Manière de Voir

By Nita Chicooree

L’espace d’un week-end, le Premier ministre a failli perdre son meilleur agent politique dans les colonnes des médias. En effet, la série de meurtres qui a secoué le pays ces derniers temps a volé la vedette au PM. Ouf! devait soupirer ce dernier. L’éditorial dominical d’habitude concentre systématiquement ses tirs sur la personne du PM depuis des années en analysant tous ses faits et gestes dans un esprit critique digne du quatrième pouvoir, espérait-on, mais hélas, même un lecteur non-averti est capable d’y voir un acharnement quasi obsessionnel.

On ne sait qui espérait tirer profit de cette fixation hargneuse; si c’est le leader de l’Opposition, c’est raté. Car la furie dominicale a eu l’effet contraire de grossir les rangs des sympathisants de Navin Ramgoolam, dit-on, en y rajoutant d’autres qui ne sont pas forcément fans d’un quelconque homme politique. Par sympathie, peut-être. Il est vrai qu’ici journalistes et lecteurs, font preuve d’une grande discrétion lorsqu’il s’agit de ce que les uns et les autres font, dans leur vie privée, de la partie inférieure de leur anatomie au-dessous de la ceinture, y compris en ce qui concerne des liaisons journalo-politiciennes…

Le week-end dernier, on a eu droit à toute une logorrhée déclenchée par une forte intoxication d’actes criminels qui a relégué au second plan MedPoint, bois de rose, Roches-Noires et réformes avortées. Au Canada, le Printemps d’Erable culminait en un show de strip-tease mis en scène par des étudiants tant ils étaient hyper excités. Dans un élan spontané, provoqué par une extrême indignation, ils se sont mis à dévoiler leur anatomie au grand public. Et voilà qu’un originaire de Belle Mare, lui, pris, semble-t-il,  d’une folie meurtrière sous l’influence de Bacchus, a fait le gros titre de la presse canadienne en éliminant épouse et beaux-parents dans une mare de sang. Ce qui choque et indigne la communauté mauricienne réputée bien intégrée et solidaire dans ce pays et aussi l’opinion publique locale, les scribes habituels, les bloggeurs de tout poil et les journalistes indignés permanents (perchés sur une clôture pour passer à la loupe le Government House et les gouvernés qui peuplent ce pays et qui nous livrent leur analyse en toute indépendance et objectivité).

Ainsi donc, l’éditorial dominical nous a fait un petit rappel des frasques criminelles des ressortissants mauriciens établis à l’étranger en étalant leur patronyme avec une délectation mal dissimulée qui évoque l’esprit haineux et méprisant des anti-Indépendantistes ; ceux qui ne voulaient pas que le pays soit livré à ces barbares qui prétendaient en assumer la direction et le destin. Ensuite, il y a une volonté de souligner que la criminalité s’est bien vulgarisée et démocratisée. Ce n’est plus l’apanage et le monopole d’une catégorie de la population.

Du coup, il est fort à parier que le lobby anti-peine de mort, par le biais de son porte-parole le plus outspoken au Parlement, serait tenté de fléchir sa prise de position. Après tout, chacun défend sa montagne et les singes seront bien parqués. Au diable, l’objectivité et la nation dans son ensemble. Même en journalisme, cela ne se décrète pas et l’héritage du passé laisse des traces qui ne s’effacent pas du jour au lendemain surtout lorsque c’est accompagné d’une certaine mauvaise foi.

Difficile d’y échapper. Tout le monde n’est pas Aimé Césaire pour prétendre dominer et manier la langue française à sa guise afin que celle-ci s’efface pour laisser s’épanouir la sensibilité et l’âme de l’auteur. C’est d’autant plus difficile pour les ex-colonisés car ils sont encore prisonniers du contenu et de l’esprit culturel dont le français s’imprègne de par son évolution dans un contexte historique, culturel et social qui lui est propre. Ici, un ego national faible est entretenu par ceux qui se croient portés par un sentiment patriote. Mais, en vérité, ils colportent une image du pays telle qu’elle est véhiculée dans les brochures touristiques à visée commerciale. Ils regardent le pays de l’extérieur et non de l’intérieur.

A partir des clichés qui découlent de cette manière de voir et qui définissent le pays avec des termes flatteurs, ils s’attendent à ce que tout et chacun s’y conforme, que tout le peuple marche au pas sur le chemin d’un progrès linéaire, spirituel et matériel. Et dans cette marche vers le progrès, ceux qui flanchent sont sévèrement réprimandés: les gens ordinaires brisant les chaînes qui retiennent leur passion parfois meurtrière, le grand public qui ne vote jamais comme il le faut, et ces gouvernants qui osent moduler la bonne démocratie à l’occidental à leur propre sauce suivant leur caprice. Mais le bon sens qui permet certaines déviations échappe au jugement de ces scribes. Tout comme on fait le choix du modèle occidental ou rien.

Auto-flagellation ? Dérive culturelle dans le recours à la langue française qui s’impose avec les sentiments qui la dominent ? Nous sommes citoyens bas de gamme, ignares et pécheurs depuis la nuit des temps et tout le touin-touin religieux. En plus d’un beau cliché touristique dont le peuple est indigne, d’un ego national faible nourri par un sentiment d’isolement insulaire, de précarité économique et de dépossession linguistique et culturelle. Il paraît qu’on souffre d’un mal mauricien tout comme il existe le mal français. Mimétisme chronique invétéré. Une obsession avec le Mal et la souffrance, héritage judéo-chrétien.

Quant à nos références habituelles en matière de développement et de progrès, il existe nos ex-partenaires dans l’aventure coloniale et nos alliés et amis d’aujourd’hui, la Grande Bretagne et la France. Il faudrait fouiller dans leurs archives pour vérifier si une criminalité galopante, il y a quelques décennies, au début d’une prospérité économique annoncée par une ère industrielle dynamique, vols, agressions, hold-up et cambriolage en plein jour, viols, serial killers (spécialité de l’anglosphère), et autres règlements de compte sanguinaires avaient porté atteinte à leur self-image ou si le pragmatisme et le sens de supériorité anglais et la fierté de l’exception française en toute circonstance l’avaient emporté sur toute tentation de se dévaloriser dans des lamentations permanentes. C’est une question de manière de voir et de se voir.

Au fait, nombreux étions-nous à avoir eu envie au début des années 90 lorsque l’argent commençait à couler à gogo de nous tenir debout au milieu d’une route animée ou sur le sommet du pays, les bras en croix comme l’étudiant chinois devant un tank militaire sur la place Tienanmen pour crier : Stop, Halte à la gourmandise, ne perdez pas votre âme dans cette course à l’enrichissement personnel dans toutes les couches sociales par des tricheries, trahisons, coups bas où les familles s’entredéchirent pour des sommes mal réparties, frère contre frère, sœur ou beau-frère, fils contre père, amis contre amis d’hier, actionnaires contre partenaires, Mauriciens filous contre étrangers naïfs et on en passe.

Et puis, il y a eu l’indépendance économique croissante qui émancipe l’individu des contraintes des lois qui régissent la vie en collectivité, les mœurs de la jeunesse internationale forcent leur passage dans un environnement familial longtemps puritain et conservateur, voire même étouffant, font sauter des barrières et libèrent les pulsions. On aurait dû déjà mettre en garde contre les excès et les dérives, et dire: Attention. Alerte Rouge. Mais on n’avait pas le temps ni la volonté car tout le monde fait du business: le maître, l’artiste, l’homme politique et le religieux. Comme dans le tableau Scream, nombreux étions-nous à avoir envie de lancer un cri sourd. Il n’est pas trop tard.


* Published in print edition on 1 June 2012

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