Narendra Modi, invité de marque de Macron pour les célébrations du 14 juillet

Eclairages

Par A. Bartleby

Alors que la France sort d’un épisode traumatique d’envergure où Emmanuel Macron a brillé par son manque d’engagement et de prise de position ferme, le Président de la République avait un invité de marque pour le traditionnel défilé du 14 juillet : Narendra Modi, le Premier ministre indien.

Les ramifications d’un rapprochement France/Inde pourrait avoir des conséquences durables et importantes pour notre propre politique étrangère.

Cette visite n’est pas allée sans son lot de polémiques, notamment à l’encontre du Président français, qui a dérogé à la tradition en ne prenant pas la parole le jour de la fête nationale. Les médias, eux, ont insisté sur le symbole que représentait, à leurs yeux, Modi, un fervent défenseur du Hindutva, dans le contexte des émeutes françaises et de ce qu’il conviendrait d’appeler le malaise des banlieues, majoritairement peuplées de descendants de migrants du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

Y avait-il en filigrane de la part d’Emmanuel Macron la volonté d’envoyer un message à la population ? Nous en doutons fort. Les visites officielles des Chefs d’État ne sont pas organisées du jour au lendemain. De telles visites sont prioritairement l’occasion pour eux de discuter de coopération internationale plutôt que de problèmes locaux. Et cette visite de Modi en France était en réalité hautement stratégique pour les deux pays.

D’un côté, le Premier ministre indien continue le développement de la stratégie de la voie du milieu, théorisé par son actuel ministre des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar. Cette approche hautement pragmatique place les relations internationales au cœur du développement économique indien, sans que ce dernier ne devienne inféodé à un pôle particulier de la géopolitique mondiale.

L’Inde trace une voie alternative

Par conséquent, l’Inde trace une voie alternative, travaillant avec des pays qui se penchent vers la sphère d’influence américaine tout aussi bien que ceux préférant la sphère d’influence chinoise. D’ailleurs, elle entretient des relations diplomatiques cordiales, parsemées de problèmes réels, avec les États-Unis et avec la Chine. Un exemple hautement stratégique de cela reste le fait que le gouvernement indien reste entièrement fidèle aux accords sécuritaires du QUAD tout en étant un membre actif et influent des BRICS.

Emmanuel Macron a non seulement bien compris et assimilé cela mais il est de plus en plus clair qu’il considère la voie indienne comme étant celle que doit prendre la France et l’Union européenne. Par ailleurs, il a démontré cette posture à plusieurs reprises récemment, notamment sur la question ukrainienne, où il s’est opposé ouvertement à l’idée d’employer un « fast-track » pour l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Il s’est également opposé à l’ouverture d’un bureau de l’OTAN au Japon, y voyant un acte d’agression symbolique envers la Chine.

Parallèlement à cela, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de multiplier les représentations commerciales auprès de Narendra Modi. Ces représentations se sont accélérées depuis l’annulation des commandes australiennes pour des sous-marins français, avec l’accord AUKUS. La France essaie-t-elle de vendre ses sous-marins à la marine indienne ? Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que la visite de Narendra Modi en France, tout comme sa récente visite aux États-Unis, serviront avant tout à renforcer les échanges commerciaux de nature militaire. Ce n’est absolument pas un secret que la priorité sécuritaire de l’Inde est un développement accéléré de sa marine afin d’avoir une mainmise accrue sur l’ouest de l’océan Indien.

Ce positionnement est de haute importance pour l’Inde qui, selon les projections du FMI, pourrait devenir la troisième puissance économique mondiale d’ici 2050. Il est également résolument stratégique pour les pays qui ne souhaitent pas entièrement entrer dans une dichotomie bipolaire opposant les États-Unis à la Chine.

En effet, la voie du milieu à l’indienne pourrait rapidement devenir un pôle extrêmement influent de la géopolitique mondiale, donnant ainsi vraiment corps à la notion de multipolarité. Et il est évident qu’un certain nombre de pays pourraient considérer que leurs intérêts souverains seraient mieux défendus dans un rapprochement avec la puissance en devenir indienne. D’ailleurs, il semble que ce soit le point de vue d’Emmanuel Macron.

Et Maurice dans tout ça ? Disons juste que tout ceci n’est pas anodin pour nous car la France et l’Inde sont historiquement nos deux partenaires stratégiques. Et les ramifications d’un rapprochement France/Inde pourraient avoir des conséquences durables et importantes pour notre propre politique étrangère. 

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Le réchauffement climatique est bel et bien là !

L’Inde fait face depuis un peu plus d’une semaine à des inondations record. Des régions entières du pays ont été ravagées par des pluies diluviennes et des glissements de terrain. Le gouvernement indien estime le bilan des pertes humaines à plusieurs dizaines de personnes et le bilan matériel à plusieurs milliards de roupies, démontrant au passage l’inadéquation de certaines infrastructures.

La violence de ces pluies est, selon les experts, directement liée au réchauffement climatique et cette catastrophe naturelle appelle à revoir les stratégies d’atténuation.

Ainsi, ce phénomène climatique montre de manière de plus en plus clair comment le changement climatique impactera nos vies et comment les pays qui ne se préparent pas à faire face à ces changements pourraient se retrouver dans des situations extrêmement compliquées à l’avenir.

Nous savons, par exemple, que l’érosion des côtes à Maurice est une conséquence directe de la montée des eaux, elle-même causée par la fonte des glaciers. Ainsi, selon des études très sérieuses, il se pourrait que le niveau de l’océan Indien monte suffisamment pour que des régions entières de la côte mauricienne se retrouvent sous l’eau d’ici 2050. Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est lui encore plus pessimiste, pour ne pas dire alarmiste, en affirmant que le niveau des océans pourrait augmenter de près de deux mètres d’ici l’an 2100.

Développement foncier: capitalisations rapides avant que l’érosion des plages ne devienne vraiment importante

Mesurons-nous vraiment l’impact de cette montée des eaux sur notre pays et son économie ? Pas encore, malheureusement ! et ce même si les deux plus grands secteurs de l’activité économique dépendent directement de nos plages et de nos côtes…

D’ailleurs, il se pourrait bien que les développeurs fonciers aient intégré cet impératif dans leur calcul économique. À en croire la vitesse du développement immobilier, il semble indéniable que les acteurs du secteur souhaitent réaliser des capitalisations rapides avant que l’érosion des plages et la montée des eaux ne deviennent vraiment importants, baissant en conséquence leur capacité à faire des profits.

Peut-on les blâmer de cela ? La réalité est que l’entreprenariat mauricien remplit sa fonction économique, qui est de faire rentrer des devises et de l’investissement dans le pays. Notre modèle de développement est devenu tellement dépendant de ces influx de capitaux que le gouvernement ne semble plus avoir de choix que de continuer sur la trajectoire actuelle. Pour le court et le moyen termes du moins, surtout que cette trajectoire a démontré qu’elle tenait la route en faisant face de manière remarquable au choc de la Covid-19 et de la crise mondiale qui l’a suivie.

Et ainsi, il est clair que la consolidation des secteurs immobiliers et touristiques doit être une priorité du gouvernement. Mais cette consolidation ne peut pas se faire sans tenir en ligne de compte les données liées au changement climatique, notamment les effets néfastes sur le territoire mauricien.

Ce travail devient urgent. Comme nous le voyons, les effets désastreux du réchauffement climatique sont déjà là et nous avons pris un certain retard par rapport aux stratégies d’atténuation.

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Le passeport mauricien classé à la 29ème place mondiale

Le « Henley Passport Index » vient de placer le passeport de la République de Maurice à la 29ème place des passeports les plus puissants du monde. Ceci représente une amélioration importante du statut du passeport mauricien qui gagne 4 places puisqu’il était positionné à la 33ème place de ce classement l’année dernière.

Que signifie ce classement concrètement ? Le « Henley Passport Index » mesure la puissance des passeports selon la liberté de mouvement qu’ils accordent aux détenteurs. Cela signifie tout simplement que plus un passeport permet des déplacements sans contraintes (par exemple, les contraintes de visa), plus il est puissant.

De manière plus significative, nous voyons à travers cette liberté de mouvements le degré de “libéralisation” d’un passeport, et donc le degré d’intégration du pays émetteur du passeport dans la mondialisation. Cette donnée n’est pas à prendre à la légère car elle démontre à quel point un pays est intégré et dépend de la circulation mondiale.

De ce point de vue, ce n’est pas un hasard que le passeport le plus puissant du monde selon le « Henley Passport Index » soit Singapour, un pays qui s’est entièrement construit sur la circulation mondiale et dont le degré de connectivité à la mondialisation est l’un des plus élevé au monde.

D’ailleurs, tout le potentiel de capitalisation, et donc de production de richesses, se trouve justement dans cette forte connectivité à la mondialisation. Pour se faire, le gouvernement singapourien a investit massivement dans les infrastructures permettant une augmentation de la connectivité, comme les facilités portuaires, le développement d’un aéroporteur national capable de desservir la région, une politique migratoire agressive mettant l’accent sur les talents et les compétences dont a besoin l’économie singapourienne pour soutenir son développement et son intégration continue dans la mondialisation.

Ce modèle n’est pas sans rappeler celui de Dubaï, qui appuie également son développement sur un port hautement développé, sur un aéroporteur reconnu mondialement et sur une politique migratoire agressive.

À une échelle moindre, Maurice a également fait ce choix en réalité mais le succès est mitigé. Ce plafond de verre que nous n’arrivons pas à dépasser est essentiellement dû à trois facteurs : le positionnement géographique du pays (qui est bien moins avantageux que Singapour et Dubaï), le manque d’infrastructures permettant d’accélérer la connectivité du territoire avec la région (comme le port, l’aéroport et un aéroporteur d’envergure, même si ce dernier problème a été adressé par l’ouverture de l’accès aérien à d’autres aéroporteurs) et une politique migratoire encore trop timide.

Malgré cela, le passeport mauricien est extrêmement bien positionné, ce qui démontre que le potentiel d’aller encore plus loin existe bel et bien. Est-ce que les prochains gouvernements feront le choix d’investir en infrastructures et se tourneront résolument vers l’ouverture migratoire ? Cela demandera un immense courage politique identique à celui de Singapour et de Dubaï qui sont devenus les deux pôles mondiaux de la circulation mondiale aujourd’hui.

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Nouvelle carte d’identité: tout n’est pas rose dans cette affaire

Cela fait un moment déjà que le gouvernement souhaite pousser son projet de renouvellement des cartes d’identité. Le ministre de la Technologie, de la Communication et de l’Innovation, Deepak Balgobin, en a d’ailleurs fait l’un de ses projets phares et le processus de remplacement semble bel et bien lancé.

Nous n’en avons pas encore beaucoup de détails sur les tenants et les aboutissants, le gouvernement annonçant lui-même que les discussions n’ont pas encore totalement abouti concernant la finalisation de la nouvelle carte d’identité. Il se murmure toutefois que la voie de la digitalisation et de la transformation numérique sera cette fois-ci non seulement privilégiée mais également accélérée puisque la carte d’identité mauricienne pourrait bien être également accessible sur les smartphones.

Tout n’est, cependant, pas rose dans cette affaire puisque des voix continuent à s’élever contre le stockage des données privées dans la puce de la carte d’identité. Les journaux nous rappelaient récemment que cela fait déjà 10 ans que Me Neelkanth Dulloo s’est lancé dans une bataille juridique contre l’État afin de contester la constitutionnalité de la carte biométrique.

Me Dulloo évoque dans sa plainte une démarche « anticonstitutionnelle » de l’État et une « violation » des articles 1, 3, 9, 10 et 16 de la Constitution, avançant que le stockage des empreintes digitales d’un citoyen est « anticonstitutionnel » et que cela pourrait créer des utilisations abusives de la part des autorités.

Le judiciaire ne s’est pas encore prononcé sur cette question et le gouvernement s’apprête à passer à une nouvelle génération de cartes encore plus performante en matière de stockage des données personnelles.

Nous voyons là, en fait, la version locale d’un problème mondial qui ne fera que s’accroître au fur et à mesure que les États avanceront dans le domaine de la digitalisation. Ce processus est inéluctable et deviendra de plus en plus problématique avec l’avènement de l’intelligence artificielle. D’ailleurs, nous ne sommes pas ici dans un domaine qui ne concerne que l’État et la politique, mais il s’agit bien de toute la société.

En effet, la multiplication des plateformes digitales, la digitalisation du travail et des loisirs, et la multiplication des appareils digitaux au travail et à la maison sont en train de produire une révolution profonde de notre civilisation dont nous commençons à peine à percevoir les tenants et les aboutissants.

Révolution digitale et digitalisation des rapports sociaux

En réalité, nous ne sommes qu’au début de la transformation sociétale que va engendrer la révolution digitale. Certains sociologues n’hésitent d’ailleurs pas à parler de digitalisation des rapports sociaux eux-mêmes, terme utilisé pour décrire la dépendance de plus en plus accrue envers les systèmes digitaux et le fait que ces mêmes systèmes seront des grilles d’interactions de plus en plus prédominants entre les individus eux-mêmes, entre les individus et l’économie, ou encore entre les individus et les pouvoirs publics.

Et cette transformation reposera sur une économie des données (data) qui deviendra à elle seule un secteur d’activité économique prépondérant dans le contexte de la mondialisation. Nous voyons d’ailleurs déjà les ramifications géopolitiques liées à l’avènement de l’économie du « data » avec la guerre technologique menée par les États-Unis contre la Chine. Ce pays a devancé la première puissance mondiale dans certains domaines technologiques comme la 5G, par exemple.

Cet avènement de l’économie du « data » pose également de sérieux problèmes aux plateformes digitales comme Facebook ou Netflix. Ces derniers ont récemment été victimes de “data breaches” avec des centaines de millions de données personnelles ayant été volées par des hackeurs (ce qui, au passage, a permis à certains journalistes de créer le terme de “terrorisme digital”).

Il est ainsi clair que la question de la sécurité, de l’utilisation, voire de la privatisation des données personnelles est – en réalité – une question extrêmement complexe. La digitalisation se nourrit de données privées et ne peut pas fonctionner sans « l’économie du data » qui la sous-tend. Mais parallèlement, il est impératif de faire évoluer les cadres juridiques et les pratiques institutionnelles afin d’intégrer ce problème dans les processus des décisions publiques.

Ainsi, la nouvelle carte d’identité se présente comme un cas d’étude pour nous à Maurice. Il est absolument certain que nous ne reculerons pas devant la digitalisation. Bien au contraire, il se pourrait que nous soyons forcés d’accélérer cette digitalisation qui offre des opportunités économiques importantes.

Par conséquent, la question n’est pas de refuser ou d’être contre la carte biométrique, mais bien plutôt de pousser des propositions juridiques qui permettent de réconcilier les impératifs de la liberté individuelle avec les pratiques de l’administration étatique.

Le défi ou le challenge est immense, sachant surtout qu’on n’a pas encore réfléchi sérieusement à cette question à Maurice.


Mauritius Times ePaper Friday 21 July 2023

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