A propos du ‘mieux vivre ensemble’…

Par Nita Chicooree-Mercier

C’est sans doute en réponse à une certaine perception des relations interethniques et interreligieuses que l’Institut Cardinal Margéot organise des débats sur le ‘mieux vivre’ dans une ‘société plurielle’ et l’on souligne la présence des Mauriciens de toutes les confessions à ces rencontres. L’on ignore qui est censé éclairer le bon peuple sur la définition et la recette d’un ‘mieux vivre ensemble’.

Certains de nos compatriotes semblent insatisfaits de ce qu’ils appellent une juxtaposition des communautés vivant côte à côte, si l’on s’en tient aux commentaires dans la presse écrite. Si tant est qu’ils puissent préciser leur point de vue et expliciter ce qu’ils entendent par ‘mieux vivre ensemble’, l’on pourrait commencer à élaborer une réponse raisonnée. Toute entreprise visant à construire une société harmonieuse est louable et les grands discours sont certainement nécessaires lorsque la paix sociale est menacée. Est-ce le cas à Maurice?

Qu’il existe plusieurs communautés ici, aux Etats-Unis, en Australie ou en Inde, c’est un fait indéniable. Mais, à priori, chaque communauté a un dynamisme interne qui le guide dans son évolution, sa situation actuelle n’étant que l’aboutissement de son propre parcours. Et le « Saint Esprit » n’ayant pas élu domicile à Paris, Bruxelles, Curepipe ou Port-Louis, chacun dispose d’un ‘think tank’ interne capable de penser, conseiller et diriger les siens. En Europe ou aux Etats-Unis, les Juifs n’ont besoin de personne pour leur dicter leur comportement vis-à-vis des autres ou leur dire s’ils doivent s’ouvrir ou se renfermer davantage. De même, les Chinois vivant dans le treizième arrondissement de Paris n’attendent des directives de personne, et les autres Chinois qui forment de petites communautés à Madagascar et en Afrique non plus.

Certes, une communauté n’est pas un bloc monolithique et parfois on est critique vis-à-vis de son propre groupe.

Comme cette franco-mauricienne, une amie de longue date, qui confiait récemment ses sentiments sur sa communauté à Maurice : « Non, je ne m’installerai pas à Maurice. Je n’ai pas envie de me retrouver uniquement en compagnie des Blancs. Ils ne vivent qu’entre eux; moi, je ne supporterai pas. »

On peut imaginer qu’après quelques années en France et à la Réunion, elle étouffe entre Curepipe, les campements sur la côte et le Grand Bay Yacht Club. Elle préfère une certaine liberté à la Réunion. Ce point de vue n’engage qu’elle. D’autres émettraient probablement des réserves.

Et de l’inter-religieux…

Parler d’harmonie présuppose son contraire, ce potentiel de conflit et d’antagonisme, voire même de guerres si on se réfère à l’Histoire des religions à travers les siècles. Nul besoin d’être grand clerc en Histoire et connaissance du monde pour repérer l’origine, la nature et les lieux de ces conflits. Malheureusement, pour ce que l’on appelle en Europe dans les conférences et émissions religieuses, ‘les grandes religions monothéistes’, leur Histoire est parsemée de guerres et de conflits. Il y a probablement une exception : le judaïsme; peut-être parce que ce n’est pas une religion à caractère missionnaire. Ceci étant dit, le bouddhisme est une philosophie missionnaire et, comme chacun le sait, son expansion a lieu sans conflit et on sait pourquoi.

Les religions suivent leur propre évolution dans le temps et dans l’espace et parfois des divergences s’opèrent au sein d’une même religion en raison des facteurs ethniques et culturels. Le Christianisme de l’Eglise copte en Egypte diffère de celui pratiqué au Texas. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, l’Islam — tel qu’il était vécu et pratiqué en Malaisie –, était différente de celui d’Arabie Saoudite, qui s’est posé en détenteur de pureté religieuse à ses petits frères à travers le monde.

Les religions sont faites de pensées. Quelle est la nature de ces pensées qui mène au conflit ? Si ce n’est que chacun pense avoir le monopole de la Vérité, la seule et unique vérité. L’on connaît l’obscurantisme et l’intolérance qui en découlent. Au point de s’arroger le devoir et le droit de se livrer à une guerre de nombres et de gonfler son troupeau en s’approvisionnant chez les voisins.

La pensée religieuse évolue à travers l’Histoire en passant par des crises selon son contenu et sa qualité. Il y a aussi la maturité et l’expérience ou l’immaturité ; l’antériorité est aussi déterminante. A cet égard, comme pour un être humain qui grandit et mûrit, une religion qui traverse sa crise d’adolescence fait pas mal de dégâts. Et aux autres d’y faire face comme des parents face à un adolescent qui croit tout savoir et qui se permet de dicter la conduite de ses aînés. Dire qu’il faut s’armer de patience lorsque l’on perçoit chez certains une crise d’adolescence prolongée…

Avec des formules simplistes et sous prétexte d’avoir ‘le droit de ceci’, ‘la liberté de cela’, la ‘tolérance’ dans toutes les sauces et tous les ‘ismes’ qui n’engagent que ceux qui les ont inventés et qui sont souvent mal placés pour en parler, l’on prétend clouer le bec des autres en imposant quelques outils de pensée et d’analyse censés être modernes et civilisés. En quête de valeurs absolues, ils oublient que tout est relatif. Ce n’est qu’après une certaine limite de tolérance que l’on répond à l’agression par l’agression.

En parlant de culture, l’ethnologue Claude Lévi Strauss disait qu’il faut une certaine ‘imperméabilité’ pour survivre. Cela vaut aussi pour la religion, serait-on tenté d’avancer.


* Published in print edition on 28 January 2011

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