L’économie est à un tournant critique

Budget 2024-25 et rapport du FMI

Par Prakash Neerohoo

Le ministre des Finances présentera le budget 2024-25, le cinquième et le dernier du deuxième mandat duprésent gouvernement, aujourd’hui, au Parlement avec pour toile de fond une campagne électorale marquée par des promesses populistes de part et d’autre sur l’échiquier politique.

Alors que l’économie a connu un rebondissement après la pandémie (2020-2022) avec une croissance de 4,9% projetée pour 2024, certains clignotants sont toujours au rouge (un déficit au compte courant de la balance des paiements de 4,5% du PIB, une dette publique de 79% du PIB, un déficit fiscal primaire de 5% du PIB, un taux d’inflation consolidé de 5%, etc.,) et font peser des risques à moyen terme sur le pays.

Les attentes populairesfocalisent sur les mesures nécessaires pour alléger le coût de la vie, devenu plus cher sous l’effet de l’inflation galopante causée elle-même par la dépréciation inexorable de la roupie. Dans ce contexte, la tentation serait forte pour le gouvernement de privilégier le court terme avec des mesures électoralistes, quitte à augmenter le déficit budgétaire et l’endettement national, et de sacrifier le long terme, lequel exige de la rigueur économique dans la gestion des finances nationales.

“Il faudra accorder la pension de vieillesse à partir de 65 ans (au lieu de 60 ans) en alignant l’âge d’éligibilité pour la pension sur l’âge de retraite du travail, comme c’est le cas dans la plupart des pays. Une exemption est souhaitable pour ceux qui ont pour seule source de revenu la pension de vieillesse après 60 ans…”

Critique implacable du FMI

Le rapport du FMI sur l’économie mauricienne est venu à temps pour nous rappeler la dure réalité économique et les risques qui se pointent à l’horizon. Une fois n’est pas coutume. Ce rapport, sous l’article IV de la Consultation Annuelle, constitue une critique implacable de la gestion économique du pays fondée sur une analyse objective.

Dans le passé, le FMI nous avait habitués à des rapports techniques qui faisaient usage d’un langage modéré, voire diplomatique, pour décrire les problèmes économiques afin de ne pas froisser le gouvernement mauricien. Cette fois-ci, le FMI a fait un diagnostic non complaisant de la situation économique pour déceler les vraies causes des problèmes macroéconomiques et suggérer des solutions. Le FMI ne mâche pas ses mots pour dire certaines vérités économiques.

A première vue, le rapport apparait comme un audit de l’état des lieux de l’économie, fondé sur une évaluation objective tout en permettant au gouvernement de répondre aux constats faits par les experts du FMI. Mais, en fin de compte, le FMI a émis une opinion avec réserve (sous-entendant, dans le jargon de l’auditeur, un non-satisfecit) sur le bilan financier global du pays. Ce n’est pas une coïncidence que le FMI aappelé le gouvernement à appliquer rigoureusement les normes internationales de comptabilité dans le secteur public (International Public Sector Accounting Standards) pour assurer la transparence financière, plus particulièrement pour les fonds spéciaux hors-budget qui servent à financer des dépenses publiques.

Le FMI a suggéré des pistes de solutions pour réduire les dépenses publiques, augmenter le revenu fiscal, alléger la dette nationale, améliorer la gestion financièredans le secteur public et entreprendre des réformes dans d’autres domaines (secteur bancaire, pension de retraite, etc.).

Aujourd’hui, le ministre des Finances a le choix entre deux voies:

⁃poursuivre la politique laxiste qui est responsable des déficits budgétaires annuels, des dépenses publiques faramineuses sans garantie d’efficacité ni de productivité, et de l’endettement national croissant, ou

⁃changer de cap pour redresser la barre, adopter la rigueur budgétaire et mettre le pays sur la voie du développement harmonieux et durable dans les limites d’une politique fiscale élargie et équitable.

Entre autres problématiques soulevées par le FMI, quatre nous paraissent très pertinentes. L’analyse du FMI rejoint la nôtre sur ces quatre problématiques que nous avons déjà analysées dans des articles précédents, notamment :

1.la réforme desretraites

2.la réforme fiscale

3.la dette nationale

4.la Banque de Maurice et le MIC

 

La réforme des retraites

Dans plusieurs articles (voir nos éditions du 29 janvier 2024 et du 22 mars 2024), nous avons souligné que la politique de sécurité sociale est financièrement insoutenable.

Le FMI propose que l’âge d’éligibilité pour la pension de vieillesse [Basic Retirement Pension (BRP)] soit graduellement rehaussé de 60 à 65 ans afin de rendre la BRP soutenable en ciblant cette prestation sociale pour les retraités les plus vulnérables. Selon le FMI, cette mesure apportera une économie potentielle de 1,4% du PIB (Produit Intérieur Brut).

Selon nos calculs, l’économie potentielle sera de Rs 14,5 milliards par année (Rs 13,500 x 13 mois x 82 692 bénéficiaires âgés de 60 à 64 ans). Avec le vieillissement de la population, accompagné d’un ratio de dépendance de 20% pour le troisième âge, la politique sociale coûtera de plus en plus cher. Déjà la BRP et les pensions aux veuves, invalides or orphelins coûtent Rs 58, 5 milliards par année pour 310 643 bénéficiaires.

Dans notre article « Pensions de vieillesse : Une bombe à retardement » publié le 22 mars 2024, nous avions mentionné deux options de réforme comme suit :

“(a) Il faudra accorder la pension de vieillesse à partir de 65 ans (au lieu de 60 ans) en alignant l’âge d’éligibilité pour la pension sur l’âge de retraite du travail, comme c’est le cas dans la plupart des pays. Une exemption est souhaitable pour ceux qui ont pour seule source de revenu la pension de vieillesse après 60 ans. Ceux qui travaillent jusqu’à l’âge de 65 ans peuvent être dispensés de la pension de vieillesse jusqu’au moment de leur retrait de la vie professionnelle.

“(b) Il faudra récupérer une partie de la pension de vieillesse par voie d’impôt sur le revenu auprès des bénéficiaires qui ont d’autres sources de revenu (exemples : la pension de retraite au travail, les dividendes ou le revenu de location), et ce, au-delà de l’exemption personnelle de Rs 390 000 par an.”

Bien que la proposition du FMI soit conforme aux normes internationales en matière de retraite, il n’est pas sûr que les partis politiques la voient d’un bon œil en cette année électorale.Quant à la fiscalisation de la BRP pour ceux ayant plusieurs sources de revenu, les partis n’en sont pas partisans non plus. Donc, la facture de la politique sociale deviendra plus lourde dans les années à venir, à moins que la politique fiscale soit réformée pour trouver de nouvelles sources de revenu.

A juste titre, le FMI propose que la Contribution Sociale Généralisée (CSG) soit réformée afin de payer la CSG seulement aux employés qui contribuent à ce fonds. A ce sujet, nous avions écrit :

« Il faudra augmenter les taxes directes (impôts sur les revenus) et indirectes (TVA) pour payer une facture sociale plus élevée. Cette option est fondée sur le postulat rationnel qu’il ne faut pas compter sur la Contribution Sociale Généralisée (CSG) pour financer la pension de vieillesse. Cette taxe sur les salaires devrait être mise dans une caisse de retraite séparée pour payer la pension de retraite aux employés du secteur privé. Il faudra la traiter comme un plan de pension contributif géré par un organisme indépendant du gouvernement, comme c’était le cas avec le Fonds National de Pension. »

La pratique de verser la CSG dans la caisse de l’État (Consolidated Revenue Fund) pour financer le paiement des pensions de retraite et des allocations sociales diverses (ex : CSG IncomeAllowance de Rs 2 000) va à l’encontre de l’intention statutaire de ce fonds.

La réforme fiscale

Le FMI estime que le revenu fiscal à Maurice, qui représente 21% du PIB en 2022-23, est inférieur à son potentiel dans la proportion de 6% du PIB. Dans les pays de l’OCDE, le revenu fiscal est en moyenne de 33% du PIB. Le gouvernement accepte que le pays puisse potentiellement accroitre le revenu fiscal jusqu’à 25% du PIB.

Pour augmenter le revenu fiscal, le FMI propose :

  • Que le seuil à partir duquel le revenu personnel annuel devient assujetti à l’impôt sur le revenu soit abaissé.

À Maurice, le revenu net imposable (le revenu brut moins les déductions diverses) n’est pas taxé sur les premières Rs 390 000 (un seuil d’exemption). Donc, une personne ayant un revenu brut de Rs 500 000 par an est exemptée d’impôt après des déductions de Rs 110 000.

(b)       Que les taux d’imposition marginaux supérieurs soient augmentés.

En d’autres mots, le FMI propose une fiscalité directe progressive.Dans son budget 2023-24, le gouvernement avait aboli l’impôt uniforme de 15% pour le remplacer par un impôt progressif de 2% à 20% selon les tranches de revenu à partir de Rs 390 000 par an. Dans un article « L’impôt sur le revenu est-il vraiment progressif » publié le 9 juin 2023, nous avions souligné que la nouvelle structure d’impôt n’était pas assez progressive parce que le gouvernement avait aboli le taux d’imposition marginal de 40% (taux uniforme de 15% plus la taxe de solidarité de 25%) sur le revenu annuel de plus de Rs 3 millions. La nouvelle structure a causé un manque à gagner en revenu fiscal direct de Rs 3, 5 milliards. Dans les pays de l’OCDE, les taux d’imposition marginaux supérieurs varient de 30% à 50%.

(c)        Que l’impôt sur le revenu des sociétés opérant dans le secteur offshore soit reformé.

Cet impôt est de 3% comparé à l’impôt de 15% pour les sociétés locales en général (sauf pour les compagnies d’exportation). L’OCDE a proposé un impôt global minimal de 15% sur les sociétés. Tôt ou tard, Maurice devra se plier à cette exigence lorsqu’elle entrera en vigueur.

La dette nationale

Le FMI propose que la dette publique (Rs 538 milliards pour 2023-24) soit réduite en limitant les dépenses extrabudgétaires effectuées à travers les fonds spéciaux créés par le gouvernement pour des buts spécifiques (Covid Fund, National ResilienceFund).Le ratio dette publique/PIB est de 78,3% en 2023-24, soit légèrement sous le plafond de 80%. Pour le réduire davantage, il faudra augmenter le revenu fiscal et réduire les dépenses publiques.

Le FMI note que le risque de « stress souverain »(insolvabilité nationale) est élevé en raison de la dette publique, des besoins d’investissement capital, des passifs éventuels (contingent liabilities) liés à la recapitalisation de la BOM et la dette extérieure, et des risques associés au vieillissement de la population et au changement climatique.

La BOM et la MIC

Le FMI propose que la MIC (Mauritius Investment Corporation), une société créée par la BOM (Banque de Maurice) avec un capital de Rs 80 milliards pour venir en aide aux compagnies privées ayant besoin de fonds de roulement, soit transférée à une société d’investissement de l’Etat.

Dans un article « MIC : Un changement de vocation pour la Banque centrale », publié le 26 mai 2020, nous avions souligné la confusion de rôles entre la BOM (un régulateur bancaire) et la MIC (un investisseur). Une telle relation entre parties liées (une société de portefeuille contrôlant une filiale) faisait de la BOM un régulateur-opérateur, agissant ainsi ultra vires à la loi (Bank of Mauritius Act).

Le plus grave, c’est que la MIC a donné Rs 52 milliards à 52 entités privées sous forme de prise de participation à leur capital ou d’obligations remboursables selon des critères peu connus, y compris les Rs 25 milliards investis dans l’actionnariat d’Airport Holdings Ltd. L’évaluation des actions achetées par la MIC et des obligations remboursables porte un risque de pertes.


Mauritius Times ePaper Friday 7 June 2024

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