La sauvagerie dans l’air…

By Nita Chicooree-Mercier

Une petite fille sous un tas de fumier, la revanche de la vie sauvage, comportement sovaz appréhendé lors de la réouverture des supermarchés.

Alors que l’opération Res Lacaz a évité que les chocs violents poussent motocyclistes et automobilistes à rendre l’âme sur l’asphalte en même temps que leur permis de conduire…, et a épargné des familles d’une souffrance inutile, quelques malfrats en manque de cigarettes et de boissons alcoolisées, sans foi ni loi, n’ont pas hésité à sectionner le poignet d’un agent de sécurité. Les titres des informations sans ces actes sordides : un répit de courte durée.

« Une récession mondiale annoncée depuis longtemps et précipitée par la force inouïe d’un virus invisible. What goes around comes around en anglais, justice karmique pour d’autres. Les hommes sont impatients de reprendre leurs activités économiques, y compris celle qui consiste à tuer des millions d’animaux par jour. Une sauvagerie qu’on se garde bien de discuter. En tirera-t-on des leçons un jour ? »


Point de matricide, patricide, une pause dans le ‘féminicide’ commis par les maris violents dans le jargon des féministes de la mouvance #Balancetonporc, point de crime entre compagnons de beuverie. Ce fut trop beau pendant ces dernières semaines. Dans le registre de la criminalité intrafamiliale, cherchez la mère. C’est fait.

Quelle mouche a piqué la jeune mère à fracasser le crâne de son enfant ? Misère sociale, misère morale? La sacralité de l’enfant vole en éclats. Une fillette de neuf ans qui met deux heures à déjeuner par ce temps de confinement ne devrait pas être dérangeante pour les parents désœuvrés, on serait tenté de croire, ce n’était pas une raison pour être à bout des nerfs. Plus qu’une nécessité biologique, le repas est aussi un acte affectif et social. Les pensées qui préoccupaient l’enfant qui prolongeait le temps du repas sans faire exprès, une inquiétude, une peur, un traumatisme? On ne le saura jamais.

L’oncle n’en revient pas. Il pleure sa nièce. Qu’est-ce qui a pu libérer une telle furie chez sa sœur ? Il lui pardonne quand même parce que c’est sa sœur. Crime sur son propre enfant commis par une mère avec l’aide du concubin? Un rappel qu’il y a un monde périphérique peuplé de familles brisées, couples précaires, concubinage, familles déstructurées et recomposées où l’absence d’un garde-fou qu’assurent, en général, l’éducation et les valeurs peut libérer une folie meurtrière d’un Moi émancipé par la libération des mœurs, renforcé par le principe de l’immédiateté, la satisfaction des besoins et des caprices, un Moi livré à ses passions… Et, dans tout ça, une fillette qui éternise son repas.

Préoccupés à se protéger d’un virus mortifère et à assurer leur propre survie avec masques, gants et sanitizer, la peur aux tripes, le bon peuple aurait exprimé, en temps normal, son indignation, sa révolte à coup de : Une chose pareille, comment est-ce possible? Il n’y a plus de respect ni de valeurs, Où va le pays, ‘mo papa ô’? Le tribunal inquisiteur que sont devenus les réseaux dits ‘sociaux’ serait monté sur le podium et chacun aurait prononcé son verdict à qui veut l’entendre. Mais là, silence radio.

Point de marche blanche, ni bougies ni prières pour l’enfant désacralisé – couvre-feu oblige. La ministre de la Famille et de l’Egalité des Genres a résumé le sentiment de tout le monde. Choquée et révoltée, elle promet de protéger tous les enfants de ce pays. Comment s’y prendra-t-elle? Pour l’heure, triste égalité des genres en matière de criminalité… Un peu exagéré, certes. La fillette sera oubliée jusqu’au prochain meurtre.

Dans les contrées où on discute des choses sérieuses, la Semaine internationale du Cerveau s’est déjà écoulée avec emphase sur le cerveau droit et gauche. Manquait au programme des discussions, le côté primitif du cerveau humain. Ici, rien de trop intellectuel ; cela encourage la consommation et évite de penser.

Dans quelques jours, aux petites heures du matin lorsque le laboureur se dirigera vers son champ pour travailler la terre maternelle et nourricière, assise sur un tas de fumier, une petite fille l’observera. Partie trop tôt, elle rôdera autour du foyer maternel le soir venu. L’opération découpage ayant été interrompue, dans quelque temps, les habitants du monde souterrain des défunts verront arriver vers eux, en boitant, une petite fille qui a mal à la hanche. Nos prières l’accompagnent.

* * *

C’est l’afflux au royaume de Yama, dieu védique de la mort, à celui de Hades de la mythologie grecque, et bien d’autres divinités du panthéon de l’univers, si on les évoque, d’un millier de personnes d’un certain âge par jour munies d’un billet aller-simple en provenance de New York, d’Italie et d’Espagne principalement pour l’instant. L’Europe est devenue le tiers-monde, observe le philosophe Michel Onfray. Encore faut-il attendre le bilan en Afrique et en Asie du sud-est dans les semaines à venir.

Un coup de main de la vie sauvage aux gouvernants pour régler le phénomène du Péril Gris? Le vieillissement des populations à travers le monde et surtout là où leur nombre croissant suit la courbe de la prospérité et l’augmentation de l’espérance de vie. Regard cynique, dira-t-on. Pension de vieillesse, maisons de retraite, soins médicaux, etc., revus à la baisse. Un allègement du budget des gouvernants, soutiendront les adeptes de la théorie de complot.

La réalité, c’est la rencontre fortuite mais inévitable d’un tueur en série avec un autre serial killer par excellence, l’homme himself. La biodiversité requiert que les animaux des forêts propagent leur virus chez d’autres petits êtres rampants qui le transmettent à bien d’autres sans qu’il soit mortel.

La déforestation pour des raisons économiques, l’élevage de bétail qui finit dans les assiettes des restaurants fast food pour le plaisir gustatif des uns et des autres, l’exportation a privé le virus de la vie sauvage d’une évolution naturelle dans son habitat.

Dévié de sa trajectoire naturelle et la promiscuité improbable entre civette et chauve-souris imposée par l’homme dans un grand marché, le virus du préhistorique pangolin aurait acquis une toxicité dans sa mutation et a circulé en électron libre comme toute vie sur terre mais n’a rencontré aucun petit animal sauvage qui pourrait l’accueillir. Sans faire exprès, il est tombé sur l’animal à deux jambes qui parle le mandarin. Une catastrophe écologique.

Tueur par défaut érigé en ennemi. L’artillerie lourde sortie pour l’occasion dans les discours, le Premier des ministres exhortant la population à maryé piké, manzar li, repris en chœur sur les ondes et par le bon peuple. Vocabulaire militaire renforcé par la doctoresse expédiée de la Réunion qui invite les petits Mauriciens à se comporter comme des soldats. Pendant qu’on y est, pourquoi pas le très gaulois Aux armes, citoyens!

Il faut avouer que culturellement, ici, on n’est pas très à l’aise avec la rhétorique de l’ennemi, malgré l’adhésion superficielle par mimétisme, semble-t-il. Le peuple, quoique projeté dans l’ère de la consommation et de la modernité, et malgré les apparences, n’a pas perdu son indépendance d’esprit, le bon sens populaire et une certaine sagesse héritée des temps anciens. Un grand atout.

Une récession mondiale annoncée depuis longtemps et précipitée par la force inouïe d’un virus invisible. What goes around comes around en anglais, justice karmique pour d’autres. Les hommes sont impatients de reprendre leurs activités économiques, y compris celle qui consiste à tuer des millions d’animaux par jour. Une sauvagerie qu’on se garde bien de discuter. En tirera-t-on des leçons un jour ?


* Published in print edition on 7 April 2020

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