La police face à la criminalité

Maintien de l’ordre public

Dans notre Etat de droit, il est essential d’assurer un juste équilibre entre les droits des présumés coupables et les droits des victimes

Par Aditya Narayan

Deux incidents qui ont défrayé la chronique ces dernières semaines mettent en exergue la problématique de l’ordre public (law and order) et de la sécurité à Maurice.

L’un est l’accident dans lequel un véhicule de la police est sorti brusquement de sa route pour s’écraser contre une station-service, tuant un pompiste et blessant grièvement un autre au passage.

L’autre est l’intervention de la police chez une famille en détresse qui mena à la mort d’un homme, apparemment descendu pour l’empêcher d’agresser sa femme et son enfant en bas âge.

Ces deux incidents n’ont sans doute aucun rapport entre eux, mais ils ont pour dénominateur commun le comportement des policiers dans des situations d’urgence. Ils devraient être situés dans le contexte de l’insécurité généralisée qui semble s’installer dans le pays pour une multitude de raisons.

Personne ne peut nier que la criminalité de droit commun a pris une courbe ascendante sous la façade de la société de consommation qui donne aux mauriciens l’illusion du progrès social. Aucun jour ne se passe sans que la presse ne rapporte un meurtre (avec ou sans préméditation), une disparition suspecte, un viol ou autre forme d’agression sexuelle, un accident de voiture homicide, un vol à main armée ou un vol avec effraction, un kidnapping d’enfant ou une scène de violence domestique.

Vu la forte fréquence des actes criminels, il y a une tendance à banaliser les choses en les traitant tous de faits divers. Or, derrière le vernis de modernité dont se farde le pays, il y a des signes évidents d’un malaise social caractérisé par diverses formes de violence, les unes plus affreuses que les autres.

Insécurité généralisée

Lorsque le modernisme économique s’accompagne d’une régression des mœurs, encouragée par la perte de repères moraux, il y a un dysfonctionnement dans la société. Dès lors, la sécurité devient un enjeu de société majeur tant sur le plan public que sur le plan privé.

Sur le plan public, il existe un sentiment d’insécurité générale avec les crimes violents et les séquelles du crime organisé (trafic de drogue). L’administration de l’ordre public montre des failles indéniables depuis quelque temps. On a l’impression que les forces de l’ordre sont dépassées par les événements en raison d’une mauvaise affectation des ressources aux différents postes de responsabilité (par exemple, le nombre significatif de policiers affectés à la garde des personnalités politiques ou à la surveillance des intersections sur la route du métro léger en opposition à d’autres priorités d’ordre public), d’un manque de formation pour parer aux risques de violence et de l’interventionnisme politique dans certains domaines de l’administration policière.

Le premier incident (accident de voiture policière causant mort d’homme) soulève la question du comportement professionnel des policiers impliqués dans une situation dont elle est l’initiatrice.

Puisqu’une enquête est en cours sur cet incident, il convient d’éviter les conjectures et de ne pas tirer de conclusions hâtives. Toutefois, les gens ayant le sens de la justice se posent deux questions en toute curiosité en attendant les résultats de l’enquête.

  • Premièrement, la police est-elle au-dessus de la loi ou est-elle assujettie aux mêmes lois que tout le monde? 
  • Deuxièmement, la police peut-elle enquêter sur elle-même lorsqu’elle est impliquée dans un incident fatal où sa responsabilité est directement engagée?

Dans bien des pays, c’est un corps indépendant de la police (special investigations unit) relevant du ministère de la Justice qui enquête sur un tel incident en vue de dissiper toute perception que la police est juge et partie à la fois.

Sur le plan privé, les mauriciens ont développé une mentalité, voire une obsession sécuritaire afin de se mettre à l’abri d’attaques ou d’attentats sur la personne. Un nombre grandissant d’entre eux vivent dans des maisons surveillées par des caméras 24/7 à l’intérieur des cours clôturées par des murs d’enceinte surmontés de rangées de fils de barbelé. On se croirait dans une zone militaire dans certains quartiers. Quand les gens sont en difficulté, ils appellent la police au secours. Ainsi les actes de violence domestique ou conjugale donnent lieu à l’intervention de la police lorsqu’une présumée victime veut échapper à une agression. Le deuxième incident homicide soulève des questions sur le comportement professionnel de la police dans une situation d’urgence où elle est appelée à sauver des vies menacées.

Responsabilités de la police

Pour avoir un meilleur éclairage sur les responsabilités de la police dans une telle situation, nous citerons l’ouvrage ‘Sociology in Our Times’ (3ème édition par Diana Kendall, Jane L. Murray et Rick Lenden) au chapitre 7 “Crime and Violence”. Les auteurs définissent deux dimensions du rôle de la police:

 (1) la police a l’autorité et, parfois, le devoir d’intervenir dans des situations où quelque chose doit être fait immédiatement; et

 (2) l’autorité de la police s’appuie sur une force non-négociable. Si quelqu’un refuse d’obtempérer à un ordre, la police peut utiliser la force (normalement l’arrestation) pour soutenir sa demande.

Cette citation d’Egon Bittner dans le livre est pertinente : “What policemen do appears to consist of rushing to the scene of any crisis whatever, judging its needs in accordance with canons of common sense reasoning, and imposing solutions upon it without regard to resistance or opposition.” (1980:137).

Les deux incidents ont suscité des réactions opposées au sein du public. Dans le premier cas, il y a eu une incompréhension, voire une désapprobation de la façon dont les policiers incriminés se sont comportés. On a parlé de non-assistance à une personne en danger. Dans le deuxième cas, il y a eu une compréhension, voire une approbation de la façon dont un policier s’est comporté pour mettre hors d’état de nuire un homme agressif.

Cette apparente contradiction expose la complexité de la notion de justice, qui est une notion relative, et non pas absolue. Chacun exerce son sens de la justice selon sa connaissance du droit applicable ou selon ses valeurs morales.

Les défenseurs des droits de l’homme  argueront que la police n’a pas le droit de tuer une personne, volontairement ou involontairement. Pour eux, le droit à la vie est sacré et personne ne saurait l’enlever à quiconque sous quelque prétexte que ce soit. D’ailleurs, au nom de cet humanisme, ils contestent toute proposition de rétablir la peine capitale, même dans le cas où un criminel récidiviste posant un danger à d’autres personnes est trouvé coupable de crime sans équivoque (beyond reasonable doubt). Ils invoqueront la convention internationale contre la peine de mort dont des pays sont signataires pour justifier leurs propres normes morales.

Equilibre des droits

A l’opposé de ces humanistes libertaires, il y a des gens non moins humanistes qui pensent que certains crimes horribles tels que le meurtre avec préméditation ou le viol d’un enfant mineur sont passibles de la peine capitale. Ils croient que certains criminels récidivistes sont incapables de réhabilitation sociale et doivent être éliminés à jamais afin d’épargner à l’Etat les frais de leur incarcération. Sur l’échelle de la morale, les droits des criminels (la défense assurée, le procès équitable, la protection physique de la personne) ne sont pas plus importants que les droits des victimes.

Ces derniers temps, il semble que le balancier de la justice a basculé du côté des criminels présumés en laissant les victimes à leur sort malheureux. Dans certains cas, les magistrats imposent des peines ridicules, à telle enseigne que le Directeur des poursuites publiques (DPP) doit parfois faire appel de ces décisions. Dans d’autres cas, certains criminels poursuivis et condamnés  à des peines sévères ont la chance d’être graciés par la commission de pourvoi en grâce (nous l’espérons, pour des raisons défendables).

Face à la déferlante de la criminalité, il est plus que jamais nécessaire de renforcer l’arsenal répressif contre les crimes violents. Cela passe d’abord par l’introduction des peines minimales dans la loi pénale pour enlever la discrétion aux magistrats de décider des sentences selon leur bon vouloir. Ensuite, il faudrait revoir le fonctionnement de la commission de pourvoi en grâce afin qu’elle ne renverse pas les décisions de la Cour sans justification aucune.

Il faudrait aussi assurer l’indépendance de la police pour qu’elle puisse rendre compte de ses actions dans la transparence. Dans notre Etat de droit, il est essential d’assurer un juste équilibre entre les droits des présumés coupables et les droits des victimes pour que la justice naturelle triomphe.


* Published in print edition on 17 January 2020

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