« Le MSM et Pravind Jugnauth vont devoir se battre farouchement pour conserver le pouvoir en 2024-25″

Interview: Lindsay Rivière

* ‘L’Opposition doit être incarnée non seulement par le trio Ramgoolam-Bérenger-Duval…

la nation doit sentir et voir une armée politicienne de l’Opposition solide en marche’

* ‘SAJ avait pour recette de préservation du pouvoir de tout le temps, à chaque élection, de changer d’alliés… Son fils est sur la même stratégie’


À la suite du jugement du « Privy Council », l’atmosphère n’a pas changé dans le pays. Ceux qui attendaient une déclaration en bonne et due forme du Premier ministre annonçant les prochaines élections législatives avaient tort. Peut-être que ce dernier a compris que la grande majorité de la population demeure sur ses gardes et attend la dernière minute pour se décider de voter en faveur d’un parti ou d’une alliance politique quelconque, ou plutôt contre le gouvernement en place… Alors, le PM prend son temps pour trouver un allié potentiel. En attendant, les trois leaders de l’alliance de l’opposition vieillissent et font du surplace car les stratégies ne changent pas. Le PM aurait-il donc toujours une longueur d’avance sur ses adversaires ?


 Mauritius Times : On aurait pu croire au lendemain de l’annonce du jugement du « Privy Council » rejetant la pétition électorale de Suren Dayal, qui contestait l’élection de Pravind Jugnauth et de ses deux colistiers en 2019, que les dés sont jetés pour l’Opposition. Mais il semblerait que le « boost » politique que cette décision des « Law Lords » a donné au leader du MSM va vite s’effriter. Pravind Jugnauth en est sans doute conscient…

Lindsay Rivière : Le jugement du « Privy Council » favorable à Pravind Jugnauth aura certainement été un « boost » et un motif de satisfaction momentané pour le PM et le MSM. Mais son impact dans la durée sera sans doute assez limité car chaque personne sensée avait plus ou moins déjà intériorisé (après les plaidoiries des deux parties à Londres) le fait que la défense présentée par les avocats du PM était largement supérieure et beaucoup plus convaincante que celle de Suren Dayal.

Le MSM va certainement exploiter au maximum cette victoire légale pendant quelques semaines pour retourner la table sur l’Opposition, arguant que les « Law Lords » légitimisent sans contestation possible sa victoire de 2019 mais, vous savez, comme toute autre chose à Maurice, on n’en parlera plus dans un mois ou deux.

Pourtant, un effet secondaire important de ce jugement est qu’il ouvre la voie, par son interprétation très libérale de la notion de « bribe électoral », à un torrent possible de promesses et d’engagements (à condition que ces promesses concernent tout l’électorat et non un groupe particulier).

En l’absence d’une “Fiscal Responsibility Act”, obligeant à chiffrer de manière crédible toute promesse formulée, cela pourrait changer un peu la nature même du jeu politique mauricien et le faire verser encore davantage dans la démagogie.

* Ce « boost » politique vous parait-il suffisant dans ces nouvelles circonstances pour prendre l’Opposition au dépourvu avec des élections anticipées vers la fin de 2023 ? Ou voyez-vous Pravind Jugnauth miser sur le temps en vue de l’essoufflement de l’Opposition ou même d’une cassure, et de frapper fort l’année prochaine après l’annonce des mesures budgétaires, surtout populistes?

Il n’y a certainement pas, dans le jugement du « Privy Council », matière à élections anticipées. D’ailleurs, même certains dans l’Opposition ne croyaient pas tout à fait en ce scénario. Je crois vraiment, honnêtement, qu’on devrait cesser, à Maurice, de parler d’élections générales anticipées à tout bout de champ et au moindre coup de brise politique.

Je ne crois absolument pas (et je l’ai répété très souvent dans vos colonnes, à la radio et ailleurs) qu’il n’y aura pas d’élections avant au moins la deuxième partie de 2024, possiblement même avant 15 ou 20 mois.

Le PM l’a dit lui-même : il a encore une carte maîtresse à jouer, le Budget 2024-25, qui verra probablement un déferlement de mesures populaires.

Pravind Jugnauth ne rappellera pas le pays aux urnes avant d’avoir tiré ses toutes dernières munitions politiques et d’avoir mis absolument toutes les chances de son côté. Le PM est allergique au risque et on l’a bien vu avec le renvoi systématique des municipales. Il ne se décidera qu’au moment où il sera certain de gagner.

Pour moi, il n’y a qu’une seule et unique situation où le PM changera ses plans et organisera des élections avant décembre 2024 : ce serait dans le cas où l’alliance de l’Opposition PTr-MMM-PMSD éclate en morceaux, pour une raison ou une autre, et si le PMSD se dit prêt à le rejoindre au gouvernement.

Avec l’alliance rouge-mauve-bleu, l’Opposition s’est aventurée très loin en faisant repartir l’espoir d’un changement de régime et de politiques. Cette alliance ne peut plus se dissoudre sans infliger un ‘knock out’ psychologique à l’Opposition et sans ridiculiser ses dirigeants. En quelque sorte, ‘there is no going back’ au risque de se décrédibiliser totalement.

Or, si le PM parvient à briser cette alliance en convaincant le PMSD que l’avenir du parti Bleu est avec le régime et non avec le couple Ramgoolam-Bérenger, alors tout deviendrait possible pour lui. La tentation deviendrait irrésistible pour Pravind Jugnauth de profiter du désarroi total de Ramgoolam et de Bérenger, et sans autre option que d’aller, déconfits, ensemble. Mais ils deviendraient alors une proie plus facile pour Jugnauth.

Ainsi, la vraie question à se poser est de savoir si le PMSD saura résister au chant des sirènes du MSM dans la période qui nous sépare de fin 2024.

* Maintenir la cohésion et tenir le coup jusqu’aux prochaines législatives qui vont avoir lieu quand le Premier ministre le jugera opportun, c’est cela donc le défi principal qui se présente à l’alliance PTr-MMM-PMSD dans les nouvelles circonstances politiques ?

Certainement. Et voici pourquoi : La politique est une affaire de rapport de forces constant. Pravind Jugnauth et le MSM ont des moyens financiers et organisationnels considérables, de même que le pouvoir qu’exercent l’Etat, les Municipalités, et les autres institutions.

Mais la grande donnée nouvelle à Maurice depuis une vingtaine d’années est qu’aucun parti (même celui au pouvoir) n’a pas plus du tiers de soutien populaire et n’est jamais garanti d’une victoire car ce sont les 40% à 50% d’indécis qui décident.

On surestime parfois l’ascendant du MSM auprès de la communauté majoritaire et l’importance du « Hindu Belt ». Il n’y a que 5 circonscriptions où le poids électoral hindou est majoritaire (plus de 50%) et encore ces 50% se divisent entre le MSM et le PTr. Pour assurer sa victoire, Pravind Jugnauth se doit d’élargir son soutien (même symboliquement) dans les milieux de la population générale et musulman.

En milieu musulman, il espère pouvoir attirer autour du Dr Husnoo et du Dr Joomye, des députés MMM de Port Louis : Adil Ameer Meea au No.3 et même possiblement Reza Uteem au No.2 en jouant sur leur impatience d’être constamment dans une opposition stérile.

La population générale (PG) reste largement hostile au gouvernement, et Steven Obeegadoo, malgré toutes ses réalisations, n’émerge pas vraiment comme représentatif de la PG. Il faut donc, à Pravind Jugnauth, un allié PG de taille et symbolique. Et comme celui-ci ne peut pas être Paul Bérenger, il ne lui reste que le PMSD. Et il apparaitra évident, au fil des mois, qu’après avoir ‘épuré’ son parti de tous ceux qui l’embarrassent, le PM sera prêt à dérouler le tapis rouge pour attirer à lui le PMSD. Ce serait en quelque sorte une répétition de 2014.

* Pourtant, on dit que Xavier Duval est très hostile à toute suggestion de rapprochement entre le PMSD et le MSM ?

Oui. Xavier Duval est un très bon Leader de l’Opposition et il préfère manifestement Navin Ramgoolam (son vieil allié et ami) à Pravind Jugnauth. Il a aussi montré qu’il est un homme de principes en quittant le gouvernement. 

De plus, il sait que le gouvernement Jugnauth est impopulaire auprès du petit peuple en raison des difficultés de la vie quotidienne. Jusqu’ici, il a résisté à toutes les approches du PM, même si celui-ci serait prêt, dit-on, à lui offrir le poste de Deputy Prime Minister et une quinzaine de tickets contre 7 que lui offre le PTr-MMM.

* Voyez-vous Xavier Duval capable de retourner sa veste et vendre une nouvelle alliance avec le MSM auprès de son électorat, cela sans trop de dégâts?

Le problème ne serait pourtant pas Xavier Duval mais plutôt ses lieutenants et ses troupes, sevrés de pouvoir pendant 10 ans et fatigués de chauffer les bancs de l’Opposition, sans pouvoir faire quoi que ce soit pour leurs électeurs.

* Il est probable toutefois que Xavier Duval serait en train de réfléchir sur ce qu’il adviendra du PMSD et de la carrière politique de son fils Adrien en cas de défaite de l’alliance de l’opposition lors des prochaines législatives. L’avenir d’un parti politique est plus souvent assuré dans le pouvoir, dans le gouvernement, et non pas dans l’opposition, comme le MMM l’aura appris à ses dépens, non?

Il est normal qu’il y réfléchisse comme Paul Bérenger à tout moment pense à l’avenir du MMM. La séduction du pouvoir est parfois irrésistible.

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a, au PMSD, une réflexion sur plusieurs sujets:

  • les chances réelles de l’alliance de l’Opposition de gagner les prochaines élections,
  • les relations demain entre le PMSD et Bérenger et le MMM, et
  • la possibilité de faire en sorte que Pravind Jugnauth change d’équipe, de style de gouvernement et de revenir vers plus de justice sociale, etc.

On laisse entendre que tout le monde au MMM ne partage pas exactement les mêmes vues sur toutes ces questions. Ce qui est sûr, c’est que si Pravind Jugnauth voit apparaitre une brèche au PMSD, il foncera sans hésitation dans cette direction.

* Au-delà de ses casseroles et de sa gouvernance autocratique au cours de ces dernières années, le MSM n’est pas assuré d’un “walk-over” dans les régions rurales, et il devra absolument remporter quelques sièges dans les circonscriptions urbaines afin d’espérer diriger le prochain gouvernement. Cette réalité n’est pas si évidente?

Vous avez parfaitement raison. Et cela rejoint ce que j’affirmais plus tôt dans cette interview.

Une chose est sûre: Le MSM et Pravind Jugnauth vont devoir se battre farouchement pour conserver le pouvoir en 2024-25. Le PM a, pourtant, quelques autres points d’avance sur l’Opposition : la capacité assez surprenante de mobilisation permanente de son parti, son âge et son énergie – 60 ans contre 76 à Ramgoolam et 77 à Bérenger, qui vieillissent de plus en plus, et une certaine flexibilité dans sa stratégie politique par opposition à une certaine rigidité dans l’Opposition.

Sir Anerood Jugnauth avait comme recette de préservation du pouvoir, à chaque élection, le changement d’alliés et le fait de se servir des autres. Son fils navigue sur la même stratégie.

* Le défi est aussi énorme pour l’Opposition PTr-MMM-PMSD qui miserait sur l’arithmétique électorale afin de remporter les prochaines élections. Quel sera le principal handicap pour cette alliance: le profil des leaders et de son ‘front bench’, un déséquilibre dans la répartition des tickets ou l’incertitude quant à la viabilité d’une telle alliance dans l’exercice du pouvoir?

Un peu de tout cela.

L’Opposition a repris du poil de la bête avec ses meetings réussis, ce qui a galvanisé et rendu l’espoir à ses troupes. Cela a aussi rétabli quelque peu l’équilibre de peur, voire de terreur politique, qui caractérise le jeu.

Il lui faut, pourtant, développer plus d’énergie, projeter plus de vision, cesser de ne compter que sur des conférences de presse, cesser d’entrer dans le piège des expulsions au Parlement comme des bleus, cesser de parler d’élections à tout bout de champ, structurer ses bases communes dans chaque circonscription, proposer un programme qui encourage les jeunes à reprendre confiance et à demeurer au pays. A plusieurs points de vue, l’Opposition est en train de ‘underperform’.

Paul Bérenger et Navin Ramgoolam vieillissent à vue d’œil. Xavier Duval paraît un peu malade. Il faut faire monter en première ligne les lieutenants et plus de jeunes car la jeunesse veut savoir, si l’Opposition gagne, qui dirigera le pays en 2025, 2028 ou 2030 et quels seront les thèmes d’avenir. L’Opposition doit être incarnée non seulement par le trio Ramgoolam-Bérenger-Duval mais la nation doit sentir et voir une armée politicienne de l’Opposition solide en marche.

* Et les extra-parlementaires parlant de ‘troisième voie’ et de ‘Ni …, Ni …’, qui bouge beaucoup ?

Vous le savez : Je n’ai jamais cru et je ne crois pas dans une ‘troisième voie’. Nous sommes enfermés dans une culture de ‘blocs’ politiques où on ne peut pas faire de la place pour tout le monde, avec 3 candidats par circonscription. Les partis extra-parlementaires déploient une belle énergie, font des propositions de réforme fort intéressantes. Mais espérer gagner hors des blocs est d’un irréalisme politique total.

Il y a 1,000,000 d’électeurs à Maurice. 80% de ceux-là votent. Il faut gagner au bas mot 20,000 électeurs dans chaque circonscription pour espérer remporter un siège et au moins 36 sièges pour prendre le pouvoir. Croire que cela soit possible pour Nando Bodha, Roshi Bhadain, Rama Valayden et autres Dev Sunnasy, c’est rêver les yeux grands ouverts.

Il est plus que temps que ces groupes ouvrent un dialogue avec les deux grands blocs, comme le propose Rezistans ek Alternativ qui fait preuve d’une lucidité remarquable dans la circonstance.

* On devra donc s’attendre à une bataille rude et dure lors des prochaines élections… Tous les éléments qui forment partie de la culture politique seront mis à contribution, avec en plus une bonne contribution de “money politics”. La loi du plus riche triomphera-t-elle, selon vous?

En effet. La probabilité est que des centaines de millions seront dépensés aux prochaines élections. S’il est vrai que l’argent est le nerf de la guerre, cela ne veut pourtant pas forcément dire que celui qui dépensera le plus gagnera les élections.

L’Opposition a d’ailleurs trouvé une parade à cela : “Prenez, sans état d’âme, tout ce qu’on vous donne mais votez selon votre volonté profonde et vos convictions.” Tout est devenu d’un tel cynisme à Maurice ! On verra bien !

* Par ailleurs, il y a aussi beaucoup d’impondérables en ce qui concerne la guerre au Moyen-Orient. On ne sait pas à ce stade si cette guerre va s’étendre et quel impact une déflagration pourrait avoir sur l’économie mondiale, dont la nôtre et, par extension, sur la politique à Maurice. Votre opinion?

Une extension et une régionalisation incontrôlables de ce conflit seraient une tragédie pour le monde entier et, bien sûr, pour nous-mêmes à Maurice.

Les conséquences pour l’approvisionnement en pétrole, le coût de fabrication des produits, le tourisme avec des gens ne voyageant plus l’esprit tranquille, tout cela serait terrible pour Maurice sans parler des retombées et des perturbations potentielles sur notre peuple.

Ce qui se passe au Moyen-Orient, c’est une immense tragédie humanitaire et morale. On ne peut que souhaiter que le bon sens prévaudra et que les artisans de paix feront entendre leur voix.


Mauritius Times ePaper Friday 27 October 2023

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