Anachronique et Rétrograde

Par Nita Chicooree-Mercier

Il y a des pays qui avancent à reculons, et il y en a un qui dépasse les limites. La France annexe Mayotte. Ni plus ni moins. Faisant fi des Comores, de l’Union africaine et de l’ONU. En catimini pendant que la communauté internationale a d’autres chats à fouetter.

Imbattable dans leur suffisance et leur mission civilisatrice, en compétition permanente avec l’influence anglo-américaine, et maintenant, avec les nouveaux arrivés sur l’échiquier géopolitique de l’océan Indien, les Français ont bien décidé de s’incruster partout où ils peuvent faire miroiter des mannes financières, de croître leur présence dans la zone et de faire de leur pays le papa et la maman des pauvres îles qui n’ont pas encore savouré la gloire et le bonheur et le privilège de devenir français, le seul modèle valable et digne d’être adopté qui vaille la peine que l’on vende son âme, que l’on sacrifie sa culture et sa langue en échange. Père fouettard et répressif, mère protectrice et castratrice, on connaît les dégâts à la Réunion.

Quant à la générosité et l’humanisme dans la zone, Comoriens et Malgaches savent qu’ils peuvent se faire soigner à Maurice sans avoir à débourser des sommes faramineuses qu’exigent sans état d’âme les French doctors de la Réunion. De même pour les états pauvres en Afrique où médecins égyptiens, d’autres pays arabes et mauriciens n’hésitent pas à faire le déplacement pour porter des soins. On se souvient de l’attitude – point humaniste – du lobby pharmaceutique français lorsqu’il s’agissait de permettre à d’autres pays de produire des médicaments génériques pour combattre le SIDA en Afrique. Sans parler de la vente d’armes aux régimes répressifs africains.

Peu importe. La France ne sait pas partir, elle y est et elle reste. Comme au Vietnam, Laos et Cambodge; dès lors qu’on lui accorde un bout de comptoir, elle empiète sur tout le territoire comme les autres colons européens de la belle époque. Elle prend une raclée à Dien Bien Phû, et elle y revient quand même. L’Algérie, c’était le tempérament gallo-romain à son paroxysme, des cris gaulois et des larmes latines. Elle a d’autres recettes pour les petites îles à dix milles kilomètres de son territoire: la départementalisation et beaucoup d’argent même quand les coffres se vident. Encore un fardeau sur le budget, mais pour la gloire…

Assimilation

Principe fondamental: la négation de l’autre, son passé, sa culture politique et économique, ses aspirations et rêves, son désir de façonner son avenir à sa guise ne valent rien. Seul compte, devenir français à l’image de ceux qui se trouvent à des milliers de kilomètres. Donc, tabula rasa et on recommence à zéro. De culture africaine et animiste, les Mahorais ne s’intéressent qu’aux avantages matériels à récolter dans ce nouveau statut politique. RMI, allocations familiales, etc., on ne va pas leur apprendre comment enterrer leurs morts ni de se tenir à table; ils n’en ont cure.

Blanchir la race et affaiblir le peuple par un métissage outrancier comme à la Réunion, cela ne marchera pas. En tout cas, pas sur le plan culturel. Ils veulent le beurre et l’argent…

Mais les lycéens mahorais n’y échapperont pas. On leur rebâchera la deuxième, la troisième République ad nauseam au programme d’Histoire, et un overdose de la deuxième guerre mondiale en dernière année de leur scolarité. Courage. Pas étonnant que la connaissance du monde des petits Français et Réunionnais soit si limitée. Ce pays a des qualités, celle de défendre une certaine idée d’elle-même qui est tout à fait légitime, et de résister à l’américanisation. La grande silhouette d’un de Villepin dénonçant la supercherie américaine à l’ONU à la veille de l’invasion de l’Irak, une fierté française et les félicitations des autres pays. Mais lorsqu’elle s’installe chez vous, c’est une véritable plaie…

Tôt ou tard avec l’émergence de l’Afrique et les autres partenaires asiatiques, il est à souhaiter qu’on n’entendra plus parler des eaux françaises, parcs marins anglais et base militaire américaine dans l’océan Indien.

As-tu du coeur?

Il faut espérer que l’appel lancé par les représentants de Rodrigues à l’hôtel du gouvernement à Port Louis ne tombe pas dans des oreilles insensibles. Quelle stratégie de développement pour combattre le chômage et la pauvreté à Rodrigues ? Comment compte-t-on résoudre le problème d’eau ? L’île jouit d’un environnement naturel encore préservé de la folie des constructions sauvages et les habitants ont bien raison de préserver les sites naturels contre l’appétit des prédateurs capitalistes. Mais pour combien de temps encore ?

Pour les Mauriciens, Rodrigues est le miroir d’un passé idéalisé et pas si lointain où ils se déplaçaient librement dans les plus beaux endroits, où les lagons étaient intacts et la nature généreuse, bien avant l’ère des fils barbelés, chiens méchants, no trespass, gardes de sécurité, clubs members only, l’invasion des hôtels pour touristes, l’IRS, avant la caméra surveillance dans tous les coins et Big Brother watching you, avant l’insécurité grandissante et la tentation de l’argent facile.

Paradoxalement, c’est un passé qu’on n’aimerait pas retrouver car il évoque l’angoisse d’être dans une salle d’attente en espérant des jours meilleurs…

C’est pour cela qu’on aimerait que le gouvernement prenne à coeur le développement de Rodrigues, que les Rodriguais soient considérés comme des membres de la République à part entière et que ceux qui viennent s’installer ici dans les villes et les villages soient entièrement intégrés. On sait aussi que le Mauricien n’est pas très apprécié à Rodrigues où le Réunionnais ou le Français qui débarque est caressé dans le bon sens. Ce qui est reproché aux Mauriciens en visite reste assez flou ; ils sont peut-être perçus comme occupants et accapareurs.

Pour ceux qui ont les moyens d’y faire une escapade de quelques jours, Rodrigues est une destination touristique à promouvoir. Lointaine mais proche. Dans le cadre d’une autonomie qu’ils ont obtenue, il revient aussi aux élus rodriguais de définir le type de développement qu’ils souhaitent, d’y créer une dynamique économique qui émane de la volonté des élus et d’obtenir l’adhésion des habitants car cela ne se décrète pas. Le progrès économique nécessite des efforts, des sacrifices et d’avoir le coeur au travail.

Dans le jeu des alliances géopolitiques qui se profilent dans l’océan Indien, l’île gagnerait certainement à s’ouvrir à d’autres investissements, au-delà de Maurice.  


* Published in print edition on 3 December 2010

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