Le pays dans une course contre la montre pour relever un double défi

Economie et image internationale

Le combat contre la fraude et la corruption requiert une approche globale (whole-of-government approach). Seuls les résultats probants obtenus de cet effort de nettoyage inlassable convaincront les institutions de la bonne foi du gouvernement

By Aditya Narayan

Alors que Maurice s’évertue à mobiliser sur le plan local toutes les ressources nécessaires à la relance de son économie dans le sillage de la pandémie qui a causé une contraction du PIB et des pertes d’emplois, elle se trouve confrontée à un autre défi majeur. Celui de redorer son blason sur le plan extérieur afin de projeter l’image d’un pays propre qui se conforme aux règles internationales en matière de fiscalité et de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. C’est une course contre la montre pour relever un double défi.

Sur le plan intérieur, le pays tentera de remonter la pente grâce aux plans de soutien aux entreprises, financés par l’injection de Rs 80 milliards dans l’économie par la Mauritius Investment Corporation (MIC). Pour sa part, le gouvernement est parvenu à trouver les moyens de financer son budget en 2020-21 avec la contribution de Rs 60 milliards obtenue de la Banque centrale, ce qui lui permet de maintenir les dépenses de fonctionnement, notamment dans la santé, l’éducation et la sécurité sociale. En même temps, les subventions des salaires dans le secteur privé ont permis d’éviter une explosion sociale en assurant la subsistance des employés en chômage technique, tout comme l’aide accordée aux travailleurs indépendants.

Test de volonté

Sur le plan international, certains développements sont venus éclabousser la réputation du pays à un moment inopportun. Nous en relèverons trois notamment: (a) le communiqué de la Banque Africaine de Développement (BAD) affirmant que des pots-de-vin ont été probablement payés par la firme danoise BWSC pour obtenir le contrat d’installation de moteurs à la station thermique de Saint Louis du CEB; (b) la décision de l’Union européenne d’inscrire Maurice sur la liste des pays à hauts risques en matière de combat contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme; et (c) la décision de la Zambie d’abroger son son traité de non-double imposition fiscale (DTAA) avec Maurice.

Si la paix sociale assurée sur le plan local remplit une condition sine qua non de la relance économique, l’effort à faire en vue d’effacer les éclaboussures à la réputation du pays à l’extérieur est gigantesque. Comment le gouvernement s’y prendra dans le proche avenir sera un test de sa volonté d’agir fermement et efficacement pour prouver qu’il est sérieux dans le combat contre la corruption sous toutes ses formes et le blanchiment d’argent.

Or, les premiers signes ne sont pas encourageants. Après avoir refusé d’instituer un comité d’élite de l’Assemblée nationale ou une commission d’enquête pour faire la lumière sur l’affaire de corruption alléguée du CEB, le gouvernement se fie entièrement à l’ICAC, dont la performance dans bien des dossiers est en deçà des attentes du public. La BAD ayant opposé une fin de non-recevoir à la demande de l’ICAC d’avoir un exemplaire du rapport sur le contrat du CEB, cette dernière n’a d’autre recours que de solliciter la coopération directe de la BWSC pour toute enquête. Entretemps, les explications du gouvernement ou du CEB ne convainquent personne. C’est dire que l’accumulation d’affaires de corruption non-élucidées jusqu’ici ne dissipe pas le soupçon.

Le combat contre la fraude et la corruption requiert une approche globale (whole-of-government approach) qui engage toutes les institutions (ICAC, FSC, MRA, banque centrale, Police, Bureau de l’Audit) dans une campagne coordonnée visant à déceler les pratiques de corruption et de blanchiment d’argent et mettre hors d’état de nuire les corrupteurs et les corrompus à la fois. Seuls les résultats probants obtenus de cet effort de nettoyage inlassable convaincront les institutions internationales (OCDE, Groupe d’Action Financière, Union européenne) de la bonne foi du gouvernement et inspireront confiance dans ses déclarations d’intention.

Double inscription

Les nuages qui s’amoncellent sur le secteur des services financiers, y compris l’offshore, ne sont pas de bon augure. Après avoir été placée sur la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI) en raison des carences stratégiques dans le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, Maurice se voit maintenant inscrite sur la liste noire des juridictions à hauts risques de l’Union européenne pour les même raisons. Cela aura sans doute des répercussions en termes d’investissements transfrontaliers entre Maurice et les pays européens dans la mesure où la réputation du centre financier international est ternie par cette double inscription. L’Europe voudrait que Maurice sorte de la liste grise du GAFI avant de demander son retrait de la liste noire.

Pour répondre aux exigences internationales, le gouvernement est venu avec un projet de loi – Anti-Money Laundering and Combatting the Financing of Terrorism (Miscellaneous Provisions) Bill 2020 (AML/CFT) – en vue de remédier aux lacunes dans la législation contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le projet de loi compte étendre la supervision à d’autres secteurs où les risques de blanchiment sont réels, notamment la bijouterie, les jeux de hasard ou l’immobilier.

Ce projet de loi apporte des amendements à une vingtaine de lois couvrant divers secteurs d’activités. Ils vont, entre autres, des institutions bancaires, avec la Banking Act, aux magasins de bijouterie, avec la Jewellers Act, en passant par les opérateurs de paris (Gambling Regulatory Authority Act) ou encore, du foncier et de l’immobilier (Notaries Act). D’autres lois, comme la Financial Services Act, la Dangerous Drugs Act, la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA) ou encore, la Financial Reporting Act, figurent sur cette liste de lois qui seront renforcées.

Le projet de loi impressionne par la diversité et la quantité d’amendements proposés. Toutefois, il ne suffit pas d’avoir des lois, encore faut-il pouvoir les appliquer rigoureusement. Sinon elles resteront lettre morte. C’est là que le bât blesse. En dépit de l’arsenal légal existant, les affaires de corruption se sont multipliées au fil des années parce que les enquêtes entamées finissent trop souvent en eau de boudin faute de poursuites ou d’inculpation des coupables. Les institutions de régulation, de surveillance et de contrôle manquent d’indépendance ou sont parfois carrément incompétentes dans la façon dont elles traitent certains dossiers. On connaît les autorisations ou permis accordés à des investisseurs dont les fonds sont d’origine douteuse (Sobrino, Dos Santos) ou à des sociétés incorporées dans le secteur offshore dont les vrais propriétaires sont inconnus.

Politique de l’autruche

Le secteur offshore a été l’objet de critiques pendant longtemps, mais les compagnies de gestion et les régulateurs ont adopté la politique de l’autruche pour faire accroire que tout y va bien. La révision du DTAA entre Maurice et l’Inde afin de permettre aux autorités indiennes de taxer les gains en capital réalisés en Inde par des sociétés résidentes à Maurice aurait dû être une opportunité de reconsidérer l’approche mauricienne en matière de traité de non-double imposition fiscale. Le partage des droits de taxation sur les investissements entre la juridiction de source (où l’investissement est fait) et la juridiction de résidence (d’où provient l’investissement) a été un problème pour l’Inde et l’Afrique.

Après le Sénégal, la Zambie vient d’abroger son DTAA avec Maurice, mécontente de perdre des revenus fiscaux à l’avantage de Maurice sur les investissements effectués sur le sol zambien. La Zambie se plaint que le DTAA ne lui donnait pas le droit de taxer les dividendes, les intérêts et les redevances (royalties) tirés de l’exploitation de son territoire mais payés aux résidents mauriciens.

Le principe de base de la fiscalité transfrontalière veut que les revenus de l’établissement stable de l’investisseur situé dans la juridiction de source y soient taxés parce qu’ils proviennent de l’exploitation des ressources dans ce territoire. C’est une des règles fondamentales du plan de l’OCDE visant à combattre l’érosion de la base fiscale et l’attribution du profit (Base Erosion and Profit Shifting). Or, les clauses du DTAA ne permettent pas un partage équitable des droits de taxation entre les deux juridictions.

Aujourd’hui, le positionnement de Kigali, capitale du Rwanda, comme un centre financier de référence en Afrique sub-saharienne, représente potentiellement une concurrence sérieuse au centre offshore de Maurice.

Il est temps que les opérateurs du secteur offshore réalisent que le DTAA n’est pas une voie à sens unique. Le DTAA ne saurait être un simple instrument d’optimisation fiscale (minimiser la taxe exigible), encore moins un outil d’évasion fiscale pour une société résidente. L’Afrique veut des investissements mais aussi des revenus fiscaux. Comme le commerce international qui est censé fondé sur des termes de l’échange justes, les investissements transfrontaliers doivent être profitables aux deux parties prenantes. Prétendre le contraire, c’est faire preuve d’inconscience ou d’égoisme.


* Published in print edition on 26 June 2020

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