Les gaspillages de fonds publics sont-ils inévitables?

Contrôle des dépenses publiques

Le rapport du directeur de l’Audit scandalise l’opinion publique pendant un certain temps et puis tombe dans les oubliettes. Et vogue la galère!

By Aditya Narayan

C’est devenu un rite lassant au mois de mars chaque année. Le directeur de l’Audit dépose son rapport sur les comptes du gouvernement pour l’année financière précédente avec des révélations sur les gaspillages de fonds publics, les fraudes alléguées, les lacunes dans les appels d’offres et autres détournements de procédures.

La presse accorde une large couverture aux irrégularités financières relevées dans le rapport. L’Opposition pousse des cris de putois. Le gouvernement s’en défend maladroitement s’il ne garde pas un silence radio. Et la page est tournée jusqu’au prochain rapport dans un an.

Cette année-ci, la pandémie du coronavirus a chassé très vite les révélations du Bureau national de l’Audit de la une de l’actualité, et ce, à la satisfaction cachée de tous ceux qui craignaient des questions indiscrètes sur leur responsabilité directe dans cette situation déplorable.

Tout le monde est sans doute plus préoccupé par les ravages économiques de la pandémie du coronavirus que par les gaspillages de fonds publics. Après tout, s’est-on dit, le gaspillage ce n’est pas du jamais vu. Au fil du temps, on s’est habitué à cet exercice annuel qui dénonce à juste titre les gabegies financières dans le secteur public mais n’est suivi d’aucune action concrète de la part du gouvernement en vue d’éviter une répétition de l’histoire.

Déficits annuels

Il a fallu l’avènement de la pandémie du coronavirus, avec son impact potentiel sur la croissance économique, pour que le Gouvernement exige que tous les ministères réduisent leurs dépenses budgétisées de 10% dans l’exercice financier courant, ce qui laisse comprendre qu’il y a beaucoup de gras dans la machinerie gouvernementale.

Or, les gaspillages des fonds publics montrent l’ampleur d’un problème qui paraît insurmontable, soit l’incapacité du Gouvernement d’instaurer une discipline financière rigoureuse dans l’administration des programmes de dépenses.

La discipline financière est pourtant la moindre des choses à implémenter dans un pays qui accumule un déficit budgétaire d’année en année, lequel est financé par l’endettement de l’Etat

Dans son rapport pour l’exercice financier 2018-2019, le directeur de l’Audit souligne le recours croissant du gouvernement aux emprunts remboursables pour financer ses dépenses. Dans les démocraties parlementaires, la comptabilité nationale définit le déficit comme l’excédent des dépenses totales sur les revenus totaux. Le budget de l’Etat mauricien a ceci de particulier qu’il inclut des emprunts dans les revenus totaux, ce qui minimise le déficit réel.

Comme le tableau ci-dessous (tiré de la page 28 du rapport) le montre, le déficit budgétaire pour 2018-2019 était de Rs 11,1 milliards. Or, les revenus totaux du gouvernement incluent des emprunts remboursables de Rs 27,7 milliards.

Si l’on exclut ces emprunts des revenus totaux, le déficit réel s’élève à Rs 38,8 milliards (27,7 plus 11,1). Même si le déficit de Rs 11,1 milliards est financé entièrement par la dette interne (les bons du Trésor achetés localement), il n’en demeure pas moins que l’endettement total contracté pour financer les dépenses totales était de Rs 38,8 milliards.

Le service de la dette (remboursement du montant principal et intérêts) a coûté Rs 28,1 milliards en 2018-2019, soit 20% des dépenses totales. On estime que sans les gaspillages de fonds dans les différents secteurs où l’argent a été mal dépensé, au moins Rs 5 milliards auraient pu être économisées dans le budget en 2018-2019.

Structures de responsabilité

Aux antipodes de la discipline financière nécessaire, il y a une tendance au laisser-aller dans le secteur public qui a normalisé le gaspillage et autres malversations financières au défi de toutes les normes de bonne gouvernance.

Au lieu de responsabiliser les parties concernées, il existe une perception que nos institutions et nos lois désuètes les dispensent de tout besoin de conformité stricte avec les règles, de toute rigueur budgétaire et de tout devoir de rendre compte de leurs actes.

Les structures qui sont en place pour gérer, surveiller et contrôler les programmes de dépenses ne fonctionnent pas efficacement pour s’assurer que l’argent public soit dépensé à bon escient. Ces structures de gestion, de surveillance et de contrôle sont censées assurer un niveau optimal d’efficacité, d’efficience et d’économie dans les programmes de dépenses. Voyons ce qu’elles font.

(1) La structure de gestion

Chaque ministère ou corps parapublic est doté de comptables (accounting officers) qui ont la responsabilité de veiller à ce que les dépenses soient effectuées selon les procédures et selon les objectifs pour lesquels les dotations budgétaires ont été votées. Si l’argent public est sous-utilisé, sur-utilisé ou gaspillé tout simplement par manque de soin ou d’attention, des garde-fous automatiques dans le système devraient intervenir (comme des clignotants rouges sur un tableau de bord) pour aviser les responsables qu’ils sont sur la mauvaise voie.

Si les choses ne se passent pas comme prévu, le comptable devrait en être tenu responsable. En principe, le chef du ministère a la responsabilité ultime de rendre compte de l’utilisation des fonds publics. La réglementation moderne du secteur public requiert que chaque ministère ait un contrôleur financier qui est en charge de tous les aspects financiers du programme de dépenses avec l’autorité de répondre du bien-fondé de tout montant dépensé.

(2) La structure de surveillance (audit interne)

L’Audit interne a pour rôle d’examiner et d’évaluer le contrôle interne sur les dépenses afin de déceler les failles dans le système et proposer des solutions pour y remédier.

Le Gouvernement a une armée d’auditeurs internes qui sont postés dans les différents ministères sur une base de rotation. Ces auditeurs sont censés mettre en place un cadre conceptuel des risques d’erreurs et d’irrégularités inhérents à chaque programme de dépenses (risk assessment framework) en vue d’avertir les comptables des risques de défaillance et des mesures à prendre pour les mitiger.

Vu la fréquence des irrégularités financières dans certains ministères, il est clair que les contrôles internes sur les dépenses sont dysfonctionnels. L’Audit interne devrait revoir sa copie et assurer que sa fonction de conseil soit à la hauteur de la tâche. L’Audit interne est censé prévenir les irrégularités avant que le Bureau national de l’Audit n’intervienne pour examiner la situation et établir ses constats.

(3) La structure de contrôle parlementaire

Le Public Accounts Committee (PAC) est un comité de l’Assemblée nationale, composé de membres du gouvernement et de l’opposition, avec pour rôle de passer en revue les dépenses du gouvernement. Il est un chien de garde au même titre que le directeur de l’Audit. Depuis quelque temps, on n’entend plus parler des travaux du PAC ni de ses recommandations au gouvernement. Le Gouvernement devrait donner au PAC les ressources nécessaires afin qu’il puisse faire son travail en toute liberté.

Le PAC devrait sommer les fonctionnaires concernés à comparaître devant lui pour s’expliquer sur les manquements aux devoirs et aux procédures qui sont révélés dans le rapport du directeur de l’Audit. Le PAC devrait aller plus loin en demandant un débat élargi au Parlement sur le rapport du directeur de l’Audit. Ce débat donnerait l’occasion aux ministres responsables de s’expliquer sur les affaires relevant de leur ministère.

Suivi des recommandations de l’Audit

Le Bureau national de l’Audit est un organisme indépendant qui remplit son rôle efficacement, mais malheureusement la nature de sa fonction lui impose le devoir d’examiner les comptes du gouvernement après que les dépenses aient été effectuées dans une année précédente.

Le rapport ex post du directeur de l’Audit ne fait que constater les dégâts. Au mieux, il ne peut que recommander des mesures pour prévenir la répétition des actes irréguliers ou frauduleux dans l’avenir.

C’est là que le PAC devrait intervenir pour exiger que le Gouvernement :

(a) fasse un suivi des recommandations du directeur de l’Audit pour remédier aux failles systémiques mises au jour et punir les manquements à la loi ;

(b) établisse des mécanismes de contrôle interne fiables pour prévenir les irrégularités et autres malversations financières ;

(c) permettre une évaluation indépendante de l’efficacité des contrôles internes ;

(d) amende la loi afin d’introduire des sanctions pénales contre les fonctionnaires coupables de manquements à leurs devoirs et à leurs obligations.

En mars 2019, le gouvernement avait mis sur pied un comité en consultation avec les ministères/départements en vue de remédier aux faiblesses et lacunes identifiées par le bureau de l’Audit dans son rapport pour l’exercice financier 2017-2018. A ce jour, on n’a rien entendu des travaux de ce comité. Celui-ci a eu, semble-t-il, le même sort que la “task force” établie en vue de faire un suivi des recommandations de la commission d’enquête sur la drogue. On ne voit rien venir de ces comités.

En tirant la sonnette d’alarme sur les affaires louches tous les ans, le rapport du directeur de l’Audit scandalise l’opinion publique pendant un certain temps et puis tombe dans les oubliettes. Et vogue la galère !


* Published in print edition on 20 March 2020

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