L’opposition extra-parlementaire se mobilise

Eclairages

Par A. Bartleby

L’actualité politique de cette semaine a été contrastée : les partis traditionnels sont restés particulièrement discrets alors que les partis extra-parlementaires ont été très présents dans l’actualité.

Du côté des partis traditionnels, il semblerait que le remaniement ministériel de la semaine dernière ait calmé les ardeurs de l’alliance de l’opposition. Alors qu’ils étaient très présents dans les médias et sur le terrain pour la préparation de leurs différents congrès, ils semblent désormais être bien plus en retrait. En fait, les dirigeants du PTr, du MMM et du PMSD paraissent avoir été surpris du “timing” et de la nature de ce remaniement, et nous devinons aisément qu’ils doivent être en train de revoir leur propre stratégie.

L’opposition extra-parlementaire est en train de se mettre en ordre de marche et envoie le signal qu’il faudra composer avec elle pour les prochaines échéances électorales

En décalant encore une fois les élections municipales, le Premier ministre a laissé croire que les élections générales approchaient à grands pas et, en effectuant le remaniement ministériel, il a envoyé le message que les élections générales ne sont pas pour bientôt.

En fait, Pravind Jugnauth parvient toujours à contrôler l’agenda politique. Il avait fait exactement la même chose avant les élections de 2019. D’un côté, il n’avait aligné aucun candidat à la partielle de la numéro 18 le 17 décembre 2017 qui avait vu l’élection d’Arvin Boolell. Cela lui avait permis de jauger le rapport de force entre les autres partis sans dévoiler ses cartes à lui. Et, de l’autre côté, il avait annoncé une élection partielle à la circonscription numéro 7, après la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo. Cette partielle devait se tenir le 13 novembre 2019, et nous savons tous que Pravind Jugnauth avait pris toute l’opposition de court en organisant les élections générales le 7 novembre 2019, soit quelques jours avant la date prévue de la partielle.

La maîtrise du temps politique est une arme essentielle si l’on veut avoir la mainmise sur l’échiquier, et il semble pour l’instant que les tentatives de l’opposition d’imposer son propre rythme en mettant la pression sur le gouvernement n’ait pas fonctionné. Ainsi, ils se trouvent dans l’obligation de faire vivre cette alliance et de la faire monter en puissance dans les prochains 15 mois.

Cela ne signifie pas que les prochaines échéances électorales auront lieu en novembre de l’année prochaine. En fait, il se pourrait bien qu’elles se tiennent à n’importe quel moment à partir du verdict du Privy Council. Et nous pouvons deviner que le MSM fera monter et redescendre la mayonnaise durant les prochains mois afin d’user l’opposition. Cette dernière devra donc rester vigilante…

De leur côté, les partis extra-parlementaires ont été très actifs cette semaine.

Nando Bodha, Rama Valayden et leurs camarades ont accueilli le Rassemblement Citoyen pour la Patrie et les Verts Fraternels de Sylvio Michel dans leurs rangs. Ils en ont profité pour rebaptiser leur alliance en Linion Moris. Que nous croyons en eux ou pas, Linion Moris a le mérite de tenter de construire une proposition politique qui puisse s’inscrire dans le paysage politique mauricien. Il y a bien évidemment des têtes connus, comme Bodha et Valayden, mais il y a également une part importante faite à des nouveaux, ce qui est forcément positif.

Nando Bodha et Rama Valayden sont également des personnes aguerries à la politique de terrain, ce qui aidera grandement les nouveaux venus comme Parvez Dooky issu du Ralliement Citoyen pour la Patrie, un parti basé à Paris et qui compte un grand total de trois membres dans ses rangs.

En tout cas, Linion Moris est en train de se mettre en ordre de marche et envoie le signal qu’il faudra composer avec eux pour les prochaines échéances électorales.

Il en va de même pour Roshi Bhadain et Patrick Belcourt. Le Reform Party vient d’accueillir de nouveaux membres et a même affiché une recrue de choix lors du congrès des jeunes organisé dimanche dernier par le Reform Party et En Avant Moris. Géraldine Geoffroy, animatrice star de Radio One, s’est affichée aux côtés de Roshi Bhadain.

Cela faisait un moment que circulait les rumeurs d’une démission de l’animatrice de Radio One. En s’affichant dimanche dernier, Géraldine Geoffroy a coupé court aux rumeurs et a clairement déclaré son intention de s’engager politiquement. Elle devrait même être la colistière de Roshi Bhadain au numéro 20, ce qui pourrait constituer un duo particulièrement solide. Il est indéniable que Géraldine Geoffroy est une jeune femme intelligente, charismatique et populaire. Elle s’inscrit dans cette lignée des personnalités médiatiques qui ont fait le pas vers la politique active avec un succès électoral certain (comme l’ont prouvé Subhasnee Luchmun-Roy et Sandra Mayotte pour le MSM).

De ce fait, il faudra s’attendre à ce qu’un duo Bhadain/Geoffroy puisse faire très mal au numéro 20.

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Maurice au G20

Le sommet du G20 de cette année se tiendra les 9 et 10 septembre. Ce regroupement des 20 pays les plus puissants du monde constitue une messe annuelle suivie de près par le monde entier. C’est la première fois qu’un tel sommet se tient en Inde qui préside le G20 jusqu’au 1er décembre, date à laquelle le Brésil prendra la responsabilité de la présidence du groupe.

Ce groupe des 20 pays les plus puissants de la planète inclut en réalité les 19 pays les plus puissants du monde ainsi que le bloc de l’Union européenne (mais où certains pays sont exclus du membership). Ces pays constituent à eux seuls 80% de la richesse mondiale, 75% du commerce international et près de 2/3 de la population mondiale.

Ce sommet est avant tout une opportunité pour les leaders des puissances mondiales de discuter de l’avenir de l’économie et de la coopération mondiale, en parallèle avec les représentants des institutions comme les Nations-Unies, le FMI, l’OMS, l’OMC ou encore l’OCDE. Les discussions de cette année devraient emboîter le pas du dernier sommet qui s’était tenu en Indonésie l’année dernière, et devraient mettre l’accent sur les enjeux liés à la relance de l’après-Covid, l’inflation mondiale, la guerre en Ukraine et le réchauffement climatique. La récente ouverture des BRICS à six autres pays sera probablement aussi un sujet abondamment abordé par les représentants des pays et des institutions présentes à New Delhi ce week-end.

Comme le veut la tradition, le pays organisateur a également le choix d’inviter certains pays non-membres du groupe à assister au sommet et cette année ne déroge pas à la règle. Ainsi, en plus des membres actifs du G20, le Premier ministre indien Narendra Modi a étendu une invitation au Bangladesh, à l’Égypte, aux Pays-Bas, à l’Espagne, au Singapour, au Nigéria, à Oman, aux Emirats Arabes Unis et à la République de Maurice. Le drapeau mauricien flottera ainsi haut et fier parmi ceux de l’élite économique mondiale le temps d’un week-end hautement symbolique.

Par delà l’exercice de communication pour le gouvernement mauricien et pour le Premier ministre Pravind Jugnauth, il s’agit en réalité d’une opportunité extrêmement intéressante pour notre pays. Il est extrêmement important pour Maurice de continuer à tisser des liens diplomatiques solides avec des pays qui sont aujourd’hui les « drivers » de l’économie mondiale. Ainsi, un tel sommet est l’occasion rêvée de pousser nos intérêts nationaux auprès de leaders comme Rishi Sunak, Joe Biden, Cyril Ramaphosa ou encore Olaf Scholtz. Emmanuel Macron et le Prince Salman d’Arabie Saoudite pourraient également être présents à ce sommet, malgré le désistement de Vladimir Poutine (sans doute à cause du mandat d’arrêt international émis contre lui) et l’absence de Xi Jinping.

Maurice aura ainsi l’occasion de discuter directement avec les décideurs mondiaux de sujets aussi pressants et importants pour nous que le dossier des Chagos, de la restructuration de la dette nationale, des régulations liées aux « cryptocurrencies » ou encore à la question de la sécurité alimentaire et énergétique.

Ainsi la présence de Maurice à ce sommet doit dépasser le simple symbole afin que nous puissions adresser directement les enjeux qui sont aujourd’hui les nôtres auprès des acteurs décisionnels de l’économie mondiale.

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Xi Jinping absent du sommet du G20 en Inde

Alors que le récent sommet des BRICS annonçait une nouvelle ère de coopération sans précédent entre la Chine et l’Inde, les relations se sont subitement refroidies cette semaine. La raison: une carte de la Chine où des régions de l’Inde, certaines parties de la Russie et des ZEE vietnamiennes, taïwanaises et japonaises sont apparues comme faisant partie du territoire chinois.

La réaction du gouvernement indien a été immédiate avec un exercice militaire mené dans la zone du Ladakh dans les Himalayas. Cette région constitue, depuis le conflit de 1962, une zone de friction importante entre les deux puissances nucléaires. Le dernier conflit ouvert en date avait eu lieu en 2022, avec un incident grave ayant apparemment fait plusieurs centaines de morts en 2020.

D’ailleurs, l’accord de pacification qui avait suivi ce premier conflit avait stipulé qu’il n’y aurait plus d’utilisation d’armes à feu entre les deux belligérants, ce qui explique que les soldats indiens et chinois se soient battus à l’arme blanche en 2020.

Encore une fois, tout laissait penser que les relations entre ces deux pays se soient réchauffées depuis quelques mois avec leur volonté commune d’entamer le processus de dédollarisation et l’extension des BRICS à six nouveaux membres. Ce refroidissement apparaît donc comme une surprise de taille, surtout que Xi Jinping a déjà annoncé qu’il ne se rendrait pas au sommet du G20 qui se tient en Inde à la fin de cette semaine.

Tout cela apparaît donc comme une grand contradiction envoyant des signaux mixtes au monde. D’un côté, ils veulent construire une alternative à l’hégémonie du Dollar sur l’économie mondiale et, de l’autre côté, ils se tapent dessus pour des disputes territoriales. De telles postures pourraient, à elles seules, faire capoter le projet des BRICS+ en sapant la confiance de leurs différents partenaires.

Cela témoigne en réalité surtout du fait que le projet des BRICS+ repose sur un terrain extrêmement instable. Comme mentionné la semaine d’avant, il n’y a pour l’instant pas de réelle union des BRICS+, mise à part le projet de dédollarisation. Il n’y a pas d’unité sécuritaire, géographique, historique, culturel, religieux ou linguistique permettant à ces pays de trouver des terrains d’entente qui dépassent les simples intérêts purement économiques.

Il se trouve que la Chine et l’Inde sont, de facto, les deux locomotives des BRICS puisque ce sont les deux pays dont les économies ont le plus besoin des BRICS pour continuer à croître. Mais ces contradictions risquent de durer ; c’est inévitable. Entre les volontés expansionnistes de la Chine d’un côté, et la pragmatique du “middle-way” de la diplomatie indienne de l’autre (où l’Inde travaille tout autant avec ses partenaires occidentaux qu’avec les BRICS+), il y aura forcément des frictions entre ces deux pays. Et il appartiendra aux leaders politiques et aux diplomates d’atténuer les choses et de trouver des voies de sortie. Nous pouvons deviner que les choses retourneront à la normale entre ces deux pays, et que les priorités économiques reprendront le dessus. Mais nous ne pouvons nous empêcher de penser que la publication de cette carte par les Chinois, qui a produit la réaction indienne, s’inscrit forcément dans la volonté d’embarrasser l’allié indien vers qui le monde regardera pendant le sommet du G20… Sommet où la Chine brillera par l’absence de son leader…

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Coup d’État au Gabon : l’effondrement de la Françafrique se poursuit

Le 30 août dernier, à la suite des élections présidentielles qui ont vu la réélection d’Ali Bongo pour un troisième mandat consécutif, une faction de l’armée gabonaise a pris le contrôle du pays en mettant Ali Bongo et sa famille en assignation à résidence. Ils ont, dans la foulée, déclaré nulles les élections et mis en place un gouvernement de transition dont l’objectif est d’organiser des élections démocratiques dans les meilleurs délais.

Ainsi, en l’espace de quelques jours, la dynastie des Bongo est tombée au Gabon. Omar Bongo, le père d’Ali, accéda à la Présidence de la République du Gabon en 1967 et ne devait plus la quitter jusqu’à sa mort en 2009, soit un règne de près de 42 ans à la tête du pays. Omar Bongo laissa place à Rose Robombé qui fut Présidente du 10 juin au 16 octobre 2009, avant que le poste ne soit occupé par Ali Bongo, fils d’Omar, du 16 octobre 2009 au 30 août 2023.

Au total, la famille Bongo a cumulé près de 56 ans d’un pouvoir sans partage sur un pays qui fut l’un des piliers de la Françafrique de par la richesse de ses sous-sols. En effet, le Gabon est un pays riche en manganèse, en pétrole, en gaz naturel et en fer. Le pétrole constitue d’ailleurs l’activité principale de l’économie gabonaise, représentant 50% du PIB, 60% des recettes fiscales de l’État et 80% des exportations. Le Gabon fut également connu pour son uranium, exporté principalement vers la France, avant l’arrêt de la production en 2001.

L’économie gabonaise se situe d’ailleurs dans l’élite des économies du continent africain, avec notamment l’un des indices de développement humain les plus élevés du continent. Mais malgré les immenses richesses du pays et le fait que le PIB moyen soit dans la moyenne supérieure du continent, les inégalités sociales et économiques rongent ce pays de près de 2,4 millions d’habitants.

Ainsi, c’est un autre pilier de la Françafrique qui s’effondre après le Niger il y a quelques semaines. Et la volonté ouvertement déclarée et revendiquée de se “débarrasser de la France” est clairement affichée. Comme ce fut le cas au Niger, la France est au premier rang des blâmes par les Gabonais qui accueillent ce coup de manière extrêmement positif pour le moment.

Nous ne savons pas encore si une puissance étrangère est impliquée dans le coup, comme cela semble être le cas au Niger avec une implication russe. Mais il est clair que le ras-le-bol envers la famille Bongo risque de se traduire par une perte d’influence certaine de la France au Congo.

En France, Emmanuel Macron reste relativement discret sur ces événements. Il a tenté de minimiser le coup au Niger en rassurant notamment que l’approvisionnement en uranium nigérien (essentiel pour la production d’énergie en France) ne sera pas affecté. Il s’est d’ailleurs pris de plein fouet les critiques de l’opposition et est tenu entièrement responsable de l’effondrement de la stratégie africaine de la France.

Cela peut sembler dur envers le Président français qui n’est pas responsable de la longue histoire tourmentée de la Françafrique. En réalité, la France est en train de payer le prix de son manque de vision globale. Alors que le monde s’ouvre et évolue, alors que les anciennes colonies prennent leur envol, la politique française n’a pas évolué et s’est même reposée sur des acquis historiques traduits par des familles comme les Bongo.

A force de fermer les yeux sur un monde qui changeait et qui évoluait à vitesse grand V, la France a pris du retard par rapport à ses alliés historiques. Retard que des pays comme la Russie et la Chine ont vite fait d’exploiter depuis quelques années. Les volontés d’émancipation de l’ordre colonial, de développement, de justice et de démocratie des peuples africains deviennent une réalité consciente de la géopolitique mondiale et ne peuvent plus être relégués à de simples bruissements sans conséquences.

Ainsi le coup au Gabon et la chute d’Ali Bongo devrait entrainer un réveil violent d’Emmanuel Macron. Qu’est-ce que le président français va proposer à ce qu’il reste de la Françafrique s’il ne veut pas avoir été le President de ce que l’on pourrait nommer un printemps françafricain ?


Mauritius Times ePaper Friday 8 September 2023

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