“‘Money politics’ a encore de beaux jours devant elle…

…il est en effet fort improbable que nos députés votent une loi d’exception contre eux-mêmes”

Interview: Me Antoine Domingue, Senior Counsel

* Suren Dayal v Pravind Jugnauth: ‘On aurait pu faire l’économie de cet appel… l’on est fort mal habilement allé chercher le bâton pour se faire battre !’


Me Antoine Domingue, Senior Counsel, commente le jugement du Privy Council dans l’appel de Suren Dayal qui contestait l’élection de Pravind Jugnauth et de ses colistiers à la circonscription no. 8. Selon Me Doningue, il n’y avait aucune nouvelle donne pour consolider le cas de Suren Dayal. La partie était donc perdue d’avance… Le vrai problème n’est pas légal mais éthique, et pour légiférer dans ce domaine, il faudrait du cran émanant de la classe politique collectivement et une certaine fermeté pour contrer toute tentative de faire taire ce genre d’initiative.


Mauritius Times: Quelle analyse faites-vous du jugement du Privy Council dans l’appel de Suren Dayal contre Pravind Jugnauth et de ses deux colistiers qui a été unanimement rejeté “on all grounds”?

Me Antoine Domingue: Le fait que ce soit un jugement unanime veut tout dire. Ce qui était reproché aux trois élus de la circonscription no 8, en particulier ce qui était reproché au premier ministre sortant, n’entrait assurément pas dans le cadre de la section 64 de la ‘Representation of the People Act (RPA).

Cela n’importe quel quidam aurait pu aisément s’en convaincre avec un minimum de jugeote en parcourant le jugement du juge Lam Shang Leen dans l’affaire Ringadoo v Jugnauth auquel les Law Lords se sont référé et qui trace, très clairement, selon les dispositions de la section 64 de la RPA, la ligne de démarcation entre promesses électorales et ‘bribery’ qui est une ‘electoral offence’ punissable par l’inéligibilité pour une période de 7 ans. Il suffit de consulter la section 69 de la ‘Representation of the People Ordinance’ de 1958.

Mon analyse du jugement du Privy Council me porte donc à conclure que l’on aurait dû et on aurait pu faire l’économie de cet appel et que, dans la conjoncture actuelle, l’on est fort mal habilement allé chercher le bâton pour se faire battre !

 * Les Law lords ont rejeté tous les points soulevés par les avocats de Suren Dayal, insistant sur le fait que ces points impliqueraient qu’aucun politicien ne pourrait formuler des propositions politiques avant une échéance électorale. Pensez-vous que ce jugement aura des conséquences sur la culture des propositions électorales à Maurice ?

Je ne le pense pas puisque c’était déjà écrit noir sur blanc dans le jugement du juge Lam Shang Leen qu’il suffisait de lire et, surtout, de comprendre.

Il n’y pas de nouvelle donne. Ce jugement du Privy Council reprend presque mot à mot et confirme les jugements existants des juges Lam Shang Leen et Gunesh-Balaghee. D’ailleurs, le jugement de Lady Chief Justice (UK) Dame Sue Lascelles Carr se situe dans la même lignée que le jugement de la Cour suprême de Maurice dans l’affaire Mamoojee v Walterqui, je le rappelle, date de 1964.

* Doit-on donc comprendre, à la lumière de ce jugement unanime des Law Lords, que ce qui pourrait paraître éthiquement condamnable en termes de propositions ou de promesses électorales dans un contexte politique donné pourrait être non seulement tout à fait légal mais aussi “politiquement correct”, et cela même si le candidat dont l’élection est contestée aurait utilisé les ressources de l’État pour “treat” (‘faire manger-boire’) les électeurs comme lors de la célébration de la Journée internationale des personnes âgées au Centre Swami Vivekananda à Pailles?

Il ressort de la dernière page du jugement que ce qui fut fait en cette occasion n’était pas contraire à la section 64(2) de la RPA vu que cela avait lieu chaque année, que c’était organisé par le ministère de la Sécurité sociale et que tout le troisième âge de l’île Maurice y était grassement convié aux frais du contribuable et non pas seulement les électeurs de la circonscription des trois défendeurs, Mme Leela Devi Dookun et M.Sawmynaden n’étant – par ailleurs – que de passifs spectateurs.

Il ne s’ensuit pas que cela était conforme à l’éthique. Mais c’était en tous points conforme à la devise du MSM : « Moralité pas rempli ventre ! ».

* Au fait, les Law Lords avancent que “there must besomebargainbetween the candidate and the voter by which money is paid to (or other valuable consideration conferred on) the voter in return for voting in a particular way. Normal electoralcampaigningdoes not fallfoul of section 64 (de la Representation of People Act)…Whether there has been illegal bribery or treating will always be a question of fact and degree”. Mais prouver les faits nécessaires afin d’établir qu’un acte de corruption a eu lieu n’est pas toujours évident, non?

Ce l’était, pourtant, dans l’affaire Raj Ringadoo v Ashock Jugnauth ! Et c’est précisément ce que Jean Claude de L’Estracnous a rappelé, avec beaucoup de pertinence, sur les ondes de Radio Plus suite à l’énoncé du jugement.

* A la lumière de ce jugement du Privy Council, on pourrait voir les pétitions contestant certaines élections obtenues sur la base des promesses électorales – perçues comme éthiquement condamnables – sensiblement réduites au regard des critères soulignés par les Law Lords, ce qui n’est pas une bonne chose en démocratie…

Je partage entièrement votre opinion, mais dans l’état actuel des dispositions de notre code électoral et au vu de la dernière page du jugement du Privy Council sur la question de ‘treating’, il est évident que cela n’est pas prohibé par le texte de la section 64(2) de la RPA.

Mais cela ne veut pas dire que c’est « raisonnablement justifiable » dans un société démocratique telle que la nôtre. Cela est un vaste débat qui se situe hors du cadre étriqué de la section 64 de la RPA.

* Raj Ringadoo avait contesté l’élection d’AshockJugnauth au no. 8 en 2005. Il avait obtenu un jugement favorable en Cour suprême, ce qui par la suite fut maintenu par le Privy Council. Les faits et le contexte dans ce cas particulier sont sans doute différents de ce qui s’est passé au No. 8 en 2019, mais ce jugement aurait pu servir de référence, n’est-ce pas ?

Ce jugement a pourtant servi de référence aux juges Chan et Gunesh-Balaghee dans le jugement contesté en appel et qui a été unanimement maintenu dans son intégralité. C’est l’appelant qui aurait dû s’en inspirer au lieu de continuer à prétendre que « Ringadoo » avait été mal compris et mal appliqué par nos deux juges.

* Qu’en est-il du rôle que joue la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) pour favoriser chaque gouvernement sortant durant la campagne ? Ce point n’a pas été soulevé devant le Privy Council, mais il est connu que la MBC-TV en particulier peut potentiellement jouer un rôle déterminant durant une campagne électorale – comme l’affaire “katori” l’avait démontrée en 2019.

Encore une fois, il faut légiférer pour que cela cesse une fois pour toutes. Et il faudrait donc que de telles pratiques soient prohibées et constituent une « serious electoral offence » passible d’une peine d’emprisonnement assorti d’une longue période obligatoire d’inéligibilité.

 * Les Law Lords du Privy Council avaient recommandé à l’Electoral Supervisory Commission, dans leur jugement dans l’affaire Raj Ringadoo v AshockJugnauth, la mise en place d’un code de conduite à l’intention des ministres, fonctionnaires et autres, après la déclaration d’une élection, pour la tenue de “free and fair elections”. Ce code existe aujourd’hui, mais il n’a pas force de loi. Au regard du contexte et de la culture politique qui prévalent à Maurice, pensez-vous que les choses auraient pu être différentes avec un code contraignant?

Un code de conduite ne suffit pas et n’a jamais servi à rien. Il faut prendre le taureau par les cornes, et il faut absolument légiférer. C’est d’ailleurs ce que j’ai préconisé lors de mon intervention sur les ondes de Radio Plus. Notre texte est vieillot : il date de 1958 et les dispositions de la section 64 de la RPA trouvent leur origine dans un texte de 1854, il est donc grand temps de rajeunir et de revigorer notre code électoral dans son ensemble « so as to give its some teeth ».

* Il y a quelques semaines, certains juristes avaient fait le commentaire à la suite du “hearing” que l’argumentaire du plaignant aurait pu être beaucoup plus solide mais ses avocats avaient choisi un argumentaire plus faible afin de ne pas mettre en lumière le fait suivant : ce que Suren Dayal reprochait à Pravind Jugnauth, c’était en réalité une pratique de tous les leaders politiques à Maurice depuis des décennies. Pensez-vous qu’il y aurait un consensus non déclaré de la part des leaders politiques de ne pas toucher à cette culture au fond ?

Non, ce n’est pas le cas. La quatrième raison d’appel concernant la « undue influence » de la MBC et la cinquième raison d’appel concernant la BAI furent abandonnés sur les conseils sans doute éclairés de Maitre Timothy Straker KC qui ne souhaitait pas, dit-on, diluer son argumentaire sur ses trois autres raisons d’appel « bribery under grounds 1 and 3, treating under ground 2 », dont chacun sait maintenant ce qu’il en est advenu.

“Who will bear the costs?Il reste maintenant la question des ‘costs’ qu’il avait lui-même fort inopinément soulevée devant le Privy Council à la conclusion des débats. Ce qui démontre, une fois de plus, qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

* Dans ces circonstances, on ne voit pas les hommes politiques de quelque bord politique que ce soit réformer la « Representation of People Act » puisque cela sert leurs intérêts politiques, non?

Je ne vous le fais pas dire. Il est, en effet, fort improbable que nos députés votent une loi d’exception contre eux-mêmes. Ce n’est pas demain la veille que cela changera et la « money politics » a encore de beaux jours devant elle, jusqu’à ce que par un sursaut de la population, cela se retourne contre ceux qui s’en servent, l’argent étant un bon serviteur mais un bien mauvais maître… !


Mauritius Times ePaper Friday 20 October 2023

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