boissons alcoolisées.

La consommation de boissons alcoolisées et de drogues près d’un établissement scolaire/universitaire ou à un kilomètre à la ronde doit être sanctionnée par le travail communautaire surveillé. Ces jeunes doivent travailler avec les éboueurs tous les matins pendant au moins un mois. Puis, ils doivent se rendre dans des institutions pour s’occuper des personnes invalides et handicapés. Ils doivent payer pour le mal qu’ils font à la société.

  1. Les partis politiques et autres associations socioculturelles

Les jeunes des partis politiques et autres associations socioculturelles qui souhaitent apporter un renouveau – et dont beaucoup sont des membres de près ou de loin des Students’ Unions en milieu universitaire – doivent se poser la bonne question et apporter des propositions rapidement : « Quelles stratégies devons-nous implémenter pour limiter durablement la consommation de boissons alcoolisées et de drogues à Maurice parmi les jeunes ? »

  1. Le Gouvernement en place

Le Gouvernement gagnerait à créer une cellule de recherche permanente pour démarrer la recherche sur la consommation d’alcool et les moyens à employer pour limiter ce fléau. Les stratégies doivent être évaluées chaque année. Le public doit savoir ce qui passe. Les parents doivent être partie prenante à travers les PTAs et les étudiants, eux, à travers les Students’ Unions et des représentants des autorités.

Pour conclure

Ce n’est plus un luxe que la République de Maurice pourrait se permettre : c’est une nécessité. Les nombreux appels des membres du public à certains membres des institutions scolaires/universitaires indiquent clairement que le seuil de tolérance face à la consommation de boissons alcoolisées a été atteint. Faut-il attendre que le pire se produise, que viols, vols et crimes se matérialisent dans les enceintes scolaires et universitaires pour commencer à agir ? Ou le Gouvernement comprendra-t-il cet appel citoyen ?

 

Références

Hingson, R.W.; Zha, W.; and Weitzman, E.R. Magnitude of and trends in alcohol-related mortality and morbidity among U.S. college student sages 18–24, 1998–2005. Journal of Studies on Alcohol and Drugs (Suppl. 16):12–20, 2009. PMID: 19538908.

Hingson R, Heeren T, Winter M. et al. Magnitude of alcohol-related mortality and morbidity among U.S. college students ages 18–24: changes from 1998 to 2001. Annual Review of Public Health 26: 259–279, 2005. PMID: 15760289.

https://www.niaaa.nih.gov/ about-niaaa

Wechsler, H.; Dowdall, G.W.; Maenner, G.; et al. Changes in binge drinking and related problems among American college students between 1993 and 1997: Results of the Harvard School of Public Health College Alcohol Study. Journal of American College Health 47(2):57–68, 1998. PMID: 9782661


* Published in print edition on 20 October 2020

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