“L’opposition ne manquera pas de munitions… Le gouvernement MSM a été une véritable usine de fabrication de casseroles”

Interview: Jean Claude de l’Estrac

* ‘Pravind Jugnauth et ses alliés savent bien qu’ils seront face à forte partie et ils ne veulent prendre aucun risque’

* ‘Ce n’est pas, que l’on sache, Ramgoolam qui a abandonné Xavier Duval. Il semble que Duval ait fait une erreur, peut-être en raison de conseils mal avisés’


Jean Claude de l’Estrac, dans l’interview qui suit, livre ses réflexions perspicaces sur les dynamiques pré-électorales à l’approche des prochaines législatives. Alors que les spéculations fusent sur la possibilité d’une élection partielle au No. 10, il nous invite à dépasser les conjectures et à nous concentrer sur l’état réel des forces politiques sur le terrain. Ses analyses éclairent les enjeux majeurs qui façonnent le paysage politique mauricien, des manœuvres stratégiques des partis aux questions cruciales telles que le financement politique.


Mauritius Times : Au-delà des interrogations et des spéculations sur la tenue d’une élection partielle au No. 10, la véritable question que nous devrions nous poser est de savoir quel est le rapport de forces sur le terrain à quelques mois des prochaines législatives. Quelle est votre opinion sur cette question ?

Jean Clade de l’Estrac : Vous me demandez là de prédire le résultat des élections. Il est prématuré de supputer le rapport de forces alors qu’elles ne sont pas encore totalement alignées et qu’il existe toujours beaucoup d’impondérables. Nous ne verrons plus clair qu’après le Nomination Day même si nous voyons bien se dessiner les contours des deux blocs principaux qui vont s’affronter, l’un autour du MSM, l’autre autour du parti Travailliste.

Une ou deux autres formations se préparent à présenter des candidats. Elles ne peuvent pas prétendre obtenir une majorité, mais elles vont provoquer une dispersion des voix qui sera, objectivement, au détriment de l’alliance Travailliste-MMM.

* Mais même si c’est encore trop tôt pour se faire une idée précise du rapport de forces sur l’échiquier politique, les mesures très controversées prises par les autorités pour entraver la mobilisation des sympathisants de l’alliance PTr-MMM lors de leur rassemblement à Port Louis le 1er mai dernier ont révélé un sentiment de panique au sein de l’alliance gouvernementale. Craignent-ils que le terrain soit en train de glisser?

La peur panique est un syndrome commun à tous les gouvernements sortants à l’heure du règlement des comptes. Dans le cas présent, Pravind Jugnauth et ses alliés savent bien qu’ils seront face à forte partie et ils ne veulent prendre aucun risque.

Mais je ne suis pas sûr que l’on puisse arguer d’un glissement de terrain de l’alliance gouvernementale. J’ai une autre lecture de la situation. Je pense, au contraire, que l’alliance gouvernementale a utilisé tous les moyens du pouvoir pour consolider sa base électorale au cours de ces dernières années. Je le crédite aujourd’hui, grosso modo, de la même force qu’aux élections de 2019, allons dire entre 38 et 40%. Son problème, c’est que l’alliance Travailliste-MMM a le potentiel de faire 5 à 10 points supplémentaires, en cas de synergie optimum. Ce résultat dépendra beaucoup de la cohérence de leur argumentaire politique.

Ce point est crucial ; les élections de 2014 ont démontré que cette alliance est capable de perdre une élection imperdable…

* Quoi qu’il en soit, en plus du contrôle absolu exercé par l’alliance gouvernementale sur l’appareil d’État, notamment sur la MBC-TV, une machine de propagande très efficace, le gouvernement disposerait également d’une certaine marge de manœuvre budgétaire grâce aux “Special Funds” pour financer d’autres mesures populistes lors du prochain exercice budgétaire, ainsi que de la carte Duval. Quel impact ces stratégies électoralistes auront-elles sur l’électorat ?

Le principal impact est d’ordre financier. Les diverses augmentations de salaires ou d’allocations octroyées au cours des derniers mois ont effectivement soulagé beaucoup de monde.

Elles ont permis à l’alliance gouvernementale d’engranger des dividendes électoraux, de consolider sa base, peut-être de l’élargir un peu. On peut prévoir qu’elle maintiendra cette même stratégie à l’occasion du prochain budget sans se préoccuper des conséquences macroéconomiques à plus long terme. Après Padayachy, le déluge…

Vous avez raison de souligner que contrairement à ce que prévoit la loi, la MBC qui est censée se montrer « independent and impartial » est une machine de propagande gouvernementale. Ce n’est pas nouveau, mais c’est pire que jamais.

Lors de la campagne électorale, nous verrons probablement émerger deux thèmes majeurs, l’un promu par l’alliance gouvernementale, l’autre par l’opposition Travailliste-MMM.

Pravind Jugnauth et ses alliés joueront à fond sur les mesures sociales introduites.

L’opposition portera l’essentiel de ses attaques sur les manquements à la bonne gouvernance, les faits de société, la prolifération de la drogue et l’insécurité qui en découle, les allégations de corruption, le gaspillage de l’argent public, la politisation des institutions et le népotisme. Elle ne manquera pas de munitions. Le gouvernement MSM a été une véritable usine de fabrication de casseroles.

Mais difficile de dire à ce stade, comment l’électorat réagira face à ces deux logiques.

* On ne sait pas exactement à quoi Paul Bérenger faisait allusion lorsqu’il parlait récemment de développements imminents sur le plan politique et qu’un Travailliste serait malgré tout Premier ministre dans le prochain gouvernement en cas de victoire. Pensez-vous que le Parti Travailliste aurait intérêt à envisager un Plan B au cas où les attaques du MSM s’avéreraient efficaces ?

Je ne sais pas à quoi faisait référence Paul Bérenger. Vous semblez insinuer que cela pourrait concerner Ramgoolam. Peut-être aussi à un évènement positif. Mais en tout état de cause, il faut toujours prévoir un plan B, en politique plus qu’ailleurs.

Mais sur un plan essentiellement tactique, je ne vois pas l’intérêt pour Jugnauth de créer une circonstance qui forcerait le parti Travailliste à se trouver un autre leader. J’imagine qu’il lui sera plus facile de combattre un Ramgoolam qui traîne quelques casseroles qu’un leader neuf sans passé gouvernemental et sans passif.

* Ce dont le MSM a grandement besoin dans une lutte qui pourrait être serrée, c’est d’assurer dès le départ une large victoire dans les circonscriptions rurales. Malgré l’opinion presque unanime des analystes politiques sur l’improbabilité d’une élection partielle au No.10, le MSM pourrait envisager cette démarche s’il est assuré, par le biais des services de renseignements et des sondeurs, d’une victoire certaine au No.10. Cela pourrait lui procurer un “boost” électoral déterminant. Qu’en pensez-vous?

Votre raisonnement n’est pas farfelu mais je n’y crois pas.

Les hommes politiques n’aiment pas prendre de risques. C’en est un et très grand. C’est vrai que si le MSM devait organiser et remporter cette élection partielle, il bénéficierait d’un grand “boost” électoral, mais l’inverse serait catastrophique pour lui.

Au fait, je vois dans cette prochaine joute deux stratégies asymétriques : le MSM cherche à obtenir le maximum de sièges dans les circonscriptions rurales et espère grappiller quelques élus en milieu urbain ; l’alliance Travailliste-MMM cherche à obtenir le maximum de sièges en milieu urbain et à arracher quelques élus en milieu rural.

* Au-delà du fait que les prochaines élections seront déterminantes pour les leaders des principaux partis politiques, elles pourraient également ouvrir la voie à l’émergence d’une nouvelle génération de leaders et de politiciens. Voyez-vous cette perspective se réaliser et trouvez-vous cela rassurant ?

Pour les leaders des deux partis de l’opposition parlementaire, ce sont les élections de la dernière chance ; il n’y aura pas de suite.

Mais, lors de ce prochain spectacle, les leaders des nouvelles formations seront, en quelque sorte, des vedettes américaines. Ils joueront en première partie, mais à la fin les grosses vedettes occuperont toute la scène. Il leur faudra attendre le prochain tour.

* Cette alliance entre le PTr et le MMM sera-t-elle viable dans un contexte de partage du pouvoir, et Navin Ramgoolam a-t-il fait une erreur en abandonnant le soutien représenté par le PMSD, autrefois son “allié naturel” ?

Je ne vois pas se dessiner un partage du pouvoir. Les tiraillements et les difficultés de l’alliance PTr-MMM sur les investitures ont pour toile de fond la détermination de Ramgoolam à s’assurer d’une majorité d’élus à l’intérieur de l’alliance. Il n’est pas du genre à partager le pouvoir. Je crois que les dirigeants du MMM ne se font pas d’illusion.

Mais, bien entendu, une alliance exige, de part et d’autre, des compromis. Le contexte de fin de clap pour les deux leaders les incitera probablement à des accommodements plutôt qu’à des affrontements suicidaires pour l’un comme pour l’autre.

Pour revenir au PMSD, ce n’est pas, que l’on sache, Ramgoolam qui a abandonné Xavier Duval. Je pense que l’on verra bientôt les vraies raisons pour lesquelles Duval a choisi de se retirer. Je crois que c’est lui, mal conseillé, qui a commis une erreur.

* Quelle opinion faites-vous du “Political Financing Bill” sachant que ce document a été rendu public à quelques mois des prochaines législatives ? Et qu’en est-il de l’évaluation de la pertinence de ces propositions ?

Je comprends la méfiance de l’opposition concernant le “Political Financing Bill”, mais je regrette l’incapacité des partis politiques à trouver un consensus sur cette question si fondamentale pour le fonctionnement de la démocratie. Ce blocage fait parfaitement le jeu du pouvoir en place qui fait financer une grosse part de ses campagnes avec l’argent public sous couvert de manifestations officielles.

Sur le fond, je trouve absolument absurde qu’un Etat confie au seul secteur privé le financement des partis politiques, acteurs essentiels de la vie démocratique de la nation. J’estime que le financement des partis devrait être d’abord une obligation de l’Etat, quitte à chercher une contribution supplémentaire du secteur privé selon des règles de stricte transparence.


Mauritius Times ePaper Friday 17 May 2024

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