‘Le MSM seul ? Sûrement pas. D’ailleurs, aucun parti ne peut affronter une élection seul. Il faut cesser de véhiculer ces lubies

Interview : Lindsay Rivière

‘Dans une lutte à plusieurs, le MMM peut être annihilé s’il n’atteint pas 30% dans les villes’

« Le PTr, un parti mythique qui compte 85 ans de militantisme, est beaucoup plus grand que Navin Ramgoolam. Il peut très bien rebondir »


Suite aux derniers évènements (Chagos et MedPoint), nous revenons vers le sport favori des Mauriciens : la politique locale. Désormais, les discussions et les paris sont ouverts à propos des élections générales et des possibilités d’alliances avec le MSM. Notre invité est Lindsay Rivière, journaliste et observateur politique.  Il analyse les réactions des uns et des autres, et les limites – s’il y en a – aux rencontres entre hommes et femmes politiques pour sceller ou non des pactes. Il relève notamment les difficultés associées à cet exercice : des personnalités incompatibles,  la  projection d’une image de soi au public, et bien évidemment, les promesses faites aux fervents partisans de chaque parti.


Mauritius Times : Double victoire pour le MSM et en particulier pour Sir Anerood et Pravind Jugnauth, l’une dans l’affaire Chagos devant le Cour internationale de Justice, et l’autre devant le Privy Council par rapport à l’affaire MedPoint. Pour Pravind Jugnauth, cette victoire lui permet d’entrer par la grande porte – dans la dernière année du mandat de l’actuel gouvernement. « Better late than never… » Qu’en pensez-vous ?

Lindsay Rivière: Par une extraordinaire coïncidence, on a vu le même jour deux grands succès qui vont marquer la carrière de Pravind et Sir Anerood Jugnauth : le jugement du Privy Council favorable au Premier ministre et une spectaculaire victoire morale et juridique de Maurice – du genre David et Goliath — sur la Grande Bretagne devant la Cour Internationale de Justice. Cela a été un tournant décisif et les Jugnauth ont bien le droit de se réjouir aujourd’hui.

Comme Chef de Gouvernement, Pravind Jugnauth n’aura plus à trainer personnellement derrière lui la bruyante casserole de Medpoint, de même que l’embarras d’une condamnation à 12 mois de prison. Il retrouve ainsi la paix de l’esprit, la respectabilité publique qu’une personnalité de ce rang doit avoir et toute la plénitude de sa fonction. C’est, pour lui, un immense soulagement, et ‘in all fairness’, il faut que chacun reconnaisse qu’il s’est beaucoup battu pour ce résultat.

On notera aussi que, depuis 8 années, Pravind Jugnauth s’est comporté dans cette affaire avec beaucoup de dignité, d’élégance et de courage. Il a, en effet, démissionné de ses fonctions ministérielles, une fois condamné. Il a refusé les travaux communautaires, ce qui s’est avéré être une bonne décision, compte tenu de la suite des évènements. Il a défendu son honneur avec ténacité. Tout cela s’ajoutera à son personnage.

Il faut donc le féliciter et ne pas remettre le jugement en question. En même temps, sa combativité tenait au fait qu’il jouait gros et c’est pourquoi on peut parler non seulement de victoire mais aussi de ‘soulagement’.

S’il n’avait pas gagné, le Premier ministre aurait dormi en prison. Enfin, dans le cas du MSM, observons que ce n’est pas sur une victoire juridique ponctuelle qu’on bâtit une campagne électorale. Dans trois mois, connaissant Maurice, on n’en parlera plus et l’électeur sera revenu aux préoccupations de sa vie quotidienne.

* La victoire, dans la revendication des Chagos, est-elle d’une toute autre nature ?

Absolument ! Le jugement sur les Chagos a une dimension absolument historique. Même s’il n’a pas force de loi et ne pourra être imposé sur les Anglais et les Américains, ce jugement est susceptible de changer bien des choses et bien des perspectives pour la République mauricienne, pour des années à venir.

Si les Chagos sont considérées demain en droit comme étant mauriciennes, cela changerait l’étendue de la République, élargirait notre zone économique maritime, impacterait sur le droit au retour des Chagossiens, ou encore pourrait apporter beaucoup économiquement à Maurice (si on peut un jour convaincre les Américains à louer Diego Garcia de Maurice, comme Guam aux Philippines, etc).

Le dénouement des Chagos constitue un magnifique ‘achievement’ de tous nos grands leaders politiques (SAJ certes mais aussi Paul Bérenger, Navin Ramgoolam et d’autres de tous horizons politiques).

Ceci dit, c’est Sir Anerood qui mérite le plus grand coup de chapeau. On retiendra longtemps encore dans les esprits l’image de ce vieux patriote, QC en tenue d’avocat à la Haye, défendant la revendication de Maurice sur les Chagos, 53 ans après la Conférence Constitutionnelle de Lancaster, amenant la Cour de Justice Internationale à dénoncer le ‘unlawful detachment’ des Chagos par un ‘unlawful act from England. Cela, il faut le faire !

Sir Anerood irrite parfois les Mauriciens mais il faut reconnaitre qu’il est véritablement un être exceptionnel que l’Histoire mauricienne n’oubliera pas !

* Dans l’immédiat, quel sera l’impact de cette double victoire sur le rapport des forces sur l’échiquier politique, selon vous ?

Elle va certainement requinquer le MSM, en démontrant que le parti des Jugnauth, est tout aussi apte à résoudre de grands problèmes nationaux. Cette double victoire (MedPoint et Chagos) vient établir la ténacité et la capacité de résistance du MSM face au PTr.

Navin Ramgoolam aurait tort de ‘write off’ le MSM, de traiter Pravind Jugnauth comme un nain politique ou de penser déjà qu’il ne fera qu’une bouchée des Jugnauth en 2020. Le MSM, selon tout ce qu’on voit, ne va pas simplement ‘roll over and die’, comme on dit.

Avez-vous noté combien non seulement les partisans MSM mais aussi les partisans PMSD et MMM ont accueilli le jugement du Privy Council ?

Aux partis de l’Opposition, cette double victoire va établir que, désormais, le MSM peut être à nouveau fréquenté et peut-être même devenir un allié gagnant demain.

* Le MSM avait trouvé de bonnes raisons pour s’épargner un test électoral au No 18 en décembre 2017 dans un contexte politique particulier. Pensez-vous que les choses ont évolué positivement depuis, et qu’elles vont s’accentuer davantage post-MedPoint/Chagos pour que le MSM puisse envisager l’avenir avec plus de confiance ?

Définitivement, le MSM a gagné en confiance depuis 2016, depuis que Sir Anerood a ‘stepped down’. Le parti orange commençait à paniquer et rien ne semblait marcher. Pravind Jugnauth a apporté au parti plus d’énergie, plus d’imagination et plus de volonté de gagner. La transition Anerood/Pravind a bien fonctionné de ce point de vue.

On constate d’ailleurs que le leader MSM ne veut plus rester dans l’ombre de son père. Il souhaite émerger seul et développer son propre programme et sa propre équipe. Il y a deux ans, aucun autre parti n’aurait voulu se rapprocher politiquement du MSM. Aujourd’hui, avec Pravind, quelques prétendants se manifestent déjà (PMSD, MP et même MMM sous certaines conditions).

Le Premier ministre retient toujours l’initiative, d’autant plus que Navin Ramgoolam bizarrement ne semble pas capitaliser autant qu’il aurait pu le faire sur l’élection partielle d’Arvind Boolell à Quatre Bornes.

Le Parti Travailliste, ces jours-ci, est étonnamment sage. Cela ne ressemble pas au PTr cherchant à reconquérir le pouvoir en 2005 !

* La question qui se pose, toutefois, c’est de savoir si l’alliance gouvernementale MSM-ML sera en mesure de soutenir et de maintenir le momentum de cette double victoire jusqu’aux prochaines législatives. Qu’en pensez-vous ?

Difficilement. Je pense que le ML d’Ivan Collendavelloo n’apporte pas grand-chose au MSM. A mon humble avis, s’il n’y prend garde, le ML pourrait ne même pas faire partie de l’équation en 2020. Il aura été soit absorbé dans le MSM, soit aura perdu toute son influence si le MMM donne le moindre signe d’intérêt à engager des négociations d’alliance. Le ML n’a eu qu’un intérêt conjoncturel. Il n’a pas le souffle pour tenir sur la scène politique dans le long terme.

Croyez-moi sur parole : Si Paul Bérenger vient à la table des négociations avec le MSM, sa toute première requête (avant que quiconque ne prenne la parole au MSM) sera qu’il ne veut plus voir dans les environs du MSM ni Ivan Collendavelloo et son ML, ni Alan Ganoo et le MP, ni Steve Obeegadoo/ Pradeep Jeeha et leurs dissidents MMM et, bien sûr, ni Xavier-Luc Duval et le PMSD !

Aux yeux de Bérenger, depuis 1970, il n’y a jamais eu de ‘dissidents MMM. Il n’y a eu que des ‘traîtres’. Un quart de siècle après leur brouille, il donne à peine la main à Jean-Claude de l’estrac, qui a tant fait pour lui ! C’est tout dire. Avec le leader du MMM, c’est toujours tout ou rien ! Après la double victoire des Jugnauth, voici venu maintenant le temps des négociations ! C’est maintenant que tout va se passer.

* Vous ne voyez pas le MSM pouvant affronter l’électorat seul aux prochaines législatives sur la base de cette double victoire ; il lui faut toujours cette « alliance qui gagne » avec plus de 50% des votes, comme vous le disiez dans une interview, et cette alliance devra se faire avec le MMM, c’est ça ?

Le MSM seul ? Sûrement pas. D’ailleurs, aucun parti ne peut affronter une élection seul. Il faut cesser de véhiculer ces lubies. Les 11 élections, depuis l’Indépendance, ont toutes été gagnées par des alliances. Les alliances pré-électorales sont un mal nécessaire avec le système ‘First Past the Post’ et aucun parti n’est assez fort ou représentatif de toutes les communautés pour gagner ou gouverner seul.

Quid du MSM et aux élections qui arrivent ? Pour espérer gagner, le MSM doit (i) avoir un bilan solide, et il ne l’a pas encore, ce qui explique pourquoi il n’y aura pas de ‘snap elections’ ; (ii) avoir une bonne alliance électorale.

Voyons les options du MSM : Pravind Jugnauth ne peut décemment se tourner vers Navin Ramgoolam (même si on parle de pressions socio-culturelles ou de l’étranger pour un remake de 2010). Le Premier ministre ne peut donc que soit

(i) essayer de constituer une large coalition comprenant le PMSD, le ML, le MP et quelques dissidents MMM mais pas le MMM ;

(ii) soit carrément discuter avec le MMM pour une alliance formelle, à l’exclusion de tous les autres partis.

La large coalition ramenant le PMSD aux côtés du MSM et attirant le MP n’est pas facile à conclure car le PMSD, sachant le MSM impopulaire, sera très gourmand et voudra des sièges sûrs et ‘gagnables’ autant en ville où les bleus sont forts qu’à la campagne où le MSM est fort.

Comme Bérenger, Xavier Duval ne voudra pas lui aussi d’Ivan Collendavelloo entre ses pattes ou voudra être le No. 2 indiscutable. Toutefois, le MSM ne serait pas le premier choix du PMSD. Xavier Duval s’entend mieux avec Pravind qu’avec Sir Anerood (ce qui facilitera certaines choses) mais au final le PMSD aime mieux travailler avec le Parti Travailliste, son vieil allié naturel.

La situation actuelle est un peu ambigüe avec les rouges : Navin Ramgoolam boude actuellement Xavier Duval pour son infidélité envers Arvin Boolell à Quatre Bornes. Ramgoolam parle aussi d’aller seul et pourrait aussi songer à doubler Xavier Duval en proposant en 2020 un Deputy Prime Minister musulman (comme le Dr Beebeejaun en 2010) et ainsi brasser plus large, puis ‘consentir’ à mettre le leader PMSD au No.3 de la hiérarchie. Xavier Duval ne veut même pas en entendre parler. Donc, c’est compliqué pour tout le monde. Chacun joue serré.

Pravind Jugnauth peut aussi faire appel à Alan Ganoo et au MP mais Ganoo a toujours été (avec Jayen Cuttaree) le plus pro-Travailliste des Militants et il aurait déjà une offre de 4 tickets ‘gagnables’ du Dr Navin Ramgoolam (pour lui-même, Barbier, Diolle et Roopun).

Il n’est donc pas du tout sûr que le MP veuille s’aventurer dans la large coalition Jugnauth et tout perdre. Enfin, même si Xavier Duval, Ivan Collendavelloo et Alan Ganoo venaient, apporteraient-ils au MSM le complément de suffrages requis (10 à 15%) pour espérer gagner ?

Face à une armada Travailliste-PMSD-MP, le MSM pourrait donc se retrouver contraint et forcé, en désespoir de cause, de rechercher une alliance avec le MMM, qui jusqu’à la fin dira qu’il veut aller seul pour pouvoir capitaliser sur la faiblesse relative du MSM. C’est là que Bérenger attendra Pravind Jugnauth, avec un appétit féroce et un long ‘shopping list’.

Il faut aussi se poser la question sous la forme suivante : Qui a le plus à perdre en cas d’une grosse victoire Travailliste ? Les Jugnauth ou Bérenger ?

  • Paul Bérenger est solidement ancré dans l’Opposition depuis 50 ans. Il se moque d’être encore 5 ans dans l’Opposition.
  • Le leader MMM est, par ailleurs, un grand ami de Navin Ramgoolam et n’a rien à craindre, personnellement, d’un régime Travailliste dont il était l’allié électoral en 2014.
  • Enfin, Bérenger depuis 1976 préfère travailler avec le PTr qu’avec les Jugnauth, ce qui a fait éclater son parti à plusieurs reprises… Mais les Jugnauth, eux, peuvent-ils affronter la perspective du PTr au pouvoir ? Peuvent-ils contempler une large défaite, face à un adversaire rouge qui ne rêve que de vengeance et qui sera sans doute sans pitié, après tout ce que le MSM lui a fait subir ?

* La dernière prise de position de Paul Bérenger, c’est qu’il privilégie une lutte à trois, en espérant sans doute pouvant arracher une victoire grâce à la dispersion des votes entre le MSM et le PTr. Mais la performance du MMM au No. 18, où il n’a pu obtenir que 14% de votes, n’a pas été réconfortant, non ?

Paul Bérenger est obligé de privilégier, pour l’instant, une lutte à trois. Personne ne l’a encore approché. Ses jeunes militants, la troisième génération MMM, ne veut plus entendre parler d’alliances où chacun se sert du MMM puis le rejette ensuite comme un Keenex.

Sur papier, le MMM peut aussi espérer profiter dans certaines circonscriptions urbaines (Curepipe, Beau-Bassin, Rose Hill, Port Louis) de la division des autres et faire élire assez de députés pour arbitrer tout ‘hung parliament’ et se tailler une part du gouvernement.

‘Y aller seul’ est aussi, pour l’instant, plus mobilisateur que d’aller dans une nouvelle alliance avec deux partis impopulaires (PTr et MSM). On peut voir une certaine logique dans la stratégie MMM.

Mais cette stratégie est dangereuse, très dangereuse même pour le MMM. Dans une lutte à plusieurs, le MMM peut être annihilé s’il n’atteint pas 30% dans les villes (et il n’a fait que 14% à Quatre Bornes !). Il n’y a déjà aucun député rural depuis deux élections. Paul Bérenger prendra-t-il ce risque d’etre ‘wiped out’ ? Ou, à la fin, se laissera-t-il tenter par une offre alléchante du MSM ?

* Il se peut qu’on se trompe sur les intentions de Pravind Jugnauth qui, parait-il, ne serait pas très chaud à l’idée de cohabiter avec Paul Bérenger au sein du gouvernement. Pensez-vous qu’il ira chercher cette alliance avec Paul Bérenger « at any cost » ?

Pravind Jugnauth aurait préféré une alliance avec le MMM mais sans Bérenger au gouvernement et installé au Réduit. Mais Bérenger ne s’intéresse pas au Réduit. Il est un homme d’action, un guerrier.

C’est très difficile de travailler au gouvernement avec Bérenger. Il défend beaucoup de principes, il est exigeant, il n’accepte pas l’incompétence, il déteste la corruption. Il est un ‘compulsive interferer’, bousculant ses alliés, etc. Il ne veut absolument pas aller servir à la Présidence (même si à son âge et tenant compte de son grand patriotisme, il ferait un excellent Président de la République).

D’autre part, Pravind Jugnauth émerge et ne veut pas d’un autre ‘mentor’ après son père dont il essaye de s’affranchir. Mais souvent nécessité fait loi. Peut-être qu’aux Affaires étrangères, sur la grande scène internationale, Bérenger pourrait-il terminer sa carrière en s’occupant de grands dossiers. On vient de voir le succès de Sir Anerood sur les Chagos. Peut-être Paul Bérenger peut-il faire aussi bien !

* Même si le MSM est incapable aujourd’hui d’affronter seul l’électorat, il se peut aussi que Pravind Jugnauth nourrisse de grandes ambitions pour son parti dans le moyen terme : celle de supplanter le PTr sur l’échiquier politique comme le MMM l’avait fait par rapport au PMSD, dans les années 70. Les conditions existent-elles pour que le MSM puisse atteindre cet objectif?

Il y a, pour Pravind Jugnauth, contre Navin Ramgoolam, deux combats dans le combat actuel : gagner le combat national mais aussi gagner le combat pour le leadership et le cœur du milieu Hindou. Il ne peut d’ailleurs pas gagner l’un sans l’autre. S’il gagne les prochaines élections, son avenir politique est assuré pour 10 ou 15 ans. Ramgoolam ne pourra revenir en 2026 à l’âge de 77 ans et 12 ans après avoir quitté le pouvoir.

La lutte dans le milieu hindou sera passionnante à suivre. Que voyons-nous de la stratégie politique de Pravind Jugnauth jusqu’ici ? Le leader MSM sait qu’il ne peut gagner les élections seul ; il sait aussi que, depuis toujours, il ne compte pas beaucoup de ‘followers’ en milieux Musulman et Population Générale et que pour gagner en 2020, il doit surtout et prioritairement gagner dans le ‘Hindu belt’ (circonscriptions 5 à 13, où 27 sièges parlementaires sont en jeu).

Alors, que fait Pravind Jugnauth ? Il cherche à tout prix à se distinguer. A la différence de son père, qui aime être désagréable et provoquant, Pravind Jugnauth garde dans l’Opposition des contacts corrects, même polis avec Xavier-Luc Duval, Alan Ganoo, Paul Bérenger, Arvind Boolell, Shakeel Mohamed et Serge Clair, sachant qu’il peut avoir besoin d’eux demain.

Sa cible principale reste tout le temps Navin Ramgoolam auquel il dispute le rôle de prochain chef du milieu hindou. Pravind Jugnauth veut apparaitre, aux yeux des Hindous, avec 12 ans de moins que Ramgoolam, comme le ‘soleil qui se lève’ avec la promesse du lendemain, et faire Navin Ramgoolam apparaitre comme le ‘soleil qui se couche’ après 3 mandats au gouvernement et n’ayant plus rien de nouveau à accomplir qu’il n’ait eu la chance d’accomplir déjà…

Pravind Jugnauth se positionne donc comme un chef hindou un peu complexe, beaucoup plus conservateur, pieux et traditionnel sur certaines questions que Navin Ramgoolam, mais en même temps assez moderne, libéral et assumant le siècle pour incarner l’Ile Maurice de demain avec son Metro express, l’innovation permanente, la robotique, etc…

Pravind cultive aussi l’image d’un homme raisonnable, modéré, d’humeur assez stable, rarement un mot au-dessus de l’autre, respectueux des familles et de la condition féminine, à qui on peut faire confiance et il dépeint Navin Ramgoolam comme un homme d’expérience certes mais un homme du passé, attaché aux plaisirs de la vie, léger, coléreux, dictatorial et égoïste.

Cette stratégie n’est pas innocente et a un nom : la DIFFERENCIATION permanente. Mme Thatcher la pratiquait et toujours demandait de ne pas arrondir les angles. Au contraire, insistait-elle, ‘Sharpen the edges. Force people to make a clear, inescapable choice. It’s him or me.’

* Si la victoire d’Arvin Boolell au No 18 reflétait, comme le disait Jean-Claude de l’Estrac alors, le ‘mood’ dans le pays, on ne sait pas trop ce qu’il en est aujourd’hui que ce soit pour le PTr mais aussi pour le MMM. Pensez-vous que les choses ont évolué positivement pour ces deux partis ?

J’ai parfois l’impression que le PTr n’a pas su capitaliser sur sa victoire de Quatre Bornes. Il n’y a pas eu de vague déferlante après sa victoire. Quant au MMM, on peut voir, au contraire, pas mal de jeunesse, de renouvellement, d’enthousiasme chez les nouveaux mais un peu d’agacement chez les plus vieux qui ne cessent de s’en aller.

Si le MMM refuse de parler au MSM dans la perspective de 2020, j’ai l’impression qu’il pourrait bien y avoir une nouvelle hémorragie de gens d’expérience au MMM.

* Prenant le relais de Sir Satcam Boolell en tant que leader du PTr en 1991, Navin Ramgoolam a joué un rôle clé dans la victoire du PTr lors de trois élections générales et il a pu ainsi diriger le pays pendant 14 ans. Quelle opinion faites-vous de la capacité et de la possibilité de “rebound” du PTr toujours avec Ramgoolam comme leader?

Navin Ramgoolam compte beaucoup d’adversaires et de sceptiques mais il est plus charismatique que Pravind Jugnauth et, aujourd’hui, tout est question de marketing politique. Il ne va pas perdre le leadership travailliste, c’est sûr. Il veut être réhabilité, comme SAJ en 2000. Il sera donc un adversaire redoutable pour le MSM. Il est conscient que le peuple râle et en a assez de scandales hebdomadaires.

D’autre part, aux prochaines élections, on pourrait assister à un important vote négatif, où beaucoup de gens diraient : « Anybody but the Jugnauths ! ». Il va demander pardon pour ses excès, promettre de se réformer. Ce serait donc dangereux pour ses adversaires de le ‘write off’.

Et puis, n’oubliez pas que le PTr est un parti mythique qui compte 85 ans de militantisme. Le PTr est beaucoup plus grand que Navin Ramgoolam. Il peut très bien rebondir.

* Vous avez aussi posé la question suivante dans une interview récemment : ‘Pourquoi un jeune de 2020 voterait pour le PTr ?’ On peut poser cette même question pour d’autres partis dont le MMM ou le MSM. Avez-vous des éléments de réponse à cela ?

Vous avez raison. Il faudrait, pour être juste, la poser à toutes les formations politiques. La raison pour laquelle j’avais évoqué le PTr est que le MSM, le PMSD et le MMM semblent réfléchir à des politiques alternatives et à de nouvelles manières de faire de la politique, mais on ne voit aucune remise en cause au PTr. Le parti rouge ne colle pas aux nouvelles réalités du temps actuel.

Après ses 85 ans, il lui faudrait se donner une nouvelle peau et une nouvelle vision du monde. On dit que Rama Sithanen, qui préside le ‘Policy Review Committee’ du PTr est aujourd’hui très frustré par l’inertie du PTr en matière de nouvelles idées.

L’électorat travailliste de l’Indépendance est aujourd’hui mort ou se compose de septuagénaires. Plus de la moitié des 925,000 électeurs de l’an 2020 auront moins de 25 ans. Ils n’ont pas connu les jours glorieux du PTr, les difficultés d’autrefois, la grande misère des années 1920-50, les combats d’Anquetil, de Rozemont ou même de Sir Seewoosagur Ramgoolam.

Ils sont tournés vers l’avenir, pas le passé. Ils ne pensent qu’à leur porte-monnaie, leur prochaine voiture, leur prochain voyage. Qu’a le PTr à leur proposer, en vision de modernité ? Comment survivre en 2030 ou 2040 ? Dans quel monde vivront leurs enfants ? La politique a bien changé, Dr Ramgoolam. Il faut aussi changer. Le monde n’attend pas.


* Published in print edition on 1 March 2019

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