La FCC, une commission de poursuite 2.0
|Opinion
Crimes financiers
By Prakash Neerohoo
Le gouvernement a présenté un projet de loi visant à mettre sur pied une Financial Crimes Commission (FCC) qui sera l’organisme central pour enquêter sur les crimes financiers (notamment la fraude, la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du trafic de drogue) et pour poursuivre les suspects en justice.
Dans un passé récent, Maurice fut inscrite sur les listes grise et noire du Groupe d’Action Financière (GAFI) de l’OCDE et de l’Union européenne pour cause de déficiences stratégiques dans le régime AML/CFT. P – Orishas-finance
Ce projet fait l’objet d’un débat intense qui polarise l’opinion publique en deux camps opposés, l’un qui soupçonne le gouvernement de mobiles sinistres et l’autre qui défend une réforme structurelle avec l’objet déclaré de mieux combattre les crimes financiers.
La moralisation des mœurs financières du pays est un enjeu majeur de la gouvernance économique, et ce, compte tenu du fait que les crimes financiers sont des sources d’enrichissement illicite qui ont des ramifications profondes dans la société en termes de trafic d’influence, de passe-droits et de relations incestueuses entre certaines autorités de l’Etat et des trafiquants.
D’ailleurs, dans un passé récent, Maurice fut inscrite sur les listes grise et noire du Groupe d’Action Financière (GAFI) de l’OCDE et de l’Union européenne pour cause de déficiences stratégiques dans le régime AML/CFT (Anti-Money Laundering/Combating the Financing of Terrorism).
C’est malheureux qu’une réforme structurelle aussi importante ne puisse faire l’objet d’un débat dépassionné. Si tout le monde est d’accord que le combat contre les crimes financiers requiert une structure de régulation et de contrôle plus efficace, c’est la méthodologie proposée qui est problématique. En effet, derrière l’objet général du projet de loi, c’est toute l’intention stratégique du gouvernement qui fait sourciller les observateurs avertis.
Depuis les années 1990, le pays cherche la formule structurelle idéale pour détecter les crimes financiers. La première institution connue comme l’Economic Crime Office (ECO) fut créée par un gouvernement travailliste, mais elle fut dissoute en janvier 2002 par le gouvernement MMM-MSM. Par la suite, celui-ci avait mis sur pied une nouvelle institution, l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), sous la Prevention of Corruption Act pour remplacer l’ECO. Toutefois, tous les espoirs placés en l’ICAC ont été frustrés en raison de son manque d’indépendance, de ses lenteurs proverbiales et de son bilan très maigre.
L’ICAC a donné l’impression de s’occuper de menus fretins au lieu de traquer les gros requins de la fraude et de la corruption. Les gros dossiers de corruption qui lui ont été référés sont restés en suspens depuis des années. Dans certains cas, l’ICAC a été désavoué par les cours de justice, comme dans celui où un suspect (un pharmacien de l’Etat) – poursuivi pour maldonne allégué dans l’attribution d’un contrat de fourniture de médicaments – a été acquitté faute de preuves.
Vu les dysfonctionnements institutionnels actuels selon lesquels les institutions chargées de combattre les crimes financiers opèrent en vase clos, et sont parfois à couteaux tirés l’un avec l’autre sur leur champ de compétences, une nouvelle structure est sans doute nécessaire.
La FCC est la nouvelle structure qui regroupera sous un même toit trois institutions d’investigation, notamment l’ICAC, l’Asset Recovery Investigation Division (ARID) de la Financial Intelligence Unit et l’Integrity Reporting Services Agency (IRSA). Comme l’ICAC, l’ARID et l’IRSA n’ont pas donné des résultats positifs. Le bilan de l’ARID, en termes d’enquête sur les richesses inexpliquées, est nul à ce jour alors que les signes de richesse extérieurs sont très visibles dans certains milieux.
Dès le départ, il semble qu’un problème de crédibilité se pose pour la FCC. Bien que l’article 4 du projet de loi dit que la FCC ne sera pas, dans l’exercice de ses fonctions et de ses pouvoirs, sous la direction d’une personne ou d’une autorité quelconque, les conditions de son indépendance ne semblent pas être réunies. En effet, l’article 10 prévoit que le directeur général de la FCC sera nommé par le Premier ministre sur une base contractuelle de cinq ans après consultation avec le leader de l’Opposition.
Dans la pratique, on sait ce que signifie consultation. Le PM informe le leader de l’Opposition de son choix. Celui-ci peut exprimer son désaccord mais il n’a pas un droit de veto. Comme dans beaucoup de cas, un chef de service nommé par le PM n’est redevable qu’au chef du gouvernement. Il n’a pas de compte à rendre au public contribuable ou au Parlement. Idéalement, le directeur général de la FCC devrait être nommé par consensus par les trois personnalités de l’Etat (le Président de la République, le PM et le leader de l’Opposition) ou par un corps indépendant comme la Judicial and Legal Services Commission en puisant l’oiseau rare dans les rangs du judiciaire.
Sous l’article 6 du projet de loi, la FCC aura le pouvoir de détecter des crimes financiers, de faire des enquêtes et de poursuivre des suspects sans passer par le bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP). L’alinéa 142(1)(a) stipule que la FCC peut intenter de telles poursuites au pénal qu’elle estime nécessaires pour un délit sous la loi. C’est une concentration de pouvoirs d’enquête et de poursuite entre les mains d’une seule autorité (FCC), ce qui est contraire à la séparation des pouvoirs qui existe actuellement entre l’ICAC et le DPP.
Sous le présent système, l’ICAC enquête sur un crime et envoie un dossier au DPP, qui seul peut loger une poursuite. Bien que l’alinéa 142 (1)(c) du projet de loi dise que le DPP peut arrêter tout procès intenté par la FCC, l’alinéa 142 (1)(d) prévoit que toute partie mécontente de cette démarche peut demander une révision judiciaire de la décision du DPP en Cour suprême.
On imagine donc les conflits potentiels qui surviendraient entre le DPP et la FCC dans certains cas, lesquels seront identiques aux conflits entre le DPP et le commissaire de police que l’on voit ces jours-ci en Cour suprême sur les droits de poursuite et le droit de libération de suspects sous caution.
En retirant au DPP les pouvoirs de poursuite en matière de crimes financiers, le projet de loi crée une commission de poursuite spéciale pour ce genre de délits sous la direction de l’Exécutif. Or, cette commission n’a pas la même indépendance constitutionnelle que le Bureau du DPP.
Ceci peut potentiellement ouvrir la voie à des abus de pouvoir comme l’arrestation arbitraire, la détention prolongée en prison d’un suspect et la saisie des avoirs du suspect en attendant que la Cour de justice commence le procès. Même si le DPP peut éventuellement annuler une poursuite, la réputation du suspect sera salie entretemps.
La FCC a donc l’apparence d’une commission de poursuite 2.0. La commission de poursuite 1.0, avec pour but de couper les ailes au DPP, fut proposée dans un projet de loi en 2016, mais elle n’avait pas vu le jour en raison de l’objection du PMSD, un des partenaires du gouvernement. Ce parti avait quitté le gouvernement d’alors au lieu de soutenir le projet de loi, qui demandait un amendement constitutionnel. Le présent projet de loi sera voté par une majorité simple pour donner des pouvoirs exceptionnels à la FCC.
Mauritius Times ePaper Friday 8 December 2023
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