L’impôt sur les revenus est-il vraiment progressif ?

Réforme fiscale

Par Prakash Neerohoo, Spécialiste fiscal

Dans le budget 2023-2024, le ministre des Finances a introduit une réforme de l’impôt sur les revenus qui remplace le taux uniforme d’imposition de 15% par un barème gradué. À partir du 1er juillet 2023, l’impôt sur les revenus sera calculé selon un barème gradué allant de 0% à 20% avec une addition de 2% pour chaque tranche de revenu supérieure. Le ministre a présenté la nouvelle formule comme un système d’impôt progressif. Qu’en est-il vraiment ?

Avant de répondre à cette question, examinons d’abord la structure du nouveau barème. Comme le montre le tableau 1, le barème gradué comporte 10 taux marginaux d’imposition (Marginal Tax Rates) applicables aux différentes tranches de revenus. Les premières Rs 390 000 des revenus annuels du contribuable ne seront pas imposables avec un taux d’imposition de 0%. L’impôt sur les revenus s’appliquera après cette tranche d’exemption.

Ainsi, un taux d’imposition de 2% frappera les premières Rs 40 000 après la tranche d’exemption de Rs 390000 (dans la fourchette de Rs 390 000 à Rs 430 000). L’impôt dû sur les Rs 40 000 sera de Rs 800.

Dans ce tableau, l’exemption pour les personnes à charge du contribuable, s’il y en a, n’est pas considérée afin de simplifier les calculs.

Par exemple, un salarié touchant des revenus annuels de Rs 590 000 sera assujetti à un impôt de Rs 10 800 après l’application des différents taux marginaux d’imposition. Ce salarié sera imposé à un taux d’imposition effectif (Effective Tax Rate) de 1,8%.Le taux marginal d’imposition de 20% frappe la tranche des revenus supérieure à Rs 2 390 000 par an. Nous avons ainsi calculé l’impôt sur des revenus annuels de Rs 3 millions pour illustrer l’impact du taux marginal d’imposition de 20%.

Le tableau 2 indique l’économie réalisée à chaque tranche de revenu sous le nouveau système en comparaison avec l’impôt uniforme de 15%. Un salarié qui touche un revenu annuel de Rs 3 millions paiera un impôt de Rs 394 800, soit un taux d’imposition effectif de 13,2%. Au taux d’imposition uniforme de 15%, ce contribuable paie actuellement Rs 450 000 d’impôt. Il économisera donc Rs 55 200. Le contribuable qui a un revenu annuel de Rs 1 490 000 économisera Rs 104 700.

En général, la politique fiscale d’un pays vise trois objectifs :

  • assurer l’équité fiscale entre les citoyens,
  • redistribuer les richesses en taxant davantage les riches, et
  • développer la capacité contributive de l’économie d’une façon optimale.

Une politique fiscale juste et efficace repose sur une assiette fiscale large qui comprend les sources des revenus, la propriété, la consommation et la richesse. Il faut évaluer la réforme fiscale par rapport à tous ces facteurs.

Équité fiscale

Le taux marginal d’imposition de 20% sur la tranche de revenu supérieure à Rs 2 390 000 sera le taux maximal d’imposition. Sous le présent système, jusqu’au 30 juin 2023, le taux marginal d’imposition le plus élevé est de 40%. Ce taux d’imposition est la somme du taux uniforme d’imposition de 15% et de la taxe de solidarité de 25 % qui frappe la tranche de revenu excédant les revenus annuels de Rs 3 millions.

Il faut souligner que le taux marginal de 40% est nominal parce que, dans la pratique, ce taux est limité à 10% du revenu net (le revenu brut moins la déduction personnelle). Lorsque le montant d’impôt calculé au taux de 40% sur la tranche de revenu excédant Rs 3 millions dépasse 10% du revenu net, c’est le montant de 10% du revenu net qui est perçu comme impôt marginal. Cette limitation fut introduite en 2020 après la levée des boucliers des gros contribuables qui s’opposèrent à un taux marginal d’imposition de 40%.

Aujourd’hui, en remplaçant le taux marginal d’imposition de 40% par un taux marginal d’imposition de 20%, le gouvernement abandonne pour de bon toute intention de taxer davantage les contribuables riches. Ce qui est plus significatif, c’est que la taxe de solidarité de 25% s’appliquait au revenu imposable incluant les dividendes. Avec l’abolition de la taxe de solidarité, tous les actionnaires résidents ou non-résidents d’une société résidente à Maurice seront exemptés de tout impôt sur les dividendes.

La nouvelle structure de taux d’imposition apparaît progressive, mais la progressivité est limitée par un taux maximal d’imposition de 20%. Les contribuables les plus fortunés seront assujettis à un taux d’imposition effectif inférieur à 15% sur leur revenu annuel, comme on le voit au tableau 1.

Dans les pays développés membres de l’OCDE, le barème gradué comporte 5 ou 6 taux d’imposition avec un taux de base de 15% et un taux marginal d’imposition supérieur de 30% ou plus. Au Canada, par exemple, les taux d’imposition sont 15%, 21%, 26%, 29% et 33% selon les tranches de revenu. Et les contribuables les plus aisés dans ce pays ne s’en plaignent pas.

A la suite des concessions fiscales offertes aux gros contribuables, ce sont les contribuables de la classe moyenne (salariés et travailleurs indépendants) qui seront appelés à porter le fardeau fiscal de l’impôt sur le revenu. Maurice retourne donc à la fiscalité directe légère qui fut en place depuis 2006 jusqu’à l’introduction de la taxe de solidarité en 2020. Cette fiscalité légère est l’un des aspects de la politique économique néo-libérale suivie par tous les gouvernements depuis 2006.

Le raisonnement sous-tendant cette politique est que l’impôt sur le revenu (des individus et des sociétés) devrait être maintenu à un niveau faible pour être une incitation au travail, à l’effort et à l’investissement. Or, ce sont les contribuables riches qui bénéficient de cette fiscalité directe légère. Toutes les mesures populistes du budget ne cachent pas cet effort spécial en faveur des riches.

Capacité contributive

La politique fiscale devrait pouvoir développer de façon optimale la capacité contributive de l’économie en exploitant toutes les sources de revenus (taxes directes et indirectes). En matière de fiscalité directe, les économies avancées taxent les dividendes comme une source de revenu entre les mains des actionnaires selon la théorie qui veut que toutes les sources de revenus actifs (revenu d’emploi, revenu du travail libéral, revenu d’entreprise) et les sources de revenus passifs (dividendes et intérêts, plus-values sur les biens, revenu de location) soient imposées en vue d’assurer l’équité fiscale entre tous les citoyens.

Le gouvernement, lui, choisit de rétrécir la base imposable (capacité contributive) de l’économie en abandonnant toute imposition des dividendes. Autre fait significatif : les plus-values réalisées sur la vente des biens meubles et immeubles ne sont pas non plus taxées. La taxation des plus-values est l’outil idéal pour combattre le blanchiment d’argent auquel se livrent les trafiquants de drogue, les opérateurs de paris illégaux et d’autres personnes (travailleurs ou professionnels indépendants) qui ne déclarent pas tous leurs revenus au fisc.

Tous ces fraudeurs investissent leur argent illicite dans l’acquisition de biens meubles (bateaux, yachts, voitures, bijoux) et biens immeubles (maisons, campements, bâtiments commerciaux) au vu et au su des institutions de régulation qui sont pourtant responsables de contrôler les richesses inexpliquées.

La politique fiscale du gouvernement a une tendance significative de transférer le fardeau fiscal du pays de l’imposition des revenus à l’imposition de la consommation. Le nouveau système d’impôt sur le revenu causera un manque à gagner de Rs 3,5 milliards en termes de recettes fiscales directes. C’est un développement inquiétant au moment où le gouvernement prévoit un déficit budgétaire de Rs 21 milliards pour 2023-2024 (les revenus étant estimés à Rs 179 milliards contre des dépenses de Rs 200 milliards).

En taxant moins les revenus, le gouvernement accentue la dépendance de l’État sur les taxes indirectes (TVA, taxes d’accise), lesquelles représentent 68% des recettes fiscales totales du pays. La Taxe à la Valeur Ajoutée (TVA) générera des recettes de Rs 61,5 milliards en 2023-2024 contre Rs 49,4 milliards en 2022-23, soit une augmentation de 24%. Certes, l’inflation y est pour quelque chose, mais la propension à favoriser la taxation de la consommation est devenue structurelle. Vu le caractère régressif des taxes indirectes, c’est le petit peuple qui paie les pots cassés d’une politique fiscale limitée et sans imagination.

Le pays a une politique sociale ambitieuse avec toutes les promesses d’aides à gauche et à droite (pensions de retraite, prestations sociales, subventions diverses), mais il ne se donne pas les moyens d’élargir sa base fiscale pour financer les dépenses publiques. Le recours constant à l’endettement (Rs 500 milliards déjà) pour financer le déficit budgétaire est une recette pour le désastre financier à terme.

Prakash Neerohoo
Spécialiste fiscal


Mauritius Times ePaper Friday 9 June 2023

An Appeal

Dear Reader

65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.

With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.

The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *