L’approche consensuelle est-elle possible?
|Gestion de la crise
« L’approche consensuelle n’est pas le fort de la démocratie représentative. Le Gouvernement et l’opposition peuvent ne pas être d’accord sur les orientations fondamentales pour l’avenir, mais ils peuvent s’entendre sur les modalités de la reprise des activités pour que tout le monde revienne à ses occupations habituelles. Sous ce rapport, les consultations entre le Premier ministre et le leader de l’Opposition sont salutaires du point de vue de la trêve politique. L’appel à un gouvernement d’unité nationale lancé par certains est heureusement tombé sur des oreilles sourdes… »
By Aditya Narayan
La gestion de la pandémie du coronavirus dans tous les pays affectés, y compris Maurice, a posé des enjeux fondamentaux sur les plans sanitaire, économique et démocratique. Maintenant que ces pays envisagent un déconfinement progressif vers un retour à la normale, les débats continueront sur la justesse des mesures prises pour limiter les dégâts, sur les lacunes des systèmes en place, sur les réformes potentielles et l’avenir de la société post-pandémie. Maurice n’échappera pas à cette réflexion. Elle aura à tirer les leçons pertinentes, évaluer l’efficacité de ses politiques publiques et envisager de nouvelles orientations socio-économiques.
Santé publique
Sur le plan sanitaire, force est de constater que Maurice s’est en tirée passablement bien en comparaison avec d’autres pays qui ont été durement touchés (Italie, Royaume Uni, France), toutes proportions gardées. Malgré l’indiscipline de certains mauriciens, les choses sont rentrées dans l’ordre à la faveur du couvre-feu. Il y a eu des couacs, des ratés et des signes d’impréparation à la crise, mais – dans l’ensemble – il n’y a pas eu de rupture de système ni de débordement.
Le confinement imposé pour endiguer la propagation du virus a fonctionné compte tenu du nombre de victimes humaines. Il est sans doute trop tôt pour crier victoire car le risque d’une seconde vague de contamination existe toujours. La vigilance demeure de mise.
On ne saurait nier l’importance d’un système de santé publique, financé adéquatement et équipé en ressources humaines et infrastructurelles, à l’abri de toute tentation de privatisation au seul motif du profit. La santé publique fait partie de l’Etat-Providence, dont les moyens de financement seront mis à rude épreuve avec la capacité fiscale réduite de l’Etat. Toutefois, il faut garder le cap en décidant des choix d’investissement public et en ayant une vision claire des priorités.
Reprise économique
Tous les gouvernements sont confrontés au même dilemme : permettre une reprise graduelle des activités ou continuer le confinement pour deux semaines encore jusqu’à ce que la courbe de l’épidémie soit aplatie. C’est un choix difficile à faire (trade-off) si l’on veut éviter une résurgence du virus tout en permettant un déconfinement graduel par phases et par secteurs d’activité. Les scientifiques soucieux de santé publique et les politiques soucieux de santé économique sont aux pôles opposés de l’échiquier. Il reviendra au Gouvernement ultimement de décider des étapes de la reprise avec la pleine connaissance des risques tant sanitaires qu’économiques.
La reprise économique est vitale dans cette course contre la montre pour mitiger les dommages collatéraux subis par les employés et les entreprises, mais les décisions du Gouvernement seront déterminantes en ce qui concerne les futures orientations. Les plans d’aide financière aux employés mis en chômage temporaire et aux travailleurs indépendants ont été cruciaux dans l’effort d’éviter une catastrophe humaine.
Quant au plan de soutien aux entreprises, il est essentiel que le Gouvernement ne leur signe pas de chèque en blanc. Contrairement au plan de sauvetage d’entreprises mis en oeuvre en 2008, il faut que le Gouvernement ajoute des ficelles à l’aide publique.
Que les entreprises ne soient pas autorisées à empocher l’argent public tout en procédant à des licenciements. Que l’aide publique soit un prêt remboursable dans le temps ou une prise de participation de l’Etat dans des entreprises, quitte à ce que les actions acquises leur soient revendues ultérieurement. Que les entreprises suspendent le paiement des dividendes jusqu’à ce que les bilans financiers soient positifs, comme certaines voix le réclament en Inde et en France. Plus que jamais la générosité publique sans contrepartie n’est pas acceptable.
Fonctionnement démocratique
En même temps que le Gouvernement prend des mesures d’urgence en se prévalant de pouvoirs d’exception, il faut éviter que la démocratie ne devienne un autre dommage collatéral de la crise. Certaines dérives autoritaires telles que la brutalité policière contre une famille ou la suspension temporaire d’une radio libre sont déplorables. Heureusement, la Cour suprême agit en rempart contre l’arbitraire.
En temps de crise, le droit à l’information libre et objective est essentiel tout comme l’analyse fondée sur les faits (evidence-based analysis). Contrairement aux pays ayant un système politique autoritaire (Chine, Turquie, entre autres), les citoyens dans les démocraties libérales tiennent à leurs libertés civiles. Ils veulent un gouvernement responsable et transparent et qui puisse rendre compte de l’argent public dépensé sous les différents plans d’aide.
C’est là que l’opposition parlementaire doit pouvoir jouer son rôle de chien de garde et d’interlocuteur crédible pour questionner le Gouvernement et faire des propositions. Le confinement ne devrait pas être le prétexte d’une mise en hibernation du Parlement. Dans certains pays (Grande Bretagne, Canada, par exemple), le Parlement fonctionne déjà avec un personnel réduit (les partis réduisent la présence d’élus à un quorum minimal en proportion de leur représentation) ou selon le mode virtuel (comités parlementaires en visioconférence) pour faire passer des lois d’urgence. La majorité et la minorité ne seront jamais sur la même longueur d’onde, mais elles peuvent s’entendre sur la forme d’une sortie de crise.
L’approche consensuelle n’est pas le fort de la démocratie représentative, qui est un système fondé sur le débat contradictoire. Le Gouvernement et l’opposition peuvent ne pas être d’accord sur les orientations fondamentales pour l’avenir, mais ils peuvent s’entendre sur les modalités de la reprise des activités pour que tout le monde revienne à ses occupations habituelles.
Sous ce rapport, les consultations entre le Premier ministre et le leader de l’Opposition sont salutaires du point de vue de la trêve politique. L’appel à un gouvernement d’unité nationale lancé par certains est heureusement tombé sur des oreilles sourdes.
Problématiques fondamentales
Cette crise a mis en exergue des problématiques fondamentales qui sont liées au système économique, au dispositif de protection sociale, à l’éducation et au civisme, au logement social, aux libertés civiles et à l’exercice des pouvoirs d’exception. Elle a révélé au grand jour des inégalités de classe criantes telles que la précarité économique des groupes vulnérables et le manque d’accès aux services en ligne. Certaines familles peuvent faire des achats en ligne ou regarder des films sur Netflix alors que les enfants des familles pauvres n’ont pas d’accès à l’Internet pour suivre les cours en ligne. Certaines familles, vivant dans les taudis, ne peuvent demander l’aide sociale sans un encadrement ponctuel.
Les économistes auront beau prédire une reprise économique en forme V (signifiant une croissance rapide) ou en forme U (tassement suivi de croissance rapide), l’économie de marché sans transformation radicale restera sujette aux chocs endogènes et exogènes dans l’avenir. C’est toute une nouvelle réflexion sur le modèle de société qui s’impose avec un accent particulier sur la redistribution des richesses, la production locale et les énergies renouvelables, les systèmes de distribution (vente/revente avec intermédiaires), l’efficience du secteur public, la réforme des services publics, l’autonomisation économique des gens vulnérables, la fiscalité équitable, le changement climatique, et l’accès à l’éducation et à l’emploi.
* Published in print edition on 24 April 2020
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