Les dauphins : Peut-on expliquer l’échouage collectif ou le mass stranding?

En cas de grande détresse, de peur et/ou de douleur, ils changent radicalement de comportement, allant du refus de se
nourrir jusqu’au point de se laisser mourir

Par Vina Ballgobin

Le dauphin est un mammifère marin de l’ordre des cétacés. Il a des nageoires antérieures et une nageoire caudale horizontale.  Il existe 43 espèces de dauphins dans le monde : 5 vivent dans les rivières (eau douce)et les autres vivent dans les mers et les océans (eau salée). Il y a deux écotypes de dauphins : ceux du large et ceux des côtes. Ces derniers aiment la chaleur et les eaux peu profondes. Chaque espèce de dauphin a son ADN propre. Le dauphin le plus connu est celui qui apparaît dans les films car il est très intelligent et facile à entraîner.

Le dauphin est apparenté aux mammifères terrestres. Si l’homme chasse le dauphin pour se nourrir ou pour le garder en captivité et s’en servir pour ses activités de loisirs, le dauphin – lui – a toujours protégé l’homme : il sauve les humains de la noyade ou des requins, il guide les marins lors d’une tempête, et ce, depuis très longtemps. Heureusement, les mentalités évoluent et certains collaborent avec les dauphins pour le bien de tous.

Mass stranding des dauphins en Namibie. Photo – www.enca.com

Selon certains chercheurs, le sonar et la variété d’émotions des dauphins pourraient aider à détecter et à réparer des tissus endommagés chez l’humain. La « delphinothérapie » aide les enfants et les adultes handicapés. Des programmes expérimentaux existent aussi pour aider les patients souffrant d’autisme, de dépression et de trauma.

Certains pêcheurs ont appris à décoder le mode de communication verbale et non-verbale des dauphins. Ces derniers poussent les bancs de petits poissons vers eux et leur indiquent à quel moment lancer un filet pour la capture. Ils répondent à environ une centaine d’instructions lorsqu’ils sont entraînés par les militaires pour des tâches spécifiques.

Mode de communication des dauphins

Fabre (2014) informe que les dauphins sont capables d’émettre une large variété de signaux sonores. Ils produisent trois types de sons.

(i) Les sons dits à modulation de fréquence : c’est une fréquence qui varie dans le temps (sifflements)

(ii) Les sons à modulation d’amplitude ou amplitude variable (grognements)

(iii) Les “phénomènes non linéaires” :

a. les fréquences changent instantanément (frequency jump) ;

b. les subharmoniques (sons composés de plusieurs harmoniques ou biphonation) ;

c. les deterministic chaos qui résultent de l’oscillation des plis vocaux asynchrones.

Les « sifflements » ne sont pas produits par tous les dauphins. Les « clics » sont utilisés par tous pour l’écholocation et pour la communication.Un dauphin, activant sa capacité d’écholocation, peut émettre jusqu’à 1,000 clics par seconde. Lors d’un signal émis par un dauphin, les hautes fréquences (80-150kHz) sont utilisées pour l’écholocation à courte distance (moins de 100 mètres). Plus la fréquence d’émission des ondes sonores diminue, plus la résolution est basse. Les fréquences entre 30 et 80 kHz sont couramment utilisées (Fulton, 2011). Les ondes émises par un dauphin lui permettent de mesurer la distance et la taille de ce qui se trouve sur son passage, l’aidant ainsi à s’orienter.

Le dauphin utilise aussi la communication acoustique non-vocale. Il produit des sons par d’autres moyens : il frappe la surface de l’eau avec ses nageoires, il faut des bonds hors de l’eau, il claque sa mâchoire, il grince des dents et il émet des bulles. Lorsqu’il agit ainsi, il produit des ondes sonores sous l’eau et produit un message acoustique non-vocal. Le saut du dauphin est lié à certaines situations, par exemple, la stimulation sexuelle, la découverte d’un lieu de nourriture ou la réponse à un agacement.

Le dauphin est sensible au contexte où il évolue. Quand il a le sentiment d’être en danger, il émet des signaux. Quand il se sent en détresse, il émet des “sifflements rauques” (whistles squawk) associés à des “clics tranchants” (sharp clics). Certains dauphins émettent des sons seuls comme les pops (boum) ou les cracks (craquements). Reiss (1988) parle de whistle squawk chez les dauphins nouveaux-nés : c’est un signal émotionnel. Quand deux dauphins se battent, ils émettent alors des barks (aboiements) ou des screams (cris).

Il se trouve que le dauphin a une très grande sensibilité auditive. Les sons pulsés (sonars) ou les grands bruits (explosifs, activité sismique ou volcanique, tremblement de terre, etc) engendrent de la douleur et du stress chez le dauphin. Aujourd’hui, plusieurs sources de pollution sonore affectent les dauphins (du fait des activités humaines en milieu marin).

Habituellement, les dauphins vivent en communauté d’environ 10 à 12 individus mais ils se regroupent par centaines quand ils sont menacés par un prédateur. Certaines recherches effectuées sur les animaux marins indiquent qu’ils ressentent de la douleur sous diverses formes et ils utilisent des moyens pour se soigner. Mais, en cas de grande détresse, de peur et/ou de douleur, ils changent radicalement de comportement, allant du refus de se nourrir jusqu’au point de se laisser mourir. Tel est le cas avec les dauphins qui suivent le chef de file : toute la communauté échoue sur une plage pour se laisser mourir.

Mass stranding des dauphins

Ce phénomène est connu depuis plusieurs années sur les différents continents. La plupart du temps, les spécialistes éprouvent des difficultés pour déterminer les causes du mal qui les affectent car les carcasses sont en mauvais état et/ou atteignent les plages trop tard.

Etats-Unis : Maladie virale. Dans les années 1990, plus de 1,400 dauphins échouent sur les plages allant de New York à la Floride, attirant la sympathie humaine.  Face à ce drame, une « National Oceanic and Atmospheric Administration » (NOAA) est créée, regroupant des spécialistes et des volontaires. Ils recueillent les cadavres pour les analyser. Les dauphins étaient porteurs du cetacean morbillivirus, un virus associé à la rougeole (measles)chez les humains et à la rage (rabies) chez les chiens. Sur 250 dauphins, 20 portaient aussi la brucella, une bactérie responsable chez les animaux marins de fausses couches, d’abcès (blubber abscesses) et de pneumonie.

Comme les spécialistes l’avaient pensé, le virus est devenu plus virulent au fil des années et plusieurs dauphins d’autres aires géographiques autour du continent américain ont attrapé cette maladie. Heureusement, le virus n’a pas encore évolué pour infecter les humains. Toutefois, les spécialistes demandent d’appliquer le principe de précaution lors de la manipulation des animaux échoués sur les plages.

Nouvelle Zélande : La marée basse. En Nouvelle Zélande, les chercheurs parlent du Golden Bay comme étant un cimetière avec environ 300 à 400 dauphins qui y meurent chaque année. Le nombre le plus élevé répertorié est en 1918 avec 1,000 dauphins aux îles Chatham. Malgré les efforts déployés par les autorités pour les éloigner de certains hotspots et les renvoyer vers la haute mer, la majorité y retourne pour mourir. Il semblerait que ce soit un problème lié à la marée basse et les ondes sonores émises par les dauphins qui touchent le sable au lieu de se propager dans l’eau. L’euthanasie est parfois pratiquée pour aider les dauphins sains qui suivent la troupe et agonisent sur la plage au milieu des cadavres.

France : La pêche industrielle. En mars 2019, sur la côte atlantique, 1,100 dauphins sont morts sur les plages. C’est le chiffre le plus élevé depuis 40 ans. Selon les spécialistes, dans 90% des cas, les dauphins sont capturés dans des filets de pêche industrielle. Pour protéger leurs filets et d’autres équipements, les pêcheurs mutilent les dauphins capturés avant de les rejeter à la mer. Heureusement, grâce à la mobilisation de plusieurs acteurs de la société civile et des écologistes prônant le développement durable, cette pratique est maintenant mieux contrôlée.

Australie : mass stranding épisodique de cause inconnue. En 1996, 2009 et 2015, vers Perth et un peu plus loin, 320, 80 et 20 dauphins échouent respectivement sur les plages en été. Ne pouvant rien confirmer, les chercheurs avancent uniquement des hypothèses : maladies, erreurs de navigation, erreurs humaines, entre autres.

Cap Verde : Mass stranding inattendu de cause inconnue.  En septembre 2019, une ONG portugaise, Bios Cabo Verde, (Association pour la préservation de l’environnement et le développement durable) annonce la présence de 163 dauphins échoués sur la plage de la troisième plus grande île du Cap Verde, l’île de Boavista, au large de l’Afrique de l’Ouest. Plusieurs officiers et une centaine de volontaires aident les autorités à sauver les dauphins vivants en les repoussant vers le large. Mais ceux-ci finissent par revenir sur la plage pour mourir avec la communauté. Les spécialistes de Cap Verde et aussi des chercheurs espagnols n’ont pas pu déterminer la cause exacte de ces décès.  Les hypothèses : maladies, erreurs de navigation, baisse trop rapide de la marée, les prédateurs, les conditions climatiques, la pollution et les produits toxiques, les captures malencontreuses des bateaux de pêche industrielle/commerciale et la pollution sonoreen milieu marin (sonarspour repousser les dauphins, entre autres).

Les dauphins de l’océan Indien

Etude du James Cook University en Australie. De 1981 à 2016, une recherche est menée par une équipe en Australie pour estimer le nombre d’animaux marins capturés dans les filets maillants à cause de la pêche industrielle du thon dans l’océan Indien, entre autres, les dauphins et les marsouins. Les pays suivants sont concernés : Australie, Inde, Pakistan et le Sri Lanka.

Les spécialistes estiment qu’environ 4.1 millions d’animaux marins ont été capturés entre 1950 et 2018. A part le thon, la majorité des animaux marins capturés sont des dauphins.  Tandis que le chiffre s’élevait à 100,000 pour la période 2004-2006, il y a eu une réduction à 80,000 par an par la suite. Ces chiffres excluent les dauphins ayant pu s’échapper des filets.

Le Southern Indian Ocean Fisheries Agreement (SIOFA). Un accord est signé à Rome le 7 juillet 2006 par dix pays : Australie, Chine, îles Cook, Corée, France (pour ses territoires situés dans l’océan Indien), Japon, Maurice, Seychelles, Thaïlande, et aussi l’Union européenne. Mais cet accord rentre en vigueur uniquement en 2012. Quatre pays signataires n’ont pas ratifié l’accord : Kenya, Madagascar, Mozambique and Nouvelle Zélande. L’objectif principal est de protéger l’océan Indien de l’exploitation sauvage et irrationnelle pour des besoins commerciaux.

Plusieurs règlementations concernent les filets industriels, incluant les thoniers, par exemple. Malheureusement, les pays de l’océan Indien peuvent difficilement les faire respecter. Par ailleurs, dans la plupart des pays, plusieurs familles pauvres ont besoin de ce métier pour gagner leur vie, et les autorités adoptent une politique de laisser-faire. La capture la plus élevée d’animaux marins par pays dans cette région est comme suit : Iran, Indonésie, Inde, Sri Lanka, Pakistan, Oman, Yemen, UAE and Tanzanie. L’Iran et l’Indonésie, eux, n’ont même pas de système de contrôle interne. 

A part la surpêche et autres causes mentionnées, les dauphins se trouvent en haut de la pyramide alimentaire : ils souffrent d’intoxication alimentaire et accumulent des produits polluants (les POPs ou polluants organiques persistants, les micro-plastiques) dans leurs tissus. Parfois, ils ont des accidents graves quand ils se heurtent contre des barrages et des bateaux. Plus près des côtes, le tourisme de masse les stresse (la plongée et la pollution sonore). Dans les régions côtières, c’est l’urbanisation qui les tue lentement mais sûrement. Pour chaque dauphin capturé, il faut compter encore entre 3 à 10 morts. 50% des dauphins meurent durant les deux premières années de captivité et leur espérance de vie passe de 50 à 20 ans seulement.

Les scientifiques s’accordent pour dire qu’en l’absence de contrôle, d’aires marines protégées (AMP) et de développement durable, le nombre de dauphins continuera à se réduire. Plusieurs variétés de dauphins pourraient disparaître de la surface de la planète en moins de 20 ans.

Vina Ballgobin

 

Références

– Anderson R.C., Herrera M., Ilangakoon A. D., Koya K. M., Moazzam M., Mustika Putu L.,Sutaria D. N. (2020). Cetacean bycatch in Indian Ocean tuna gillnetfisheries. In Endangered Species Research, 41: 39–53.

– Association TAF (The Animal Fund), https://theanimalfund.net/fr/dauphins-et-humains/
– Fabre J. (2014). La Communication acoustique chez le dauphin et l’impact de la pollution sonore. Thèse pour le doctorat vétérinaire, Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort.
– Fulton J.T. (2011). Appendice L: Dolphin biosonar echolocation, a case study. Hearing, a 21st century Paradigm, 1-121. [http://neuronresearch.net/hearing/files/dolphinbiosonar.htm].
– Mustika Putu L. K., WeltersR., Ryan G. E., C.D’Lima, Sorongon-YapP., JutapruetS.& PeterC.(2017). A rapid assessment of wildlife tourism risk posed to cetaceans in Asia, Journal of Sustainable Tourism, 25:8, 1138-1158, DOI: 10.1080/09669582.2016.1257012.
– ReissD. (1988). Observations on the development of echolocation in young bottlenose dolphins. Nachtigall P.E., MooreP.W.B. Animal sonar systems. Helsignor, Plenum Press, Denmark, 121-127.
– Salgueiro E., NunesL., BarrosA., MarocoJ., SalgueiroA.I., dos SantosM.E.,(2012). Effects of a dolphin interaction program on children with autism spectrum disorders – an exploratory research. BMC research notes 5 (1), 199.
– WORMS (World Register of Marine Species) http://www.marinespecies.org/aphia.php?p=taxdetails&id=136980
– Fonds Mondial pour la Nature. WWF. https://www.wwf.fr/especes-prioritaires/cetaces


* Published in print edition on 1 September 2020

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