“On installe des dynasties dans notre pays. C’est une honte qui nous affecte depuis des années”

Interview : Jack Bizlall

* ‘Politiquement parlant, nous sommes sortis d’une Monarchie Parlementaire avec la Reine Elizabeth II comme Chef de l’Etat pour entrer dans une Monarchie Républicaine’


Suite au lancement de ‘For a People’s Constitution’, publication qui vise à ouvrir un débat sur la nécessité d’une nouvelle Constitution pour Maurice, nous vous invitons à lire les propos de Jack Bizlall sur toute la question de réforme constitutionnelle. Cette publication comprend des textes de Milan Meetarbhan, Alain Laridon, Jocelyn Chan Low, Ragen Narsinghen et de Jack Bizlall lui-même. Une autre publication sur “Les Malheurs des 60-0” rédigée par Joseph Tsang Man Kin sera lancée ultérieurement. En attendant que des volontaires se mobilisent pour sensibiliser les Mauriciens sur la question, Jack Bizlall nous parle des raisons qui militent en faveur d’une nouvelle Constitution…


Mauritius Times: Il semble que l’idée prônant une nouvelle Constitution pour la République de Maurice commence à prendre forme avec le lancement cette semaine-ci d’une publication visant à ouvrir un débat sur la question. Pourquoi nous faut-il une nouvelle Constitution?

Jack Bizlall: C’est une question qui se pose depuis très longtemps. Certains croient qu’une nouvelle constitution ne peut venir que d’en haut, c’est-à-dire de nos dirigeants politiques comme ce fut le cas en 1968 après les négociations de Londres en accord avec l’Angleterre ou, en 1992, avec un projet de partage politique entre le MMM et le MSM. Nous avons fort heureusement échappé à l’accord de 2014 pour l’institution d’une République quasi-présidentielle. Ce fut une victoire pour la démocratie et non pas une victoire de la famille Jugnauth.

Cette fois, l’initiative vient de six personnes, trois anciens parlementaires et trois universitaires et le projet vise à dégager un consensus pour une Nouvelle Constitution et passer ainsi à la Deuxième République. Il sera certainement question d’opposer la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle. Pour moi, c’est crucial. Ce sera l’essence même du débat.

La prochaine Constitution devra être approuvée par le peuple. Politiquement parlant, nous sommes sortis d’une Monarchie Parlementaire avec la Reine Elizabeth II comme Chef de l’Etat pour entrer dans une Monarchie Républicaine sous le règne de la famille Jugnauth. Notre constitution n’a jamais été approuvée directement par le peuple.

Le temps est arrivé pour changer la donne comme ce fut le cas en Inde entre 1947 et 1950.

* On soutient que la Constitution de 1968 a été conçue en vue d’asseoir l’autorité du Premier ministre d’alors, mais les gouvernements qui se sont succédé – dont certains disposant d’une majorité absolue – n’ont apporté aucune modification fondamentale dans le système en place pour, entre autres, arrêter les abus. On voit difficilement ces mêmes leaders soutenir quelque démarche visant à affaiblir leur contrôle sur l’appareil d’État du pays, non?

Notre Constitution impose sur nous un Premier ministre qui peut tout faire tant qu’il détient une majorité à l’Assemblée nationale. Il peut même vendre le pays !

Personne ne prend conscience que le parti politique, qui est supposé appliquer une politique respectant la démocratie, agit à travers un leader incontesté. C’est le cas dans presque tous nos partis politiques et, de surcroît, ce fait installe des dynasties dans notre pays. C’est une honte qui nous affecte depuis des années. Le seul premier ministre qui n’a pas voulu que son fils fasse de la politique fut Seewoosagur Ramgoolam.

Constatons comment les partis politiques fonctionnent et demandons-nous si le pays n’en souffre pas. Rien n’est prévu dans notre constitution pour les partis politiques. C’est une aberration plus qu’une irrationalité démocratique. Je suis d’accord que ces gens-là ne pourront et ne voudront aucunement changer les choses. C’est là un premier obstacle auquel nous avons à faire face.

Un autre obstacle viendra de ceux qui voudront instaurer une Nouvelle République comme ce fut le cas dans plus que 40 pays après 1924. Le stalinisme et les partis uniques doivent ainsi être opposés. J’ai mis la main à une constitution poste-républicaine pour une société sans classe quand la notion de majorité n’aura aucun sens ni aucune utilité.

Pour le besoin d’une Deuxième République, j’ai déjà écrit le premier chapitre d’une Nouvelle Constitution avec pas moins de 50 propositions constitutionnelles déjà en pratique dans plusieurs pays. Cet essai sera en vente et il est puisé d’une autre publication faite en 2012. Je n’ai aucunement l’intention de quitter ce projet. Que ceux qui veulent nous aider se fassent connaitre.

* C’est possible qu’une transformation paradigmatique se soit opérée dans notre société par rapport aux motivations et priorités de nos citoyens, et il n’est donc pas évident de leur faire participer aux débats sur les grandes questions qui devraient intéresser notre pays. Une nouvelle Constitution, cela pourrait être la moindre de leurs préoccupations. Qu’en pensez-vous?

Si j’avais cette appréhension, je me serais retranché dans mes activités syndicales. Au contraire, depuis voilà cinq ans et plus, je me suis éloigné du journalisme évènementiel qui se pratique pour me consacrer grandement à l’écriture pour une nouvelle constitution.

Il est évident qu’il faudra organiser des conférences dans les universités et aussi dans les régions les plus intéressées par la politique.

Il faudra surtout en parler dans le milieu des travailleurs. Rien ne doit être laissé au hasard. Il y aura donc autour du noyau des initiateurs, des cercles de contributeurs à la rédaction et à la recherche de l’approbation des masses.

Pourquoi ne pourrions-nous pas organiser un vote dans ces régions et lieux sur la forme finale de cette constitution ? Qui nous empêche de procéder de la sorte ?

Mon opinion à propos de ce que souhaitent les Mauriciens, les Rodriguais, les Agaléens et les Chagossiens : c’est un changement de leurs intérêts constitutionnels. Pour les Rodriguais, c’est l’indépendance. Pour les Chagossiens, c’est le retour aux Chagos. C’est à nous de transformer ces intérêts en volontés constitutionnelles. Nous sommes tous concernés.

* Mais, est-ce principalement la culture politique prévalente et les pratiques en cours dans le pays durant cette dernière décennie qui ont motivé et accéléré cette démarche en faveur d’une nouvelle Constitution?

Il existe plusieurs facteurs. Rien en politique ne reste statique ou de nature réductrice. On ne doit rien simplifier d’une façon abusive ou irrationnelle. En effet, il existe plusieurs motivations existentielles, historiques et philosophiques qui poussent les classes sociales, les catégories sociales, mais surtout des individus qui veulent que les choses changent selon leurs intérêts, leur idéologie et leur quête du bonheur de vivre en toute liberté.

La plus grande de ces quêtes est certainement la liberté de la personne humaine qui est justement en République supra constitutionnelle.

Je demande donc à vos lecteurs de répondre aux deux questions suivantes :

  1. Quand les dirigeants de notre pays ont-ils fait appel à cette liberté pour faire approuver une véritable Constitution républicaine ? Si nous ne répondons jamais, c’est que nous ne sommes pas dans une République.
  2. Qui symbolise la République dans nos institutions, y compris le judiciaire? Le chapitre 1 décrit Maurice comme « a sovereign democratic state ». Lisez la constitution indienne et vous verrez la grande différence.

* Ce qui a fait l’objet des critiques ces dernières années, ce sont les dysfonctionnements ou le blocage des institutions publiques clés du pays – l’ICAC, la police, la Commission électorale, la Electoral Supervisory Commission…On a aussi beaucoup parlé de ‘state capture’ ces derniers temps. Ce n’est pas sûr qu’un renforcement des lois ou une nouvelle Constitution va modifier la donne; ce dont le pays a besoin, ce sont des hommes intègres…

C’est qui une personne intègre ? Elle est supposée être « d’une grande probité », une personne que l’on ne peut corrompre.

Nommez-moi une personne à la tête du pays et de nos institutions qui n’a pas utilisé l’éducation d’insertion, sa position sociale, ses liens politiques, son appartenance ethnique, son argent, ses relations familiales, son appartenance à des organisations occultes, son individualisme, sa soumission, ou ses aliénations socio-économiques pour occuper ces fonctions étatiques.

Ce qu’il faut, ce sont des institutions républicaines qui de par leurs fonctions (non leurs rôles) et leurs attributions (non leur pouvoir) se donnent des limites à leurs interventions (très important) dans notre société. Il y a une bataille sémantique à mener. Il y a une très grande différence entre gouverner et administrer.

Ce que je cherche personnellement de cette nouvelle Constitution, c’est un chapitre élaboré et fondamental. L’essence de la nouvelle constitution doit se trouver dans son premier chapitre.

Je demande donc à vos lecteurs de se concentrer sur le premier chapitre qui actuellement est constitué de deux phases incomplètes. Il faut passer par l’élaboration complète de ce premier chapitre.

Si nous passons le cap du premier chapitre, le reste devra suivre. 

* Il est possible également que le mal trouve sa source dans “la dérive vers un ‘party system dominé par des partis personnels, et non des partis collectifs et démocratiques,” comme le soutient Jocelyn Chan Low, et la corruption politique et le financement illicite des partis. Par exemple, l’affaire Franklin est à l’évidence une source d’embarras pour certains dirigeants politiques, n’est-ce pas?

Au sein du MPM, nous avons réfléchi sur la question des élections entre le ‘First Past The Post’ et la ‘Party List’. Une publication intitulée ‘Le système électoral’ pose le problème différemment en proposant une assemblée nationale avec 80 élus dont 40 hommes et 40 femmes qui définit la majorité gouvernementale, et 20 autres élus sur la base du ‘Party List’ et la proportionnelle, garantissant une autre voix et une autre voie, que l’on appelle tout simplement l’opposition.

Je vous propose par email 9 des 13 publications faites par trois organisations dont je suis membre – le MPM : 5 publications ; la Rosa Luxembourg : 2 publications et 2 autres publications en mon nom, pour vous dire et affirmer que ma réflexion ne date pas d’hier.

Je veux ainsi vous dire, qu’il faut persévérer, expliquer, écouter, modifier, pour qu’enfin on puisse satisfaire trois choses : (1) ce qui est nécessaire, (2) ce qui est acceptable, et (3) ce qui est applicable et aussi réalisable.

Je vous le dis très humblement, il nous faut des personnes qui maitrisent la contradiction positive, c’est-à-dire qui peuvent discuter, et ce, jusqu’à la synthèse. On n’a pas besoin de sectarisme dans la réflexion mais de nivellement. On n’a pas besoin d’opportunisme et d’aventurisme dans le comportement, mais de la détermination, de la conviction dans nos propositions, et le respect et la gentillesse dans nos rapports.


Mauritius Times ePaper Friday 24 February 2023

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