« Notre économie prendra deux ans et demi avant de revenir à son niveau de 2019 »
|Interview : Eric Ng Ping Cheun, économiste et directeur de PluriConseil
* ‘Si les frontières du pays sont fermées, l’économie mauricienne restera en panne.
Sans les arrivées de touristes et d’investisseurs étrangers, elle ne retournera pas à la normale’
* ‘Les valeurs de solidarité et de partage seront de vains mots si l’économie ne redémarre pas’
Etant donné la Covid-19, nombreux sont ceux qui pensent à un Discours du Budget éloigné du changement minimal proposé annuellement par chaque ministre des Finances. Nous l’avons entendu dans plusieurs pays du monde : la pandémie est une occasion pour effectuer des choix fondamentaux. Il s’agit de prendre une nouvelle direction dans le respect des valeurs fondamentales et une plus grande considération pour l’écologie. Les Mauriciens ont attendu le Discours du budget 2020-2021 avec beaucoup d’espérance et l’attente d’un renouveau. Mais que nous propose ce budget ? Eric Ng Ping Cheun, auteur de plusieurs ouvrages sur l’économie mauricienne, nous en parle.
Mauritius Times : Au-delà des discours et des déclarations d’intention énoncées dans le « Discours du Budget de 2020-2021 », quel constat faites-vous de la stratégie économique mais aussi politique de l’actuel Gouvernement lorsque vous allez au fond des choses ?
Eric Ng : Le discours budgétaire est devenu maintenant un exercice de communication, truffé de déclarations d’intention et d’effets d’annonce. Les sucreries et les douceurs sont dans le discours alors que la note est salée dans les annexes. Par exemple, le discours souligne l’exemption des frais portuaires à l’exportation, mais passe sous silence la hausse des frais à l’importation de la Cargo Handling Corporation et de la Mauritius Ports Authority. Voilà de quoi alimenter l’inflation importée, qui est déjà renforcée par la très forte dépréciation de la roupie. Le portefeuille des Mauriciens va souffrir.
La stratégie économique du Gouvernement reste la même que celle qu’il a suivie en temps normal, alors qu’il parle de « New Normal ! », à savoir que « the construction industry will be the engine of our recovery ». Déjà, avant Covid-19, cette stratégie fondée sur la construction et l’immobilier n’a pas pu stimuler la croissance économique au-delà de 4,0%. Celle-ci est même tombée à 3,0% l’année dernière.
Persister dans cette voie ne relancera pas l’économie sur une base solide et saine. Les fuites d’importation dans la construction et l’immobilier sont très élevées : pratiquement tout est importé – les équipements, les matériaux, la main-d’œuvre et les mobiliers. Or, les prix d’importation sont en hausse, sans compter que la pandémie, qui est toujours là, affecte le transport international et les chaînes d’approvisionnement. Par conséquent, les projets de ces deux secteurs subiront des retards dans leur exécution.
Cette stratégie n’accélérera pas la reprise économique. Les prévisions du ministère des Finances le démontrent : le produit intérieur brut (PIB), qui était de Rs 498 milliards l’année dernière, sera en baisse en 2020 et en 2021, et il n’atteindra la barre des Rs 500 milliards qu’en 2022. Donc, malgré une injection de Rs 150 milliards prises de la Banque de Maurice (BoM), notre économie prendra deux ans et demi avant de revenir à son niveau de 2019.
Il est bon de faire ressortir que l’économie mauricienne aura non pas une, mais deux années de contraction : une croissance négative de 5,8% en 2019-2020 et de 7,0% en 2020-2021. Ces deux années fiscales bénéficient pourtant d’énormes dépenses publiques, qui constituent 35,3% et 36,0% du PIB respectivement, contre 25,5% en 2018-2019, c’est dire que la politique keynésienne ne marche pas.
Au fond, le Gouvernement fait du keynésianisme social : les bénéfices sociaux ont connu un bond de 33%, de Rs 32 milliards en 2018-2019 à Rs 43 milliards en 2019-2020, et ils continueront de progresser les trois années suivantes. Le ministre des Finances a pris la peine de préciser dans son discours budgétaire que « we are reducing our recurrent expenditure, excluding social benefits, by some 10 percent on average for the coming financial year ».
De plus, le régime de Basic Retirement Pension demeure intact, alors que les grosses sociétés et les particuliers à hauts revenus sont taxés plus lourdement. Voilà autant de signaux de la stratégie politique du Gouvernement. Reste à savoir si les coûts économiques ne vont pas nuire aux dividendes politiques.
* « Un budget qui sort de l’ordinaire mais qui garde les mêmes valeurs de solidarité et de partage », a déclaré le Premier ministre dans ses premiers commentaires sur le budget. Ce qui se traduit par, entre autres, l’allocation de Rs 15 milliards pour une aide mensuelle de Rs 5 100 pendant 6 mois pour ceux qui sont en chômage technique, une fiscalité réduite pour la classe moyenne, tout une panoplie de prêts bancaires à un faible taux d’intérêt aux petites et moyennes entreprises (PME), et aussi la décision de ne pas taxer les intérêts et d’augmenter le taux de la TVA. Comment réagissez-vous à cela ?
Ce sont encore des signaux politiques. Mais c’est là jeter de la poudre aux yeux, car la réalité économique prendra le dessus des expédients politiques. Les valeurs de solidarité et de partage seront de vains mots si l’économie ne redémarre pas.
Tout procède de la production, mais ce budget fait accroître les coûts de production. Lorsque les entreprises produisent moins, elles ne procéderont pas au chômage technique (l’employé garde son emploi mais ne travaille pas), mais aux licenciements purs et simples. Les Rs 5 100 ne sont pas une allocation-chômage, mais une indemnisation salariale. Je ne vois pas beaucoup d’entreprises prendre le risque de recourir au chômage technique pendant six mois, sachant que la crise durera bien plus longtemps.
Le problème actuel des entreprises, c’est de savoir comment réduire les coûts pour survivre. Je crois que le grand argentier s’est fourvoyé en s’appuyant sur des hypothèses qui auraient été valables en temps normal. Or la situation économique est tout, sauf normale.
Au niveau de la fiscalité, la classe moyenne bénéficie certes d’un relèvement des seuils d’imposition. Mais si les gens perdent leur emploi, cette mesure n’aura pas de sens pour eux. N’importe qui préfère payer des impôts que de se retrouver chômeur. Le budget parle plus du chômage que de l’emploi ! C’est la production, et non la consommation, qui est à la base de l’emploi.
Quant aux prêts à faible taux d’intérêt aux PME, ils concernent la Banque de développement (DBM). Je suis sceptique sur l’octroi de tels crédits. D’abord, la DBM est connue pour sa lenteur bureaucratique, pour sa piètre gestion des dossiers et pour ses mauvais payeurs. Ses employés sont formés pour traiter des demandes de petits prêts de Rs 10 000 à Rs 50 000, et encore qu’ils s’y montrent très pointilleux. J’imagine mal qu’ils puissent évaluer rapidement et correctement des demandes qui vont jusqu’à un million de roupies. Et puis, le crédit facile aux PME, ou plus précisément à des entreprises zombies (qui vivent des aides gouvernementales sans être rentables), est la cause de nombreuses créances irrécouvrables.
Quoi qu’il en soit, les annonces faites aux PME restent toujours à l’état de promesse. Souvenez-vous, en 2015, le ministre Vishnu Lutchmeenaraidoo avait promis un plan de Rs 10 milliards pour les PME, mais elles n’ont jamais vu la couleur de cet argent. Aujourd’hui, le ministre Renganaden Padayachy leur fait miroiter un montant similaire.
Pour ce qui est de la TVA, il aurait été inconcevable d’augmenter son taux dans le contexte actuel, car cela aurait tué la consommation. Avec un taux inchangé, les recettes de la TVA accuseront tout de même une baisse de Rs 3 milliards en 2020-2021, malgré un taux d’inflation qui grimpera à 4,0%.
* La préparation du budget s’est faite dans des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de la Covid-19 dont les conséquences sur l’emploi, les entreprises et d’autres secteurs d’activité vont être dévastatrices. La question qui se pose en fin de compte, c’est de savoir si ce budget sera en mesure, avec les milliards de la Banque de Maurice, de limiter la casse et relancer l’économie. Qu’en pensez-vous ?
Une relance immédiate de l’économie est peu probable, car ce budget ne règle pas les problèmes urgents dûs à la pandémie. Ils sont de deux ordres. Premièrement, en dépit de la loi Covid-19, des rigidités structurelles empêchent les entreprises à se restructurer convenablement. Dans une situation de crise aiguë, qui est mondiale, nos entreprises doivent être agiles et réactives aux changements. Mais si le Gouvernement leur impose des conditions draconiennes contre une aide financière, elles seront incapables de revoir de fond en comble leur structure de production pour s’adapter à la crise. Tout n’est pas qu’une question de liquidités, car il faut aussi gérer les coûts, les risques et la volatilité de la demande.
Deuxièmement, la connectivité aérienne est la condition sine qua non de la reprise économique. Le grand argentier semble avoir oublié que nous vivons sur une île, géographiquement isolée et loin de ses marchés d’exportation. Son discours budgétaire ne contient pas un seul mot sur Air Mauritius et, accessoirement, sur notre politique d’accès aérien face à un secteur d’aviation qui est en plein bouleversement dans le monde.
Le Gouvernement peut venir avec autant de mesures qu’il veut pour le textile, le tourisme et l’immobilier, mais si les frontières du pays sont fermées, l’économie mauricienne restera en panne. Sans les arrivées de touristes et d’investisseurs étrangers, elle ne retournera pas à la normale. Dans toute son Histoire, l’île Maurice a été dépendante de son ouverture aux flux de biens et de personnes pour se développer.
Dans l’économie globalisée d’aujourd’hui, un développement autocentré n’est même pas pensable. La mobilité internationale est l’horizon indépassable de toute stratégie économique. A ce titre, il est réconfortant d’entendre le ministre Padayachy exprimer sa foi dans « Opening to the World ». Le plus tôt Maurice rouvre ses frontières avec toutes les précautions sanitaires requises, le mieux ce sera pour son économie.
* Des questions subsistent sur le recours du Gouvernement aux réserves de la Banque de Maurice pour le financement de la relance, et le mécanisme opératoire et d’aide de la Mauritius Investment Corporation, cela loin du regard du Parlement. Vos commentaires ?
Il y a deux types d’aide de la BoM au gouvernement, et il faut bien faire la distinction entre les Rs 60 milliards accordées sous la section 6(1)(oa) de la Bank of Mauritius Act, et les deux milliards de dollars (l’équivalent de Rs 80 milliards) provenant des réserves officielles en devises.
C’est une semaine après avoir annoncé cela que le gouverneur de la Banque de Maurice a précisé que les Rs 60 milliards seront levées sur le marché monétaire local. C’est une bonne chose d’absorber les Rs 30 milliards d’excès de liquidités qui sont dans le système bancaire, et je pense qu’il ne sera pas difficile de trouver une souscription additionnelle de Rs 30 milliards. Le problème, c’est que tout cet argent constitue un don, et non un prêt, au Gouvernement, et donc la BoM devra bien créer de la monnaie lorsqu’elle aura à rembourser les détenteurs de ses titres de dette. C’est une opération hautement inflationniste, qui ne se fait pas ailleurs dans le monde.
Maintenant, ces Rs 60 milliards sont classées comme « other revenue » du budget. Je me demande si le Fonds monétaire international acceptera cette classification au regard de son Government Finance Statistics Manual 2001. Au cas où les Rs 60 milliards seraient considérées comme un élément de financement, et non comme un revenu, l’exercice 2020-2021 enregistrera alors un déficit budgétaire de Rs 60 milliards, soit 13,2% du PIB !
Concernant le financement de la Mauritius Investment Corporation (MIC), qui sera une filiale de la BoM, il se fera aussi par création monétaire, ce qui aura un grand effet inflationniste. De plus, la contrepartie en roupies des deux milliards de dollars ne sera pas absorbée par la Banque centrale. Lorsque celle-ci vend des dollars aux banques locales, la masse monétaire diminue. Ce ne sera pas le cas avec la MIC qui aura Rs 80 milliards en main.
Bref, avec les Rs 10 milliards restantes qui viennent du Special Reserve Fund de la BoM, on aura une injection de Rs 150 milliards dans le circuit économique. Cela représente un tiers du PIB. C’est de la pure folie pour une petite économie !
Un autre acte de « démence » consiste à faire de notre Banque centrale une sorte de « venture capitalist », ce qui est unique au monde. Il y a contradiction entre le communiqué de la BoM et le discours budgétaire.
Le premier dit que « the objective of the MIC is to mitigate contagion of the ongoing economic downturn to the banking sector », avec les « major economic and systemic operators in the tourism and manufacturing sectors ».
Le second nous dévoile que la MIC investira dans des projets africains, dans les activités de la pêche, dans les productions alimentaire et pharmaceutique, et dans les entreprises orientées vers un futur innovant. C’est seulement à Maurice que le régulateur du secteur bancaire est entraîné dans autant d’activités commerciales avec tous les risques de conflits d’intérêt que cela implique.
Et puis, le Board de la MIC n’est même pas encore totalement constitué que ses priorités d’investissement sont déjà établies par le ministre des Finances. Est-ce que cela répond au critère : « operating independently within the parameters of a strict governance structure » ? C’est à un comité parlementaire que la MIC aurait dû répondre, précisément au nom de la bonne gouvernance.
* Les entreprises rentables qui déclaraient des dividendes ont aussi bénéficié de l’aide gouvernementale avec le Wage Assistance Scheme. Maintenant, l’Etat vient au secours des entreprises sans rien demander en contrepartie (une sécurité d’emploi garantie, une prise de participation au capital d’entreprise ou le remboursement à terme de l’aide consentie). Est-ce acceptable ?
Il n’est évidemment pas acceptable que l’Etat apporte une aide financière aux entreprises privées sans contrepartie. Il ne faut toutefois pas confondre indemnisation salariale et sauvetage d’entreprise (bail-out). Le Gouvernement avait un devoir de venir avec un Wage Assistance Scheme parce qu’il a sciemment pénalisé les entreprises en imposant un confinement à la population et la fermeture des frontières. Les firmes ne peuvent pas être blâmées pour cela.
En revanche, lorsque l’Etat sauve une entreprise de la faillite en y injectant du capital, comme il compte le faire à travers la MIC, il doit établir des conditions précises telles que la sécurité des employés et un droit de regard sur la gestion de l’entreprise. Cependant, si les conditions imposées sont trop strictes, si la sauvegarde de l’emploi est absolue, l’entreprise risque de ne pas se relever, et c’est l’Etat lui-même qui perdra son argent. Il convient d’accorder une certaine flexibilité à la direction de l’entreprise pour redresser la barre.
* Quelques mesures suscitent des interrogations, comme la répartition des 12 000 logements sociaux qui seront construits. Seulement 1 800 maisons seront pour ceux ayant des salaires de moins de Rs 10 000, 5 200 pour les salariés touchant entre Rs 10 000 et Rs 30 000, et 5 000 pour ceux gagnant plus de Rs 30 000. Est-ce juste et équitable, selon vous ?
Je ne sais pas si ceci fait partie de la « nouvelle normalité » du Gouvernement actuel, mais il n’est pas normal que la classe moyenne supérieure (plus de Rs 30 000) ait aussi accès aux logements sociaux de l’Etat. Qui plus est, elle a un quota presque trois fois plus élevé que les gens au bas de l’échelle (moins de Rs 10 000). C’est une régression sociale.
En piochant dans le bassin des acheteurs plus aisés, l’Etat devient un concurrent du secteur privé et va ainsi déstabiliser un segment important du marché immobilier. Cet interventionnisme ne fera pas l’affaire des entrepreneurs honnêtes. Il étendra plutôt le domaine d’influence de ceux qui sont proches du pouvoir politique et à l’affût de contrats de construction.
Toujours est-il qu’il sera impossible de construire 12 000 maisons d’ici à la fin du mandat de ce Gouvernement. Ces cinq dernières années, seulement environ 2 000 nouvelles unités furent concrétisées. Avec les gros travaux de construction qui sont annoncés, et ceux qui doivent être complétés, les ressources manqueront à l’appel.
* Une autre interrogation, c’est l’ouverture des portes aux étrangers avec l’élimination des obstacles pour l’obtention d’un Occupation & Permanent Residence Permit fusionné, et l’investissement dans une entreprise sans aucune restriction d’actionnariat. On connaît l’impact d’une telle mesure sur le prix de l’immobilier. Qu’est-ce que cela rapportera au pays en termes de transfert de connaissances et de technologies ?
Je suis en faveur de l’ouverture aux expertises étrangères à condition que cela entraîne un transfert réel de connaissances et de technologies. C’est le seul moyen de favoriser la diversification de notre économie. Singapour l’a fait avec beaucoup de réussite.
Je comprends les craintes qu’une telle approche suscite à Maurice. Pour les dissiper, il faut des mesures complémentaires qui rassurent les Mauriciens. D’abord, tout professionnel ayant un Occupation Permit doit obligatoirement s’associer avec un Mauricien pour investir, en lui cédant au moins 30% des actions. Au cas contraire, il n’y aura pas de transfert de connaissances aux locaux. Rappelons que les Mauriciens ont acquis une grande expertise dans le textile grâce à une participation égale avec des industriels étrangers au début des années 80.
Puis, on peut réserver le droit de vote à ceux qui sont nés à Maurice. Ensuite, on peut avoir un régime fiscal différent pour les acheteurs étrangers des propriétés immobilières. Aussi, il convient d’éviter des zones de ségrégation qui concentrent des expatriés dans certaines régions, ce qui ressemble à de l’apartheid.
D’autre part, je ne suis pas d’accord que le/la conjoint(e) de l’expatrié(e) peut travailler ici sans un permis de travail en bonne et due forme. On ne saurait avoir deux catégories d’employés étrangers, une pour la main-d’œuvre et une autre pour les conjoints des expatriés. C’est discriminatoire en termes de droits humains.
* Par ailleurs, Business Mauritius a fait part de l’inquiétude du monde des affaires concernant la taxe sur le Revenu Brut qui, selon elle, est « une taxe sur la réussite et un net obstacle à la croissance », l’augmentation du Solidarity Levy, qui fait passer le taux d’imposition marginal à 40% pour les Mauriciens à revenus élevés, et aussi l’introduction de la Contribution Sociale Généralisée, « une charge supplémentaire conséquente aux entreprises ». Ses inquiétudes sont-elles justifiées, selon vous ?
Les inquiétudes du secteur privé sont justifiées parce que la forte progressivité fiscale va à l’encontre de la relance de l’économie. Cette mesure aurait été acceptable si la situation économique était bonne. Comme je vous l’ai dit, le ministre des Finances s’est trompé dans ses hypothèses pour concevoir son budget. Ce n’est pas le moment de se servir de la fiscalité pour envoyer des signaux politiques à la population. On se serait cru à la veille d’élections générales !
Alors que le pays a besoin de hautes compétences professionnelles pour diversifier et faire repartir l’économie, le Gouvernement les démotive et les effarouche. De plus, il décourage les Mauriciens talentueux à rentrer au pays pour mettre leur expérience et leur capital au service de leur patrie. Il n’encourage pas non plus les sociétés et les particuliers, qui ont un total de mille milliards de roupies en devises sur des comptes étrangers, à rapatrier leur argent à Maurice.
Une taxe de solidarité sur les grosses sociétés n’est pas une mauvaise idée en soi, sauf qu’elle aurait dû s’appliquer sur les bénéfices, et non sur le chiffre d’affaires. Or elle sera applicable même si un groupe — ayant un chiffre d’affaires de plus de Rs 500 millions – encourt des pertes ! C’est une taxe punitive, donc injuste.
Le Gouvernement a raté une occasion en or d’apporter une véritable refonte de notre système d’imposition. Il aurait dû transférer la charge fiscale de la valeur travail aux valeurs foncières et immobilières. Les terrains et les bâtiments sont des actifs immobiles. Ils rapportent une plus-value ou une rente sans qu’il y ait un effort de production.
Le Gouvernement utilise l’argent des contribuables pour construire des routes et des rails qui valorisent les terres, et les espaces immobiliers et commerciaux. Il est vrai que les Mauriciens sont trop émotionnels par rapport à leurs propriétés. Mais la présente crise exceptionnelle exige d’injecter une bonne dose de rationalité dans notre politique fiscale.
Quant à la Contribution Sociale Généralisée, c’est une appellation impropre, puisqu’elle est en vérité une taxe additionnelle pour financer la pension de vieillesse. Ce qu’on présente comme une réforme du système public de retraite est une cote mal taillée, car on s’éloigne d’un régime par répartition sans aller vers un véritable régime par capitalisation. En même temps, les coûts des entreprises augmentent, ce qui détruira des emplois.
* La pandémie de Covid-19 a créé de nouvelles opportunités de changement, inimaginables auparavant. Le Budget a-t-il saisi ces opportunités de rupture, ou bien se rabattra-t-on en fin de compte sur un modèle de développement dépassé et des méthodes inefficaces une fois la sortie de crise assurée ?
Le Gouvernement s’est servi de cette pandémie comme prétexte pour ponctionner Rs 140 milliards de la Banque de Maurice sans vraiment réformer ni le système fiscal ni l’Etat-providence ni les canards boiteux du secteur public. C’est du gaspillage à grand échelle. La crise actuelle n’est pas transformée en opportunité de changement ou de rupture : le conservatisme social a encore de beaux jours devant lui.
Néanmoins, le budget de 2020-2021 contient quelques bonnes mesures économiques, notamment celles en faveur de la production locale, de la sécurité alimentaire et énergétique, et de l’économie circulaire. Fondamentalement, le pays ne sort pas du modèle de développement qui a fait son succès économique, et c’est tant mieux, sauf que Maurice risque d’être vue comme une juridiction à fiscalité élevée. C’est là que se jouera son avenir économique.
* Published in print edition on 9 June 2020
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