Privy Council: l’appel de Suren Dayal contre Pravind Jugnauth

Eclairages

Par A. Barthelby

C’est le ‘talk of the town’, l’appel de Suren Dayal contestant les élections de Pravind Jugnauth, Leela Devi Dookun-Luchoomun et YogidaSawmynaden «for having been obtained by reason of bribery, treating, undue influence, illegal practice and/or any other valid reason»sera entendu au Privy Council lundi prochain à 14h, heure de Maurice.

La mobilisation de l’opposition, dans son ensemble, a commencé depuis un moment. Certains groupes de la diaspora appellent, par exemple, à des rassemblements devant le Privy Council pendant l’audience. D’autres groupes sur les réseaux sociaux ont commencé des ‘countdowns’ par rapport à la destitution de PravindJugnauth.

Les partis politiques de l’opposition parlementaire, eux, sont restés extrêmement discrets sur ce ‘hearing’. Mise à part quelques posts Facebook qui souhaitent bonne chance aux hommes de loi de SurenDayal, il n’y a eu aucune posture officielle du PTr. Tout comme le MMM et le PMSD d’ailleurs qui sont restés silencieux sur ce ‘hearing’ jusqu’à présent.

Cette posture témoigne d’une sagesse que seule permetune longue expérience politique. Non seulement le verdict des Law Lords est incertain, mais les conséquences de ce verdict ne sont pas forcément une aubaine pour les partis traditionnels. Il y a deux issues possibles à ce jugement. Ou bien SurenDayalgagne son cas, ou bien il le perd. Et ces deux issues ouvrent des scénarios différents, radicalement différents même, concernant le cheminement vers les prochaines échéances électorales.

Dans le premier cas, il semble certain que nous nous dirigeons vers des élections. Mais quelles élections ? L’invalidation de l’élection de PravindJugnauthdevrait s’accompagner d’une invalidation à se représenter aux prochaines élections. Mais la Constitution mauricienne n’est pas claire sur une question cruciale: est-ce qu’une invalidation et une disqualification d’un candidat n’est valide uniquement que dans une circonscription, la numéro 8 dans ce cas précis, ou bien dans toutes les circonscriptions ?

Ainsi, une victoire de SurenDayal ouvre la voie aux deux scénarios suivants :

Scénario 1: L’élection de PravindJugnauth et de ses deux colistiers est invalidée et le commissaire électoral se doit d’organiser des élections partielles dans les délais accordés par la Constitution. En cas d’invalidité des candidats déboutés, le PM ne pourra pas se représenter, ce qui signifie que le MSM devra aligner trois nouveaux candidats. Mais cela ne signifie pas forcément le retrait de PravindJugnauth comme PM puisqu’il peut très bien faire démissionner un de ses députés d’une autre circonscription et s’y faire élire lors d’une autre élection partielle, ce qui lui permettrait de revenir à l’Assemblée nationale et de reprendre le portefeuille premierministériel, et ainsi repousser les échéances d’une élection générale le plus tard possible. Un scénario qui comporte des risques toutefois car la bataille sera rude.

La question d’une candidature de Navin Ramgoolam se posera dans ce cas de figure. Sera-t-il candidat à la partielle de la No 8 ou à une autre éventuelle partielle, en concurrence directe avec PravindJugnauth ? Ce serait pour lui l’opportunité de justifier ses ambitions de redevenir PM. En se jetant dans l’arène et en se faisant élire, il pourrait également redevenir Leader de l’opposition.

Mais ce scénario comporte des risques énormes pour lui s’il n’arrive pas à se faire élire, et les stratèges du PTr seront sans doute plus chaud pour une candidature plus jeune, notamment un jeune qui se positionne difficilement à la No 8 dans son ambition de remplacer un jour le fils du père de la Nation. Un tel scénario sera ainsi pour lui l’occasion d’un test grandeur nature qui enverra un signal fort de sa capacité ou de son incapacité à devenir le prochain leader des rouges.

Scénario 2 : Le leader actuel du MSM pourrait très bien être tenté de dissoudre l’Assemblée nationale et d’appeler les Mauriciens aux urnes dans des élections générales anticipées dans un délai maximum de 5 mois. Dans ce cas de figure, la question de l’invalidité d’une candidature du PM ne devrait pas se poser, puisque la mandature où son élection a été invalidée sera terminée. Se posera alors la question de sa capacité à occuper la même circonscription. Mais rien ne m’empêchera de changer de circonscription. D’ailleurs, il se murmure que la No 7, ancien bastion de son père et où Maneesh Gobin est en perte de vitesse, serait son choix privilégié. Dans ce cas de figure, il devient urgent pour les partis de l’opposition de finaliser leur alliance et proposer un projet aux Mauriciens pour les prochaines joutes électorales.

D’ailleurs, il est clair que les partis extra parlementaires sont actuellement dans une ébullition particulière, avec la multiplication des réunions dans les différentes circonscriptions. Ils sentent que c’est maintenant que les choses sont en train de se jouer en réalité ; et qu’ils doivent passer à la vitesse supérieure s’ils souhaitent être plus que de simples figurants dont la seule fonction est de casser les bases des partis traditionnels aux prochaines élections générales.

Il y a bien évidemment un troisième scénario, celui d’une défaite de SurenDayal. Ce scénario serait dramatique pour le PTr. Navin Ramgoolam n’a eu de cesse de justifier sa position de leader du PTr par le fait que les élections de 2019 avaient été entachées de soupçons trop graves pour que le MSM ait pu les remporter légitimement. Toute la rhétorique du PTr s’est articulée autour de cela depuis fin 2019, forçant même le MMM à soumettre des pétitions électorales alors que, selon des ‘insiders’, ils ne le souhaitaient pas vraiment. Ces pétitions n’ont pas été retenues par la justice, menant à la situation actuelle où seule celle de SurenDayal a passé le test du PrivyCouncil. Si SurenDayal est débouté la semaine prochaine, Jugnauth aura alors le loisir de choisir le ‘timing’ des prochaines élections en toute sérénité.

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Croissance économique revue à 5,3% pour cette année

Le chiffre de la croissance économique pour l’année 2023 a été revue à la hausse par Mauritius Statistics. Alors que cette dernière prévoyait une croissance d’un peu plus de 4%, elle a rectifié ses estimations en rajoutant un point pour une estimation de 5,3%.

Cette augmentation est directement liée au dernier budget du ministre des Finances, et des projets en infrastructures qui y sont inscrits. Ainsi les influx en capitaux et les investissements de l’État semblent participer pleinement à la consolidation de la reprise post-Covid. Un tour d’horizon des différents secteurs de l’activité économique démontre effectivement que la reprise est solide, et elle prend appui sur la grande capacité de résilience du pays.

Tout semble indiquer que le pays revient à une situation normale après trois années de crise mondiale. D’ailleurs, les données du FMI et de la Banque mondiale sont extrêmement encourageantes, plaçant Maurice dans la moitié des pays où la reprise est la plus positive. Pour 2023, le taux de croissance sera supérieur et le taux d’inflation sera inférieur à la moyenne mondiale. Le taux de chômage est – lui – en baisse. Après avoir atteint 8,2% au début de 2022, il est actuellement à 6,7%, une baisse qui correspond à près de 50,000 emplois pourvus entre janvier 2022 et janvier 2023. Le chômage devrait encore continuer à baisser puisque tous les secteurs d’activités sont actuellement à la rechercher d’employés.

Mais les choses ne sont pas aussi roses et positives pour tous. Nous pouvions lire, par exemple, dans les journaux de cette semaine que, sur les quelque 520,000 employés à Maurice, près de 111,000 percevaient un salaire ne dépassant pas Rs 12,000 par mois. Un peu plus de 20% des salariés mauriciens touchent ainsi des revenus qui dépassent à peine le seuil du salaire minimum. Cette statistique témoigne du fait que la distance entre les hauts et les bas revenus a augmenté exponentiellement depuis la Covid-19.

En fait, nous voyons traduits dans des statistiques concrètes ce que nous constatons facilement dans la réalité sociale mauricienne : l’économie est bien repartie, mais les classes ouvrières ont du mal à arrondir les fins de mois. Cela est directement lié à la crise de la cherté de la vie : le pays étant trop dépendant des importations, le pouvoir d’achat des Mauriciens est exposé aux risques des fluctuations des prix sur le marché mondial. Mais comprendre la crise actuelle de la cherté de la vie – uniquement par le prisme de l’inflation – ne suffit pas. Il y a clairement une disparité structurelle qui doit être comblée.

C’est là que les choses se compliquent dramatiquement en réalité puisque cette disparité ne sera pas comblée par des politiques économiques ou des mesures sociales, mais par une relance de la productivité. Et relancer la productivité n’est pas chose aisée puisque cela appelle à revoir tout un ensemble de choses, à commencer par la réadaptation du système de l’éducation et des formations tertiaires, afin de mieux armer les jeunes à faire face à l’impératif qu’ils devront produire bien plus afin de contrer les immenses problèmes liés au vieillissement de la population mauricienne.

Ce point est absolument critique pour comprendre ce qui nous attend comme défi pour les prochaines années. La productivité à Maurice a été soutenue grâce à l’influx des travailleurs étrangers. Ces derniers ont permis une augmentation de la productivité qui a balancé la perte de productivité des travailleurs mauriciens depuis plusieurs années. Mais cette situation a mis le pays dans un piège qu’il sera de plus en plus difficile de s’extirper, celui de la dépendance au travail étranger au détriment de celui des Mauriciens, moins productifs et dont le coût est plus élevé.

Comment sortir de cette situation aujourd’hui ? La réponse apportée à cette question donnera le ton de la direction sociale du pays pour les prochaines années.

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Émeutes en France : radicalisation des banlieues ?

Les faits ressemblent fortement aux émeutes de 2005 qui avaient été déclenchées par la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. Ces derniers s’étaient réfugiés dans un poste de transformation d’EDF afin d’échapper aux policiers qui les poursuivaient. Ils avaient trouvé la mort par électrocution. Cet évènement avait été immédiatement suivi d’émeutes à Clichy-sous-Bois, émeutes qui s’étaient propagées sur la totalité du territoire français.

Jacques Chirac était alors Président de la République, alors que Dominique de Villepin occupait le poste de Premier ministre et Nicolas Sarkozy celui de ministre de l’Intérieur. C’était il y a un peu moins de 20 ans, mais cela semble déjà bien loin dans les mémoires.

Les faits de l’élément déclencheur se sont produits le 27 juin dernier. Nahel Merzouk, un jeune de 17 ans et fiché des services de police, s’est pris une balle dans la cage thoracique alors qu’il tentait d’échapper aux policiers après une course poursuite. Comme en 2005, les banlieues se sont immédiatement embrasées, et les émeutes se sont propagées sur tout le territoire français.

Les faits peuvent ressembler fortement aux émeutes de 2005, mais à y regarder de plus près, nous constatons facilement que les émeutes actuelles sont extrêmement différentes, et ce, sur plusieurs points.

Tout d’abord, l’intensité de la violence déployée par les émeutiers est beaucoup plus importante qu’en 2005. Certains d’entre eux utilisent même des armes de poing afin de tirer à balle réelle sur la police. Les dégâts sont également bien plus importants et la méthode utilisée relève d’organisations de gangs bien plus sophistiqués qu’en 2005. En témoigne cette attaque à la voiture bélier sur le domicile d’un élu local, ce qui a grièvement blessé son épouse alors que cette dernière tentait d’évacuer les lieux avec ses deux enfants en bas âge.

Ensuite, le traitement politique et médiatique est radicalement différent, ce qui risque de laisser des traces profondes dans la psychologie nationale. Le trio Chirac/de Villepin/Sarkozy qui tenait les rênes en 2005 faisait extrêmement attention à éviter tout dérapage et tout débordement, mais leur posture était idéologiquement claire. Nicolas Sarkozy incarnait d’ailleurs parfaitement bien cette posture avec un discours considéré par la gauche à l’époque comme extrême et virulent, mais comme ferme et forte par la droite. Ces émeutes avaient d’ailleurs cristallisé l’image autoritaire de Nicolas Sarkozy, qui a su surfer sur cette vague afin de facilement remporter les élections présidentielles de 2007.

Or, les choses semblent bien différentes aujourd’hui. Alors que la majorité des Français attendaient des postures fortes et fermes de Macron, ils ont eu droit à un président vacillant, sans direction réelle et sans poigne. Cette posture confuse est le résultat direct de ce que tant de personnes vantent chez Macron : le fait qu’il ait fait voler en éclats la droite et la gauche républicaine en France. Cela pouvait sembler extraordinaire en 2016 et en 2021, mais les émeutes actuelles démontrent à quel point cet éclatement est un piège vicieux pour l’espace politique en France.

En effet, l’incapacité de Macron à agir et à affirmer une posture claire et limpide sur la question sécuritaire est la conséquence directe de sa tentative de réconcilier la droite et la gauche républicaines en France. Comment pouvait-il dès lors avoir une position claire et limpide ? Une posture trop sécuritaire aurait aliéné ses alliés de gauche. Et une posture trop molle aurait aliéné ses alliés de la droite. Résultat : une incapacité à envoyer un signal fort et lisible par l’ensemble de la population française, et un Président qui ne se montre ni fort ni mou.

Seul l’avenir le dira. Mais il se pourrait bien que le système Macron – dans sa tentative de jouer sur les deux tableaux de la dichotomie politique historique en France afin de réconcilier des contradictions qui avaient des fonctions politiques précises – se soit effondré ces dernières semaines.

Il est en tout cas clair que les grands gagnants politiques de ces émeutes soient les partis et les mouvements d’extrême-droite, et une personne en particulier : Jordan Bardella. Ce jeune du Rassemblement National, lui-même issu de l’immigration, devient une voix de plus en plus forte dans le paysage politique français.

Ses prises de position, son argumentaire et ses propositions auront fait mouche depuis quelques jours et ne sont pas sans rappeler un jeune Nicolas Sarkozy, convaincant même des Français n’adhérant aucunement au programme nationaliste et raciste du Rassemblement national (RN). En fait, Bardella a compris une chose : lorsque la France des banlieues se soulève, il suffit de faire du Sarkozy pour rallier la France qui décide des joutes électorales. Autant une Marine Le Pen comme Présidente de la République restait hypothétique, autant l’hypothèse d’un Jordan Bardella arrivant à l’Elysée d’ici une dizaine d’années est devenue une réalité déconcertante de réalisme de ces derniers jours.

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La Cour suprême des États-Unis fait un virage à droite

Le verdict en a choqué plus d’un aux États-Unis. Dans un ‘ruling’ qui aura des répercussions extrêmement profondes, la Cour suprême des États-Unis a invalidé la proposition du Président Joe Biden d’effacer les dettes de centaines de milliers d’étudiants tout en annulant les procédures d’admission aux universités sur la base de la discrimination positive.

Nous voyons, là, la conséquence directe des nominations que Donald Trump avait avalisées avant les dernières élections américaines, permettant à la Cour suprême de basculer dans le camp des conservateurs, voire même des néoconservateurs.

Il est clair que ce verdict comporte une charge politique d’envergure, pour ne pas dire qu’il comporte un positionnement idéologique clair. En effet, par-delà la volonté claire de la Cour suprême de bloquer les projets de loi de l’administration Biden, le retour sur les politiques de discrimination positive auront un impact certain sur le tissu social américain.

Cette politique d’admission aux universités, qui garantissait des quotas pour les minorités issues de milieux socio-économiques défavorisés, permettait à un nombre important de jeunes d’avoir accès à l’ascenseur social par la voie de l’éducation. Et revenir sur cette politique, discriminatoire certes, mais dont l’objectif était de rectifier les injustices de départ en prenant en compte le fait que tout individu n’a pas accès aux mêmes chances et aux mêmes opportunités, ne manquera pas d’envoyer un message clair aux minorités qui constituent la majorité des exclus aux États-Unis.

D’ailleurs, il est impossible de ne pas interpréter cette décision de la Cour suprême comme une réponse acerbe aux récents mouvements du type ‘Black Lives Matter’, au mouvement ‘Woke’ ou encore à la ‘Cancel Culture’ qui sert aujourd’hui d’idéologie à un pan de plus en plus important de la gauche américaine.

Certains pourront même y voir une tentative néoconservatrice de diviser un parti démocrate pris dans une scission idéologique importante avec, d’un côté, les démocrates libéraux à la Clinton et, de l’autre côté, les démocrates abreuvés de cette culture ‘Woke’.

Ce qui est certain, c’est que la bataille idéologique entre les néoconservateurs er la gauche américaine, bataille qui signifie déjà le début des prochaines élections présidentielles, est plus que jamais virulente aux États-Unis. Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler les sombres heures du maccarthysme.


Mauritius Times ePaper Friday 7 July 2023

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